Ciné Mont-Blanc
A ne pas rater !!
/!\ Le prochain Coup de Coeur Surprise aura lieu le Lundi 7 Avril 2025 à 20h 00. A l’issue de la projection, nous vous proposons de nous rejoindre afin d’échanger vos impressions.
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MAMAN DECHIRE
L’aventure des enfants avec leur mère qui nous parait plutôt folle, ne l’est pas d’abord pour l’enfant qui n’a pas encore découvert d’autres mères. Et la réalisatrice qui raconte sa propre histoire la montre comme un voyage intergalactique où elle la conçoit comme une mini odyssée dans la psychée.
En se mettant elle-même en scène, la cinéaste prenait le risque de tomber dans un ego trip. Si elle ne l’évite pas totalement, au moins chasse-t-elle la complaisance à grands coups d’autodérision, en témoigne la litanie des « praticiens » auxquels elle confie, en désespoir de cause, son profond malaise Séquences assez pathétiques mais parfois, aussi, hilarantes, comme ce clip d’un charlatan adepte du pardon.
Mais alors, qui est Meaud, cette mère indigne, cause de tant de souffrances ? C’est à la fois un monstre et une bête blessée. Un monstre d’égoïsme, de dureté, de lâcheté aussi. Des reproches que le film charrie à deux voix, d’une part à la faveur d’une relecture du journal intime d’Emilie et d’autre part en donnant la parole à son frère dont les souvenirs de brimades et de manque d’amour accablent une mère, au mieux absente.
La bête blessée, c’est d’abord ce bébé mort à la naissance et aussitôt réanimé, puis cette enfant battue par son beau-père, cette jeune femme qui enchaîne les tentatives de suicide et se croit sauvée par une apparition. C’est encore cette femme qui trouve I’amour auprès de Frédéric avec qui elle forme un couple atypique et volcanique. C’est enfin cette mère tyrannique et cette grand-mère « gaga » de son petit-fils. L’enfant en question, c’est la raison d’être du film, celui pour qui il était devenu capital pour la
cinéaste de briser une malédiction familiale, d’essayer d’aligner les planètes. Cet enfant s’appelle Cosmo, le film lui est dédié.
Publié dans 5ème film du programme, Archives films
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A REAL PAIN
A Real Pain : critique d’un road-trip doux-amer
Un film de Jesse Eisenberg
En quelques minutes, la caméra de Jesse Eisenberg croque avec finesse ses deux protagonistes. Il incarne lui-même David, jeune père de famille angoissé qui enchaîne au cours d’un montage savoureux les messages téléphoniques en direction de l’aéroport. Leur destinataire n’est autre que son cousin Benji (Kieran Culkin), que l’on a vu quelques secondes plus tôt en tant que silhouette au milieu de la foule, après le trajet sinueux d’un travelling. Ensemble, ces deux êtres si opposés se rendent en Pologne pour un voyage mémoriel sur les traces de leur judéité, et sur celles de leur grand-mère récemment disparue, rescapée de la Shoah.
En apparence, A Real Pain prend la forme d’un buddy movie attendu sur deux âmes en quête de reconnexion (entre eux et avec leurs racines), malgré leurs caractères antinomiques. Eisenberg teste très vite cette limite, en faisant de Benji ce mec à la fois insupportable mais touchant, égoïste mais honnête, indélicat mais à l’écoute de ses propres émotions. Dans le contexte de ce voyage organisé, où le silence poli et le respect maniéré de la mémoire sonnent comme une évidence, le personnage fait voler en éclats ces prérequis sociaux. L’air de rien, c’est par cette bascule que Benji trouve sa place au sein du groupe, et permet à chaque membre de cette visite guidée polonaise de se confier, d’exister. On grince des dents plus d’une fois face à ses maladresses, mais on aperçoit aussi en contrechamp un David effacé derrière sa politesse, et incapable de créer ce lien si salvateur que suppose leur périple.
Plus qu’un simple terrain de jeu pour un double-portrait joliment écrit, A Real Pain traverse ces villes chargées d’histoire en faisant ressentir ce pesant sentiment d’absence. La comédie rebondit toujours sur sa dimension douce-amère, jusqu’à cette visite bouleversante de sobriété dans le camp de concentration de Majdanek ; Jesse Eisenberg se contente de la simplicité de plans fixes lourds de sens, où la déambulation des visiteurs suffit à réveiller cette souffrance du titre. Cette souffrance, c‘est d’ailleurs l’autre élément pesant du long-métrage, invisible mais bien présent. Peut-on parler de traumatisme transgénérationnel quand on n’a pas connu soi-même l’horreur du génocide ? Que représentent l’anxiété ou la dépression de ses protagonistes face à la douleur de l’Holocauste ?
