Leyla Bouzid

BOUZID_Leyla_2015_NB1984  à Tunis

Tunisie

Réalisatrice, scénariste

A peine j’ ouvre les yeux (2015), Une histoire d’amour et de désir

Entretien avec Leyla Bouzid autour du film Une histoire d’amour et de désir.

  • Vous présentez le film en parlant du souhait de mettre en scène un personnage masculin timide. D’où est née cette envie ?

L.B. : « Je crois que c’est né du manque de représentation et de récits autour de ce type de personnages. J’ai l’impression qu’il n’y a pas de récit d’apprentissage au masculin, ni de récit d’émancipation, comme si les hommes naissaient prêts à tout. »

  • À l’inverse d’Ahmed, les personnages féminins sont plutôt déterminés avec de fortes personnalités : Farah, la petite sœur d’Ahmed… Comment vous percevez cette jeune génération féminine ?

L.B. : « Je ne vais pas prendre en charge les mots de la petite sœur qui dit que les hommes sont un peu fragiles, mais je pense que les femmes peuvent être globalement plus matures par rapport au sentiment amoureux, à sa complexité. Elles ont commencé la transition vers une forme d’égalité : assumer leur désir, l’exprimer… Les hommes n’ont pas encore peut-être tous pris ce train-là, ou ils ne savent pas quelle est leur place. Plein d’hommes sont très romantiques mais ne savent pas, ou n’osent pas, le montrer. Le film propose d’être ce qu’on est et non pas d’être assigné à ce qu’on est supposé être. »

  • Déconstruire les codes de la féminité et de la masculinité…

L.B. : « C’est ça, aller contre cette idée que la virilité doit être ostentatoire, sans doutes, sans mystère, sans sensualité.

  • Finalement, dans le film, aucun personnage masculin n’incarne ces codes, tous vont montrer une forme de fragilité ou de questionnement.

L.B. : « Le film déjoue plein de choses attendues mais pas pour le principe de les détourner. Il me semble que ça correspond à des réalités plus complexes. On a tendance à poser des personnages déjà vus, qui ne sont pas justes en réalité. Quand on s’interroge sur chaque ancrage on se dit « mais pourquoi ne réagirait-il pas comme ça ? » Et on sort du schéma préétabli. »

  • Le film évoque aussi le rapport entre Paris et ce qui vient d’ailleurs (de la banlieue ou de l’étranger). Il n’y a pas d’opposition frontale des Parisien(ne)s dans le film, contrairement à ce qu’avance Ahmed : c’est un autre cliché à déjouer ?

L.B. : « Ahmed vient de banlieue mais c’est son lieu de vie, un lieu qui pour lui n’est pas conflictuel, pas problématique. Il en a les codes, il les maîtrise et est plus à l’aise dans son corps là-bas qu’à Paris. Paris, pour lui, c’est avant tout marqué par la distance : c’est loin. Il y a une frontière invisible. Et c’est surtout un lieu dont il n’a pas les codes. Ce n’est pas forcément que les autres le rejettent mais que lui ne sait pas comment il doit être là, donc il est sur la défensive, comme on le voit au début du film. De là, il peut facilement tomber dans le piège que lui désigne la professeure qui est de correspondre à ce que des gens attendent de lui. On ne voit pas d’opposition directe mais le film fonctionne davantage sur l’intériorité du personnage. »

  • Pour lui, Paris est aussi la ville de l’amour. Comment avez-vous choisi les lieux où Ahmed emmène Farah ?

L.B. : « Ça oscille entre des lieux que j’aime beaucoup, du côté de Belleville, qu’on voit lors du premier rendez-vous, et ensuite des choses plus classiques avec une balade du quartier Mouffetard/Monge jusqu’aux quais et à l’île St-Louis et l’île de la Cité. Ce sont des lieux mythiques mais un peu moins filmés que la tour Eiffel. »

  • L’autre « personnage », c’est la littérature. C’est aussi un film sur l’écrit : comment transmet-on du texte à l’écran de façon vivante ?

