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La Fille d’Albino Rodrigue

LA FILLE D’ALBINO RODRIGUE

Film de Christine Dory -France – 1h30

Avec Emilie Dequenne, Galatea Bellugi, Philippe Duquesne

Une ado de 16 ans, placée dans une famille d’accueil qui, alors qu’elle vient passer ses vacances chez ses parents biologiques, découvre que son père a disparu sans que sa mère ne semble pouvoir donner une explication convaincante. Récit à suspense, ce deuxième long développe surtout une relation mère fille où l’ambiguïté et les mensonges de la première – à l’amoralité passionnante car rendant impossible à deviner jusqu’où elle peut aller dans la banalité du mal – poussent la seconde à une émancipation à marche forcée. Deux personnages à l’écriture ciselée portés par un duo de comédiennes étincelantes : Emilie Dequenne et Galatea Bellugi. C’est un terrible fait divers criminel qui a inspiré ce drame fiévreux… Une atmosphère inquiétante et étrange plane sur ce drame à la Dardenne, saisissant et remarquablement interprété. Un film passionnant qui tient en haleine jusqu’au bout…

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Burning Days

BURNING DAYS de Emin Alper – Turquie – 2H08 – VOST
 
Burning days Derrière la colline (sorti chez nous en 2013). On sait que le cinéma d’Emin Alper est traversé par la question des limites du repli sur soi, et le cinéaste turc fait à nouveau preuve d’un talent certain pour traduire cela par l’utilisation des décors (les paysages sont ici ceux d’un western, un no man’s land rocailleux et claustrophobe au pied des montagnes). Film noir en forme de métaphore du néo-fascisme et des ravages de la pensée conservatrice, Burning days est son film le plus ouvertement politique à ce jour.
Quand Emre rencontre pour la première fois les élus locaux, ce n’est pourtant pas un gouffre qui l’attend. Il est au contraire reçu avec une connivence masculine au zèle excessif. En ce sens, la séquence la plus cinglante du film ne se trouve pas dans son dénouement mais dans sa mise en place : une longue scène de dîner arrosé de raki où les codes de la fraternité masculine passent progressivement de l’humour au malaise puis à la terreur. Une variation de registre virtuose, portée par des comédiens excellents (peu d’acteurs peuvent se vanter de jouer si justement l’ivresse contre laquelle on lutte)…

L’élégance et l’intransigeance morale d’Emre le rendraient presque hautain, mais ses allures de grand garçon sensible sont déjà suffisantes pour le rendre louche aux yeux des rustres locaux. Dans ce coin de Turquie comme dans plein d’autres régions du monde, pour être intégré à la communauté des gaillards (Emre demande même à un moment « mais il n’y a pas de jeunes filles dans cette ville ? »), il vaut encore mieux être accusé de viol que d’être soupçonné d’« immoralité ». Alors que la tension continue de monter, Emre est autant prié d’accepter les pots-de-vin pour oublier cette histoire de gouffre que de prouver sa virilité en démentant les rumeurs qui courent déjà sur lui, comme par exemple celle d’être « la coqueluche des lieux de perditions » selon l’euphémisme cinglant employé par l’un des personnages.

Le mot homosexualité n’est pas prononcé une seule fois dans le film. Il y a pourtant une tension homoérotique flagrante qui nappe les face-à-face (pourtant filmés comme dans un western, voilà un décalage queer à la malice appréciable) entre Emre et le journaliste Murat, lui aussi mal vu des potentats locaux, mais le film ne confirme ou ne concrétise délibérément pas cette piste. Lors de la première mondiale du film au Festival de Cannes, certains observateurs occidentaux s’interrogeaient justement sur ce qu’ils interprétaient comme une trop grande pudeur, mais c’est prendre le film sous le mauvais angle. Burning days n’est pas un film sur l’homosexualité, Emin Alper utilise plutôt l’homophobie comme l’une des expressions de la haine de la différence. Il fait de la masculinité forceuse (celle qui s’impose dans les espaces publics et privés, celle qui transforme l’angoissant parcours d’Emre en vraie chasse aux sorcières) le symbole d’une pensée fascisante qui se cache derrière le respect des traditions. Un gouffre prêt à avaler des villes entières.
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La dernière Reine

                                                                                                                                                             LA DERNIERE REINE                                                     

Ecrit et réalisé par Damien Ounouri & Adila Bendimerad – Algérie/France – 1h53  –                                                                                                      Avec Adila Bendimerad, Dali Benssalah, Nadia Tereszkiewicz, Tahar Zaoui, Imen Nouel…

Péplum arabo-andalou, fresque flamboyante, tragédie grecque, drame shakespearien… Adila Bendimerad et Damien Ounouri ont fait le pari de réaliser un grand film d’aventure historique, rareté absolue dans le cinéma algérien ! Et le pari est réussi, La Dernière reine se suit avec un grand plaisir et une non moins grande curiosité.

