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Madame Hofmann

                                                               MADAME HOFMANN                                                                                                                                                         De Sébastien Lifshitz – France – 2024 – Documentaire – 1h44.                                  Avec Sylvie Hofmann, , ses collègues, sa famille.                                                                                              

Sébastien Lifshitz raconte l’hôpital public à travers le portrait d’une infirmière fragilisée, sur le point de prendre sa retraite. Un documentaire brillant, tendre, et émouvant.

Tout débute par un rendez-vous chez un médecin. Sylvie Hofmann, cadre infirmière dans un service oncologique d’un hôpital des Bouches-du-Rhône et héroïne de ce documentaire –  dans tous les sens du terme – a perdu l’ouïe. Suspicion d’AVC, surmenage, stress… Cette scène inaugurale donne le ton de ce qui va suivre : la dernière ligne droite, mouvementée, de Sylvie avant son départ à la retraite, au terme de quarante ans de bons et loyaux services dans le même établissement. Elle s’occupe des autres, avec acharnement, bienveillance et humilité. Toujours à l’écoute, le petit geste, la main chaude qui masse et apaise .Et si la mort rôde tous les jours dans les couloirs du service de soins palliatifs dont elle a la charge, c’est pourtant une incroyable pulsion de vie que filme le réalisateur. Une étincelle qui touche à la dévotion tant les soignants sont éprouvés dans leur pratique hospitalière. Autour d’elle, l’équipe de jeunes infirmières  ne ménage pas ses efforts, personnalités bien trempées, tout comme le chef de service épatant. Et si Sylviedécidait de penser un peu à elle ? Partir à la retraite ?  En a-t-elle le droit, mais surtout en a-t-elle vraiment envie ? « Mon cerveau, pendant 40 ans, n’a jamais été au repos »  dit-elle. Toute une vie d’échanges riches à s’occuper des autres, dans son travail comme dans sa vie privée, indissociables l’une de l’autre. On imagine mal qu’elle puisse tout à coup ne penser qu’à elle-même, tant l’attention aux autres a donné à sa vie un sens fort.                                                                                                                                                                                    

Sébastien Lifshitz  l’a suivie pendant un an. Et une fois encore le réalisateur d‘Adolescentes (2019), dePetite Fille (2020) et de Casa Susanna (2022) réussit  un tour de force en mêlant longue et courte focale, collectif et individuel. En dressant un état des lieux de l’hôpital public tout en racontant cette femme sans filtre, roseau qui plie mais ne rompt jamais malgré les cancers à répétition de sa mère, celui qui la menace à terme, les soucis cardiaques de son compagnon, sa fille, et son rythme infernal au travail où la pandémie de Covid n’a fait qu’aggraver une situation déjà chaotique. Sa vie c’est courir. Le film est à son image : jamais désespéré avec, chevillée au corps, une foi dans les générations qui arrivent.  Sébastien Lifshitz capte, comme à son habitude sans commentaire en voix off,  ces scènes de groupes et d’échanges avec le mari ou la mère, toujours à bonne distance, et les mêle aux moments où Sylvie Hofmann se confie hors caméra et exprime tout ce qu’elle tait à son encontre : ses doutes, ses angoisses, ce stress qui la ronge… Incroyablement forte et pourtant si fragile. Le tout en seulement 1h44 après un nouveau travail virtuose de montage.  Un tel film ne peut exister sans que le réalisateur ait su nouer une relation d’une rare empathie avec Sylvie, mais aussi avec tous les autres protagonistes : immergés dans l’intimité de ce service, jamais on ne sent la présence de la caméra. Les images sont toujours justes et la cohérence de l’équipe du film répond à la cohérence de l’équipe de soignants.                .                                                                                                                                    

A travers ses portraits documentaires, Sébastien Lifshitz tisse de l’extraordinaire dans l’ordinaire, célèbre l’être face à la multitude, et nous redonne, de film en film, une certaine foi en nous-même. Profondément humain et puissamment politique.

