João Salaviza et Renée Nader Messora (Le Chant de la Forêt)

« Le Chant de la forêt » met en scène un jeune indigène de la tribu Kraho, dans le Cerrado brésilien, qui refuse de célébrer, selon la tradition, le deuil de son père. Cette fiction écrite et partagée avec les autochtones a été mise en scène par la Brésilienne Renée Nader Messora et le Portugais Joao Salaviza. Ce dernier évoque l’aventure de ce projet hors norme.

On vous connaissait comme l’auteur d’un premier long-métrage lisboète remarqué, « Montanha » (2015). On vous découvre coréalisateur d’une fiction anthropologique au Brésil. Quel cheminement vous y a mené ?

C’est l’histoire d’une vie. Renée était assistante de réalisation sur Montanha et, depuis 2009, elle tissait des liens étroits avec les Kraho. Pendant le tournage de Montanha, elle me racontait les histoires de ce peuple. Entre-temps, nous nous sommes mis en couple et, maintenant, nous sommes ensemble dans la vie et dans les films. Petit à petit, j’ai commencé à me sentir épuisé par cette manière de faire du cinéma et, en parallèle, le désir est né de rencontrer les Kraho. Nous y sommes retournés sur des périodes de plus en plus longues, jusqu’à ce que naisse l’envie de faire un film, couplée à celle d’avoir une autre vie. Le cinéma peut aussi être fait à une échelle domestique, familiale, micropolitique.

Quels enjeux, tant pour vous que pour les Indiens, revêt ce film ?

Nous avons vécu et filmé dans ce village pendant neuf mois. Le film a été construit avec des éléments de notre quotidien qui ont influencé la narration. Le plus grand défi a été de trouver le ton juste pour chaque scène, car elles oscillent entre la fiction et le documentaire. Nous pensons que le cinéma peut créer ce contexte et devenir cet endroit où l’on peut transcender notre propre histoire en utilisant le masque de la fiction. C’est un défi qui a rendu collectif le processus créatif et qui a entraîné une négociation esthétique et poétique entre eux et nous. Cette façon de faire un film est peut-être ce qui nous a le plus rapprochés d’une fiction ethnographique, où ce qui nous intéresse est une idée de vérité plutôt que de vraisemblance.

Aviez-vous des références esthétiques en tête ?

Abbas Kiarostami est un réalisateur que nous admirons tous les deux avec la même intensité. Mais il est difficile de savoir à quel point cette admiration a imprégné notre film. On nous demande souvent si on considère que notre film fait partie du « cinéma autochtone brésilien ». Il nous semble que la seule réponse possible est d’assumer que nous n’avons aucune légitimité pour y répondre. Cette définition devrait être pensée du point de vue des Indiens.

Le film est aussi une allégorie politique. Pensez-vous que le sort des autochtones au Brésil va s’aggraver avec le nouveau gouvernement au pouvoir ?

Depuis l’invasion portugaise au Brésil, le sang des peuples autochtones est versé. Cela fait plus de cinq cents ans qu’ils résistent. Aujourd’hui, il existe plus de trois cents peuples qui parlent près de 180 langues. Une multiplicité de savoirs et de cosmologies qui sont systématiquement menacés et massacrés. La volonté de transformer le Brésil en un champ de soja et en pâturage d’élevage existe depuis très longtemps. Aujourd’hui, avec Bolsonaro, la nouveauté est d’avoir un gouvernement ouvertement anti-autochtones, comme si ces peuples étaient les plus grands ennemis du Brésil. C’est un Etat qui profère un discours de haine envers les Indiens et qui légitime la violence qu’ils subissent. Ce qui se passe au Brésil est terrible, à la fois sur le plan humain et écologique, et cela devrait être une préoccupation pour toute l’humanité.

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