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Dalva

DALVA

Film de Emmanuelle Nicot – France, Belgique -1h20

Avec Zelda Samson, Alexis Manentti, Fanta Guirassy…

Emmanuelle Nicot réalise avec Dalva son premier long. Au delà de ses premiers pas dans la mise en scène autour de deux courts-métrages, elle est connue comme directrice de casting. Le choix d’une actrice pour soutenir tout un film est évidemment fondamental, d’autant plus quand il est question d’une pré-adolescente au passé lourd. Zelda Samson est Dalva, personnage qui donne son nom au film et le contient tout entier. On la rencontre au moment de la séparation forcée avec son père abusif, dans les cris et la violence. C’est autour du thème très délicat de l’inceste que tourne ce film, mais plus précisément des différentes étapes qui suivent le placement d’une jeune fille qui n’a aucun repère de sociabilité.

Dalva a vécu recluse avec son père, en fuite permanente pour ne pas avoir à affronter le regard de la société, jusqu’à perdre la trace d’une mère qu’elle considère de fait démissionnaire. La première réussite de la réalisatrice est de ne jamais juger ses personnages.Quand Dalva défend son père, le recherche à corps perdu, la caméra la regarde, tente de comprendre les mécanismes qui amène une enfant à se construire autour d’un tel interdit. Les discussions engagées avec elle tentent de décortiquer la rhétorique de l’enfermement dans la seule réalité jamais proposée. Comment comprendre le monde quand on ne le connais pas ? Pourquoi ce que l’on vit serait une transgression quand on n’a jamais été confronté au bien et au mal et à la vie en communauté ? Ces deux questions jalonnent les premières séquences de l’arrivée de Dalva dans ce foyer qui devient son seul refuge.

La progression de l’histoire, tout comme l’écriture du film, est très graduelle. Il y a à la fois de la douceur et de la pédagogie dans la démarche d’Emmanuelle Nicot. Elle transmet plusieurs idées fortes et nécessaires, avec tout d’abord celle qu’il faut du temps à un enfant pour sortir des logiques qui ont nourri toute son éducation. La transformation de Dalva se diffuse sur tout le film, d’abord pour donner le change à ses éducateurs, qu’elle considère comme ses geôliers, puis comme une possibilité réelle quand elle se fait sa première amie au sein du foyer. La solidarité et l’acceptation qui y règnent sont particulièrement touchantes et bien représentées. Il ya une vie dans ce lieu où tous et toutes ont en commun d’être différents, salis pour reprendre les mots de Samia, l’amie et confidente, et une autre avec le monde extérieur, représenté notamment par l’école.

Mais le film pose également en creux une critique du système de « réinsertion » de ces enfants en proue à des difficultés extraordinaires. Le personnage de Jayden, joué  par le très convaincant Alexis Manentti, est le point de rencontre de ces contradictions. Dur et froid avec ses protégé.e.s, il sait aussi se montrer critique face à une principale de collège aux propos discriminatoires, montrant du doigt l’hostilité vis à vis de ces enfants qui sortent de la norme et menacent l’équilibre des « normaux ». Son visage couturé de cicatrices et sa rudesse laissent à penser que le propre passé de cet homme le rapproche de ceux à qui il donne son temps, des parloirs en prison jusqu’aux nuits à veiller au sein du foyer. L’absence de solutions pour les enfants comme Samia, consciente des impasses qu’on lui présente, est également un noeud d’émotions particulièrement fort et bouleversant.

Cette amie au caractère tempétueux qui fait réaliser à Dalva qu’elle possède une porte de sortie pour se reconstruire : une mère aimante prête à la recueillir et lui donne cette nouvelle chance dont telle a tant besoin. Emmanuelle Nicot dresse, en une heure trente, un portrait saisissant qui ne tombe jamais dans le misérabilisme ou l’apitoiement, préférant décrire avec subtilité le processus long et douloureux d’une renaissance et d’un espoir pour les grands blessés peuplant les foyers pour l’enfance. 

 

Critique Le Bleu du Miroir.