L.B. : « C’est un énorme défi de mise en scène. Filmer la littérature, la poésie, ce sont des choses difficiles. C’était un énorme travail de réflexion et de discussion avec le chef opérateur Sébastien Goepfert. Comment rendre l’érotisme des mots ? Il faut transposer, du texte aux images qui font partie de l’imaginaire. Il y a une attention particulière à la matière, au contact du papier du livre, à l’écriture, à l’encre. J’ai la chance d’avoir eu deux acteur/trice qui ont des voix sublimes et qui savent lire un texte et lui donner corps de manière quasi charnelle, le rendre déjà vivant. »

  • Il y a cette scène fantasmée avec la plume qui court sur le corps d’Ahmed. Comment est né ce plan ?

L.B. : « J’avais l’idée très tôt, dès le scénario, qu’il y avait une scène d’écriture sur le corps d’Ahmed, mais c’était plutôt de la calligraphie qui se transformait en une sorte de cauchemar pour montrer que cette fille le hante et qu’elle lui fait peur.  Et en fait en préparant le film ça s’est dépouillé progressivement. Alors que la calligraphie a beaucoup de place dans le film, l’idée de la calligraphie sur le dos est devenue juste une ligne. L’image m’est apparue très forte, d’une plume qui commence par écrire et s’enfonce et devient quasiment un scalpel. Quand une image aussi forte nous arrive, on sait que c’est la bonne. »

  • Il y a un autre plan très marquant, quand la caméra tourne autour d’Ahmed assis seul sur un trottoir. La solitude est vue du dessus…

L.B. : « Je me demandais comment montrer qu’il est dans une solitude extrême et démuni. L’idée de ce plan était un petit point dont on s’éloigne. Ce qui est drôle, c’est qu’on a eu besoin pour ce plan d’une grue un peu importante. D’habitude quand on convoque une grue c’est pour faire des scènes d’action spectaculaires. Et nous on utilise la grue juste pour filmer un mec qui s’assoit, qui fait la gueule plus ou moins, et on tourne autour de lui. C’était assez déroutant pour les techniciens qui gèrent la grue, ils avaient du mal à saisir le but de ce plan. Il y a une forme d’inversion dans cette rotation. C’est une espèce de rime visuelle qui alimente la trajectoire d’Ahmed. »

  • Pour revenir à la littérature, comment avez-vous choisi les textes cités et lus ?

L.B. : « C’était un immense travail, car je ne connais pas tout ce qui existe. J’ai choisi que l’amour courtisan soit représenté par Majnoun Leïla qui est une œuvre très importante que toutes les personnes de culture arabe connaissent, un peu comme Roméo et Juliette. Cette œuvre a un statut presque mythique, ça devient une expression de dire de quelqu’un d’amoureux « tu es le fou de Leïla ». Je trouvais ça important de s’y intéresser, d’autant que ça a inspiré le titre d’Aragon [Le fou d’Elsa], une chanson de Clapton, et il faut montrer qu’il y a dans notre culture des résonances qu’on ignore aujourd’hui en France. Après j’ai choisi d’aller vers ces manuels d’apprentissage érotique très ludiques, surprenants, modernes et d’opposer les deux. Là-dedans s’est inséré aussi Ibn Arabi, qui a été beaucoup lu par Baudelaire et a écrit 600 livres. C’était aussi un savant, un spécialiste du soufisme et de l’élévation. Choisir les œuvres a été un gros travail, qui dépendait des résonnances avec Ahmed et de l’émotion que me procuraient les textes. »

  • Je voulais aussi qu’on dise un mot de la musique du film avec ce thème très singulier plein de cuivres.

L.B. : « Lucas Gaudin, qui a fait la musique, n’avait jamais composé de musique de film. Je l’ai contacté en sachant que c’était un très bon saxophoniste qui compose très bien, des choses un peu expérimentales. Je lui avais écrit au sujet de la scène où les personnages le croisent sous la Seine, et il m’a envoyé ce morceau qu’il avait composé. Ça correspondait exactement à ce à quoi j’étais en train de réfléchir pour la musique du film. Je voulais quelque chose de très sensoriel, qui soit une espèce de voix intérieure d’Ahmed, qui passe par un instrument organique. Ce morceau était une évidence pour moi, et l’acteur l’a beaucoup écouté pour inspirer son jeu. J’ai demandé à Lucas s’il voulait essayer de faire la musique du film, et il m’a envoyé plein de choses pendant que je tournais. On a commencé à monter le film avec ces sons et quelque chose s’est déployé entre l’image et la musique. Il a été vraiment habité par la trajectoire d’Ahmed et a fait de la musique un alter ego du personnage masculin. »

Merci à Leyla Bouzid pour cet échange délicat à l’image du film.

