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Madame
MADAME
De Stéphane Riethauser–Suisse-1h34. Documentaire
Avec Stéphane Riethauser et sa grand-mère.
Le cinéaste milite pour les droits des personnes LGBTQI+ (voir plus bas dans ce texte *). Dans ce film il fait résonner son parcours intime, il est gay, en construisant un dialogue posthume avec feu sa grand-mère dont il a des films de famille. Sa grand-mère était une femme drôle et indépendante, forte personnalité qui avait su s’émanciper d’un monde très conservateur. Et cette grand-mère a joué pour lui un rôle essentiel pour qu’il évolue alors qu’il avait été un adolescent haineux envers les femmes et les homosexuels. Il ne s’épargne pas, archives à l’appui.
Un docu singulier, « Madame », qui, au-delà du portrait d’une riche Suissesse senior, consiste en un journal intime du réalisateur, manière de raconter comment sa grand-mère et lui, chacun à leur façon, ont composé, louvoyé, bataillé avec les normes de leur milieu. (Elle par Thomas Jean)
Dans son documentaire Madame, Stéphane Riethauser revient avec finesse et un œil généreux sur la figure de sa grand-mère, une femme drôle et indépendante, libre et forte, qui fut aussi mariée de force à 15 ans avec un homme qui la violait. (20 Minutes par Aude Lorriaux)
Plus qu’une autofiction, construite à partir d’images d’enfance et d’adolescence, Madame est une sorte d’éducation sentimentale moderne, où le héros, Stéphane, apprend à devenir lui-même autour de la figure tutélaire de sa grand-mère. Un film comme un enchantement. (aVoir-aLire.com par Laurent Cambon)
Ce documentaire, qui fait dialoguer une grand-mère pas comme les autres et son petit-fils pas comme tout le monde, est d’une beauté exceptionnelle. Car les images ne sont jamais directement commentées: elles parlent d’elles-mêmes pour ouvrir la discussion bien au-delà de ce qu’elles montrent. (Bande à part par Hava Sarfati)
La voix off du réalisateur dont le commentaire ne vise pas à nous raconter une histoire (à cela les images suffisent), mais plutôt à interroger la façon dont se définissent ou se contrarient un genre et une identité. Le parti pris a pour vertu d’éclairer d’une lumière plus dense et plus profonde les vies et les personnages ayant réellement existé auxquels le film (et non l’album photo, comme on pouvait le craindre) rend honneur sans ostentation. Avec une grâce et une tendresse qui vont droit au cœur. (Le Monde par Véronique Cauhapé)
*Utilisé depuis les années 90, le sigle LGBT englobe les termes « lesbien » (L), « gay » (G), « bisexuel » (B) et « trans » (T). Cet acronyme a évolué au fil du temps, notamment pour inclure d’autres orientations sexuelles et identités de genre, tels que « queer », qui correspond aux personnes ne se reconnaissant pas dans les identités hétérosexuelles et cisgenres (individus qui s’identifient au genre attribué à leur naissance).
Si les anglo-saxons ont adopté le sigle LGBTQQIP2SAA afin de regrouper de multiples identités de genre et orientations sexuelles, l’utilisation la plus courante en France reste LGBTQ, auquel on ajoute le signe + pour inclure les nombreuses autres variations de genre (il en existe plus de 50).
Mais depuis ces dernières années, il n’est plus rare de lire LGBTQI+. Le « I » fait référence aux personnes intersexes, c’est-à-dire nées avec des organes génitaux ne pouvant être considérés ni comme « masculins » ni « féminins » aux yeux de la société. En France, on estime qu’environ 200 bébés naissent intersexes chaque année. ( Extraits de Relaxnews publié par LADEPECHE.fr le 29/06/2020)
Kajillionaire
KAJILLIONAIRE
30 septembre 20203 / 1h 44min / Comédie, Drame
De Miranda July / USA.