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De Grandes Espérances

DE GRANDES ESPERANCES

DE SYLVAIN DESCLOUS

Avec Rebecca Marder, Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot…

De Grandes Espérances raconte l’histoire de Madeleine et Antoine, un jeune couple plein d’espoir et d’ambition, qui préparent ensemble leurs imminents oraux de l’ENA. Alors en visite chez le père d’Antoine dans sa maison en Corse, les deux politiciens en devenir montrent fièrement leurs idées progressistes et leurs projets pour le futur à une classe politique plutôt réfractaire. Mais ces espoirs volent en éclat lorsqu’une altercation éclate sur une route, vire au drame et que Madeleine et Antoine décident de dissimuler les preuves de leur culpabilité. De retour à Paris, la jeune femme est recrutée par Gabrielle Dervaz, députée socialiste ex-ministre qui voit en elle sa conseillère personnelle. Mais le drame qu’ils ont tenté de laisser en Corse va finir par les rattraper…

Le long-métrage est construit comme un thriller politique sous tension, où les traumatismes et les fantômes planent au-dessus de ses deux personnages principaux. Madeleine est d’ailleurs le point de vue polarisateur du film, faisant tourner toutes ses thématiques autour de son interprète Rebecca Marder qui excelle de bout en bout (elle confirme cette année après sa performance savoureuse dans le Mon Crime de François Ozon son talent puissant et intelligemment protéiforme). La comédienne trouve ici un rôle sombre, celui d’une jeune étudiante en politique aux ambitions d’excellence qui verra ses espoirs basculer lorsqu’un drame et ses conséquences terribles s’abattront de plein fouet sur elle, sur sa famille et sur sa carrière. Desclous et Pierre Erwan Guillaume (qui signent le scénario) composent alors une fresque politique en pleine décrépitude, faisant glisser le ton du film entre le polar nerveux lorsque les mensonges menacent, le récit dramatique amené par les relations entre les personnages et le thriller à tendance horrifique qui fait planer les fantômes de certains traumatismes. C’est à ces égards que De Grandes Espérances plantent autant de graines riches en thématiques fortes, en évoquant notamment l’émergence d’une nouvelle génération politique qui cherche à coup d’idéaux et de valeurs assumées à faire sauter les bâtiments idéologiques préétablis. Leurs alignements à gauche du spectre politique installés dès la discussion d’ouverture, le film peut alors se permettre de scruter l’âme humaine en utilisant particulièrement le personnage d’Antoine. Ce dernier, traitant son traumatisme par la fuite, agit en miroir par rapport à Madeleine, qui bâtissent ensemble une dualité idéologique creusant le cœur du long-métrage.

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Goutte d’Or

Du 13 au 18 avril 2023

GOUTTE D’OR

de Clément COGITORE,FRANCE (1h38)

 

Il s’appelle Ramsès et la Goutte d’Or est son royaume. Au pied du métro Barbès, ses rabatteurs appâtent le client, distribuant par milliers des petits papiers imprimant une promesse: «Médium». Ramsès reçoit, dans une pénombre travaillée à la bougie, des endeuillés prêts à payer en liquide pour des nouvelles de leurs chers disparus. Sa petite entreprise ne connaît pas la crise, d’ailleurs ses concurrents du quartier, voyants et autres «professeurs» d’origines diverses, lui reprochent de rafler leurs parts de marché. Ramsès s’en fiche, business is business.

Sa prospérité s’explique: il est bon, bluffant même. On jurerait que les morts lui parlent pour de vrai, d’une mamie retrouvée dans l’au-delà, d’une maison aux volets bleus, de souvenirs précieux, d’amour et de pardon. Le soir, dans un gymnase, Ramsès se produit en public, micro en main, mystifiant des familles éplorées de ses murmures consolateurs. «Je fais des petits spectacles. Quand les gens sont contents, ils reviennent», résume en coulisses le mage qui ne croit pas à la magie. Car il y a un truc, évidemment, une arnaque bien huilée que Goutte d’Or révèle habilement, sans hâte, sans rire mais qu’il n’a aucune envie de raconter aux gamins de Tanger qui font irruption dans sa vie. Moineaux livrés à la rue, à la drogue, à la violence, ils ont eu vent de ses talents et, au moins aussi effrayants que les Oiseaux de Hitchcock, exigent qu’ils retrouvent un copain envolé.