– Critiques de PREMIERE et UTOPIA

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YURT

YURT

Film de Nehir Tuna – Turquie, Allemagne, France – VOST -1h56

Avec Doga Karakas, Can Bartu Aslan, Ozan Celik…

Un beau garçon en uniforme de collégien se fait déposer par le bus scolaire à une fausse adresse. Une fois certain que personne ne le voit, Ahmet,14 ans, marche pour se retrouver devant la grille, barbelée, d’un yurt, un dortoir islamiste où il réside. Son père, bourgeois aisé converti depuis peu et tenant à imposer sa foi à son fils, l’a inscrit de force dans cet établissement coranique où l’enseignement se fait, bien souvent , à coup de ceinture. En revanche, le jour, Ahmet suit les  cours d’un lycée privé aux valeurs laïques héritées d’Atatürk. C’est l’histoire, en cette année 1996, où les tensions politiques et religieuses sont au plus fort en Turquie, d’une adolescence coupée en deux, schizophrénique, heureusement sauvée par l’amitié et la force des rêves…

Dès les premières images, d’un noir et blanc majestueux, au son de violons romanesques, on sait que ce premier long métrage de Nehir Tuna va respirer le cinéma et que son esthétisme sera l’écrin d’un grand film d’apprentissage. Celui vécu par le jeune cinéaste lui-même, précisément dans les années 90, entre deux mondes antagonistes, avec, l’espoir, ténu, de la construction d’une identité. D’un côté, donc, les dortoirs coraniques surpeuplés, vétustes, selon une mise en scène attachée aux moindres détails, montagnes de vieilles godasses à l’entrée, prières collectives et brimades incessantes. De l’autre, la modernité, le drapeau national et l’obsession, pour Ahmet, de ne pas être démasqué par ses camarades.

Le jour, à l’école, l’adolescent ment ; la nuit, au yurt, il cauchemarde, seul moyen pour ce garçon obéissant d’exprimer sa violence rentrée. C’est d’ailleurs ce qui fait l’originalité de ce film lointainement cousin des 400 Coups de Truffaut : son jeune héros, lui, ne se rebelle pas. Bon musulman pour ne pas décevoir son père, mais aussi bon élève pour se construire un avenir. Sa douceur (superbe Doga Karakas, au regard tendrement opaque) va être remuée par Hakan, 17 ans, pensionnaire issu d’un milieu beaucoup plus pauvre, qui va l’aider à s’affranchir des règles. Moment magique : lors d’une fugue sensuelle des deux amis, le noir et le blanc millimétré laisse, soudain, place à la couleur, au désordre. Ce n’est pas un procédé mais, réellement, la liberté de la jeunesse, l’émancipation qui éclatent, maladroites et électrisées, avec un étonnant corps à corps seulement éclairé par des lampes de poche… Difficile, ensuite, d’oublier ce précipité de vitalité dans une chronique si précise et paradoxalement délicate sur les carcans idéologiques ;

Beau récit d’apprentissage et un tableau acide de la Turquie.

Critique Télérama de Guillemette Odicino.

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The Sweet East

THE SWEET EAST

De Sean Price Williams

Avec Talia Ryder, Simon Rex, Earl Cave

The Sweet East est une comédie satirique, un voyage rocambolesque, une plongée fulgurante et au réalisme aléatoire dans l’Amérique de Trump et Biden. Un road-movie naviguant entre naturalisme et rêveries, une relecture contemporaine du périple d’Alice de Lewis Carroll, à la narration savamment (et joyeusement) déconstruite, comme sous hallucinogènes –

« Mange-moi », disait déjà le gâteau à la petite fille du conte, avant de distordre sa réalité. Notre Alice, c’est ici Lillian, timide certes, mais pas du tout naïve et bien consciente des personnes qui l’entourent. Surtout, Lillian est curieuse de tout, et de tous. Elle choisit à l’instinct, sans hésiter, les routes qui s’offrent à elle. Douée d’une grande capacité d’adaptation d son environnement, qu’il soit hostile ou bienveillant, elle a également la faculté de fuir dès que ça sent le roussi. Dans les pas de Lillian, le film nous emmène aux quatre coins de ces fameux états de l’Est (le « East » du titre), à la rencontre d’une ribambelle d’allumés comme seul ce pays sait en enfanter : des faux rebelles, des complotistes, des frustrés, des laissés-pour-compte de l’Amérique contemporaine… Un joyeux programme qui nous tend les bras.