Entretien avec la réalisatrice Leyla Bouzi autour de « A peine j’ouvre les yeux »

Le film se déroule sous l’ère Ben Ali, mais l’écriture et le tournage se sont faits bien après son départ. Comment votre travail évoluait-il au gré des moments historiques et cruciaux traversés par la Tunisie ?

Quand la révolution a eu lieu, il y a eu une grande volonté de la filmer et de la représenter. De nombreux documentaires ont été réalisés à ce moment là, tous remplis d’espoir, tournés vers l’avenir. J’ai eu, moi aussi, cette envie forte de filmer. Mais filmer ce qu’on avait vécu et subi : le quotidien étouffant, les pleins pouvoirs de la police, la surveillance, la peur et la paranoïa des Tunisiens depuis 23 ans. La révolution (ou révoltes, les points de vue divergent) surprenait le monde entier mais elle ne venait pas de nulle part. On ne pouvait pas, d’un coup, balayer des décennies de dictature et se tourner vers l’avenir sans revenir sur le passé. C’était une évidence pour moi qu’il fallait aborder le passé rapidement, tant que le vent de liberté soufflait encore. Comme la plupart des Tunisiens, mon euphorie était forte au début, puis les phases d’enchantements et de désenchantements n’ont fait que se succéder. Pour le film, je ne souhaitais pas que les différentes émotions liées à l’actualité m’influencent. Mon curseur était d’être uniquement guidée par la cohérence du parcours émotionnel des personnages au moment de l’histoire racontée. Il s’agissait d’être le plus juste possible dans la fiction et son ancrage contextuel et historique.

Est-ce que vous avez eu conscience de ce nouveau resserrement des libertés pendant le tournage ? Aviez-vous peur en voyant comme « ressurgir » l’époque Ben Ali sous l’œil de votre caméra ?

J’avais surtout conscience qu’il fallait faire le film rapidement, tant qu’il était encore temps, et qu’il était important de filmer la peur que les Tunisiens ressentaient sous l’ère Ben Ali…

Mémoriser les aspects de ces années dont on ne voulait plus, en conjuration du risque de les voir revenir rapidement. Pendant le tournage, je remarquais que beaucoup avaient déjà oublié ce que c’était de vivre sous Ben Ali. Quand je disais aux figurants : « là, il y a un silence lourd », parce que sous Ben Ali on ne pouvait pas entendre de telles choses sans avoir peur, certains avaient du mal à le reconstituer. Les gens ont perdu leurs réflexes de l’époque et la mémoire de la peur et de la paranoïa. Cet oubli, vu sous un certain angle, n’est pas forcément une mauvaise chose. Comme si c’était vraiment derrière nous. En revanche, il faut se battre contre l’amnésie et l’oubli. C’est un des rôles du cinéma.

Vous parlez des craintes face au système policier mais il existe par ailleurs une menace terroriste qui pèse sur la Tunisie. Pourtant, la religion est totalement absente du film.

On est avec des jeunes qui bouillonnent, qui s’activent, qui veulent faire leur musique, des concerts, vivre leur art. Le fait religieux n’est pas au centre de leur vie. C’est cette jeunesse énergique et créative que j’avais envie de filmer. Une jeunesse qui se bat au quotidien par son existence même et dont on parle rarement. Les seuls qui ont un droit de parole dans les médias sont ceux qui se replient dans l’extrémisme et la violence. Il me semble important de dire qu’il y a aussi une autre jeunesse portée par la vie, lui donner une voix à travers Farah, montrer qu’elle est muselée par une terreur qui émane du système. Il y a d’autres formes de terreur que le terrorisme.

Farah cherche à exister en tant qu’individu, à poser sa voix. Nous connaissons « Le peuple tunisien », le « Nous », la Nation… Mais quelle place au « je » ? A quel prix existe-t-on en tant qu’individu libre en Tunisie ? Avez-vous dû payer ce prix ? Qu’y a-t-il de vous en Farah ?

