Archives : Réalisateurs

Léonore Seraille ( Un Petit Frère )

Née le 1er janvier 1986

France

Réalisatrice, scénariste

Jeune Femme, Un Petit Frère

Dans un entretien pour Madmoizelle, Lénore Serraille nous a parlé de la façon dont le cinéma permet de mettre en lumière ce que l’on ne dit pas au sein de la famille, de l’importance de découvrir de nouveaux acteurs sur le grand écran, de mettre en valeur des modèles noirs et des personnages féminins forts.

Un petit frère, de quoi ça parle ?

Quand Rose arrive en France, elle emménage en banlieue parisienne avec ses deux fils, Jean et Ernest. Construction et déconstruction d’une famille, de la fin des années 80 jusqu’à nos jours.

Madmoizelle. Comment est née l’idée de faire ce film ?

Léonor Serraille. Je pense depuis longtemps à écrire un film sur cette histoire-là. C’est dans ma tête depuis que j’ai rencontré mon amoureux, il y a 20 ans. Il m’a raconté beaucoup de choses de son histoire et je lui ai demandé : est-ce que tu veux que j’en fasse un film ? J’avais très envie de le faire : comme spectatrice, j’avais besoin de voir ce film-là. Je sortais de Jeune femme et j’avais besoin d’écrire sur plein de thématiques comme la maternité, les relations frère sœur, la famille… J’ai eu deux enfants, donc en tant que maman, tous ces questionnements se sont imposés à moi.

J’avais aussi besoin de faire ce film pour mes enfants, pour qu’ils grandissent avec d’autres modèles que des histoires de blancs. En France, on a parfois l’impression de toujours voir les mêmes acteurs dans les films. Certaines actrices, qui sont par ailleurs super, jouent parfois dans 10 films par an ! J’ai besoin que ma fille grandisse avec d’autres modèles. J’ai ressenti une responsabilité à faire ce film. J’avais besoin de montrer la beauté de ces personnages. Je les ai cherchés, et j’ai voulu les révéler, les comprendre, les regarder à leur hauteur.

Avez-vous écrit ces personnages en partant de la fiction, comme on écrirait un roman ou plutôt d’éléments proches du réel, ancrés dans une réalité sociale ?

Je suis partie de 4 ou 5 éléments concrets, comme l’arrivée de cette famille à la fin des années 1980 ou le fait que la mère est femme de ménage. Ensuite, j’ai inventé. J’avais en tête une espèce de valise remplie de souvenirs, de choses que mon compagnon a pu me raconter. J’avais aussi besoin d’écrire un personnage de maman assez moderne, insaisissable et mystérieuse, qui avait une sorte de panache, de fougue, d’élan et en même temps un peu de tragédie en elle. Mais je ne suis pas partie en enquête. Je ne suis pas allé interviewer cette famille, Au contraire, j’ai senti qu’il fallait que je prenne la distance et que j’invente. Par exemple, les hommes de la mère, Rose, sont tous des personnages de fiction. J’ai voulu raconter une éducation sentimentale de Rose. On la montre laver des baignoires, mais à d’autres moments, on révèle aussi un peu de son intimité, son besoin de vivre des choses intensément. C’est comme si elle était trop grande pour la petite vie qu’on lui donne. L’important était de ne jamais porter de jugement sur les personnages. Ce n’est pas un film à message, avec quelque chose à transmettre. C’est plutôt la mise en valeur de personnes qui nous donnent matière à cogiter, à nous émouvoir. De plus, je laisse une grande place à l’imagination, aux projections du spectateur parce que tout n’est pas dit. Le film se passe sur 25 ans, donc il y a parfois de grosses ellipses. On ne sait pas ce qui se passe sur trois mois, un an, dix ans… C’est au spectateur de remplir les trous, d’être actif et d’imaginer ce qui arrive à chacun. Comme dans Jeune femme, le personnage féminin est très intéressant, a beaucoup d’humour et de personnalité. Comment avez-vous écrit le personnage de Rose ? Il y a quelque chose de très féminin dans ma famille. Je viens d’une famille qui compte beaucoup de femmes au fort caractère. Les grands-mères, les mères, les six tantes sont des femmes qui aiment parler et qui ont beaucoup d’humour. Je pense que, même si c’est inconscient, ça influence mon cinéma. De plus, comme spectatrice, j’aime beaucoup les personnages pleins de nuances. Ils peuvent même être un peu désagréables ! Rose a quelque chose de très tragique, son histoire n’est pas facile mais je trouvais important de montrer que malgré les difficultés, elle résiste à tout, elle avance toujours avec son petit style, sa patte personnelle, sa façon de se décaler un peu des choses et d’injecter un peu de d’ironie. Elle ne verbalise pas tout, mais elle est vraiment dans le temps présent. Quand elle est là, elle parle, occupe l’espace et elle fait les choses à sa façon.

