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Compositeur et réalisatrice, la musique de « Tout le monde aime Jeanne » »

Entretien avec Flavien Berger, compositeur de « Tout le monde aime Jeanne »

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Leyla Bouzid

BOUZID_Leyla_2015_NB1984  à Tunis

Tunisie

Réalisatrice, scénariste

A peine j’ ouvre les yeux (2015), Une histoire d’amour et de désir

Entretien avec Leyla Bouzid autour du film Une histoire d’amour et de désir.

  • Vous présentez le film en parlant du souhait de mettre en scène un personnage masculin timide. D’où est née cette envie ?

L.B. : « Je crois que c’est né du manque de représentation et de récits autour de ce type de personnages. J’ai l’impression qu’il n’y a pas de récit d’apprentissage au masculin, ni de récit d’émancipation, comme si les hommes naissaient prêts à tout. » (suite…)

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Iris Brey : « Je veux remettre les femmes au coeur de notre histoire cinématographique »

Elle est en France celle qui décrypte la représentation du genre et des sexualités à l’écran. Son dernier essai ? Un plaidoyer pour le « female gaze », alternative à la toute-puissance du regard masculin au cinéma.

Cette critique cinéma formée aux États-Unis et spécialiste de la question du genre a déjà fait parler d’elle en 2016 avec « Sex and the Series », un ouvrage éclairant sur les séries comme nouveau territoire d’expression du féminin. Aujourd’hui, Iris Brey, docteure en études cinématographiques et en littérature de l’Université de New York, (suite…)

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« Le Lac aux Oies Sauvages » et « Séjour dans les Monts Funchun »

Deux générations de cinéastes, une même contrainte.

Rencontre avec les auteurs qui doivent composer avec un système étatique imprévisible. 

Le premier vient de célébrer ses 50 ans, et n’a réalisé que trois longs-métrages depuis Uniforme, en 2003. Ours d’or à Berlin en 2014 pour Black Coal, Diao Yinan était en compétition à Cannes au printemps dernier avec Le Lac aux oies sauvages, film noir inspiré aussi bien de Chandler que de la littérature classique chinoise. Il était de passage à Paris à la veille de la sortie chinoise de son film, le 6 décembre : « il est prévu que le film sorte sur 16 000 écrans, on espère de 4 à 5 millions d’entrées », explique-t-il.

Lire la critique : « Le lac aux oies sauvages  » : fuite en eaux troubles dans la nuit chinoise

Le second rend deux décennies à son aîné. Gu Xiaogang était aussi à Cannes, où son premier long-métrage, Séjour dans les monts Fuchun a clos la Semaine de la critique. (suite…)

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Le Traître : Bellocchio tire à balles réelles

À l’occasion de la diffusion de la très intéressante série italienne 1992/1993, nous étions revenus sur l’assassinat spectaculaire de Giovanni Falcone par la Cosa Nostra. La violence de l’attaque, détruisant un large pan d’une autoroute, a changé le rapport du peuple italien à la mafia et marqué sur plusieurs décennies la mémoire des Européens. Si ce juge a été victime du plus spectaculaire attentat du XXe siècle sur le sol européen, c’est qu’il était à l’origine d’une efficace lutte antimafia qui a porté un coup fatal à Cosa Nostra. Cette méthode toujours à l’œuvre aujourd’hui s’appuie sur les collaborateurs de justice, ces membres des différentes mafias italiennes ayant décidé de raconter à la justice, en échange d’aménagement de peine, le fonctionnement complexe et international de ces très puissants groupes criminels. Marco Bellocchio a décidé de porter son regard sur le plus connu d’entre eux : Tommaso Buscetta, « le boss des deux mondes ». Buscetta n’est pas le premier d’entre eux, mais celui qui a permis d’affaiblir considérablement la force de Cosa Nostra. En permettant l’arrestation de plusieurs centaines de mafiosi, il a poussé la justice italienne à organiser un « Maxi-Procès » historique où près de 500 criminels furent condamnés parfois à plusieurs peines à perpétuité. Si ce procès a marqué les esprits c’est aussi par sa mise en place à Palerme au cœur du territoire de Cosa Nostra et sa disposition : une immense salle où les juges firent face à 355 mafieux en cellules (119 furent condamnés par contumace, dont Toto Riina, le chef, à l’époque de Cosa Nostra) et à leurs avocats disposés au centre de l’espace. Pour les mafias italiennes un véritable crachat au visage.

