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Past Lives Nos vies d’avant

 

PAST LIVES , NOS VIES D’AVANT

Film de Céline Song – Etats-Unis – 1h46

Avec Greta Lee, John Magaro, Teo Yoo…

Past Lives, la première réalisation de Céline Song, tisse une tapisserie complexe et émotionnelle sur l’amour ,la perte et la recherche éternelle de liens qui transcendent le temps. Avec pour toile de fond la ville de New York, ce drame poignant plonge dans la vie de trois personnes dont les chemins se croisent de manière inattendue et profonde, exploitant les thèmes du destin, des regrets et du pouvoir durable des relations humaines.

Le film nous présente Na-Young (Seung Ah Moon) et Hae-Sung (Seung Min Yim), des amis d’enfance dont la vie est bouleversée à jamais lorsque la famille de Na-Young déménage au Canada. Les premiers chapitres du récit capturent habilement l’innocence et l’intensité de l’amour jeune, peignant une image vivante de leur lien vibrant. L’alchimie entre les jeunes acteurs est palpable, leurs performances entraînant les spectateurs dans le monde réconfortant mais éphémère de la romance adolescente.

L’histoire fait ensuite un bond dans le temps, retraçant les chemins divergents de Na-Young et Hae-Sung sur une période de deux décennies. Greta Lee et Teo Yoo entrent dans la peau de leurs homologues adultes, imprégnant leurs personnages d’un sentiment de désir et de nostalgie. Le passage du temps est habilement rendu par les costumes et les décors, soulignant la transformation qu’entraînent les expériences de la vie.

Le cœur de Past Lives réside dans l’exposition de la complexité émotionnelle qui survient lorsque Hae- Sung et Na-Young, devenue Nora, reprennent contact après des années de séparation. Greta Lee livre une performance de tour de force, capturant l’essence d’une femme déchirée entre l’amour de son passé et les engagements de son présent. Tee Yoo, dans le rôle de Hae-Sung, apporte une intensité tranquille à l’écran, incarnant le poids des occasions manquées et des émotions non résolues. John Magaro, dans le rôle d’Arthur, le mari compréhensif qui la soutient, insuffle à son personnage profondeur et empathie.

La formation théâtrale de la réalisatrice Céline Song est évidente dans le rythme délibéré et le cadrage réfléchi du film. Chaque scène est méticuleusement conçue, avec des métaphores visuelles qui ajoutent de la profondeur à la narration. Les miroirs deviennent des reflets symboliques des luttes intérieures des personnages, tandis que le paysage de la ville de New York sert à la fois de toile de fond et de métaphore pour les voyages des personnages. La cinématographie du film, dirigée par Shabier Kirchner, capture l’énergie et la diversité de la ville, amplifiant les émotions des personnages sur une toile de fond urbaine vibrante .

Le film met en valeur le talent de la scénariste-réalisatrice grâce à une écriture précise, du dialogue poétique et une mise en scène délicate. L’un des moments les plus marquants du film est une rencontre apparemment ordinaire sur un trottoir de la ville, qui se transforme en un spectacle hypnotique de tension contenue. L’échange entre Nora et Hae-Sung, chargé de mots non exprimés et d’émotions refoulées, est une classe de maître en matière d’interprétation et de mise en scène. L’utilisation de prises de vue prolongées et de gros plans intensifie l’impact émotionnel, donnant lieu à une scène qui reste gravée dans la mémoire longtemps après le générique.

Past Lives n’est pas seulement une histoire d’amour, mais une méditation profonde sur la complexité des liens humains. Le film mêle harmonieusement des éléments de romance, de philosophie et de nostalgie pour créer un récit à plusieurs niveaux qui trouve un écho profond auprès de son public. En entremêlant le passé et le présent, Past Lives souligne la vérité universelle selon laquelle les choix que nous faisons et les liens que nous tissons se répercutent à travers le temps, façonnant nos destins d’une manière que nous ne comprenons peut-être pas entièrement.

Le film explore toutes les personnes que nous aurions pu devenir et souligne que finalement personne parmi elles n’a autant d’importance que la personne que nous sommes aujourd’hui : un ensemble de connexions que nous créons. 

Past Lives est aussi un rappel poignant que le pouvoir de la narration réside dans sa capacité à capturer l’essence de l’expérience humaine. La première réalisation de Céline Song est une réussite indéniable, invitant les spectateurs à réfléchir à leur propre passé, à contempler des chemins non empruntés et à apprécier les fils complexes qui tissent la trame de nos vies.