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La Jeune fille et les Paysans

La Jeune Fille et Les Paysans

Pologne-2023-1H54-VOSTF

De DK et Hugh Welchman

Avec Kamila Urzedowska, Robert Gulaczyk,

Miroslaw Baka, Sonia Mietielica…

 

Adaptée d’un roman polonais de Wladyslaw Reymont ( prix Nobel de littérature 1924), aussi célèbre dans son pays que méconnu chez nous, cette œuvre singulière s’appuie sur le procédé de la rotoscopie : d’abord filmées en prises de vue réelles, les tribulations d’une jeune villageoise du XIXème siècle, mariée de force à un riche paysan, ont ensuite été repeintes à la main et à l’huile par une armée d’animateurs. Il convient de saluer cet exploit technique et artistique, déjà accompli par les mêmes réalisateurs pour leur film précédent (La Passion Van Gogh en 2017).

Au cœur du récit, une jeune femme, Jagna, aspirant à l’ indépendance et à la liberté, beauté irradiante et blondeur étincelante, subjugue les hommes et provoque de fait l’ire des femmes. Ouand la catastrophe s’abat sur le village, la belle Jagna ne peut que devenir l’obiet de toutes les haines car dans cette Pologne rurale très catholique et conservatrice il va de soi que ce n’est pas à l’homme adultère qu’on en veut mais à celle dont la beauté et la soif de liberté offense le cours « naturel » des choses….

Très beau plaidover contre le patriarcat et les violences faites aux femmes et pour la liberté individuelle, La Jeune Fille et les Paysans est évidemment sublimé par le travail plastique incroyable de l’équipe de réalisation qui magnifie la beauté picturale des paysages et des traditions polonaises, entre autres lors de magnifiques scènes de bal.

S’inspirant de dizaines de tableaux de peintres polonais de la fin du XIXème siècle inconnus dans nos contrées, le film nous emporte autant par la puissance de son intrigue que par la splendeur de sa forme : on est admiratif du travail de chaque plan, qui exploite admirablement les possibilités de l’animation sans rien effacer de la subtilité du jeu des acteurs.

Horaires

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Vampire Humaniste cherche suicidaire consentante

 


VAMPIRE  HUMANISTE CHERCHE SUICIDAIRE CONSENTANT 

Avec Sara Montpetit, Felix-Antoine Bénard, Sophie Cadieux

Le dernier film d’Ariane Louis-Seize, est une œuvre aussi originale que poignante qui nous plonge dans un univers où la vie et la mort se côtoient dans une danse macabre, mais empreinte d’humanité.

L’histoire, centrée autour de Sasha, une adolescente vampire en proie à un conflit moral, offre une perspective rafraîchissante sur le mythe vampirique. Incarnée brillamment par Sara Montpetit, Sasha se démarque par sa compassion pour l’humanité, une caractéristique inhabituelle pour son espèce. Cette dualité entre sa nature vampirique et son empathie pour les humains est le cœur du récit, offrant une exploration profonde des thèmes de l’identité et de la moralité.

Le choix de Paul, interprété avec sensibilité par Félix-Antoine Bénard, comme catalyseur de l’histoire ajoute une dimension supplémentaire à l’intrigue. Son personnage, suicidaire et dépressif, apporte une nuance de désespoir qui contraste avec l’espoir que Sasha tente de maintenir. Leur rencontre fortuite et les liens qui se tissent entre eux offrent des moments à la fois tendres et déchirants, faisant écho à la fragilité de la vie.

La mise en scène d’Ariane Louis-Seize réussit à capturer l’essence sombre et mélancolique du récit tout en injectant des touches d’humour et de légèreté. Les scènes entre Sasha et sa cousine Denise, jouée avec brio par Noémie O’Farell, sont particulièrement mémorables, offrant des moments de comédie qui équilibrent habilement la gravité de la situation.

Enfin, la bande originale accompagne parfaitement l’atmosphère du film, ajoutant une dimension émotionnelle supplémentaire à chaque scène.