Vous mettez une scène un personnage principal féminin, noir, travailleuse précaire, ainsi que le point de vue de deux jeunes enfants, noirs. C’est très rare de voir ces personnages représentés au cinéma.

Oui, c’était très important. Le cinéma peut prendre en charge beaucoup de choses grâce à la fiction. Et surtout, ce qu’on disait avec l’actrice Annabelle Lengronne, c’est que cette histoire peut être racontée sous différents angles — celui des conditions de travail de chacun par exemple, ou celui de l’engagement, de la colère… Là, on a décidé d’aller dans l’intime, pour qu’on puisse se projeter dans les personnages. Récemment, j’ai entendu le discours d’Annie Ernaux pour son prix Nobel. Elle a dit : « Quand l’indicible vient au jour, c’est politique. » Cette phrase me parle. L’indicible, c’est tout ce qui relève de l’intime, qui nous rattache à la vie. Récemment, j’ai été interpellée par le fait qu’une spectatrice disait que ce film était l’histoire de son père et qu’il serait une porte d’entrée pour discuter avec lui car il ne parle pas beaucoup. Dans des familles comme celle-ci où il y a beaucoup de tabous, de silences, de choses intériorisées, on ne sait pas forcément comment aborder ces sujets : le cinéma le permet. En tant que spectatrice blanche, je peux me projeter dans cette famille, être émue par des choses présentes dans toutes les familles : les non-dits, la façon dont on communique, l’amour, la pression des parents, de l’aîné… C’est une famille qui vient d’Afrique subsaharienne, mais ce n’était pas le motif premier. C’est surtout une toile de fond à partir de laquelle on tisse des destins. D’ailleurs, il y a beaucoup de ma propre famille dans ce film. On y trouve beaucoup de questions que je me pose. Quelle est la place de chacun dans la fratrie ? Comment communique-t-on ? La maman est-elle écrasante pour les enfants ? Est-on poussé par la famille ou est ce que ça nous freine ?

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Béatrice Pollet (Toi non plus tu n’as rien vu)

Née le 19 septembre 1964 à Paris

France

Scripte, réalisatrice

Le Jour de la Grenouille, Toi non plus tu n’as rien vu

Vous travaillez sur ce projet étayé et documenté depuis plus de dix ans et abordez le déni de grossesse, un sujet délicat, source d’a priori tenaces, d’opprobre sociale, susceptible de poursuites judiciaires pour les femmes concernées. Pourquoi ce choix d’une fiction de cinéma ?

J ‘ai commencé à m’intéresser au déni de grossesse en 2011, ma rencontre avec le Dr Félix Navarro [le film est dédié à la mémoire de ce médecin à l’origine de l’Association française pour la reconnaissance du déni de grossesse] a été fondamentale. Grace à lui, j’ai pu connaître des femmes qui avaient subi un déni. Elles ont eu la générosité de me raconter leur expérience et elles m’ont bouleversée. De leurs paroles j’ai retenu un sentiment d’injustice très fort, d’incompréhension et une douleur insondable, (suite…)

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Li Ruijin ( Le Retour des Hirondelles )

Né en 1983 à Gaotaï (Gensu)

Chine

Réalisateur ,scénariste

Passage par le Futur, Le Retour des Hirondelles

 