Pour l’heure, concentrons-nous sur Le Traître, dernier film de Marco Bellocchio, et la façon dont le cinéaste, plus de trente ans plus tard, revient sur ce moment historique. Concentrons-nous sur le regard qu’il porte sur le crime organisé. Le moins que l’on puisse dire c’est que l’artiste aguerri ne tombe pas dans le piège dans lequel tombe trop souvent la fiction sous toutes ses formes, et celles qui prennent une forme audiovisuelle en particulier. Il n’y a dans Le Traître aucune tentation de dépeindre la mafia comme un groupe de personnes élégantes et charismatiques auxquelles ont souhaiterait se projeter; bien au contraire. Si durant la première séquence, qui se déroule à la fin des années 70, lorsque les différentes familles mafieuses italiennes scellent un pacte commercial autour du commerce illégal de l’héroïne, Bellochio choisit de représenter les mafieux tels que Francis Ford Coppola les a rendus légendaires, c’est pour mieux ensuite les traquer puis les enfermer dans des lieux sordides (des caves, des cellules) et les dépeindre tels qu’ils sont : des malfrats vulgaires, incultes et qui par leurs actes démontrent que ce sont des crapules sanguinaires capables de tuer femmes et enfants, loin de respecter le mythe que la mafia jusqu’à présent s’était forgé : être des hommes d’honneur.

Il profite également de son film pour imposer deux figures monstrueuses tapies dans l’ombre, qui ne s’expriment jamais ou presque : Toto Riina, que l’on voit gravir les échelons de Cosa Nostra jusqu’à en devenir le chef et surtout Giulio Andreotti, qui fut longtemps respecté pour sa longévité politique comme Président du Conseil des ministres, mais dont on a découvert sur le tard ses liens avec la mafia et le rôle qu’il a joué pour permettre à cette dernière de profondément pénétrer les institutions gouvernementales. Ni l’un ni l’autre ne mérite le respect du cinéaste et par petites touches, ce dernier tente d’en donner les raisons aux spectateurs. Ces deux êtres aux névroses profondes ont découvert avec le pouvoir une nouvelle jouissance bien au-dessus de la réussite financière ou sentimentale. Ce faisant, ils ont décidé de s’imposer aux dessus des lois et des hommes. Andreotti va se servir des institutions pour assurer son pouvoir, et permettre ensuite l’usage d’outils légaux pour favoriser le pouvoir de ses amis mafieux; ces derniers nourrissant ensuite le pouvoir d’Andreotti. Toto Riina, lui, peut être considéré comme le dernier chef mafieux provenant des couches populaires qui, pour monter en haut de la pyramide, va faire éclater ses pulsions sociopathes. Si l’alliance de Cosa Nostra a permis à cette dernière d’être un temps un des plus puissants groupes criminels mondiaux, la violence de Toto Riina va l’amener à sa perte.