Critiques de Mulder.

Ciné Surprise le 08/01/2024

Jeudi, Vendredi, Lundi, Mardi : horaires sur les sites cinecimes.fr ou cinemontblanc.fr

Ne jetez pas ce document sur la voie publique.

                                      

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Simple comme Sylvain

 Un film deMONIA CHOKRI

2023 -1H50 -VOST

avec Magalie Lépine-Blondeau, Pierre-Yves Cardinal

 

 Sophia, professeure de philosophie, fait depuis longtemps chambre à part avec son compagnon Xavier, avec lequel elle est en couple depuis 10 ans. Sentant que celui-ci s’éloigne, alors que lors d’un repas avec des amis, il propose à une nouvelle venue en cours de divorce, Virginie, de l’aider à trouver une avocate, elle a moins de scrupules à flirter avec Sylvain, le charpentier qui s’occupe des travaux dans leur chalet dans les Laurentides…

Troisième long métrage de Monia Chokri, révélée à Un certain regard avec « La Femme de Mon Frère« , puis auteure de « Babysitter« , « Simple comme Sylvain » est le récit d’une relation entre une intellectuelle et un homme plutôt manuel, que leur passion physique et l’envie de donner sa chance à une historie, vont réunir malgré leurs différences de milieux. C’est de cette différence, créant des contrastes tantôt gênants, tantôt facteurs de complicité face aux attentes des autres, que se nourrit le scénario. Doté de dialogues mordants, sonnant toujours naturels, celui-ci fait de banalités ou de clichés des traits d’humour (une citation de Michel Sardou, une réflexion sur la cruauté du peuple espagnol…).

Riche en dialogues, le film est ponctué son récit de réunions autour de repas, plus vraies que nature, d’un dîner entre amis chahuté par les cris des enfants, à un repas de présentation à une nouvelle belle famille pas piquée des hannetons, en passant par un repas avec la mère de Sophia. Maîtrisant parfaitement les moments d’émotions, dus à des personnages richement construits (la scène où la détresse de la belle-mère s’exprime, face à la disparition progressive de la personnalité de son mari, atteint d’Alzheimer, est un modèle de tact…), Monia Chokri nous offre aussi le portrait d’une femme ayant le courage de s’aventurer loin de la routine de son couple, et à laquelle se rappelle cruellement son âge ou le physique avantageux des ex-compagnes de son nouveau mec, voire leur différence de niveau d’intellect.

Magalie Lépine Blondeau excelle dans ce rôle de femme forte, maîtrisant ses émotions ou sa gêne, comme lorsque la belle-famille affirme avec aplomb que «Sylvain c’est l’intellectuel de la famille». Quant à Pierre-Yves Cardinal, découvert dans le « Tom à la Ferme » de Xavier Dolan, il a l’air de beaucoup s’amuser à interpréter les sex-symbol premier degré. On ressort du film avec non seulement une forte envie d’aimer, mais conscient qu’une relation dépend de tellement de facteurs et de connexions, physique, intellectuelle, familiale… que sa faculté à durer dans le temps, demande efforts et prise de risque.

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Perfects Days

PERFECT DAYS

Film de Wim Wenders – Japon , Allemagne – VOST – 2h03 

Avec Koji Yakusho, Min Tanaka, Arisa Nakano

Perfect Days , le nouveau film de Wim Wenders ( « Les ailes du Désir, Paris Texas » ) a de quoi surprendre et déstabiliser ! Il narre l’histoire d’un tokyoïte dont le travail est de récurer les toilettes de la capitale nippone. 

Jour après jour, l’homme se lève, prend son petit-déjeuner, arrose ses bonzaïs, se rend à son travail, termine sa journée aux bains publics, puis au bar du coin avant parfois d’aller acheter un livre dans sa librairie préférée. 

Cette construction journalière méthodique, Wim Wenders viendra par trois fois la conter avec un personnage principal quasiment mutique .Sous les traits de l’excellent koji Yakusho, laureat du Prix d’Interprétation Masculine Cannois 2023 pour ce rôle tout en finesse, Hirayama n’est pas muet, juste pas bien bavard, contrairement à son collègue qui le seconde sur le nettoyage des sanitaires nippons : des lieux qui sont une vraie institution au pays du soleil levant… et qui font figure de seconds rôles dans le film de Wim Wenders. Ce dernier semble être totalement fasciné par leurs différentes architectures et le lieu de vie qu’ils constituent au Japon (on y laisse des petits jeux sur papier). 