Nous sommes en 1516. Le royaume espagnol s’est emparé de nombreux points stratégiques du littoral nord-africain pour assurer sa sécurité maritime. Comme Oran, Alger est sous sa domination.
Quand le pirate Aroudj Barberousse et ses mercenaires débarquent et libèrent la ville de la tyrannie de Charles Quint, le roi Salim at Toumi, émir d’Alger  (très augustement campé par Tahar Zaoui), décide de faire alliance avec lui malgré tout ce qui les oppose. L’émir est raffiné, érudit, soucieux des traditions et des coutumes de son peuple, le pirate est machiavélique, avide de puissance et prêt à toutes les trahisons. Sur le mode d’un film de cape et d’épée, il découlera de cette alliance toute une succession d’évènements qui tiendront le spectateur en haleine.

Quand l’émir est brutalement assassiné, Barberousse s’apprête à prendre tous les pouvoirs et imposer son ordre avec force et fracas. Mais une femme va lui tenir tête : la reine Zaphira, seconde épouse du souverain défunt, bien décidée à ne pas abandonner le royaume. Des couloirs feutrés du palais aux falaises escarpées dominant la mer Méditerranée, commence alors un combat où se mêlent bouleversements personnels et manigances politiques, domination masculine, oppression familiale et alliances tribales…
La réalisatrice, visiblement fascinée par  la mythique Zaphira, lui prête ses traits et son interprétation habitée, jusqu’à l’entreprise de conquête et de séduction conduite d’abord avec éclat, puis avec de plus en plus de délicatesse et de subtilité, par le chef des pirates.

Fière, altière, animée d’une intraitable force de caractère, d’une intelligence vive et d’un charme singulier, la reine Zaphira est un grand personnage comme le cinéma les aime. Est-elle un mythe ou une réalité historique ? Personne ne le sait vraiment, les historiens eux-mêmes s’interrogent sur l’existence de cette « dernière reine »… Tant mieux, puisqu’à partir de ce mystère peut pleinement se déployer toute la fantaisie d’une fiction baroque et romanesque à souhait, mêlant la « grande » et la « petite » histoire, la destinée d’un peuple et celle d’individus plus ou moins extraordinaires.

– Critique d’UTOPIA –

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About Kim Shoe

Sohee aime tant danser.Cette lycéenne coréenne au caractère bien trempé se verrait bien star de K-pop et, devant la glace, elle répète inlassablement une chorégraphie en se filmant avec son téléphone portable. Mais, il faut bien préparer l’avenir, et le professeur principal de son lycée technique est si fier de lui avoir dégotté un stage de formation dans un centre d’appels téléphoniques…

Alors, Sohee pénètre dans ce local sans âmes où une kyrielle de toutes jeunes femmes sous-payées, casque sur les oreilles, sont sensées empêcher les clients de résilier leur abonnement internet, mais passent surtout leur temps à encaisser les injures de leurs interlocuteurs. Sohee n’est pas assez efficace, son manager parle de déshonneur devant les mauvais résultats du centre, et voilà qu’il se suicide, laissant une lettre aux accents de lanceur d’alerte…Le visage de la lycéenne se ferme, de plus en plus insondable, sous le joug des pressions et de l’humiliation. Quitter ce stage ou bien se déshumaniser pour devenir rentable et ne pas décevoir ses proches : le dilemme est intenable et personne, y compris sa meilleure copine ne voit arriver le drame…

Inspiré d’un fait réel qui a bouleversé la Corée, ce film est un coup de maître, et un coup de poing d’autant plus spécial que la jeune réalisatrice opte pour une mise en scène à l’élégance cotonneuse. Elle radiographie ainsi tout un système, qui tue littéralement la jeunesse sous prétexte de performances. Techniques de persuasions, objectifs insoutenables, concurrence toxique et accords de confidentialité imposés par le siège de l’entreprise : la première partie du film est glaçante de précision et de tension psychologique. On suffoque comme cette gamine qui pourrait être notre fille ou notre sœur, dans cette entreprise dont le nom Human & Net ressemble à un ignoble gag dont la mâchoire se referme sur sa proie, avec la complicité du monde scolaire, lui-même soumis à des objectifs et des classements.