C’est là qu’apparaît la figure de Tomaso Buscetta, soldat influent de Cosa Nostra, réfugié au Brésil après une évasion. « Le boss des deux mondes » fait référence à son habilité d’homme d’affaire, qui a permis à Cosa Nostra de nouer des liens commerciaux avec différents cartels de narcos d’Amérique du Sud. Là où Bellochio filme Andreotti comme une figure reptilienne, proche parfois du Kaa du Livre de la Jungle, et où il filme Riina comme un animal (on pense au Pingouin façon Tim Burton), jusqu’à le rapprocher d’une hyène en panique lors de son arrestation, il se montre plus conciliant avec Buscetta le soldat mafieux. Au départ, comme les autres, Buscetta semble tout droit sorti du Parrain, mais alors que Bellochio va chercher à montrer l’aspect psychopathe des autres mafieux, il va plaquer le cheminement personnel de Buscetta sur celui de Henri Hill, collaborateur de justice italo-américain devenu célèbre suite au succès des Affranchis de Martin Scorsese. Buscetta comme Hill ont brûlé la vie par les deux bouts et fini dans des banlieues résidentielles, condamnés à fuir la mafia jusqu’à la fin de leurs jours. Pour peu qu’on lui accorde notre confiance, Buscetta, après avoir été torturé par la police politique brésilienne, du temps de la dictature, a fini par se faire extrader en Italie. C’est à cette occasion que la justice italienne lui impose le juge Giovanni Falcone. À celui-ci, il expose son dégoût de Toto Riina qui a assassiné une bonne partie de ses proches, ainsi que des méthodes ultraviolentes que Riina a imposées à Cosa Nostra. On peut y voir une façon, pour lui, d’échapper à une condamnation extrêmement lourde. Marco Bellochio choisi, sans doute à raison, d’y voir le travail de Giovanni Falcone sur le comportement du mafieux. Les scènes où se rencontrent le juge et l’assassin ne sont pas mises en scène comme une confrontation procédurale, mais comme de véritables séances de psychanalyse. Falcone ne demande pas à Buscetta d’expier ses crimes, mais tente juste de comprendre comment fonctionnent Cosa Nostra et par extension, les différentes mafias italiennes. C’est en expliquant le fonctionnement de ces entreprises criminelles que Buscetta réussi à comprendre ses actes, les raisons pour lesquelles il a voulu rejoindre le crime et pourquoi il a décidé de changer. Falcone, pour Bellocchio, a permis à Buscetta de reconstruire le sens moral que la mafia lui avait enlevé. On est ici face à un film qui impose son humanisme aux criminels et se montre sans pitié vis-à-vis de ceux qui refusent de changer pour leur jouissance personnelle, qu’ils proviennent des couches populaires ou de la bourgeoisie.

C’est là l’importance de la partie centrale du film, celle du Maxi Procès, qui va probablement rester dans les anales du genre. Le cinéaste restitue parfaitement la tension qui y régnait, utilise tout la grammaire et les techniques du cinéma pour servir son propos. Si comme partout ailleurs l’architecture est un des moyens utilisé par les tribunaux pour imposer l’idée d’une force étatique capable de juger les délinquants, on est ici dans un cadre spécial. La salle servant de lieu de jugement a été conçue spécialement pour l’occasion, et si l’État a cherché à s’imposer aux centaines de mafieux présents, Bellocchio montre que la force mafieuse pouvait, même lorsque la bête est blessée, continuer à mordre. Chaque famille mafieuse séparée par des cellules fait preuve d’imagination pour impressionner les juges et influencer le procès : c’est un cigare allumé, un soldat qui se déshabille, ou même un regard, un simple regard qui en dit long. De la même manière en plus de rappeler les mesures de protection spectaculaire qui ont permis de protéger Buscetta, et un autre repenti, Bellocchio isole dans les plans les témoins face aux familles mafieuses toutes soudées les unes les autres. L’inconfort des témoins se transmet alors au spectateur.

On pourrait faire tout un mémoire sur une telle œuvre, mais ce n’est pas ici l’objet. On souligne juste la richesse de l’œuvre, son intelligence, sa pertinence et surtout son incroyable actualité. Alors que le fasciste Matteo Salvini était nouvellement élu à la tête du gouvernement italien, la figure de l’anti-mafia Roberto Saviano rappelait que l’homme politique d’extrême droite était l’obligé d’un parrain de la mafia. En 2019 la mafia n’a effectivement pas disparu, Cosa Nostra a laissé place à la ‘Ndrangetha qui, tout en gardant un ancrage profond localement sur son territoire, a su s’immiscer beaucoup plus intelligemment dans les arcanes du pouvoir aussi bien étatique que financier, s’imposant dans des conseils d’administration de multinationales et rachetant parfois parfois des banques où les sauvant de la faillite. Il est bien loin le temps des grands massacres mafieux. Mais ceci est une autre histoire qu’il faudra un jour raconter.