Ce quotidien, qui est l’essence même du film, est parfaitement montré et distillé grâce à un montage vraiment habile et qui annihile tout ennui.

Mais le film est loin de se résumer à un documentaire sur les sanitaires nippons.

Le long-métrage (deux heures dont on ne ressent jamais le poids de la monotonie) va analyser la vie d’Hirayama, un homme pas aussi simple que ne semblait le laisser croire les premières scènes du film. Au fur et à mesure du récit, Wenders explore les liens que celui-ci noue avec tout son entourage : les clients, ses collègues, les commerçants, sa nièce, sa sœur. On découvre alors un homme à la fois ordinaire et complexe, drôle et attachant. Et le métrage de célébrer sa bienveillance , sa bonté et sa générosité. Une personnalité et une conduite qui apportent tant de sérénité à l’intéressé qui jouit de la vie grâce à de petits plaisirs. On dit que le bonheur est quelque chose d’intime. A chacun de trouver comment être comblé de bonheur. 

Hirayama trouve aussi le bien-être dans la photographie, la lecture, des standards du rock sur cassettes audio (on se  délecte des chansons des Rolling Stones, de Patty Smith, Lou Reed ou encore Otis Redding) et même – plus délicat – dans l’éloignement de certains problèmes familiaux que l’on devine. 

Wenders nous donne à voir les choses différemment et refuse de juger l’homme pour ses choix, ce dernier les assumant complètement. Que reprocher à celui qui ne recherche qu’à vivre ses jours parfaits ?

Perfect Days est de ces films sensibles et poétiques qui vous touchent en plein cœur.

Critique ABUS de CINE

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Pierre Feuille Pistolet

PIERRE FEUILLE PISTOLET

De Maciek HAMELA, documentaire, Pologne/France /Ukraine-VOST. 1h24.

Le cinéaste polonais donnait, avec son van de huit places, un coup de main pour véhiculer des amis fuyant les bombardements russes qui débutaient. Puis il a enchaîné les trajets et les rencontres pour les victimes d’une guerre aussi soudaine que monstrueuse. Il a parcouru plus de cent mille kilomètres sur les routes d’Ukraine et a décidé de laisser une trace des échanges, confessions, larmes parfois rires sur la banquette du van en route vers l’exil. Sasha, 34 ans, s’excuse mais sa fille Sanya, petit bout de 5 ou 6 ans, ne parle plus depuis qu’un missile est tombé à quelques mètres de la maison, blessant grièvement son frère. Ewelina, 21 ans, est avec sa maman de 38 ans et son bébé. Cette mère porteuse espère se rendre à Paris, où l’attend la future famille de l’enfant. Elle doit se débrouiller seule, la clinique où elle était suivie n’existant plus. Ou encore une grand-mère réconfortée par ses petits-enfants lorsqu’elle évoque, la larme à l’œil, la ferme familiale, les vaches abandonnées. La caméra frontale capte le récit de ces témoins. C’est la survie dans ce huis clos, et la guerre dehors. Et Sofia, gamine malicieuse de 7 ans, propose une partie de Pierre- Feuille-Ciseaux…

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Little Girl Blue

Réalisatrice Mona Achache

France / 1H35

Avec : Marion Cotillard, Mona Achache, Marie Brunel

 

Entre documentaire et auto-fiction, Mona Achache fait le vibrant portrait de sa mère, Carole Achache, qui fut romancière, mais aussi photographe de plateau (pour Sautet, Losey, Tavernier…) et des femmes de sa famille accablée d’une étrange malédiction. Marion Cotillard y livre une composition inouïe. 

 Entre malaise et curiosité, Mona Achache exhume, quelques années après son suicide à 63 ans, l’histoire de sa mère. Son beau film s’ouvre sur une montagne de documents : des lettres, des photos, des carnets, éparpillés dans un appartement et progressivement épinglés au mur par la cinéaste. C’est le chaos. Puis elle remonte le fil. Et très vite, le chaos laisse place au vertige. Le récit familial devient celui d’un trauma qui va se recomposer sur trois générations et que chaque femme transmet à la suivante. Pour conjurer ce cycle infernal, la réalisatrice décide donc d’en effectuer l’archéologie et choisit de faire revivre sa mère.  