Interdit en Chine

Lorsqu’il est sélectionné à La Berlinale en février 2022, Le Retour des hirondelles est projeté dans une version revue par la censure chinoise, qui modifie la fin pour livrer une happy-end plus politiquement correcte. À sa sortie sur les écrans chinois le 8 juillet 2022, le film rencontre un vif succès : il rapporte 100 millions de yuans en 62 jours pour un budget de 2 millions. Pourtant, le long-métrage est retiré des cinémas le 26 septembre, victime de la censure du régime en place. (suite…)

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Kirill Serebrennikov

serebrennikovk__c_margaritaivanova_1400x934Né le 7 septembre 1969 à Rostov-sur-le-Don

Russie

Réalisateur, scénariste, metteur en scène de théâtre et d’opéra

Playing the Victim, Le Disciple, Leto, La
Fièvre de Petrov, la Femme de Tchaîkovsky

 

Incroyable destin que celui de Kirill Serebrennikov. Un cocktail explosif à lui tout seul. Père juif russe. Mère polono-ukrainienne. Né à Rostov-sur-le-Don (Russie), voici cinquante-trois ans. Ajoutez, avec le temps, physicien viré saltimbanque, artiste polymorphe (théâtre, cinéma, opéra), agitateur invétéré, homosexuel et démocrate revendiqué. Liberté, diversité, refus de l’assignation identitaire et du patriotisme borné. Tout ce que le pouvoir russe abhorre. Cela devait mal tourner. Il s’est retrouvé accusé de malversations, assigné à résidence en 2017, condamné à trois ans de prison avec sursis en 2020. Il s’échappe de la geôle russe en mars 2022. La sortie de portrait saisissant d’une aliénation, équivaut pour le réalisateur à une libération.

Qu’avez-vous trouvé de particulièrement inspirant dans cette histoire d’amour à sens unique et de folie au point d’y consacrer un film ? Comment avez-vous déjoué les pièges de l’académisme, qui sont souvent les travers des films biographiques et historiques ?

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Benoît Jacquot (Par Coeurs)

Né le 5 février 1947 à Paris

France

Réalisateur

Par Coeur, L’Intouchable,Villa Amalia, Les Adieux à la Reine, Suzanna Andler, Par Coeurs

Par coeurs : c’est quoi ce documentaire avec Isabelle Huppert et Fabrice Luchini ?

Isabelle Huppert et Fabrice Luchini, côté coulisses

En 1998, le cinéaste Benoît Jacquot réalise Par coeur, un documentaire qui est une captation de la lecture au théâtre, seul en scène, de grands auteurs par Fabrice Luchini. 24 ans plus tard, il reprend quasiment le même principe dans Par coeurs pour cette fois filmer Isabelle Huppert et Fabrice Luchini au Festival D’Avignon 2021. La comédienne y était pour la représentation de La Cerisaie d’Anton Tchekhov, et le comédien pour une lecture de Friedrich Nietzsche. (suite…)

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Vivre ( Oliver Hermanus )

Né en 1983 au Cap

Afrique du Sud

Acteur, réalisateur, scénariste

Shirley Adams, Moffie, Vivre

Un remake aussi réussi, voire plus convaincant encore que l’original, c’est possible. Soixante-dix ans après Akira Kurosawa, le réalisateur sud-africain Oliver Hermanus propose sa version de Vivre. L’histoire d’un fonctionnaire inflexible qui, quand il découvre être atteint d’une maladie sans espoir de guérison, consacre les derniers mois qu’il lui reste à profiter enfin de l’existence et entreprendre une bonne action. Le film, d’une émotion poignante, doit beaucoup (…) au scénario de Kazuo Ishiguro, Prix Nobel de littérature 2017. Le romancier britannique d’origine japonaise, dont plusieurs livres ont été adaptés à l’écran (Les Vestiges du jour par James Ivory, Auprès de moi toujours par Mark Romanek), a transposé avec brio l’intrigue nippone du film de Kurosawa dans l’Angleterre en reconstruction des années 1950. Rencontre avec un écrivain cinéphile aussi passionné que méthodique (du genre à regarder sept films de Nicholas Ray à la suite…).