Avec Evan Rachel, Gina Rodriguez, Richard Jenkins…
Theresa et Robert ont passé 26 ans à former leur fille unique, Old Dolio, à escroquer, arnaquer et voler à chaque occasion. Au cours d’un cambriolage conçu à la hâte, ils proposent à une jolie inconnue ingénue, Mélanie, de les rejoindre, bouleversant complètement la routine d’Old Dolio.
Miranda July (la réalisatrice) dresse un parallèle entre les Dyne et une secte, même si elle reconnaît que chaque famille en est une à sa manière. « Chaque famille a ses propres codes. Et je crois qu’à un moment donné, on constate tous, autant que nous sommes, que nous avons des modes de fonctionnement qui nous appartiennent, même s’ils ne sont pas les plus répandus au monde. C’est une prise de conscience qui permet d’avancer dans la vie ». Elle poursuit : « les enfants se retrouvent dans une position intenable. D’une certaine façon, ils sont les membres les plus soumis de la secte puisqu’ils grandissent en son sein et qu’ils n’ont jamais rien connu d’autre. Mais il leur appartient aussi de quitter le nid, ce que les membres d’une secte ne sont pas censés faire. Cette trahison inévitable fait partie intégrante de la structure familiale ».
L’histoire d’amour entre Mélanie et Old Dolio se déroule de manière naturelle, sans que leur orientation sexuelle ne soit interrogée ou évoquée ouvertement. Privilégiant les non-dits, Miranda July développe : « La toute première image dans mon album Kajillionaire était celle d’une femme aux longs cheveux et d’allure coriace. À certains égards, Old Dolio est l’archétype d’une idole de cinéma – du genre taiseux et fort. Si son identité peut sembler ambivalente ou mystérieuse en un sens, une femme très belle et d’une indiscutable féminité tombe amoureuse d’elle et cette attirance réciproque est éloquente et, au fond, on n’a pas besoin d’en savoir plus.
“Tour à tour fou, tordu, tordant, bouleversant, Kajillionaire délaisse la comédie sociale sarcastique pour finir par un romantisme incongru qui tient du coup de théâtre et de la résolution magnifique d’une histoire jamais attendue…” dixit le Dauphiné Libéré.
5 nominations au Festival de Deauville 2020
Fin de siècle
2019 Argentine
Réalisé par Lucio Castro
1h24
avec Juan Barberini, Ramon Pujol, Mía Maestro
Jacques Morice de Telerama :
Un bel Argentin de New York arrive seul à Barcelone, pour quelques jours de vacances. Il flâne, observe le monde alentour et fait la rencontre d’un Espagnol qui vit à Berlin. Chacun a un compagnon par ailleurs. Ils passent une nuit torride ensemble. L’alchimie est parfaite, mais ils se quittent le lendemain. Ellipse : on les retrouve une vingtaine d’années auparavant. Ils sont les mêmes et un peu différents. Ils font connaissance. Est-ce un rêve, un souvenir ?
Lucio Castro réalise là un premier film lumineux, faussement simple, qui joue de manière audacieuse avec trois temporalités. Cru dans les scènes de sexe et délicat dans ses dialogues, le film est une captivante divagation. Où les personnages se confient des choses intimes souvent profondes sur le désir, la peur du sida, l’érosion ou la consolidation du couple, la paternité. On dirait parfois du Hong Sang-soo gay.
Jeremy Piette de Libération :
On a craint une millième romance tarte à la crème avec son lot d’abdos au sommet. On n’avait pas tout à fait tort, ni tout à fait raison. Fin de siècle, du cinéaste Lucio Castro, prix du jury du festival Chéries-Chéris l’an dernier, raconte l’histoire du bel Ocho, un Argentin vivant à New York qui s’offre quelques jours de vacances à Barcelone. Là, il croise le chemin de Javi, Berlinois d’origine barcelonaise de passage dans sa famille. Tous deux se font la cour, parlent, puis font l’amour, puis parlent encore, de leur rapport au couple (Ocho vient de mettre sur pause une relation de vingt ans afin de lutter contre le train-train quotidien), comme de l’homoparentalité (Javi est père).