Marion Cotillard entre alors en scène et se transforme devant la caméra, jean, perruque, cardigan, bijoux, lunettes…, jusqu’à composer un portrait presque parfait de Carole Achache, et se raconter…Son enfance, fille très aimée par sa mère Monique Lange, l’emprise de Jean Genet, consentie par cette même mère, puis la drogue, le sexe, la nécessité d’écrire, les refus des éditeurs, la tentation d’en finir…Plongée dans un microcosme intellectuel des années 60/70 , folle envie de liberté…

A travers Marion Cotillard, le film est aussi le plus incroyable témoignage sur un travail d’actrice, elle a visionné pour interpréter ce personnage des heures de pellicules, écouté des dizaines d’interviews,  elle pousse la perfection  jusqu’à modifier sa voix en utilisant le tabac….Elle incarne littéralement cette mère, et nous fascine…

D’après Première et Télérama 

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Googbye Julia

« Goodbye Julia » aura représenté un des évènements de l’édition 2023 du Festival de Cannes. Non pas tant pour le Prix de la Liberté que le film a reçu au sein du Certain Regard, mais parce qu’il représente la première incursion du Soudan en sélection officielle. L’œuvre s’ouvre sur des couleurs chaudes, en 2005, à une époque où le pays était unifié, au sens qu’il ne formait qu’un État. Mais sa population était, elle, bien divisée, entre le Sud à majorité chrétienne, et le Nord principalement musulman. Pour ceux qui suivent les actualités internationales, le sort du pays ne sera pas une surprise, un référendum de 2011 aboutissant à l’indépendance du Sud, et l’année 2023 ayant vu l’émergence d’une guerre sanglante initiée par des généraux avides de pouvoir.

Si le métrage esquisse en creux les troubles de cette terre d’Afrique du Nord-Est, il se concentre bien plus sur son duo de protagonistes, Mina et Julia. La première est une ancienne chanteuse ayant abandonné la musique pour satisfaire son mari, se contentant de sa vie bourgeoise dans les quartiers huppés. La seconde vit dans la même région, mais dans un secteur nettement moins privilégié. Avec ses origines sudistes, on lui rappelle d’ailleurs régulièrement à quel point elle est par essence inférieure à ses voisins aux racines différentes. La rencontre entre les deux n’aurait ainsi jamais dû se produire, mais un triste événement va amener Mina à embaucher Julia comme employée de ménage, avant qu’une amitié réelle ne naisse entre elles.

Pour son premier passage derrière la caméra, Mohamed Kordofani, ancien ingénieur, fait preuve d’une certaine aisance, en particulier dans sa manière de mêler l’intime aux troubles de cette société qu’il ausculte de loin. On sent les clivages sociaux, ce racisme systémique, mais le drame se joue ici ailleurs, au cœur d’un microcosme familial bouleversé suite à une tragédie. Les secrets s’immiscent, les faux semblants aussi, la culpabilité remonte. La tentation du pamphlet est balayée par la réalisation d’un portrait maîtrisé, à la fois chronique d’une amitié bouleversante et récit d’émancipation de deux femmes qui rêvent d’échapper à leurs conditions, peu importe qui leur impose leurs contraintes, « Goodbye Julia » demeure indéniablement un film à voir, aussi bien pour son sujet que pour la rareté de ce type de productions dans nos contrées hexagonales.

Christophe Brangé

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L’enlèvement

L’enlèvement (Rapito), Italie, 2h 14 , VO

De Marco Bellocchio, avec Paolo Pierobon,Enea Sala,Leonardo Maltese

En 1858, dans le quartier juif de Bologne, les soldats du Pape font irruption chez la famille Mortara. Sur ordre du cardinal, ils sont venus prendre Edgardo, leur fils de sept ans. L’enfant, baptisé en secret, étant bébé, par sa nourrice inquiète pour le salut de son âme. La loi pontificale est indiscutable : il doit recevoir une éducation catholique. Il devient le protégé, autrement dit l’otage du pape-roi Pie IX. Ses parents d’Edgardo, bouleversés, vont tout faire pour libérer leur fils de l’endoctrinement qu’il subit à grand renfort d’Agnus Dei et de parties de cache-cache dans les jupes du Saint-Père. Soutenus par l’opinion publique de l’Italie libérale et la communauté juive internationale, le combat des Mortara prend vite une dimension politique. Mais l’Église et le Pape refusent de rendre l’enfant, pour asseoir un pouvoir de plus en plus vacillant…Au nom du fils perdu, le cinéaste embrasse le désespoir de ses parents lors de scènes déchirantes ponctuées par de grandes envolées musicales. Son lyrisme, jamais pompier, se double d’un éternel penchant pour l’onirisme, qu’il s’agisse d’Edgardo décrochant un Christ sanguinolent de sa croix ou de Pie IX rêvant que des rabbins viennent le circoncire de force dans la nuit. Mais la séquence où le pape oblige une délégation juive à ramper à ses pieds, tient, elle, d’un cauchemar bien réel.