La force du film réside aussi dans sa manière de se plier, après le drame, en une deuxième partie : une enquête où  la première héroïne laisse la place à une autre, Oh Yoo-jin, inspectrice de police butée qui, au sens propre va marcher dans les pas de la jeune Sohee. Elles s’étaient croisées, quelques minutes, sans le savoir, au début de l’histoire. L’adolescente n’est plus là, mais reste cette adulte qui cherche obstinément un pourquoi à la tragédie  et refuse que Sohee s’efface des mémoires. La solitude, cette flic à l’air de bien la connaître également, et elle non plus ne manque pas de caractère, interpellant (et même giflant!) ces hommes qui participent à l’horreur du système. Vertige : dans une autre réalité, la jeune Sohee aurait pu vieillir sous les trais d’Oh Yoo-jin…

Avec ces deux personnages magnifiquement incarnés par Kim Si-eun et Doona Bae (vue récemment dans les bonnes étoiles, du japonnais kore-eda), la réalisatrice July Jung fond deux visages féminins en un seul, inoubliable : celui du combat contre l’ultralibéralisme assassin.

 

Critique de Guillemette Odicino – Télérama.

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Showing Up

Un film de Keilly REICHARDT

 

Avec : Michelle Williams, Hong Chau, Maryann Plunkett…

USA – 1h48 – VOST

Après le très réussi First cow (2020), succès modeste mais attesté dans les salles françaises, Showing up marque la réunion de la cinéaste avec son actrice fétiche Michelle Williams, qu’elle dirige pour la quatrième fois, témoin d’une collaboration féconde enfin célébrée dans le plus bel écrin du cinéma mondial..

Le synopsis est court mais résume bien le peu de motifs réunis dans ce film extrêmement minimaliste. Lizzie est une artiste, elle sculpte des personnages dans la glaise, pour ensuite les cuire, jouant sur les couleurs et la matière pour créer une galerie bigarrée qui fait penser à un art primal pré-colombien aux prises d’un syncrétisme chrétien célébrant des madones.

Toute l’histoire se résume dans le regard porté sur les gestes de Lizzie. Quand elle ne sculpte pas, Lizzie rend visite à ses parents, notamment à ce frère joué par John Magaro, sublime personnage de First cow, qui apporte son humour froid et décalé pour autant de ruptures de ton qui permettent de repousser le temps d’une parenthèse le sérieux de la sculpture et de l’organisation du vernissage de l’artiste.

Michelle Williams incarne cette plasticienne bourrue, dans la plainte constante, que ce soit vis à vis de sa famille ou de sa logeuse, remplie de la tension qui précède une exposition à fort enjeu. Peu expressive, comme résignée face aux aléas qui peuplent son quotidien, on pense à cette eau chaude qui lui manque cruellement, elle se révèle être une sorte de clown blanc entrainant l’humour à son corps défendant, entre l’agacement et l’absurde de scènes toutes simples sans aucun effets particuliers

La métaphore de la cuisson des sculptures est aussi éloquente : on ne sait jamais ce qu’il va ressortir de ces tentatives, le résultat s’imposant de lui-même sans qu’on puisse tout prévoir, dans une logique du hasard belle et enthousiasmante.

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lAlma Viva 10eme film de la programmation

ALMA VIVA

De Christèle Alves Meira, 1H28, film français, portugais et belge

 Avec Lua Michel, Ana Padrao, Jacqueline Corado

 Alma viva est une Histoire simple et âpre, elle se déroule dans un village du Portugal niché au creux des montagnes : les hommes l’ont quelque peu déserté, les femmes y ont du caractère, les croyances la vie dure, le verbe de la truculence.

Alma Viva est un film profond, cocasse et direct qui appelle un chat un chat, montre les cadavres dans les cercueils, les viscères des poissons (pêchés par explosif), les corps nus des vieilles dames durant la toilette.