Clément Cogitore réalise une exploration fiévreuse, hallucinée presque, d’un arrondissement parisien en mutation, un coin du 18ème populaire allant de Barbès à la Porte de la Chapelle, entre trottoirs bondés et colossaux chantiers d’urbanisation, misère noire des mineurs exilés et inéluctables lendemains gentrifiés. (…) Le réalisateur nimbe la dureté de Goutte d’Or d’une beauté onirique, tandis que l’excellent Karim Leklou (Ramsès), tout en opacité, colère et cynisme rentrés, troque la tristesse mesquine de son personnage contre la possibilité d’un émerveillement. Un rai de lumière dans les ténèbres.

Extraits de la critique de Marie Sauvion, Télérama

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The Lost King

Un film de    Stephen Frears

Angleterre. 1h49 –  VOST

Avec Sally Hawkins, Steve Koogan…

     C’est le genre d’histoire incroyable dont nos voisins d’outre-Manche semblent avoir le secret, bien gardé au fond d’un cul-de-basse-fosse de la Tour de Londres

 Dans les années 2010, se crée à Édimbourg une société Richard III, immortalisé par Shakespeare dans sa pièce célèbre comme un roi bossu et cruel ayant fait assassiner ses jeunes neveux pour s’emparer du trône. Autant dire que le dernier souverain de la dynastie Plantagenêt, mort au combat à la fin du XVe siècle et dont le corps aurait été jeté dans la rivière traversant la ville de Leicester, a une réputation quelque peu entachée.

Suite à une représentation du Richard III, Philippa Langley, une modeste employée, se passionne pour l’histoire de ce roi décrié, bien décidée à prouver que le vrai Richard III n’était pas le sinistre sire qu’ont fixé pour la postérité ses successeurs les Tudors. Elle rejoint donc la société locale Richard III. Mais contrairement à ces collègues plus modestes et moins téméraires qui se contentent de quelques articles dans la publication mensuelle, elle plaque tout pour se donner une mission : trouver l’emplacement de la dépouille de Richard III dont elle est persuadée qu’il est enterré dans une église détruite depuis. Et on n’imagine pas ce qu’une simple passionnée d’Histoire anglaise est capable d’obtenir à force d’intelligence, de ténacité et de connaissances acquises sur le tas !

Cette histoire savoureuse (excellent scénario co-signé par Steve Coogan, qui joue le rôle de l’ex – mari et premier soutien de Philippa) est mise en scène par l’expérimenté et polyvalent Stephen Frears, qui a déjà tâté de la royauté avec les très plaisants The Queen (starring Helen Mirren dans le rôle d’Élisabeth II) et Confident royal (avec Judy Dench en Reine Victoria). 

Et la reine de l’affaire est la pétulante Sally Hawkins, qui incarne formidablement l’obstination parfois drolatique de cette citoyenne ordinaire que personne ne voulait croire et qui mit un pied dans la grande Histoire, à la surprise de ses proches et au grand dam des institutions universitaires.

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ETERNEL DAUGHTER

De Joanna Hogg, Royaume Uni/ Etats Unis, 1h36, VOST. Avec Tilda Swinton, August Joshi, Carly Sophia Davies 

Joanna Hogg s’est fait connaître récemment avec The Souvenir, film en deux parties, retraçant la relation d’emprise qu’elle a vécue jeune femme et l’œuvre de fiction qu’elle aurait voulu en tirer. Cette révélation critique va permettre la sortie en France de ses trois films précédents, Unrelated, Archipelago et Exhibition, inédits jusqu’alors en France. Depuis The Souvenir, Joanna Hogg, citée comme référence par Kelly Reichardt et produite par un parrain prestigieux, Martin Scorsese, n’est pas restée inactive. Avec Eternal Daughter, elle propose sans doute son film le plus accessible, sorte de drame gothique inspiré des nouvelles de Henry James, où elle revient sur son obsession de la mémoire, du travail de deuil et de la mise en scène atmosphérique, proche de l’art contemporain. 