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Lost in the night

LOST IN THE NIGHT

Film d’Amat Escalante – Mexique – 2023 – VOST – 2h

Avec Juan Daniel,Garcia Trevino,Barbara Mori,Ester Exposito…

En 2013, Amat Escalante signe Heli,un film choc aux images inoubliables dénonçant la violence aveugle de la police paramilitaire mexicaine sous prétexte de lutte contre le narco-trafic (prix de la mise en scène au festival de Cannes 2014). Deux ans plus tard, il tournait La Région sauvage qui explore une veine fantastique particulièrement fascinante.

Avec Lost in the night, le réalisateur confirme son talent en faisant brillamment la synthèse entre les deux. Même s’il n’est que suggéré dans un premier temps,l’aspect fantastique suinte dès les premières images du film, celles d’une intrigante maison contemporaine apparement abandonnée, posée entre désert et lac. On comprendra par la suite l’importance du lieu, qui va quasiment devenir un personnage à part entière de l’intrigue…Mais le récit commence vraiment dans une région centrale du Mexique, par une manifestation contre une mine géante que s’apprête à exploiter un consortium canadien, menaçant l’environnement et les emplois locaux. Une militante anime un débat public houleux, où interviennent en faveur de la mine des ouvriers ouvertement manipulés. Le petit groupe d’opposants quitte les lieux à la tombée de la nuit et comme on pouvait le craindre, son véhicule est intercepté par des paramilitaires : le chauffeur est assassiné et l’oratrice contestataire kidnappée. Rien que de très ordinaire dans un pays où la répression des militants écologiques est d’une brutalité sans limites et où l’impunité des policiers est totale.

Trois ans plus tard, Emiliano, le fils devenu adulte de la militante, désespéré de l’inaction totale des enquêteurs – qui ne se donnent même pas la peine de faire semblant de rechercher la disparue – tombe par hasard à l’hôpital sur un policier à l’agonie qui, peut être pris d’un remords ultime, livre au jeune homme une adresse. Sans autre explication.

Accompagnée de sa petite amie, Emiliano s’y rend, pour trouver, au milieu de nulle part, la demeure d’une famille riche et détonante : Rigoberto, un artiste provocateur, brutal et fantasque, son épouse Carmen, une pop star madrilène, ainsi que leurs enfants dont Monica, vedette adolescente et imprévisible sur instagram. Après quelques tergiversations, Emiliano réussit à se faire embaucher comme gardien de la luxueuse propriété…

On ne vous révèlera rien de ce que cachent les secrets de cette étrange famille , ni son lien avec la disparition de la mère d’Emiliano, mais le scénario remarquablement construit brosse un portrait de classe implacable, poussée à son paroxysme par le recours au fantastique qu’on évoquait plus haut. A travers une mise en scène d’une grande maîtrise, qui met en valeur la géométrie de la maison, l’austérité magnifique du désert, Escalante décortique les mécanismes de l’injustice sociale de son pays, sa violence systémique, ses dérives délirantes liées aux réseaux sociaux et à la vacuité de la célébrité, en même temps qu’il nous plonge dans un film noir sous tension permanente, travaillé par les instincts de sexe et de mort. Vraiment impressionnant !

Critique UTOPIA

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Viver mal, mal viver

Mal Viver et viver Mal   :Semaine du 9 au 14 novembre 2023

Films portugais et français de Joao Canijo. Avec Anabela Moreira, Nuno Lopes, Leonor Silveira, Rita Blanco, Madalena Almeida (2 h 04, 2 h 07).

 L’ensemble copieux composé par Mal Viver et Viver Mal, qui arrive sur les écrans français, précédé en réputation d’un Ours d’argent décroché lors de la Berlinale 2023, accole deux films siamois, autour d’un même lieu et d’un même faisceau d’événements.