Alma viva est un film aux contours énigmatiques qui parvient à réunir en un seul geste le trivial et le spirituel, la rudesse du quotidien et l’éclat joyeux d’une chanson. Dans ce tableau où règnent le désordre et un équilibre précaire, la violence des sentiments et des coups de sang ne porte guère à conséquence, l’humour venant chaque fois dévier le drame

Une petite fille nous y guide : Elle se nomme Salomé (admirable Lua Michel, propre fille de la réalisatrice)) et, comme chaque été, elle passe ses vacances dans la maison familiale de sa grand-mère. Ici, au milieu des montagnes, la vie semble immuable, les querelles entre voisins se prolongent d’une année sur l’autre. Silencieuse et sérieuse observatrice, la gamine circule au milieu de ce petit monde, sans trop se faire remarquer. Le spectacle de ce théâtre du quotidien l’interroge autant qu’il la construit, l’occupe et la tourmente un peu – surtout les croyances sur les morts et leurs esprits.  La mort soudaine de la grand-mère (qualifiée de sorcière) va réveiller les vieilles rancœurs au sein du village, et dans la famille. Au milieu des disputes, qui émaillent la préparation des obsèques, la petite fille se sent hantée par l’esprit de cette grand-mère, elle voit ce que les autres ne voient pas, crée un dialogue entre visible et invisible, se fait à son tour traitée de Sorcière et finit par trouver sa propre voie.

Peinture d’un village portugais a la croisée des légendes et des croyances, Alma Viva est une ode à la vie.

D’après la critique du Monde, lors de la sortie du film à la Semaine de la critique à Cannes en 2022

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Le Capitaine Volkonogov s’est échappé

LE CAPITAINE VOLKONOGOV S’EST ÉCHAPPÉ

Film russe de Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov-2022-2h05-VOST

Avec Yuriy Borisov, Timofey Tribuntsev, Nikita Koukouchkine, Alexandre Yatsenko, Natalya Krudiashova…

1938. Union soviétique. Depuis août 1936, les purges staliniennes font rage. Aux commandes de la saignée, tapi au fond de son bureau de la Loubianka, quartier général de toutes les polices politiques soviétiques puis russes, de la Tchéka à l’actuel FSB en passant par le NKVD puis le KGB, prison de sinistre mémoire russe où furent enfermés, torturés et exécutés des milliers de prisonniers, Lejov multiplie arrestations arbitraires, tortures et exécutions sommaires. C’est alors le NKVD, le Commissariat du peuple aux Affaires intérieures, qui officie. Une vague d’extermination hors-normes, la Grande Terreur d’août 1936 à novembre 1938, qui exige des hommes aux nerfs d’acier et peu enclin au vague à l’âme. Parmi eux, le jeune capitaine Volkonogov, la vingtaine musculeuse, crâne rasé, un sourire d’ange sur une gueule de Spetsnaz. Ni meilleur ni pire que ses condisciples. Sauf que les purges, c’est comme les révolutions : elles finissent souvent par dévorer leurs propres enfants. L’ambiance devient vite pesante au sein de l’unité du capitaine. C’est d’abord le suicide par défenestration du commandant Gvozdev, le supérieur de Volkonogov, puis un camarade convoqué qui ne revient pas de sa pause-déjeuner, puis un second, et Volkonogov, qui connaît la maison, sait qu’il sera le prochain. La loyauté au Parti ayant ses limites, il s’enfuit sans autre plan que celui de sauver sa peau, pour une heure, pour un jour, pour une semaine de plus, avec une espérance de vie plus maigre que celle d’un Zek… Pris immédiatement en chasse, le capitaine court à travers Leningrad, après avoir dérobé un de ses dossiers contenant 98 fiches de condamnés. Il a eu une vision : s’il veut aller au paradis, il doit obtenir le pardon des proches des victimes qu’il a tuées. Méthodiquement, il se rend à chaque adresse, où bien évidemment il n’est pas franchement bien accueilli. L’acteur trentenaire Yuriy Borisov, déjà vu dans Compartiment numéro 6, joue ici une partition difficile : celle d’un homme suffisamment naïf pour penser qu’il pourrait être absout des atrocités qu’il a commises…

Ce film difficile, à l’atmosphère étrange, aux tons rouges comme les tenues flamboyantes des agents du NKVD, comme les murs de briques des façades décrépites des arrière-cours et des usines fatiguées, aux accents orwelliens, est interdit dans la patrie de Vladimir Poutine…

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Toute la beauté et le sang versé

                        TOUTE LA BEAUTÉ ET LE SANG VERSÉ

Film américain de Laura Poitras-2022-documentaire-1h53-VOST-

Lion d’or à la Mostra de Venise 2022-meilleur film documentaire au festival international du film de Stockholm 2022.