« Vampire humaniste cherche suicidaire consentant » est une œuvre cinématographique captivante qui transcende les conventions du genre pour offrir une réflexion profonde sur la viela mort et l’essence même de l’humanité. Ariane Louis-Seize nous livre ici un film aussi audacieux qu’intelligent, confirmant son talent prometteur dans le paysage cinématographique québécois.
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Chroniques de Téhéran

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Pour espérer pouvoir continuer à en profiter, il ne faut pas le crier trop fort, mais il semble bien qu’il y ait un trou dans la raquette du système de censure que les ayatollahs font subir au cinéma iranien : alors que, pour tourner un long métrage, il est nécessaire que son scénario ait été accepté par un comité de censure très strict, la règle se montre beaucoup plus souple pour les court-métrages. D’où l’idée consistant à proposer la réalisation de plusieurs court-métrages que l’on agrège ensuite pour en faire un long-métrage entrant dans la catégorie des « films à sketches »..

Chroniques de Téhéran, ce sont 9 histoires qui sont réunies, 9 histoires très courtes qui forment une sorte de catalogue des situations kafkaïennes vécues de façon quotidienne par les iraniennes et les iraniens. Cela va du père de famille venu au service d’état civil pour déclarer la naissance de son fils et qui se voit refuser le prénom David par le fonctionnaire au réalisateur qui voit le scénario du film qu’il espère pouvoir tourner se réduire comme une peau de chagrin face aux ciseaux de la censure en passant par une jeune chauffeuse de taxi accusée de conduire son véhicule sans foulard ou une jeune lycéenne convoquée par la directrice qui l’accuse de s’être faite déposer à l’école par un garçon. Chaque fois, le dispositif de filmage peut être qualifié de minimal, chaque fois, le résultat est particulièrement puissant : chaque saynète est filmée en plan fixe, avec un seul plan séquence qui voit la ou le protagoniste du sketch s’exprimer le plus souvent face caméra, et on entend l’interlocuteur ou l’interlocutrice qui représente l’autorité mais qui n’est jamais visible, même si, à 2 ou 3 reprises, on peut apercevoir une main. Ce format resserré et ce parti pris du hors champ pour les représentants de l’autorité participent grandement à l’impression d’emprisonnement de tout un peuple que dégage le fil présenté dans la sélection Un Certain Regard lors du dernier Festival de Cannes. Chroniques de Téhéran réussit l’exploit d’être un des films les plus subversifs dans l’histoire du cinéma iranien malgré (ou à cause de ?) une très grande simplicité dans sa mise en scène. Les situations rencontrées sont tellement absurdes qu’elles entraînent forcément le rire, un rire qui combine connivence avec celles et ceux qui vivent ces situations et une forme de colère face à ces sommets de bêtise (in)humaine. Ali Asgari est déjà connu des spectateurs pour Juste une nuit (une étudiante cherche à cacher son bébé illégitime lorsque ses parents lui rendent visite…). Chroniques de Teheran est un véritable bijou à la fois très court et très fort. D’après Critiques Film.

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La Grâce

 Un film de Ilya Povolotsky

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Avec Maria Lukyanova, Gela Chitava, Aleksandr                  Cherednik…

Du soleil d’hiver caucasien aux rivages arctiques de la mer de Barents, dans un road movie désenchanté, un père et sa fille adolescente sillonnent les steppes et les montagnes désertiques de la Russie profonde,dans leur vieux van rongé de rouille, cinéma itinérant apportant aux villages reculésquelque lumière culturelle dans ces immensités âpres et désolées. Ils subsistent de la vente des tickets, boissons, DVD…