L’action se situe dans un hôtel de luxe de la côte nord du Portugal, où se rendent touristes riches, parfois célèbres, pour lambiner quelques jours autour de la grande piscine extérieure. Le premier volet (Mal Viver) est consacré aux tenancières, dynastie de femmes – mères, filles, cousines – qui tiennent l’établissement à bout de bras, s’occupant qui de l’accueil, qui du ménage, qui de la cuisine avec une humeur saturnienne et détraquée qui inquiète tout le monde. L’arrivée surprise de sa fille Salomé (Maddalena Almeida) accroît la tension et renverse le statu quo du gynécée.

Le second volet (Viver Mal) investit le même continuum, mais cette fois du point de vue des clients : couple malade d’influenceurs aliénés, mères abusives ou vampiriques (dont l’impériale Léonor Silveira), enfants tiraillés ou désavoués. L’action centrale du premier volet devient l’arrière-plan du second, et inversement.

L’ensemble intrigue par sa spatialisation louvoyante et vénéneuse, ses cadrages sophistiqués, ses élégants jeux de distances et d’échelle. Canijo joue de la structure hôtelière comme d’un espace morcelé, intégralement dépliable, où chaque personnage circule dans une trame oppressante de lignes horizontales et verticales. Les parois expriment la séparation, les fenêtres allumées dans la nuit montrent les destinées parallèles.

Le monde décrit par Canijo, où règnent consternation, aliénation et frustration, est sombre. Reste le plaisir feuilletonnant, non négligeable, des vies qui s’entrecroisent, des points de vue qui se renversent, du ’hors-champ qui se prolonge. Mais la mécanique est froide et l’esthétique vitrifiée. La caméra regarde par la fenêtre, caresse les murs : on reste au seuil de ce film-auberge, maison d’architecte finalement peu accueillante.

D’après la critique du » Monde » Mathieu Macheret 11 octobre 2023

 

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Déserts de Faouzi Bensaidi

Déserts de Faouzi Bensaïdi, Maroc, 2h04, avec Fehd Benchemsi, Abdelhadj Taleb, Rabii Benjhaile. La Quinzaine des Cineastes, Cannes 2023.

Faouzi Bensaïdi nous avait déjà séduits avec Mort à vendre, il y a quelque temps (2011). Étonnant, Déserts nous embarque dans ses boucles narratives, bifurquant librement d’un genre à l’autre. Un film à la fois trépidant et contemplatif, à méditer.

Les déserts du titre, aux sens littéral et métaphorique, se superposent : deux employés d’une agence de recouvrement de dettes, Mehdi et Hamid (Fehd Benchemsi et Abdelhadj Taleb, excellents) sillonnent effectivement le désert. En eux, chez les pauvres gens qu’ils tentent d’intimider, de grands déserts affectifs, des manques, du vide. Le contraste entre le désert à perte de vue et l’absence de perspective des personnages, dans des existences bloquées, est saisissant.

La première partie du film fonctionne selon une mécanique comique très efficace, mélange de saynètes burlesques, absurdes, où les deux comparses échouent systématiquement à récupérer les sommes. Un tapis, une chèvre, une réconciliation entre un mari et sa femme, voilà les petits gains engrangés, bien insuffisants pour la rentabilité exigée.

Brusquement, le film effectue un virage, pour bifurquer vers le western. Les deux employés croisent la route d’un criminel, roi de l’évasion et le récit, lui aussi, s’évade. Comme si deux moitiés de film se faisaient soudain écho, à travers le vide du désert : on retrouve la carte, les figures de femmes autoritaires, le motif du tissage, et tant d’autres petits signes parsemés.

Petits cailloux dans le désert, pour aller nulle part en particulier. Avec style, le film résiste à tout enfermement, pour proposer une balade au sens noble. Du comique au drame, du roman à la poésie, Faouzi Bensaïdi s’autorise toutes les incursions. Loin du trajet balisé, le spectateur se trouve sans cesse surpris, d’une séquence à l’autre, par les trouées du récit, par les changements de ton, par les échappées poétiques. La musique, les incantations, les bribes de contes intriguent et charment. Car, pour reprendre les mots de Mehdi : “Les histoires n’existent pas, elles n’existent que par celui qui les écoute“. Ainsi de ce beau film, qu’il nous revient de faire exister et respirer en liberté.

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