Publié dans 3ème film du programme, Archives films
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Black Dog
BLACK DOG
De Guan Hu – Chine – 1h56 – VOST
Black Dog commence très très fort avec une première séquence ultrapuissante : aux portes du désert de Gobi, dans un paysage splendidement photographié par Weizhe Gao, une impressionnante meute de chiens dévale la petite colline à toute vitesse. Un bus qui passait par là est pris de court et verse sur le côté de la rue, bousculé par la horde. Nous aussi, nous sommes ébahis par ce spectacle qui nous installe d’emblée dans le film sans plus jamais qu’on en sorte.
Plus de peur que de mal ; le film déploie même une certaine dose d’humour lors de cette scène d’accident. On y découvre le protagoniste Lang (Eddie Peng, méconnaissable), une ex-rockstar et figure locale du motocross, de retour chez lui après avoir purgé une peine de prison de dix ans. Taiseux, il n’aura presque pas de dialogue tout au long du métrage, et tout son travail passera uniquement par ses gestes et ses regards. Un film minimaliste donc, symbolisé par son arrivée en ville tel un lonesome cowboy, sous un soleil éclatant et dans des ruelles vidées de sa population. Les mines ferment et les habitants sont obligés de partir, laissant derrière eux des bâtiments qui seront détruits pour laisser place au monde moderne et au paraître. La ville fait la chasse aux centaines de chiens errants laissés derrière eux par les émigrants. Black Dog raconte en filigrane la modernisation à marche forcée de la Chine. Le cinéaste nous donne ici et là des indices qui montrent l’évolution de cette société chinoise devenue fort mercantile, ou plutôt mercantile autrement, et rendue ainsi plus violente.
Ayant rejoint la brigade anti-chiens du fameux oncle, Lang attrape le chien et décide de le garder avec lui. Ces deux parias, l’ex-taulard et le rageux, s’apprivoisent pas à pas, sans un mot, ce qui rend le métrage encore plus fascinant.
Voilà donc deux êtres en route vers la résilience et la rédemption, où ils apprennent à se défaire des oripeaux de leur violence respective pour découvrir une relation de tendresse, de confiance et de bienveillance. Un chemin non dénué d’embûches, mais qu’on a plaisir à suivre avec eux, la proposition du cinéaste étant tout sauf sirupeuse. Black Dog est un film métaphorique, associé souvent à la violence que ces meutes de chien infligent ou subissent, la violence qui n’est pas innée mais induite par le comportement même de l’être humain, la violence encore qui n’est pas une fatalité, puisque Guan Hu ouvre une porte de sortie…
Ce film a été récompensé par le prix « Un Certain Regard » au festival de Cannes 2024
Publié dans 4ème film du programme, Archives films
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When the lights break
WHEN THE LIGHT BREAKS
Film de Runar Runarsson – Islande, Pays-Bas, Croatie, France – 1h22 – VOST
Avec Elin Hall, Mikael Kaaber, Katia Njalsdottir…
D’un coucher de soleil à l’autre, When the Light Breaks conjugue la lumière et le temps pour raconter l’amour, le deuil, l’amitié en une heure vingt deux. Son accomplissement tient à des touches précises, des ellipses fines, un équilibre tenu entre l’épure et l’émotion, cette dentelle dessinant un mélo à bas bruit. C’est qu’ Una, étudiante aux beaux arts d’une vingtaine d’années, doit taire la profondeur de son chagrin : Diddi, qui vient de périr dans un tragique accident, était officiellement le petit ami d’une autre. La veille encore, face à la mer, le jeune homme s’engageait à rompre avec cette Klara et voilà qu’il est mort, et que Klara débarque à Reykjavik, et qu’Una fait semblant de pleurer un simple copain.