Avec Nan Goldin…

Tout comme l’avait fait 120 Battements par minute de Robin Campillo, le film s’ouvre sur les images d’une intervention d’activistes dans une salle du Met, un des plus grands musées new-yorkais. Puis il effectue un retour sur la vie de Nan Goldin à travers ses œuvres et ses luttes. Née en 1953 à Washington, Nancy Goldin connaît une enfance malheureuse face à des parents conformistes et dépassés. Sa grande sœur est placée en institution et se suicide. Marquée par ce drame, elle quitte sa famille très jeune. À quinze ans elle s’initie à la photographie, poussée par un de ses professeurs. Nan Goldin fait face à sa vie et aux divers milieux dans lesquels elle évolue sans jamais baisser les yeux. Ses photos prises sur le vif documentent le milieu underground new-yorkais à partir des années 1970 : drogue, prostitution, mouvements gay, travestis et lesbiens, violence conjugale, crise du Sida au cours de laquelle disparaissent nombre de ses amis. Ses œuvres sont aujourd’hui présentes dans les plus grands musées du monde. Rendue célèbre par son projet The Ballad of Sexual Dependancy (1979-1986), chronique des rapports amoureux, immersion crue dans son intimité et celle de ses proches, composée de plus de huit cents diapositives projetées en boucle et accompagnées de musique, Nan Goldin n’a jamais eu besoin de personne pour se mettre en scène et montrer ce que les États-Unis passaient sous silence : drogue, prostitution, œil au beurre noir après coït, Sida… Dans les années 2010, elle connaît une période d’addiction à l’Oxycodone ou Oxycontin. Elle mène alors, dans le cadre de l’association P.A.I.N. qu’elle a fondée, des actions contre la famille Sackler, propriétaire de la firme Purdue Pharma, qu’elle juge responsable de la mort de nombre d’américains. Son combat aboutit au retrait du nom de la famille Sackler de plusieurs grands musées qui leur avaient consacré des salles ou des ailes entières pour les remercier de dons importants. Pour la première fois, la photographe de 69 ans confie un bout de sa vie à une autre : Laura Poitras. Cette documentariste bostonienne de dix ans sa cadette mène une critique radicale de la société grâce à ses indéniables qualités d’investigation. Ce documentaire présente donc ce combat de Nan Goldin depuis 2017 contre les opioïdes aux États-Unis, où ces médicaments ont rendu les américains dépendants. On estime le nombre de décès à plus de 500 000 morts aux États-Unis…

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Sur l’Adamant

SUR L’ADAMANT

De Nicolas Philibert

Documentaire

France 2022 1H49

Ours d’or  Berlin 2023

           

La péniche Adamant, amarrée rive droite de la Seine, en plein coeur de Paris, est un centre de soins , tout de verre et de bois, de 650m2…Il s’agit d’un centre psychiatrique de jour, destiné aux patients sortant d’hospitalisation, et ayant besoin d’un encadrement spécifique avant leur retour à la vie en société avec  des repères, et des pratiques qui leur redonnent confiance : ateliers, réunions, simples discussions quotidiennes….

Il en ressort une «ébullition» que le film restitue sans chercher à la structurer artificiellement. On y découvre l’imagination des uns, les talents artistiques des autres, mais aussi leur humour et leur sensibilité, leur poésie et leur vulnérabilité qui nous renvoie à la notre.

Cet établissement flottant met patients et soignants dans le même bateau! au sens propre et figuré…L’eau qui entoure ce lieu de transition apporte un apaisement , une ouverture, une lumière.

La caméra de Nicolas Philibert n’est jamais intrusive, et cherche toujours à équilibrer la relation entre celui qui est regardé et celui qui observe. Elle donne la parole aux patients et établit avec eux une relation privilégiée. Ceci permet aux filmés de s’offrir au regard extérieur, et aux spectateurs d’accéder à la personnalité et à la dignité de chacun. Il n’y a aucun commentaire ni mise en contexte. Ce film est le premier d’une trilogie consacrée à la psychiatrie.