Julie, accompagnée de sa mère âgée, vient prendre quelques jours de repos dans un hôtel perdu dans la campagne anglaise. La jeune femme, réalisatrice en plein doute, espère y retrouver l’inspiration ; sa mère y voit l’occasion de faire remonter de lointains souvenirs, entre les murs de cette bâtisse qu’elle a fréquentée dans sa jeunesse. Très vite, Julie est saisie par l’étrange atmosphère des lieux : les couloirs sont déserts, la standardiste a un comportement hostile, et son chien n’a de cesse de s’échapper. La nuit tombée, les circonstances poussent Julie à explorer le domaine. Elle est alors gagnée par l’impression tenace qu’un indicible secret hante ces murs.

Une des actrices les plus précieuses et exigeantes de notre époque, Tilda Swinton, plus David Bowie au féminin que jamais, tient un double rôle dans Eternal Daughter, celui de Julie et également celui de Rosalind, sa mère. Là aussi, Joanna Hogg innove en faisant exprès de ne jamais filmer avant la dernière demi-heure les deux personnages dans le même plan. Ce refus de jouer la convention du plan d’ensemble réunissant les deux personnages interprétés par la même actrice possède une réelle signification qui révèle sa potentialité à la fin du film

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TOI NON PLUS TU N’AS RIEN VU

 

Du  23 au 28 Mars 2023

TOI NON PLUS TU N’AS RIEN VU

Un film de Béatrice Pollet – France – 1H 33 – 2022

Avec Maud Wyler, Géraldine Nakache, Grégoire Colin, Roma Kolin

 Claire Morel a besoin de nous pour comprendre ce qui s’est passé. Si nous ne tentons pas de comprendre avec elle, le mystère restera entier C’est au cœur d’une bien étrange affaire, une partie de cache-cache avec soi-même et peut-être avec les autres, que plonge le captivant “ Toi non plus tu n’as rien vu “de Béatrice Pollet. 

Inspiré de faits réels, le second long de la cinéaste française démarre (après un court prologue de bonheur familial) par une soirée folle pour le couple composé de Claire (Maud Wyler) et de Thomas (Grégoire Colin). À son retour tardif du travail, le second, retrouve sa femme inanimée et ensanglantée. Quelques heures après, il est placé (dans un état apparent d’incompréhension absolue) en garde à vue pour complicité de tentative d’homicide. Le motif, il le révélera très vite à Sophie (Géraldine Nakache), l’amie avocate de Claire : « on a retrouvé un nouveau-né sur le container en face de notre maison. Ils disent que c’est l’enfant de Claire – C’est du délire ! – Ça ne peut pas être son bébé. Je serais au courant si ma femme était enceinte ! » 

À partir de ce coup de théâtre initial et de la sidération accablant les protagonistes (Claire est incarcérée), le film détisse méthodiquement ce qui s’avère un déni de grossesse et creuse en profondeur à la recherche des racines de l’événement. Interrogatoires du juge d’instruction (Pascal Demolon), reconstitution, attaques du procureur expertises psychiatriques pour évaluer l’altération ou non du discernement, parloirs de Claire avec Thomas pour le volet d’intimité du couple et avec Sophie pour préparer sa défense, poids de l’opinion publique. Difficile remontée progressive à la surface de Claire sur quelques mois, le film explore un mystère à la lisière de la science, mais aussi les liens entre maternité et psychisme. 

Empathique mais sobre, ménageant habilement le suspense sans effets de manche (un très bon scénario écrit par la réalisatrice), interprété et mis en scène avec justesse, “Toi non plus tu n’as rien vu” se révèle un film passionnant, très humain et éminemment féministe, levant le voile pour l’instruction de tous sur un acte à priori incompréhensible, y compris pour celles qui traversent ce genre d’épreuves. 