Cinq ans après Echo,où il scannait la société islandaise à travers des plans fixes et une cinquantaine de micro-nouvelles plus ou moins grinçantes, le cinéaste Runar Runarsson signe un récit d’apprentissage à l’os, vingt-quatre heures de la vie d’une fille foudroyée en plein bonheur. L’auteur de Sparrows (2015) y met d’avantage de cœur mais conserve le sens des détails parlants, et même des petits riens criants – une paire de chaussures laissée chez l’amoureux, une brosse à dents qu’on partageait hier et qu’on ose plus saisir aujourd’hui…
Alors que toute l’Islande se recueille après la catastrophe, la bande de potes, elle, serre les rangs autour de Klara, la « veuve » , tandis qu’ Una hérite d’un second rôle un peu hors d’âge, celui de l’ « autre femme » . Or elle reste l’héroïne du film, qui fixe intensément sa gravité aux yeux rougis, sa discrétion forcée, et guette ce que l’épreuve va révéler de son âme- spoiler : ce sera beau. Son interprète, Elin Hall, coupe garçonne et look androgyne, lui prête une féminité sans chichis, tranchante. Dans son refus de rouler des mécaniques, When the Light Breaks laisse affleurer une poignée de scènes marquantes, comme cette danse, presque transe, finissant en empilement de corps solidaires, ou sa conclusion, inattendue et d’une tendresse folle.
Critique de Marie Sauvion– Télérama .
Publié dans 2ème film du programme, Archives films, Uncategorized
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JULIE SE TAIT
JULIE SE TAIT
De Leonardo Van Dijl – Belgique/Suède – 1h37 – 2024.
Avec Koen De Bouw, Ruth Becquart, Claire Bodson.
Julie, une star montante du tennis évoluant dans un club prestigieux, consacre toute sa vie à son sport. Lorsque l’entraîneur, qui pourrait la propulser vers les sommets, est suspendu après le suicide d’une sportive du club et qu’une enquête est ouverte, tous les joueurs du club sont encouragés à partager leur histoire. Le club enquête, cherchant à protéger les autres membres et surtout Julie qui garde le silence sur la nature de sa relation avec son entraîneur. Ce film est une oeuvre en forme de quasi thriller psychologique, causant à priori de la libération de la parole dans le milieu sportif. Dans le plus grand des silences. Pas celui induit par l’omerta, les pressions ou encore les intérêts sportifs. Mais celui subi par une jeune femme conciliant famille, études et sport mené à haut niveau. Le film arrive à montrer comment le harcèlement insidieux s’instaure de manière étouffante dans le quotidien de Julie.
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MON GATEAU PREFERE
« Mon gâteau préféré », naissance d’un amour tardif
Le second long-métrage, après Le Pardon (2020), du couple de cinéastes composé par Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha, installé à Téhéran, cristallise une nouvelle fois la chappe de plomb que fait peser le régime iranien sur la création cinématographique. Tourné en secret en 2022 dans un climat de tension sociale, au moment où allait éclater le mouvement Femme, vie, liberté, le film enfreint délibérément les restrictions qui entourent la représentation des femmes à l’écran, concernant, notamment, le port du hidjab jusque dans l’espace domestique, en dépit de toute considération réaliste. Mon Gâteau Préféré se présente pour l’essentiel comme une authentique comédie romantique du troisième âge, en apparence assez inoffensive, mais, dans le fond, tout sauf naïve. Le film vaut d’abord pour la finesse avec laquelle il dépeint l’isolement des personnes âgées, montrées comme n’appartenant plus au même fuseau horaire que la société active (Mahin, victime d’insomnies, se lève à midi), donc condamnées à vivre dans ses interstices – un constat qui dépasse le simple cadre de la société iranienne. (Ma. Mt. Pour Le Monde.)
Mais la morale du film sur le courage des microrésistances privées, d’une inversion des signes moroses par l’étincelle d’une simple rencontre, s’inverse brutalement dans un finale absurde et sinistre. Il faut aimer les déconvenues hardcores ou interpréter ce twist comme le reflet du pessimisme des auteurs pour ne pas leur en vouloir de faire subir ça à des personnages qu’ils ont mis tant d’ardeur, et d’ailleurs de talent, à nous faire aimer. (Didier Péron pour Libération)
Il reste un film modestement magnifique, qui nous emporte avec une facilité déconcertante tant les deux acteurs sont formidables de présence et de justesse. Un film nécessaire et qu’on a particulièrement envie de partager quand on sait que les autorités iraniennes ont confisqué les passeports des deux réalisateurs Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha à l’annonce de la sélection de leur film en compétition au Festival de Berlin 2024…Ils sont depuis assignés à résidence dans l’attente de leur procès.