Bellocchio a demandé à Thierry Frémaux de faire en sorte de caser la projection du Traître lors du Festival de Cannes pour qu’il puisse être diffusé aux festivaliers le 23 mai 2019. Giovanni Falcone a été tué, ainsi que sa femme et ses gardes du corps, le 23 mai 1992 à 17 h 59.

Gaël Martin pour Cinematraque

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« Portrait de La Jeune Fille en Feu et Atlantique », entretiens avec Claire Mathon directrice de la photographie

PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU

La directrice de la photographie Claire Mathon, AFC, s’est entretenue avec François Reumont pour parler de son travail sur Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma. Nous vous proposons une transcription de ses propos.

Essais numérique/35 mm
Le film de Céline Sciamma met en scène le souvenir d’une histoire d’amour qui se déroule au XVIIIe siècle or nous ne souhaitions pas surligner cette dimension passée, mais inventer notre XVIIIe siècle – « notre 2018e siècle », disait Céline – en lui donnant une résonance actuelle. (suite…)

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« Funan » Entretien avec l’historien H. Tertrais

Hugues Tertrais est professeur émérite de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il a fondé et dirigé le Centre d’histoire de l’Asie contemporaine et est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la région.

Funan débute avec la prise de Phnom Penh par les Khmers rouges le 17 avril 1975. Dans quel contexte cette prise de pouvoir est-elle possible ?

1975 marque le retrait des Américains, jusque là militairement engagés dans la région, et donc la fin des guerres d’Indochine. Les Américains avaient négocié un cessez-le-feu avec le Viêtnam et le Laos, mais pas avec le Cambodge qui avait refusé ces solutions politiques. Au terme d’un siège de plus de trois mois, la guerre se termine par la prise de Phnom Penh par les forces rebelles des Khmers rouges et la capitulation du gouvernement cambodgien. (suite…)

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Le Silence des Autres

Madrid n’en a toujours pas fini avec son passé franquiste

L’une des premières promesses du socialiste Pedro Sanchez, lorsqu’il est arrivé au pouvoir, le 1er juin 2018, a été de procéder au plus vite à l’exhumation de Franco. Le corps embaumé du dictateur repose, depuis 1975, dans un immense mausolée, el Valle de los Caidos, construit après la guerre civile par des milliers de prisonniers républicains. Sa tombe, toujours fleurie, visitée par des touristes, mais aussi par des nostalgiques de la dictature, est entourée de cryptes qui renferment les ossements de près de 33 000 morts de la guerre civile, nationalistes mais aussi républicains, déterrés des fosses communes sans l’accord de leur famille. Elle est le symbole du retard de l’Espagne dans son travail de mémoire. Alors qu’on ne compte pas les monuments en hommage aux victimes du camp « national » et aux religieux assassinés, la politique de réparation publique envers les morts adverses reste à compléter.

(suite…)

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Censure et situation politique en Iran. Entretien avec M. Rasoulof

Entretien réalisé par Samuel Douhaire pour « Télérama », publié le 05/12/2017

Votre description de la corruption généralisée en Iran dans Un homme intègre impressionne par sa virulence. Avez-vous présenté au bureau de la censure une version édulcorée du scénario afin de pouvoir tourner ? 

En Iran, il faut demander deux autorisations, l’une pour le tournage, l’autre pour la sortie en salles. Pour la première, j’ai fait comme d’habitude : dans le scénario transmis aux autorités, j’ai camouflé les passages qui auraient pu chatouiller la censure – avec l’expérience, je finis par connaître la sensibilité des censeurs. Ensuite, lors du tournage, j’ai réintégré les scènes manquantes.

Les autorités sont-elles intervenues pendant les prises de vues ?

Sans vouloir trop entrer dans les détails (qui pourraient être utilisés contre moi lors d’un futur procès), il y a eu trois interventions du bureau de la censure, suivies de trois interruptions du tournage. Mais j’ai appris à gérer ce genre de situations. Prenons un exemple : en Iran, vous ne pouvez pas tourner une scène avec des personnages de policiers sans la présence d’un représentant des forces de l’ordre. Je me suis arrangé : la présence de vrais policiers sur le plateau n’a pas influencé ce que je voulais tourner.