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LE RETOUR DES HIRONDELLES

CINE CIMES Semaine du 2/03au 7/03/2023

Université Populaire Sallanches-Passy

LE RETOUR DES HIRONDELLES

Film de Li Ruijun – Chine – 2h13

Avec Wu Renlin, Hai-Qing, Guangrui Yang…

Elle a vu en lui tout de suite la bonté, à cause de cette main humble et belle qui caresse le dos de son âne. Lui a entendu les cris de mépris, les moqueries autour de sa jambe abîmée et son regard vide et effarouché. Mais voilà, ils se sont mariés, acceptant leur dénuement total comme une opportunité de vie et d’amour. Li Ruijun est un jeune réalisateur qui cumule à son actif déjà six longs métrages et qui force à l’admiration dans son pays en Chine. Le Retour des hirondelles apparaît comme une oeuvre majeure, dont la maîtrise de la mise en scène, de l’écriture et de la photographie est stupéfiante. Autant le récit refuse l’esbroufe et se contente de regarder pendant plus de deux heures un couple d’une magnifique simplicité, autant le film touche quasiment la perfection. L’histoire se résume à ce couple qui peu à peu, se construit une maison pour leur âne, leurs quelques poules et leur cochon, ne possédant vraiment qu’une charrue et un animal de traie. Le réalisateur s’attache à les filmer dans l’intimité merveilleuse de leur quotidien. Les corps sont éloignés, la chair semble absente de cet amour sublime. Les mots surgissent petit à petit, trahissant entre les deux, une affection emprunte d’admiration, d’amitié et de respect. Ils s’aiment sans bruit, sans effusion charnelle. Le dos voûté de la femme, le pas hésitant de l’homme ne les empêchent pas de se bâtir une vie qui pourrait ressembler au bonheur absolu. La pauvreté des paysans chinois, pourtant si écrasante, semble s’absoudre dans la candeur de leur existence.

Bientôt, après le mépris, survient la jalousie des villageois qui voient dans leur couple l’amour dont eux-mêmes se sont privés. C’est impossible de ne pas parler de ce film sans évoquer le soin immense apporté aux détails. Chaque plan est réfléchi dans une subtile synthèse de lumière et de couleur. Pourtant le métrage ne cherche pas à accumuler les effets de style. La photographie magnétique parvient à saisir, sans aucun excès, la beauté dans ce couple. L’image semble s’être inspirée d’une peinture de Van Gogh et la musique, en fond d’écran, accentue ce miracle de poésie. Ce film est une oeuvre de cinéma magistrale, comme il nous est rarement donné d’en découvrir. Les deux personnages emportent le spectateur dans leur sillage avec une incroyable facilité. Il y a dans ce récit simple et beau une âme romanesque. Et pourtant le réalisateur refuse de céder au misérabilisme bien-pensant ou au drame romantique. Il montre, dans une langue débarrassée de toute fioriture inutile, la vérité de l’amour à travers un couple qui se contente d’être ce qu’ils sont au lieu de rêver ce qu’ils ne possèdent pas. Ce film est majeur en début d’année 2023. Il donne à penser un monde où la matérialité n’est plus le centre de la vie. Il donne à espérer en un monde d’existence futur où l’amour, l’humanisme, la justice priment au détriment d’un univers rongé par la capitalisme financier et le consumérisme à outrance.

Laurent Cambon ( A Voir A Lire ) .

Le film de Li Ruijun dresse un tableau sensible du développement d’une relation. Avec un éclairage particulièrement travaillé, notamment dans les scènes d’intérieur, il crée une ambiance permettant la naissance d’une intimité improbable dans ce mariage forcé. Le jeux des deux comédiens tout en retenue, donne à sentir le rapprochement de Ma et Guying par des gestes du quotidien, en apparence anodins, mais chargés de signification pour ces deux êtres isolés.

En arrière plan, le cinéaste peint également l’extrême pauvreté des campagnes chinoises . Ses longs plans et ses mouvements d’appareils rendent compte de la dimension lente et répétitive du labeur qu’il est nécessaire d’accomplir dans certaines régions pour gagner assez d’argent pour vivre. En filigrane, c’est également l’incapacité du régime en place de pallier à cette situation qui est dénoncée. La force politique du long métrage lui a par ailleurs valu une interdiction par le gouvernement chinois, alors qu’il avait passé la rampe de la censure dans un premier temps. Le retour des hirondelles noue avec une intelligence un propos social sans concession et la trajectoire singulière de deux personnages apprenant à s’aimer, en sachant prendre le temps nécessaire au développement de son récit.

Noé Maggetti ( Ciné-Feuilles ) .