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LES FEUX SAUVAGES
Semaine du13 au 18 février
LES FEUX SAUVAGES
De Jia Zhangke -Chine-1H51 Vost
Avec Zhao Tao
Rattrapé par les marées, traduction du titre international (Caught by the Tides) du nouveau film de Jia Zhang-ke, permet peut-être de mieux l’appréhender. À 53 ans, le réalisateur chinois revisite son cinéma avec un récit en trois parties, situées respectivement en 2001, 2006 et 2022, non pour signer une grande fresque romanesque comme Au-delà des montagnes ou Les Éternels, mais pour reparcourir l’itinéraire emprunté par son cinéma dans la Chine du XXIe siècle. « Les marées » ou les « feux sauvages » sont à entendre comme des vagues de souvenirs irrépressibles, les siens et ceux de son actrice fétiche, Zhao Tao. Ils resurgissent par le biais d’images de précédents films, mais aussi de rushes inédits, comme extirpés des archives du cinéaste. Pour rassembler ces différentes périodes, le film s’en tient à un embryon de mélodrame : un couple se déchire, se perd de vue et se retrouve.
Les deux personnages, Qiaoqiao (Zhao Tao) et Bin (Li Zhubin), sont apparus pour la première fois il y a vingt-deux ans dans Plaisirs inconnus, dont on retrouve beaucoup d’images dans la première partie,, bien qu’elles soient ici agencées différemment : les scènes de rue, de chant et de chorégraphie s’enchaînent de façon purement musicale, en passant d’un morceau électronique populaire à un autre, sans que jamais ne s’amorce véritablement un récit, ne se déroule le début de l’intrigue, elle paraît surtout s’inscrire dans le mouvement frénétique de la ville.
Cette partie et la suivante – plus mélancolique et composée notamment de plans de Still Life – ravivent le souvenir de cette période du cinéma de Jia Zhang-ke ; Les ellipses racontent ainsi autant les mutations de la Chine (de l’effervescence libérale à la désillusion capitaliste, jusqu’à l’ère de la surveillance technologique) que celles du cinéma, et plus précisément de l’œuvre de Jia Zhangke. Si le scénario que bricole ce remix ne tient pas vraiment (ce que trahit, exemplairement, le choix de faire de Qiaoqiao un personnage muet), il fait surtout ici office de lien distant entre les morceaux assemblés.
La troisième partie, achève la perspective : elle donne à l’ensemble une colonne vertébrale – elle est la seule à avoir été tournée sur mesure pour ce film-ci. Si l’image y est numérique et un peu terne elle capture tout de même de façon troublante le passage des années sur le visage des acteurs. Le contexte du Covid-19 permet à plusieurs reprises d’aménager des scènes où Qiaoqiao et Bin se démasquent, manière émouvante de dévoiler le vieillissement de leurs corps. Pris dans son ensemble, Les Feux sauvages se présente dès lors comme un objet un peu bancal, ou du moins flottant, terme qui lui sied peut-être mieux : sur un bateau ou dans un train, les personnages, comme le cinéaste, se laissent porter par la dynamique d’un voyage à travers les souvenirs.
D’après les critiques du Monde et de Critikat ( janvier 2025)
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Memoires d’un escargot
À la mort de son père, la vie heureuse et marginale de Grace Pudel, collectionneuse d’escargots et passionnée de lecture, vole en éclats. Arrachée à son frère jumeau Gilbert, elle atterrit dans une famille d’accueil à l’autre bout de l’Australie. Suspendue aux lettres de son frère, ignorée par ses tuteurs et harcelée par ses camarades de classe, Grace s’enfonce dans le désespoir. Jusqu’à la rencontre salvatrice avec Pinky, une octogénaire excentrique qui va lui apprendre à aimer la vie.
Lorsqu’elle fait le bilan de son existence, Grace se définit comme « un verre à moitié plein », qui comble sa moitié vide avec la lecture de romans à l’eau de rose et la compagnie (envahissante) des gastéropodes – auxquels, à force de s’être construit une carapace pour se protéger du monde, elle a fini par s’identifier. Bien qu’explorant par le menu les multiples traumatismes de la jeune fille, tout l’enjeu du film sera de colmater ses failles émotionnelles pour l’amener à s’ouvrir au monde. Mémoires d’un escargot use pour y parvenir d’un ton étonnant, alignant moments d’une immense drôlerie, mais aussi pas mal de mélancolie et un soupçon de colère. Soit peu ou prou les étapes d’un processus de reconstruction de soi. Part thérapeutique du film qui se confirme avec l’entrée en scène de Pinky, mamie aussi ridée que décapante, qui n’hésite pas à faire des doigts d’honneur à quiconque la juge, soigne sa trouille de la sénilité à la marijuana et dispute des parties de ping-pong endiablées avec Fidel Castro.