Regards
On se demande combien de temps ça va se sourire comme ça, se toucher, montrer de la fesse, car Fin de siècle possède un peu les atours aseptisés des films queer aux implacables modèles irradiants sertis de regards ténébreux, qui vont laisser affleurer à la surface de leurs paroles ce qu’il faut de joie, de tolérance et d’ouverture d’esprit vapeurs green tea. Si, pour la diversité des corps, on repassera (ou on ira chez Alain Guiraudie, au choix), on reste en tout cas pour le basculement, de la narration et des attentes, car Ocho se souvient d’avoir déjà rencontré Javi. On passe alors dans un autre temps, il y a vingt ans exactement, où les deux personnages ne semblaient d’ailleurs pas vraiment plus jeunes et batifolaient déjà. Puis un autre temps encore où ce sont eux, finalement, le couple avec enfant. C’est assez déboussolant, comme des espèces de voyages spatio-temporels délicats, où les deux hommes unis par un fil invisible en viennent à se voir, et s’appréhender, sous plusieurs angles.
Lieu pivot
Souvent ça part d’un étourdissement d’Ocho sur son balcon, qui ne sait plus dans quelle vie il se trouve, tandis qu’il bascule déjà vers la suivante, et de ce lieu pivot le film joue de recommencements perpétuels où les cartes comme les terminologies de l’amour sont continuellement rebattues. C’est là, la force de Fin de siècle, sa capacité à nous emmener avec un seul et magnifique couple à travers diverses histoires, où la sexualité et le rapport à l’autre sont constamment menacés par le temps qui passe, ou exacerbés via l’éphémérité. Si bien que jamais Ocho et Javi ne se quittent vraiment, ils touchent à un peu d’éternité, et c’est assez grisant.
Never, Rarely, Sometimes, Always
NEVER RARELY SOMETIMES ALWAYS
Un film d’Eliza HITTMAN
Etats-Unis, Grande-Bretagne – 1h35
Avec Sidney Flanigan, Talia Ryder, Théodore Pellerin…
L’américaine Eliza Hittman a déjà réussi à réaliser des films à première vue très archétypaux,mais par la finesse de son écriture et la sensibilité de sa mise en scène,elle donne le sentiments de regarder ces sujets-là pour la première fois.
C’est à nouveau le cas ici avec Never Rarely Sometimes Always.
Elle décrit le poids terrible que l’on fait peser sur les épaules non seulement des femmes mais des jeunes filles. Son sujet central est fort,et la réalisatrice confie que les embuches à l’avortement outre-atlantique sont devenues encore plus grandes entre les prémices du projet et son exécution. Lorsque la cinéaste s’attarde sur le voyage qu’effectue Autumn et sa cousine Skylar, c’est parce qu’il est réellement question d’un périple, d’une mini-odyssée pour que cette jeune femme puisse, aux Etats-Unis, avorter dans de bonnes conditions.
On traverse un décor rural jusqu’à la mégapole,et aussi un décor émotionnel.La caméra d’Hittman, via son excellente directrice de la photographie Hélène Louvart, est une caméra de proximité.
Celle-ci colle au plus près de ses personnages et de leurs émotions ;chez Hittman, les sentiments sont autant traduits par l’écriture et l’interprétation que par la caméra .New York n’est qu’ un magma lumineux tandis que la caméra reste proche de ses héroïnes . Cette fuite se fait en secret et dans le silence qui va avec. De même, la complicité entre Autumn et Skylar se passe de dialogues explicatifs – cette intimité, cette sonorité là n’ont pas besoin d’être articulées.
La caméra a le sens inouï du détail,comme lorsque lors d’une échographie on promet à Autumn d’entendre le son le plus magique,celui de son futur bébé,et que la jeune femme détourne le regard.