Ours d’Argent au festival international

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AFTERSUN

Grande Bretagne/ USA

Réalisé par Charlotte Wells

AvecPaul Mescal, Frankie Corio, Celia Rowlson-Hall

 

Quand elle avait 11 ans, à la fin des années 90, Sophie, jeune écossaise, a fait un voyage organisé en Turquie avec son père, et s’est amusée à filmer ces «vacances géniales». 

Des années plus tard, elle se remémore ces quelques jours de bonheur, avec la culpabilité d’être «passée à côté» des moments d’absence, de tristesse , de mal de vivre  de son père, et cherche dans ces images des indices qu’elle aurait méconnu…. 

Ce personnage du père est bouleversant tant il est secret, jusqu’à la souffrance. C’est ce qu’éprouvera rétrospectivement Sophie devenue adulte. Entre eux deux, si proches et si séparés, Aftersun fait vibrer un lien d’une délicatesse comme on n’en avait pas vu depuis le film de Sofia Coppola Lost in translation. 

La réalisatrice capte avec une grande sensibilité un moment de bascule, elle enregistre des instants volatiles avec un talent stupéfiant et croise avec grâce le regard de la gamine et celui de la cinéaste adulte qui fouille ses images et sa mémoire…

Charlotte Wells: «Je voulais dépeindre la dépression d’une manière authentique, désordonnée, compliquée, parfois contradictoire et parfois subversive par rapport à ce la façon dont les gens la perçoivent.»

Ce film a remporté le Grand Prix du Festival Américain de Deauville  2022.

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TAR

TAR                                                                                                                                                                   De Todd Field – Etats Unis – 2022 – 2h38 – VOST                                                                                                                 Avec Cate Blanchett, Nina Hoss, Noémie Merlant                                                                                                                  

Après seize ans d’absence, Todd Field signe l’un des films américains les plus acclamés de la saison. Une œuvre réalisée dans une évidente symbiose  avec son interprète. Cate Blanchett trouve ici l’un des rôles de sa vie. On avait fini par l’oublier mais, dans les années 2000, Todd Field était l’un des grands espoirs du cinéma d’auteur américain. L’une des différences entre le monde de la musique classique et celui du cinéma, c’est que les carrières des acteurs, des actrices ou même des cinéastes,  sont souvent décrites comme dues à la chance, à des circonstances favorables, aux connections dans le métier, etc… Les musiciens classiques, eux,  doivent tout aux milliers d’heures qu’ils ont passées à maîtriser  leur instrument. Ils ne sont pas choisis par hasard pour intégrer ou diriger un orchestre. C’est une question d’excellence. Lydia Tár  trône sur le monde de la musique. Elle est au sommet de l’Olympe.                                                                                                                                                       

Dans le couloir qui mène à la lumière, Lydia Tár attend d’entrer en scène. Figée ou presque.                                                                                                            Ce film parle du pouvoir dont jouissent certains artistes reconnus.  De par sa fonction et son statut, Lydia, célèbre cheffe d’orchestre, est dans le contrôle absolu d’elle-même et des autres. C’est elle qui donne le tempo, corrige d’éventuels égarements de ses musiciens, calme leurs ardeurs ou les stimule afin de restituer sa vision de la partition. La partition en question est celle de la Symphonie n° 5 de Gustav Mahler, pièce macabre d’un compositeur autrichien, qui tend pourtant vers une exaltation exacerbée des sentiments. La progression de ce chef d’œuvre musical sera celui du film tout entier. Les questions que pose le film sur la nature du pouvoir, sur la façon dont on  l’exerce et dont on peut juger ses abus, sont éternelles au sens du réalisateur.

Les actions de Lydia Tár  portent en elles une autorité souveraine incontestable. Quelque chose se trame pourtant en secret, prête à sourdre de terre. Todd Field filme un lent délitement, le vacillement d’une lumière. C’était déjà le cas dans ses deux précédents longs métrages : In the Bedroom en 20001 puis Little Children en 2006, mélos sirkiens, auscultant les fissures de la bourgeoisie américaine contemporaine, qui lui avaient valu  une avalanche de récompenses et de  nominations aux Oscars. Lydia Tár se voit accusée de harcèlements moraux et sexuels. Le récit pourrait basculer dans une paranoïa, flirter avec l’angoisse d’une cassure psychologique. Le film refuse de s’y soumettre. La peur existe mais elle peut encore être domptée.