Un homme intègre pourra-t-il sortir un jour en Iran ?

Je risque d’aller en prison, donc je vois mal le film dans les salles iraniennes ! Je voulais présenter Un homme intègre au festival de Téhéran au printemps dernier. Il a été refusé au prétexte que c’était un film « faible », « décousu » – aucun motif politique n’a été avancé par les organisateurs. Les médias iraniens proches du pouvoir m’ont aussitôt attaqué en disant qu’il n’avait aucune valeur artistique. Mais peu de temps après, Un homme intègre a été sélectionné à Cannes. Les autorités m’ont alors demandé de procéder à des changements massifs dans le montage. J’ai refusé, avec deux arguments. D’une part, si le comité de sélection cannois a trouvé le film très bien comme ça, pourquoi devrais-je le modifier ? Et, d’autre part, je leur ai rappelé que, quand ils avaient rejeté le film pour le festival de Téhéran, ils n’avaient rien trouvé à redire à ce qu’il racontait.

Quelles scènes la censure voulait-elle effacer ?

Il y avait treize modifications majeures. Il fallait expurger notamment tout ce qui touche à la justice iranienne, aux minorités religieuses non musulmanes… Mais aussi, toutes les scènes autour de la « Compagnie » qui persécute Reza, le personnage principal du film qui refuse la corruption. A travers toutes ces coupes, la censure voulait ramener le film à un cadre strictement local afin que les spectateurs se disent : « C’est une simple bagarre dans un village, ce n’est pas un système national, mais juste un différend local qui dégénère. » Si j’avais accepté leurs demandes, il aurait fallu refai

Le scénario d’Un homme intègre est-il inspiré de faits réels ?

Le noyau dur du film prend racine dans une expérience personnelle qui remonte à une vingtaine d’années. Le reste est un mélange de choses vues, lues, entendues. En Iran, n’importe qui se retrouve confronté plusieurs fois par jour à des dilemmes moraux : un grand nombre de mes compatriotes sont pris dans un conflit schizophrénique qui les transforme en hypocrites. Ici, un individu ne peut pas être lui-même : vous êtes obligés en permanence d’être dans le mensonge, de fabriquer un personnage qui n’est pas vous. La corruption est une conséquence de cette situation. Prenons un exemple. L’alcool est officiellement interdit. Mais beaucoup de monde en produit chez soi, comme Reza dans la première scène du film, et en consomme. Il y a un contrat tacite entre le pouvoir et les citoyens. Les autorités disent en substance : « Nous savons ce que vous faites, mais, tant que vous resterez discret, tant que vous ne protesterez pas en public, nous vous ficherons la paix. Mais ne touchez pas à la politique ! » Pour continuer à vivre, un Iranien n’a donc d’autre choix que de participer à cette hypocrisie générale. Le fait même que je demande une autorisation pour un scénario dans lequel je parle de la corruption est, en soi, un acte hypocrite. Parce que je sais que, si je dis la vérité, je ne pourrai jamais tourner. Ça ne me réjouit pas de tricher, mais je n’ai pas le choix.

Pensez-vous que l’élection, puis sa réélection au printemps dernier, de Hassan Rohani, un modéré, à la présidence du pays, va faciliter les réformes démocratiques en Iran ?

Non, je ne pense pas. La marge de manœuvre de n’importe quel chef de l’exécutif est extrêmement limitée au départ : les vrai pouvoirs régaliens sont ailleurs, entièrement entre les mains du Guide suprême de la révolution islamique. On ne peut s’attendre à quoi que ce soit, ni de la part de Rohani, ni de n’importe quel homme politique qui serait à sa place. L’inspiration d’Un homme intègre est venue à un moment où Rohani multipliait les slogans en faveur des « droits citoyens ». J’ai pris ça comme un encouragement à travailler à visage découvert, sans le stress d’agir clandestinement que j’ai vécu pour tous mes films précédents. Mais une fois élu, ce même Rohani est incapable de me défendre : mon droit citoyen de critiquer la corruption est pourtant bafoué. Quand Rohani parle de droit citoyen, c’est pour faire de moi un citoyen dans son cadre mental, politique et idéologique. En gros, il me considère comme citoyen si je suis d’accord avec lui.