L’avortement est une dure vérité comme l’indique le titre d’une vidéo sensationnaliste anti-IVG qu’on lui diffuse.Mais la dure vérité qu’Hittman film est tout autre.Lors d’une scène centrale qui fait basculer le long métrage,Autumn se rend dans un centre où elle doit répondre à un QCM dont les réponses donnent son titre au film (jamais,rarement,souvent,toujours).La séquence est d’abord froide et procédurale,mais quelque chose se fissure : ce moment de cinéma est aussi tétanisant qu’émouvant.Voilà une remarquable richesse émotionnelle chez une cinéaste qui parvient à nous faire partager l’expérience de la solitude en même temps que l’expérience de la chaleur humaine : un mélange rare et extrêmement précieux.
Un film aussi poignant qu’utile à quelque mois de la présidentielle, qui résonne comme la nécessité pour tout un pays riche de se poser les questions de la place qu’il veut faire aux femmes, aux enfants et à ses classes moyennes.
Josep
Un adolescent plutôt doué en dessin râle et soupire à l’idée de garder, tout un après-midi, son grand-père malade et alité dans un vieil appartement plein de souvenirs. Mais, entre deux somnolences, « grand-père Serge » se met à raconter à son petit-fils une histoire folle, pleine de rebondissements. Celle de sa rencontre, à la fois douloureuse et lumineuse, avec un dessinateur, dans un contexte qui, quatre-vingts ans plus tard, continue à lui faire honte. Février 1939 : Barcelone est tombée, Franco a gagné, et cinq cent mille réfugiés fuient la dictature dans le dénuement le plus complet pour trouver refuge dans une France qui les juge indésirables. Bon nombre de ces républicains espagnols, anarchistes ou communistes, sont parqués par le gouvernement français dans des camps de concentration, en proie à la faim, la maladie, la xénophobie et la violence galonnée. Dans un de ces camps, Serge, jeune gendarme, se lie d’amitié, au-delà des barbelés, avec Josep Bartoli (1910-1995), combattant antifranquiste et dessinateur.
Josep n’est pas un film d’animation, mais un grand film dessiné. Pour son premier long métrage, Aurel, lui-même dessinateur pour Le Monde et Le Canard enchaîné, célèbre la force, incoercible, du dessin politique — et dédie d’ailleursJosep à Tignous, assassiné lors de l’attentat de Charlie Hebdo. Aidé de son scénariste Jean-Louis Milesi (compagnon de route de Robert Guédiguian), Aurel fait revivre une période occultée de l’Histoire (la Retirada) et rend hommage à Bartoli, grand peintre travaillant sur la mémoire. Le résultat ne cesse d’étonner et de bouleverser, grâce à sa narration puissante et à son esthétique composite. Le récit du gendarme Serge et de ses efforts pour aider son ami et ne plus collaborer à cet enfer fusionne ainsi avec les traits sombres, rageurs et virtuoses, de Josep, témoignant, jour et nuit, sur papier, du quotidien du camp. Le talent de caricaturiste d’Aurel s’impose, dans la trogne de porc d’un ignoble gardien ou la douceur d’un tirailleur sénégalais philosophe qui obéit aux ordres en attendant l’heure de la vengeance. Soudain, au noir tragique des corps décharnés des prisonniers succèdent le pastel, l’orange flamboyant et le bleu maya d’un ciel où Frida Kahlo, future maîtresse de Bartoli, fait figure d’apparition pleine de vitalité.
Car le film vibre aussi du feu, quasi sensuel, de la résistance, comme lors de ces séquences de réunions clandestines, où les hommes et les femmes du camp chantent, dansent, et inventent un jeu de loterie pour trouver un partenaire d’un soir. Josep, lui, se contente de caresser le portrait qu’il a fait de son aimée, perdue pendant l’exode. Et voilà la belle de papier qui ferme les yeux sous sa caresse… « Et alors ? », demande sans cesse le petit-fils de Serge, happé par cette histoire où un homme apprend le courage pour en sauver un autre. Alors, l’humanisme est une aventure inoubliable, qui mène, par exemple, jusqu’au Mexique. De ce Josep recommandé à tous les publics, beaucoup d’images resteront gravées, mais on en retient une en particulier : deux amis à la vie à la mort repeignant, en compagnie de Frida Kahlo, la façade d’une hacienda avec des couleurs éclatantes. Insolentes comme l’espoir. (Critique de Guillemette Odicino, Télérama).