La mise en scène implacable de Todd Field avance à découvert, ne cherche aucune dissimulation. L’extrême lisibilité de la surface est bien-sûr un leurre. Field, acteur avant d’être cinéaste, a joué dans Eye Wide Shut – c’était le pianiste qui permettait l’introduction du héros incarné par Tom Cruise dans le manoir secret -.         Field part de la clarté de sa représentation pour en dévoiler, par manipulation, son double-fond. Une vision exprimée de manière littérale, le temps d’un plan-séquence héroïque dans lequel Lydia Tár, face à des étudiants de la Juilliard School, surplombe et encercle son auditoire de sa verve intellectuelle et sa bestialité. Les jeunes élèves sonnés ou fascinés, sont interdits. Lydia sait qu’en tant qu’artiste, elle arrive au bout de quelque chose. Elle a atteint la perfection. Elle s’apprête à parachever son enregistrement de l’intégralité des symphonies de Mahler, qui sera publié en vinyle le jour de l’anniversaire du compositeur. Qu’est-ce qui pourrait être plus parfait que ça ? Qu’espérer atteindre après ?  Elle sait sans doute que, de là où elle est – l’Olympe, encore une fois – elle ne peut que redescendre. Et, sans raconter la fin du film, ce qui est noble et beau chez elle, c’est qu’elle décide, afin d’avancer en tant qu’artiste, de s’autodétruire. Elle lâche prise. C’est puissant et courageux.  Mais la fin du film peut aussi s’interpréter comme une épiphanie, une renaissance, le début de quelque chose de nouveau. Cate Blanchett mérite tous les honneurs. Elle                                                                                                                                                       a été couronnée du prix de la meilleure actrice lors de la dernière Mostra de Venise.

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RETOUR A SEOUL

De Davy Chou. France/Belgique/Allemagne-1h59- VOST

Avec Park Ji-min, Oh Kwang-Rok, Louis-Do de Lencquesaing

Davy Chou raconte l’errance identitaire d’une jeune femme à la recherche de ses origines. Grand, vibrant et voluptueux. 

Entre les tours géométriques de Séoul, une jeune femme est en quête d’elle-même. Elle a 25 ans, s’appelle Freddie, est née en Corée et a été adoptée par un couple de Français. Elle vient d’atterrir pour la première fois en Corée du Sud. Sur un coup de tête, Freddie s’est mise à la recherche de ses origines. Elle rencontre d’abord Tena, jeune Coréenne bienséante et bienveillante, dans une guest house. Puis pousse la porte du Service des adoptions coréen, remonte jusqu’à son père, rongé par les remords et l’alcool, partage une soupe de poulet avec sa famille biologique (scène remarquable), rencontre d’autres Coréens, repousse son père, cherche en vain sa mère puis s’installe à Séoul.

Ce film raconte l’histoire d’une déracinée qui s’ignore (ou qui ne le sait que trop bien). Il y est question d’opportunités gâchées, de portes claquées, de mots dévorants, de quête de soi infinie. Remarqué dans la Section « Un certain regard » à Cannes, il ne s’agit que du deuxième long-métrage de fiction de Davy Chou après Diamond Island, en 2016. Mais le cinéaste de 38 ans semble déjà avoir trouvé son style, quelque part entre des ellipses ambitieuses et une caméra tourbillonnante. Ici, tout bouge, Freddie se lie puis se sépare, se trouve puis fait reset. Elle est dure, violente parfois, frustrée, effrontée, fragile, rebelle, flamboyante. Elle est tout en nuances. Les personnages secondaires (superbes Louis-Do de Lencquesaing et Guka Han) aussi. La grâce qui enveloppe ce film leur doit aussi beaucoup à chacun. Et quand Freddie semble enfin apaisée, ce film captivant se boucle sur une philosophie aussi étonnante que son héroïne qui n’oblige personne : la liberté, c’est savoir s’émanciper de toutes les identités qu’on vous assigne.

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