Nicolas Philibert réalise des documentaires depuis 1978, et a été surtout  connu du public après son film Etre et Avoir qui filmait la vie quotidienne d’une classe unique dans un petit village du massif central, film sorti en 2002 et multiprimé, mais aussi La maison de la radio en 2012, et De chaque instant en 2018 décrivant l’apprentissage d’élèves infirmiers.

D’après «La Gazette Utopia».

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Chili 1976

       CHILI 1976 de Manuela Martelli – Chili – 1h35  – VOST                                                                                                     Avec Aline Kuppenheim, Nicolas  Sepulveda, Hugo Medina, Alejandro Goic    

1976, soit trois ans après le coup d’État qui, avec l’appui des États-Unis, a renversé le gouvernement du Président Salvador Allende et porté Augusto Pinochet à la tête du CHILI, la junte militaire tient le pays en coupe réglée. Interdiction des syndicats et des partis politiques, couvre-feu, abolition de la liberté de la presse, censure, traque des opposants… La limitation drastique des libertés individuelles, l’instauration d’une dictature féroce sont le terreau sur lequel peut fleurir le fameux « miracle » chilien, qui fait le bonheur et l’admiration des chantres de la libéralisation à marche forcée de l’économie. La bonne bourgeoisie chilienne, qui en est la principale bénéficiaire, s’accommode fort bien d’un régime musclé qui, au nom de la lutte contre le communisme, intensifie la répression contre ses opposants, arrêtés, exilés, torturés ou exécutés.

Carmen (remarquable Aline Küppenheim), fait partie de ces privilégiés qui vivent plutôt bien sous Pinochet. Mère et grand-mère comblée, fière épouse d’un chirurgien renommé, catholique sincère, elle regarde sans vraiment la voir la violence d’État qui s’exerce à tous les coins de rue. Comme elle côtoie sans vraiment la comprendre l’opposition qui tente de s’exprimer, aussitôt muselée, réprimée. Pour l’heure, sa principale occupation consiste à superviser les travaux d’aménagement de sa résidence secondaire en bord de mer. Là, à l’écart du bruit et de la fureur de la capitale, vont et viennent ses enfants et petitsenfants, pour d’insouciantes retrouvailles familiales, tandis qu’elle consacre son temps libre à ses bonnes œuvres aux côtés du brave curé de la paroisse. Lequel brave curé lui demande un beau jour de prendre soin avec lui d’un jeune homme, grièvement blessé, qu’il héberge en grand secret. Toute dévouée à sa morale chrétienne et en cachette de sa famille, Carmen prend en charge le garçon, dont le prénom n’est vraisemblablement pas le prénom,dont l’histoire n’est sans doute pas exactement celle que lui a contée le prêtre. Et à son contact, elle commence à entrevoir l’envers du décor du « miracle » chilien.

Écrit et réalisé comme un polar intimiste (daprès le récit autobiographique dune grand-mèrechilienne), le film de Manuela Martelli brosse, avec délicatesse et une belle palette de nuances, le portrait de Carmen – et à travers elle celui du CHILI de ces années-là. Par petites touches, la réalisatrice raconte les ambiguïtés, les antagonismes d’une bonne société pour qui la peur-panique du communisme a justifié l’instauration d’un État d’urgence et permet toutes les exactions – mais se marie difficilement avec les préceptes de l’Église. Laquelle est violemment partagée entre une hiérarchie réactionnaire proche du pouvoir militaire et une base, prêtres, curés, largement gagnée au courant de pensée de la théologie de la libération – dont, sans que ce soit formellement dit, le curé de village qui « embrigade » Carmen serait une représentation. Tout en subtilité, le film évite adroitement l’écueil du drame psychologique et moralisateur en utilisant les codes du thriller, musique entêtante, suspense, rares et efficaces effets de surprise. Il oscille ainsi entre moments de tension intense et description sociale minutieuse, pour raconter l’histoire d’une femme qui s’éveille sur le tard aux réalités qui l’entourent, alors que son pays tout entier va durablement étouffer sous une chape de plomb. Un portrait de femme, profond et délicat, qui va acquérir, dans la douleur, une conscience politique.                                                                                                                        

Les années 1970-1980 ont beaucoup inspiré le cinéma chilien (Tony Manero, No…) mais passeulement (on se souvient de Colonia réalisé par Florian Gallenberger).                                                                      

                                                                                            Critique dUTOPIA

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