Tout débute au creux de la nature. Une jeune fille d’une quinzaine d’années, accroupie au bord d’une rivière, la tête entre les jambes, tâte le sang qui s’échappe pour la première fois de son corps… Position primitive, en lien avec l’organique qu’elle traverse, qui trouve un écho dans l’environnement de cette rivière qui s’écoule inéluctablement, comme ce flux qui se perd en taches rouges sur ses doigts. Ici est esquissée l’une des thématiques du film, celle de l’entrée dans l’adolescence et la transformation pubertaire. Mais comment réagir quand on vit esseulée, dans un van contenant tous les biens d’une petite famille monoparentale, portant en lui le souvenir d’une mère décédée, avec pour seul compagnon un père, certes présent,mais figure masculine inconciliable avec le changement que traverse sa fille? Leur itinérance, (intime errance?), se fait métaphorique et introspective, davantage que physique. C’est un passage vers l’âge adulte que capte brillamment Ilya Povolotskydans ce premier long-métrage, avec ce qu’il contient d’opposition et de révolte. Lespaysages,anonymes et contemplatifs,traduisent la lassitude etle spleen de ces deux solitudes endeuillées, dans une langueur ponctuée de brèves rencontres fortuites. Traduit du russe «Blazh», «La Grâce» occulte la nuance ironique de lubie, pas forcément la folie mais une certaine forme de bizarrerie teintée d’élan spirituel, de sainteté, de sincérité…, présente dans le titre original. Comme une énigme,émotive mais sobre et retenue, silencieuse,«La Grâce» garde une dimension insaisissable…

Film de voyage, les gens se rassemblent dans les villages reculéspour venir à la rencontre de ces deux marginaux et de la grande toile blanche, animés par l’espoir de l’évasion… Film silencieux, «La Grâce» nous offre une brèche dans le temps…

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May December

Un film de Todd Haynes – USA – 1h57 – 2023

Avec Natalie Portman, Julianne Moore, Samy

Burch…

 

Todd Haynes (le réalisateur) n’a pas son pareil pour pénétrer dans la psyché féminine. Il l’avait déjà montré dans son film « Carol ». Il va encore plus loin pour « May December ». Il y dirige deux grandes comédiennes, Julianne Moore et Natalie Portman, pour une réflexion sur leur métier au service d’un scénario cité aux Oscars.

La première est passée par la case prison pour avoir séduit un jeune homme mineur avec lequel elle a fondé une famille provocant un véritable scandale aux USA. La seconde est une actrice sensée l’incarner dans un biotique sulfureux tourné 20 ans après les faits. Le choc entre les deux va être progressivement tellurique quand elle se rencontre pour la préparation du film.

Todd Haynes explique : « Julianne et Natalie sont deux artistes au sommet de leur talent. J’étais le premier spectateur de mon film en les regardant affiner leur performance en duo. Le processus était fascinant. »

Il l’est tout autant pour le spectateur fasciné par ce jeu de pouvoir dont les forces s’inversent progressivement jusqu’à provoquer des dommages irréversibles.

Le spectateur a l’impression d’être invité en coulisse pour découvrir comment se construit un personnage ce qui est d’autant plus intéressant que le film propose une véritable mise en abime.

Todd Haynes : « Natalie joue une actrice qui doit incarner une femme qu’interprète Julianne », vertige garanti !

Plus encore qu’à l’affaire réelle dont il s’inspire, Todd Haynes se passionne pour la notion de jeu d’actrices et pour l’égoïsme que peut impliquer la création. Le pas de deux des deux actrices superbement chorégraphié est un bonheur en même temps qu’une belle leçon de composition. Todd Haynes, a encore signé un beau film tout en délicatesse qui met en valeur ces dames aux talents complémentaires.

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Green Border

GREEN BORDER

D’Agnieszka Holland – Pologne – 2023 – 2h27 – VOST

Green Border , Prix spécial du jury à la Mostra de Venise, arrive ce mercredi 7 février sur les écrans français. Ce film coup de poing, en noir et blanc, fait écho à des faits réels : l’afflux de migrants, à partir de l’été 2021, à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Au mépris de la convention de Genève sur l’asile, la Pologne alors dirigée par les nationaux conservateurs du PiS, déclara un état d’urgence et une zone d’exclusion entre les deux pays, interdisant aux journalistes et aux militants humanitaires de s’y rendre jusqu’à l’été 2022. C’est à cette période, dans et autour de cette zone, que se déroule le film poignant d’Agnieszka Holland (2 h 27).

Agnieszka Holland, 75 ans, défend toujours avec énergie « le cinéma de l’inquiétude morale », mouvement né dans son pays, la Pologne, en 1970. Son film très documenté sonne comme un appel à plus d’humanité envers les réfugiés qui frappent aux frontières de l’Europe. « Je ne sais pas comment changer le monde, dit-elle, mais je sais comment raconter des histoires avec l’aide du cinéma, alors c’est ce que je fais. » L’actrice franco-iranienne Behi Djanati Ataï (qui joue dans le film) l’a aidée à réunir le casting, où figure notamment l’acteur syrien Jalal Altawil, en France depuis 2015.