Le film fait partie de la Sélection Officielle Cannes 2020.
EMA
De Pablo Larrain-Chili-1h42-VOST
Avec Marianne Di Girolamo, Gael Garcia Bernal, Santiago Cabrera, Paola Giannini, Cristian Suarez.
Drame romance avec des scènes de danse
Ema s’avère une œuvre déroutante où la superbe mise en scène stylisée magnifie les scènes de danse, invitant à une transe salvatrice.
Pablo Larrain s’appuie sur un récit complexe qu’il faut construire soi-même à partir de scènes.
Ema est une jeune danseuse, mariée à un chorégraphe de renom. Elle est hantée par l’échec de l’adoption de leur fils. Le film se déploie dans l’après d’un drame dont on recompose peu à peu les éléments.
Ema et Gaston ont décidé d’adopter un petit garçon, Polo. Lorsque l’enfant met le feu à leur maison, causant de graves lésions au visage de la sœur d’Ema, le couple décide de le rendre aux services sociaux.
Cet échec va plonger Ema dans une quête de réagencement du monde selon ses propres désirs. Elle va faire voler en éclat le couple, le patriarcat, la famille, les institutions sociales et l’école où elle enseigne.
Pablo Larrain, cinéaste chilien, n’a de cesse depuis 15 ans, de constituer une filmographie très personnelle et enivrante. De Santiago 73, Post Mortem à Jackie en passant par No, El Club ou Neruda, Pablo Larrain multiplie les coups de maitre avec un style audacieux et fascinant. EMA est son 8 ème long métrage.
La Femme des Steppes, le Flic et l’Oeuf
LA FEMME DES STEPPES, LE FLIC ET L’OEUF
De Quanan Wang – Mongolie – 1h40 – VOST
Avec Dulamjav Enkhtaivan, Aorigeletu, Norovsambuu Batmunk
Une bergère se révèle en aidant la police à surveiller un corps trouvé dans la steppe. Dans la Mongolie sauvage, un portrait marquant de femme libre.
Tout commence par la découverte, brutale et incongrue, d’une femme nue dans les hautes herbes de la steppe mongole. Elle est morte, c’est la nuit, rideau. Le lendemain, la police inspecte les lieux, bien embêtée : le téléphone ne passe pas, il va falloir retourner en ville chercher l’équipe scientifique — c’est un meurtre — et laisser un flic monter la garde auprès du corps, pour lui éviter de finir dévoré par un loup. La mission de surveillance échoit à un bleu, à qui l’on adjoint une bergère armée d’un fusil…
Ce point de départ, dont l’étrangeté et l’humour ne déplairaient pas aux frères Coen, n’annonce aucun programme. Polar ? Romance ? Allez savoir. Imprévisible, le scénario laisse les portes grandes ouvertes, à l’instar des plans extra larges décidés par le réalisateur : dans la première partie du film, les personnages, parfaitement audibles, sont réduits à d’infimes silhouettes découpées sur l’infini du panorama. Impossible de distinguer un visage ! On les approchera petit à petit, à commencer par la bergère, puisque c’est elle notre héroïne.
Quel âge a-t-elle ? Une trentaine d’années ? La femme des steppes a néanmoins l’impression d’être un « dinosaure », à vivre seule dans sa yourte sans électricité, au milieu de nulle part, avec ses moutons, ses vaches, son chameau et son flingue. Quand son ex-amoureux, fendant la bise sur sa moto, passe lui donner un coup de main, la cow-girl ne perd jamais une occasion de doucher ses ardeurs : « Je te dirai quand j’aurai besoin d’un mec ! » Entre eux, il y a de l’amour encore, mais, surtout, le regret de n’avoir pas d’enfant. On n’en dira pas plus, si ce n’est que le titre original de ce septième long métrage, Öndög, signifie justement « œuf ».