Le film pose la question : comment, en Tunisie, se défaire de la famille, de la société et du système ? L’énergie que cela nécessite, les résistances que cela provoque et la violence que cela peut engendrer. On suit le parcours de Farah qui a une soif de vivre, elle existe pleinement, envers et contre tous et pour cela, elle est punie, écrasée. Je crois qu’en Tunisie on paye tous un prix, qu’on soit artiste ou pas. Et ce, à un moment ou un autre de son parcours, au niveau intime, familial, social, scolaire. Dans la société tunisienne, soit on fait des concessions, soit on se heurte à quantité d’obstacles. L’histoire du film n’est pas autobiographique même s’il y a quelques situations que j’ai vécues : celle de découvrir qu’un ami proche, qui fréquentait le même club de cinéma que moi, était un indic de la police. Une personne qui était présente pour nous surveiller, nous infiltrer. Cela a été un choc très fort, j’ai réalisé à ce moment là à quel point nous étions encerclés et qu’on ne pouvait se fier à rien ni personne. En ce qui concerne Farah, elle est très différente de moi. Farah est plus impulsive et spontanée que je ne le suis, je n’aurais jamais été capable d’aller aussi loin qu’elle. Elle a cette chance d’être animée par une sorte d’innocence et de courage, elle n’a pas intégré les limites qui bloquent toute initiative, elle est tel un électron libre.

Vous avez choisi la chanteuse Ghalia Benali pour le rôle de la mère, et offert un premier rôle à Baya Medhaffar, l’héroïne. Comment ce choix a-t-il été vécu par les deux actrices ?

Ghalia était très surprise que je la contacte pour le rôle de la mère d’une chanteuse. Au début, elle était presque vexée. Finalement, quand elle a lu le scénario, elle était emballée. Il y avait en Hayet des choses de sa propre mère et ça l’enthousiasmait de l’incarner. La présence de Ghalia a beaucoup apporté au film : elle a été un soutien important pour Baya. Elles avaient une belle complicité, un rythme propre à elles deux. La dernière scène du film est d’ailleurs inspirée par la première rencontre des deux actrices. Ghalia a chanté pour encourager Baya à chanter devant elle. Baya s’est mise à chanter petit à petit avec elle. Elle était tellement émue, qu’elle avait des larmes qui coulaient sur ses joues tout en souriant. C’était très intense et d’un coup, ça devenait évident que c’était la fin du film. Pour le rôle de Farah, il fallait une jeune fille de 18 ans, très libre, prête et capable d’incarner ce rôle qui nécessitait de chanter et de jouer. C’est un rôle difficile pour quelqu’un de novice. J’ai fait un casting très long ; pendant plus d’un an, j’ai rencontré énormément de filles, certaines à de nombreuses reprises. Baya s’est présentée assez tôt mais je n’étais pas sûre, j’ai énormément douté. Le choix était difficile et on peut dire que Baya s’est vraiment battue pour arracher le rôle. Elle le voulait absolument, elle adorait le personnage et n’avait aucun souci de censure ou d’interdit. Elle est d’ailleurs, plus libre encore que Farah, plus explosive. C’est une fille qui a une liberté exceptionnelle. C’était très précieux pour incarner le rôle et c’est ce qui m’a convaincue.

Vous filmez les bas-fonds de Tunis, sa vie nocturne notamment, les bars, les trains, des lieux très masculins, vous y entrez avec les yeux d’une femme… Puis vous allez jusqu’à l’arrière-pays, notamment le bassin minier, où des décors de poussière viennent rompre le cadre urbain mouvementé.

Il y a une frontière qui cloisonne ces lieux et je ressens la nécessité de la briser et la possibilité de le faire. Concrètement, pendant le tournage, c’est la scène où Hayet rentre dans le bar qui a été la plus délicate. La figuration était constituée de vrais clients d’un bar mal famé. A chaque fois qu’on refaisait la prise, la comédienne devait de nouveau entrer dans le bar et à chaque fois, c’était une épreuve. Les hommes, pourtant figurants, la détaillaient d’une manière insistante, quasi-obscène, sans qu’on le leur demande. D’ailleurs, toutes les femmes présentes dans l’équipe ressentaient la pression exercée par ce regard. J’ai tenu à filmer les espaces tunisiens, avec l’atmosphère réelle qui y règne, les véritables personnes qui y travaillent ou y circulent, fidèle à la réalité. Le train de banlieue, les bars, la gare routière, sont filmés de manière documentaire. Il s’agissait d’injecter la fiction du film dans ces lieux tellement vivants, grouillants de la ville… Jusqu’aux mines poussiéreuses de phosphate, haut lieu de la résistance sous Ben Ali… Les ouvriers y jouent leur propre rôle. Dans le film, cette scène crée une rupture, permet de prendre du recul par rapport à l’histoire, une sorte de zoom arrière qui tend à dessiner une cartographie du pays. Se rappeler que les paroles des chansons viennent de loin, que l’impression d’étouffement est profonde, enfuie sous plusieurs strates sociales. C’est un hommage à ces ouvriers (aujourd’hui toujours en conflit avec le pouvoir), évoquer que c’est d’abord leur résistance qui a préparé le pays à se soulever. Celle-ci avait commencé dès 2008, bien avant l’acte devenu célèbre de Bouazizi.