L’histoire démarre dans un avion biélorusse. À bord, une famille syrienne fuyant la guerre (le père, la mère, le grand-père et trois enfants). À l’arrivée à Minsk où un taxi doit les attendre pour leur faire traverser la Pologne et rejoindre la Suède, rien ne se passe comme prévu. Ils se retrouvent coincés, avec des dizaines d’autres réfugiés venus de Syrie, d’Irak ou d’Afghanistan, dans une zone marécageuse, à la merci de militaires ultraviolents. Le film suit aussi un garde-frontière polonais à qui on a mis dans le crâne que « ces gens sont des balles vivantes envoyées par Poutine et Loukachenko. » Et une psychologue vivant près de la fontière. La force du noir et blanc. La caméra au plus près des visages d’acteurs bouleversants de vérité, à commencer par les enfants. Le chapitrage et la multiplicité des points de vue. Des éclairs d’espoir amenés par les actions des humanitaires dans une histoire par ailleurs sans concession sur la cruauté humaine et l’impuissance de l’Europe.

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20 000 Espèces d’abeilles

20 000 ESPÈCES D’ABEILLES

 

Film de Estibaliz Urresola Solaguren – Espagne – 2h08 – VOST

Avec  Sofía OteroPatricia López ArnaizAne Gabarain

C’est l’été dans le pays basque espagnol, et la caméra sensible de la réalisatrice Estibaliz Urresola Solaguren capte avec délice sa douce torpeur en filmant le confort des habitudes de vacances familiales. Les visites à une tante solitaire, les rituels pieux de grand-mère, mais surtout en arrière-plan la présence sonore de la nature, comme si les bruits du vent et de la pluie étaient plus prometteurs que ce que peuvent dire les adultes. Les habitudes estivales ne sont d’ailleurs pas entièrement respectées puisque cette fois-ci, la famille débarque chez mamie à l’improviste et papa est retenu ailleurs. Les questions inquisitrices ne se font pas attendre mais la caméra, rarement située à hauteur d’adulte, se concentre autre part.

Que les vieilles dames du village utilisent le masculin ou le féminin à son égard importe peu à Aitor, 8 ans. Ses beaux cheveux longs cachent mal son air renfrogné : Aitor ne veut plus qu’on l’appelle par son nom, et le surnom de Cocó ne convient pas davantage. Mais si il existe bel et bien 20 000 espèces d’abeilles différentes, alors il existe forcément quelque part une identité qui lui convienne mieux.

Dans 20 000 espèces d’abeilles, les enfants posent beaucoup de questions mais les adultes ont du répondant, et ce sans condescendance. Les enfants ne sont pas pris pour des idiots et nous non plus : la réalisatrice fait en effet preuve d’une grande acuité dans sa manière de filmer ce qu’on pourrait appeler un peu lourdement l’éclosion de son personnage principal. Elle donne quelques métaphores en guise de pistes de lecture (les abeilles bien sûr, mais aussi une discussion sur les sirènes), néanmoins elle fait preuve de beaucoup d’adresse en évitant de les surligner à outrance. 20 000 espèces d’abeilles est un drame dont le réalisme n’empêche pas la poésie.

Un glissement progressif fait d’ailleurs que le récit et la caméra se détache d’Aitor/Cocó pour se concentrer davantage sur les adultes. En changeant ainsi le point de vue, le film sous entend que le problème ne se trouve bien sûr pas dans la tête de l’enfant mais dans celles des grands, dans leur panique morale ou leur amour maladroit, dans leur croyance têtue qu’ils ont qu’un enfant ne peut pas avoir une telle expérience du genre. Dans ce village sans hommes ou presque, où le quotidien est fait de traditions et superstitions, Aitor/Cocó « ne fait qu’écouter ». 20 000 espèces d’abeilles est un puissant portrait qui a lui aussi la grande intelligence d’écouter plutôt que de parler à la place des enfants trans.

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