Il n’est pas anodin que ce génial long métrage soit fait de pâte à modeler : il exprime comment des êtres peuvent se remodeler, les creux et les pleins apparaissant sur la texture même des personnages. De même, les décors fourmillant de détails, reflet du bric-à-brac surchargé qu’est l’esprit de Grace, contribuent à faire de Mémoires d’un escargot un film très singulier, malléable, tendre et dur, fourmillant d’idées et merveilleusement poétique. Adam Elliot y trace sa voie, magnifique et solitaire, entre étrangeté formelle et scénario vantant les imperfections (un univers résumé par une phrase du film : « Sans obscurité, la lumière n’a pas de sens ») ou la référence marquée au Kintsugi, cet art japonais consistant à rénover des objets abîmés sans faire disparaître leurs fissures. Le résultat est saisissant : nous sommes emportés par la puissance émotionnelle de Mémoires d’un escargot, qui transcende un récit de deuil et ses cicatrices en celui d’une renaissance apaisée.
Cristal du long métrage au Festival d’Annecy 2024
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EEPHUS
CINE CIMES Semaine du 06/02 au 11/02/2025
EEPHUS, LE DERNIER TOUR DE PISTE
Film de Carson Lund – Etats-Unis, France -1h38 -VOST
Avec Keith William Richards, Cliff Blake, Ray Hryb…
On appelle eephus ou encore « arc en ciel » un type de lancer au baseball: une balle courte qui ressemble à une balle lente, autrement dit une feinte, destinée à déstabiliser le batteur qui ne manquera pas d’être surpris par une trajectoire et une vitesse inhabituelles. On prédit le même sort et la même agréable désorientation au spectateur de ce film d’atmosphère dont l’intrigue tiendrait sur un billet de stade.
Dans une bourgade non identifiée de Nouvelle Angleterre à une époque elle même floue qui pourrait être les années 1990, deux équipes amateurs, les Riverdogs et les Adler’s Paint, s’affrontent pour un ultime match. Dans l’autoradio d’un des joueurs, la voix chevrotante de Frederick Wiseman (94 ans) annonce la couleur : le terrain va être rasé pour faire place à une école. Satanée jeunesse .
Ambiance de fin de partie et nostalgie à tous les étages, donc, dans ce huis clos proustien déguisé en film de sport.
Car évidemment le baseball n’est pas le sujet. Tous plus ou moins bedonnants, grisonnants, claudicants, les protagonistes sont de piètes athlètes. Ils courent comme des pingouins et s’enfilent plus de canettes de bières qu’ils ne marquent de points. Ce stade, c’est leur cour de récré, leur bar, leur refuge, leur raison d’être dominicale pour fuir le foyer, entre autres. Etre là pour ne pas être ailleurs.
Et la saison choisie par les auteurs ne l’a pas été au hasard : c’est l’automne, avec son chapelet de couleurs fauves, égrenées et magnifiquement mises en valeur par le jeune réalisateur Carson Lund, chef opérateur du récent Noël à Miller’s Point, de son camarade Tyler Taormina, ici producteur. Les deux trentenaires appartiennent au même collectif , Omnes Films, et représentent le futur du cinéma indépendant américain : moderne mais à l’ancienne, détaché des impératifs de rentabilité, et où l’apparente nonchalance de la forme impose en douceur un discours tournant ostensiblement le dos à l’efficacité des contenus pour plateformes.
Dans ce film choral que n’aurait pas renié Robert Altman, autre modeste protagoniste d’une Amérique en voie d’extinction, l’action impose moins que la sensation. Sur le terrain, les joueurs disputent leur dernière manche ; la nuit tombe ; l’électricité a été coupée ; on allume les phares des voitures pour y voir clair. Personne n’a envie de rentrer. Le score ? Quel score ? Seul compte le vent dans les érables. « Au baseball, dira l’un des personnages, on attend des heures que quelque chose se passe , et hop, c’est finit ».
Critique de Jérémie Couston – Télérama .