La musique, dans le film, est le vecteur d’une forme de résistance. L’Irakien, Khyam Allami en est l’auteur.

La musique, la danse, sont des exutoires qui ont toujours existé dans la culture populaire tunisienne. Le « Mézoued » musique tradi- tionnelle, les danses, les fêtes dans les mariages, sont un véritable spectacle d’intensité et défoulement pour les gens. Aujourd’hui, il y a l’émergence d’une scène de rap tunisien, issue des quartiers pauvres. C’est un véritable refuge pour certains et une résistance forte qui parvient à toucher un grand nombre. L’Etat a manifestement très peur de ces rappeurs contestataires, puisqu’il les combat et les arrête pour ce qu’ils clament dans leurs chansons. La musique était le grand défi de ce film. Non seulement trouver une actrice qui chante mais former un groupe, composer la musique, écrire les chansons. J’ai pensé parfois que ce serait impossible. J’ai rencontré énormément de musiciens, mais on ne parvenait pas à s’entendre. Et puis un jour, par hasard, j’ai été à un concert à Paris et j’y ai découvert un groupe dont la musique m’a transportée : « Alif Ensemble ». Khyam était l’un des cinq musiciens, issus de différents pays arabes (Liban, Egypte, Palestine, Irak). Et puis son énergie, sa formation, ressemblait à ce que je voulais. (Leur premier album est sorti le 4 septembre 2015.) Puis, j’ai découvert que le luthier du groupe était Irakien et avait vécu les trois dernières années en Tunisie, il parlait le tunisien, connaissait les lieux où je voulais tourner, les dessous de la vie des jeunes, Baya… Après cela, tout est allé très vite et très simplement. On était sur la même longueur d’onde, je faisais mon casting en le consultant, on a formé le groupe ensemble… Il a composé les chansons pour la voix de Baya, il les a fait répéter pendant des semaines entières avant que le tournage commence. Ça les a soudés. La musique nous a tous emballés. Le tournage des scènes musicales, avec la performance live du groupe, était de véritables moments d’exaltation pour toute l’équipe. Pour les paroles, j’ai travaillé avec un ami de longue date, Ghassen Amami, qui travaille aussi dans le domaine du cinéma. Chaque chanson devait procurer une sensation particulière en fonction du moment où elle apparaissait dans le film; elles avaient chacune une fonction dramaturgique. Certaines chansons ont été écrites d’un jet, d’autres ont nécessité plusieurs allers-retours. Les textes sont très ancrés dans la Tunisie d’aujourd’hui.

Votre film a été projeté au festival international du film de Venise, peu de films arabes ont eu ce destin. Puis il est extrêmement rare en Tunisie de réaliser son premier long métrage à 30 ans…

C’est vrai que je trouve dommage que le cinéma arabe ne bénéficie pas d’une visibilité plus large. Pourtant, il est important qu’il émane de nos pays, autre chose que l’extrémisme religieux : faire découvrir ceux qui résistent, qui rêvent, qui créent ; montrer qu’il y a d’autres voix, d’autres références possibles… J’espère que ce passage à Venise aura permis au film une plus grande visibilité. Je suis en même temps impatiente de montrer le film dans mon pays. Je suis curieuse de voir ce qu’il va susciter, quelques controverses probablement… mais j’espère surtout qu’il va toucher un public de jeunes qui ne se retrouvent pas toujours dans le cinéma tunisien. J’ai eu trente ans au lendemain du tournage, je pense que le film parle de ma génération… C’est vrai que c’est assez rare en Tunisie de réaliser un long métrage aussi jeune. Mais il y a beaucoup d’autres films de jeunes réalisateurs en préparation ou en post-production actuellement, je crois qu’on est à une étape de renouvellement de notre cinéma.

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