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Hynur Palmason ( Godland )

Né le 30 septembre 1984 à Rekjavik

Islande

Réalisateur, scénariste, directeur de la photographie

Winter Brothers, Un Jour si Blanc, Godland

Entretien avec Hlynur Palmason, réalisateur 

GODLAND se déroule à l’époque où l’Islande était sous domination danoise. Qu’est-ce qui vous a amené à traiter une histoire du temps de la colonisation ? 

Ma vie a toujours été partagée entre ces deux pays très différents, qui m’ont modelé de nombreuses manières. L’autorité de la couronne danoise en Islande a pris fin il n’y a pas si longtemps et je ne l’ai jamais vraiment vue dépeinte au cinéma. J’avais envie d’explorer les contraires dans le paysage, dans les tempéraments et dans le langage, ou disons la source de nos malentendus, mais également les oppositions de forme et de sentiment et la façon dont elles se révèlent dès que l’on met ces deux pays l’un face à l’autre. (suite…)

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Mario Martone ( Nostalgia )

Né le 2à novembre 1959 à Naples

Italie

Réalisateur, scénariste, metteur en scène de théâtre et d’opéra

Mort d’un Mathématicien Napolitain, Nostalgia

Entretien avec Mario Martone, réalisateur

Quelle différence y a-t-il entre être Italien et être Napolitain ? 

Être Napolitain, c’est une façon particulière d’être Italien. Notre ville est restée la même depuis la Grèce antique. Naples est une ville dans laquelle il y a une sorte d’abandon, un désenchantement qui peut subitement se retourner, se renverser, pour devenir un enchantement. À Naples, chanter, jouer, être comédien, c’est naturel. (suite…)

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Ali Asgari ( Juste une nuit )

Réalisateur, scénariste, assistant réalisateur iranien.  Passé par la Cinéfondation (la pépinière de jeunes cinéastes initiée par le Festival de Cannes), sélectionné sur la Croisette avec ses courts métrages, Ali Asgari présente son deuxième long métrage, Juste une nuit, l’histoire d’une fille-mère iranienne que personne n’ose aider.

Le réalisateur explique comment il a dû composer avec la censure imposée par le pouvoir en place.

Votre film montre la vie en Iran en faisant passer une tension permanente : imaginiez-vous en le tournant que cette tension pourrait éclater, comme on le voit avec les manifestations depuis la mi-septembre ?
La situation actuelle est le résultat de ce que nous vivons depuis de nombreuses années en Iran. Tout a commencé à changer avec l’arrivée d’Internet. La possibilité d’avoir accès à de l’information sur ce qui se passe dans le monde a transformé les gens, surtout les jeunes. (suite…)

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Albert Serra ( Pacifiction )

Né le 9 octobre 1975 à Banyoles Catalogne

Espagne

Réalisateur

Honor de Cavalleria, Le Chant de Oiseaux, La Mort de Louis XIV, Liberté, Pacifiction

Film d’espionnage planant et décalé, Pacifiction est l’un des sommets de l’année.   Nous avons rencontré le cinéaste l’espagnol Albert Serra dont le long métrage  a fait un passage remarqué en compétition à Cannes.

Lorsque nous avions échangé au moment de votre précédent film, Liberté, vous disiez avoir souhaité confronter le film historique à quelque chose de plus trash et contemporain. Après plusieurs films historiques, Pacifiction est justement votre premier film situé dans le monde contemporain. C’est la suite logique de la même démarche ?

Je pense, oui, c’est cohérent. Dans Liberté, le côté contemporain venait surtout de l’atmosphère, du coté mental des personnages. Pacifiction est au contraire complètement ancré dans le contemporain avec sa petite intuition, sa petite observation sur l’humain. Mais le film est fait d’une façon assez bizarre dans le sens où le côté social des problématiques abordées par le scénario est délibérément absent des images du film. Le film parle d’une tension post-coloniale forte, un jeu de pouvoirs cachés, (suite…)

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