Ciné Surprise le 03/03 /2025
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Emanuel Pârvu (Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde)

Sélectionné en compétition à Cannes et lauréat de la Queer Palm, Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde est un drame brillant, à la fois tendu et lumineux, où les réactions de villageois suite à une agression homophobe donnent lieu à une métaphore de la contamination de la pensée fascisante.
Avant d’aborder les thèmes traités par le film, je souhaitais débuter par vous interroger sur le remarquable travail sur la lumière. Comment avez-vous travaillé avec votre chef opérateur Silviu Stavilã sur cet aspect?
Tout d’abord, il faut dire que la lumière est déjà naturellement exceptionnelle dans cette région du delta du Danube où nous avons tourné. Jacques-Yves Cousteau a déclaré que cette région était le plus bel endroit du monde, et ce précisément à cause de la lumière spéciale qui existe là-bas. Je ne sais pas comment expliquer que cette lumière soit si particulière, si ce n’est qu’elle vient de Dieu.
Silviu Stavilã est un très grand chef opérateur qui a déjà travaillé avec Cristi Puiu ou Lucian Pintilie. L’idée que je lui ai soumise dès le début du projet était que pour le début du film, je souhaitais utiliser des plans fragmentés et décomposés, où les personnages et leurs visages n’apparaitraient pas forcément en entier, pour progresser peu à peu vers des plans conventionnels à mesure que les personnages révèlent clairement qui ils sont. Le tout pour aboutir aux plus beaux plans possibles. Je me suis beaucoup inspiré d’Ozu et de sa technique des tatami shots (méthode consistant à placer la caméra relativement bas, épousant le regard d’une personne à genoux sur un tatami, ndlr). Quant à la lumière, je souhaitais qu’on ne rajoute aucune source artificielle. A l’inverse, notre travail a plutôt consisté à filtrer autant que possible toute la superbe lumière que l’on recevait naturellement.
Dans son discours de remise de prix, le jury de la Queer Palm a justement souligné la dynamique des personnages qui sont soit aveugles à la lumière qui les entoure ou qui au contraire se dirigent pleinement vers elle. C’est une formulation dans laquelle vous reconnaissez votre film?
Tout à fait. Ce n’est pas pour rien que le film se clôt sur une séquence qui est d’abord filmée dans un canal particulièrement étroit avant d’aboutir vers un horizon de plus en plus vaste où l’on a enfin l’impression de pouvoir respirer. Ce n’est pas non plus pour rien que le film porte ce titre : le village où nous avons tourné se trouve littéralement à trois kilomètres de la mer, c’est donc littéralement la fin des terres, mais il s’agit aussi bien entendu d’une métaphore. Je voulais dire par là que si l’on continue à agir comme les personnages qui entourent le protagoniste, on court droit à la fin du monde. J’ai parfois l’impression qu’à force de racisme, d’homophobie et de xénophobie, on n’est plus qu’à quelques minutes près de la troisième guerre mondiale. Le monde a besoin de paix. La Terre est un endroit si merveilleux. La région où se déroule l’action est un coin de paradis mais par leur méfiance de toute différence, les gens en font un vrai enfer, et c’est pareil partout dans le monde. Je ne sais pas pourquoi on ne peut pas vivre ensemble malgré nos différences.
Le récit de 3 kilomètres a beau être claustrophobe et angoissant, vous filmez énormément la nature. La majeure partie du film est paradoxalement filmée en extérieur, dans de espaces très ouverts.
C’est la même idée. On souhaitait délibérément aborder cette surprise-là. Je voulais montrer un lieu qui ressemble au paradis, un lieu qui inspire immédiatement la paix, dans lequel tous les spectateurs auraient envie de vivre sereinement. Je voulais qu’on soit encore plus choqué par l’attitude des personnages, qui en font un enfer sur terre. Je voulais des plans très larges qui viennent contraster avec l’étroitesse d’esprit des personnages. Je ne parle pas forcément que des habitants de cette région, car c’est hélas partout pareil sur la planète. Ce village n’est qu’un exemple parmi d’autres de notre humanité. Si j’avais filmé cette histoire sur la côte française, thaïlandaise, américaine ou vietnamienne, j’aurais pu y trouver des coins de paradis que la bêtise humaine transforme en enfer. Dieu nous offre le paradis et nous on gâche tout.
Je sais bien qu’on ne peut pas changer l’humanité avec juste un film, un livre ou une chanson, mais cela peut néanmoins pousser les gens à réfléchir, et même beaucoup. Qui sait, peut être qu’avec vingt ou trente ans de recul, un film peut permettre de faire évoluer les choses. Je suis déjà heureux de pouvoir faire un cinéma qui soulève de telles questions.