Y a-t-il une volonté de mettre au pas le cinéma indépendant ?

Je pense même que le pouvoir veut le faire disparaître ou, à tout le moins, le stériliser. Et il a déjà réussi dans une large mesure : les jeunes cinéastes qui veulent emprunter la voie de la critique sont de moins en moins nombreux. Les pressions que je subis ici vont peut-être faciliter la diffusion d’Un homme intègre, mais ce sera en dehors de l’Iran. A Téhéran, le pouvoir se fiche éperdument de ce qui passe à l’extérieur des frontières. C’est l’intérieur qui l’intéresse : il veut limiter au maximum la contestation et empêcher à tout prix que les différentes critiques se coalisent pour se transformer en courant politique. Le message implicite adressé aux jeunes cinéastes est clair : « Contentez-vous de faire un cinéma d’eunuques, toute autre voie pourrait vous coûter cher. »

Lors de la sortie d’Au revoir, en 2011, un film sur la tentation de l’exil, vous assuriez vouloir rester en Iran. Et aujourd’hui ? Si les autorités vous restituent votre passeport, envisagez-vous de quitter le pays ?

Je ferai tout mon possible pour rester au contact physique et spirituel de ce que je connais le mieux : ma culture en tant qu’Iranien – d’ailleurs, je ne connais que ça ! Je veux utiliser la cuture de ma terre maternelle pour m’adresser au monde avec des thématiques universelles. Dans Un homme intègre, je n’ai pas voulu dire que l’Iran est le seul pays gangrené par la corruption. On trouve de la corruption dans le monde entier.

Remerciements à Ramin Parham pour la traduction.

 

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Michael Haneke : Profession cinéaste

Michael HanekeD’Yves Montmayeur – France- Autriche –1 h 32 – Documentaire

Tous les journalistes qui ont interviewé Michael Haneke vous le confirmeront : impossible de lui faire expliquer le sens de ses films. Le documentariste Yves Montmayeur, qui a suivi la plupart des tournages du cinéaste autrichien depuis Code inconnu, essaie, lui, depuis quinze ans. Ses tentatives infructu­euses auprès d’un Haneke de plus en plus fermé sur la question tournent même au running gag… Le réalisateur du Ruban blanc, qui se revendique volontiers « artisan », est en revanche plus prolixe sur la fabrication de ses films. Et c’est passionnant.

Yves Montmayeur a choisi de raconter Haneke à rebours, en partant de la consécration d’Amour pour remonter jusqu’à la trilogie de la « glaciation émotionnelle » des débuts — Le Septième Continent, Benny’s Video, 71 fragments d’une chronologie du ­hasard. Les extraits de films sont judicieusement choisis, les témoignages des proches (notamment ses actrices fétiches ­Susanne Lothar et Isabelle Huppert) précieux pour appréhender le perfectionnisme d’un cinéaste obsédé par le contrôle.

Mais ce sont les nombreuses séquences de making of qui révèlent le mieux la personnalité de Haneke. Si son cinéma a perdu une partie de sa rigi­dité théorique au fil des années, l’homme, lui, n’a pas changé : toujours ces habits noirs, toujours ce look de pasteur calviniste parfaitement raccord avec la radicalité (ses détracteurs diraient « la sinistrose ») de son oeuvre. Et pourtant… Haneke au travail, sur le tournage de ses films ou dans ses cours de théâtre à l’Académie des arts du spectacle de Vienne, c’est une pile électrique : il ne tient pas en place. C’est aussi, plus surprenant encore, un homme très drôle, au rire communi­catif. Il le disait lui-même lors de la sortie du Temps du loup : « C’est souvent plus agréable de tourner un film avec moi que de le regarder.

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