Le récit débute par une agression homophobe, et le reste du récit s’attache davantage au réactions de l’entourage de la victime plutôt qu’à cette dernière, et ce décalage a étonné plusieurs spectateurs lors de la première du film à Cannes. Comment avez-vous trouvé votre équilibre idéal sur la place donnée au seul personnage queer de cette histoire ?
De deux choses l’une. Je ne fais pas partie de la communauté LGBT et j’ai su dès le départ que je n’avais pas la légitimité de m’exprimer à la place d’un personnage queer. C’est un point de vue que je ne peux pas prétendre exprimer, je n’aurais jamais osé aller sur ce terrain-là et parler à la place des personnes directement concernées. Ce que je connais en revanche, c’est la partie de la société à laquelle j’appartiens, et croyez-moi je la connais très bien. Je ne voulais pas parler à la place de la communauté queer mais la moindre des choses que je pouvais faire était de l’écouter. J’ai beaucoup échangé avec mes amis queer et j’ai beaucoup discuté avec Ciprian Chiujdea (l’acteur principal du film) qui est ouvertement gay. Leur ressenti sur le scénario était plus que précieux, il était indispensable. Il m’aurait été impensable de faire jouer à Ciprian quelque chose qu’il n’aurait pas trouvé juste ou qui l’aurait dérangé. Je connais les homophobes, je sais jusqu’où ils peuvent aller, je tenais donc à ce que Ciprian me dise jusqu’où le film pouvait aller sans nuire à la communauté queer.
Je suis un homme très croyant (il montre des tatouages de croix sur ses avant-bras, ndlr), mais j’ai tout à fait conscience que les institutions religieuses peuvent gâcher la vie des gens. Dans notre pays, ces instituons sont gangrenées par plein d’anciens membres de la Securitate et des politiciens très conservateurs, c’est la merde. Il faut en parler pour que les choses changent.Il y a deux ans, la télévision roumaine a passé un reportage sur la corruption financière de l’Eglise, et quatre millions de personnes l’ont regardé, sachant qu’on est quinze millions d’habitants.
Vous et moi portons tous les deux des lunettes, je rêve d’une société où être homosexuel ait aussi peu de conséquences que de porter des lunettes. Ce serait une société idéale. Mais en attendant, il faut pouvoir aborder les problèmes, même si c’est quelque chose qu’on me reproche. Je ne souhaite pas non plus m’approprier le combat et le vécu des autres. Mon film ne prétend pas être un exposé sur la particularité du vécu queer en Roumanie et comment notre société devrait évoluer sur ce sujet précis. Je ne serais pas légitime pour cela. Le sujet du film est davantage la normalité : qui décide ce qui est normal ou non ?
Est ce que cela vous convient si l’on dit donc que, contrairement aux apparences, l’homosexualité ou l’homophobie ne sont pas exactement le vrai sujet du film?
Ce n’est pas le sujet, en effet. Vous savez, je considère que la forme d’amour la plus pure et la plus puissante est l’amour qu’un parent ressent pour son enfant, que ce soit chez les animaux ou les humains L’amour devrait être inconditionnel par définition. Comment cette dimension inconditionnelle pourrait être remise en question dès que l’on se retrouve face à quelque chose qui dépasse notre confort? Comment peut on en arriver à des situations où notre place dans la société, ce que pensent nos voisins de nous, peut devenir plus important que l’amour pour nos enfants ? Il y a des gens qui peuvent visiblement comprendre que leur enfant vole, viole, violente d’autres personnes, et ils peuvent même continuer à l’aimer. Mais dès que leur enfant leur révèle quelque chose qui dépasse leur entendement, cet amour peut à peine survire.
Pas besoin que ce soit quelque chose d’extrême, d’ailleurs. Quand j’ai annoncé à mon grand père que je voulais devenir acteur, ça l’a tellement sidéré que j’aurais tout aussi pu lui annoncer que je partais vivre sur la lune. Il y a beaucoup de choses à améliorer dans la manière dont nous vivons ensemble. Comme je le disais hier soir lors de la première roumaine du film, je pense que nous allons dans la bonne direction. Là où j’ai des doutes en revanche, c’est sur la vitesse à laquelle nous y allons.
Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 21 juin 2024 pour Le Polyester
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