En 2007, le Chinois Wang Quanan racontait déjà une histoire de bergère moderne dans Le Mariage de Tuya, Ours d’or à Berlin. À la Mongolie Intérieure, il a cette fois préféré l’Extérieure, état indépendant échappant à la censure, et plutôt qu’une actrice professionnelle il a engagé une vraie bergère.
Enkhtaivan Dulamjav imprègne le film de sa liberté tranquille, regardée avec empathie par un cinéaste qui, s’il excelle à mettre en scène de petits corps humains dans la nature immense, ne se comporte jamais en entomologiste. On suit ainsi la vie de cette « femme des steppes », dans un environnement certes rustre, mais magnifié par le directeur de la photographie français Aymerick Pilarski, les images passant directement de l’écran à la mémoire…(critique de Marie Sauvion, Télérama).
Chongqing blues
CHONGQING BLUES
De Wang Xiaoshuai – Chine – 1H55 –VOST
Avec : Xueqi Wang, Fan Bingbing, Hao Qin
Les salles françaises mettent à l’honneur le réalisateur Wang Xiaoshuai, récemment acclamé pour son film So long, my son, en projetant pour la première fois Chongqing Blues, sélectionné à Cannes en 2010. Comme dans son dernier long-métrage, le réalisateur explore de manière bouleversante et avec beaucoup de profondeur les thèmes du deuil et de la parentalité. En toile de fond, toujours, une Chine en pleine mutation et en proie à ses contradictions.
Chongqing blues est un film sur l’absence, du père d’abord, puis du fils. Les deux hommes vivent cette expérience du manque en différé. Leurs destins se croisent et se répondent avec une certaine ironie.
On est immédiatement subjugué par la beauté des images de cette mégalopole chinoise, magnifiée par le réalisateur. Dès la séquence d’ouverture, on voit émerger au milieu de baraquements délabrés des gratte-ciel qui se fondent dans le brouillard. L’atmosphère dégagée par cette ville fantomatique renvoie à la mélancolie du père endeuillé. Elle est sublimée par des images à dominante bleue, couleur qui évoque la nuit, le passé et les lambeaux de souvenirs qui lui restent de son fils disparu.
La culpabilité grandissante du père, son désarroi face à une tragédie contre laquelle il ne peut plus rien, s’expriment de manière poignante au moyen de silences, longs et intenses, que le réalisateur exploite avec finesse. L’interprétation de Wang Xueqi, pleine de sobriété, donne une très grande force au personnage de Mr. Lin, qui refuse que ce fils qu’il n’a presque pas connu sombre dans l’oubli.
Le père s’efforce de faire revivre le passé, en mettant bout à bout les souvenirs qu’il recueille. Cette reconstitution génère parfois une certaine confusion, avec le risque de nous perdre un peu. Mr. Lin poursuit sa quête en interrogeant les amis de son fils et tente de s’en rapprocher, comme pour recréer par-delà la mort le lien qu’il a lui-même rompu quinze ans auparavant. Il se heurte cependant au regard de la jeune génération, fuyante et insaisissable, qui le renvoie à sa responsabilité.
Le réalisateur a choisi de filmer la ville en mouvement, caméra à l’épaule, avec relativement peu de lumière, afin que l’image reflète au mieux toute la richesse émotionnelle des acteurs.
Family Romance
Dans un jardin qu’on dirait éternel
Une jeune Japonaise apprend l’art du thé par hasard et découvre, au fil des ans, comment vivre l’instant présent. Une chronique simple et intense.
Un film japonais sur la cérémonie du thé… Un peu attendu ? La crainte du folklore exotique est vite balayée par la fraîcheur de l’héroïne, qui nous raconte son histoire de vive voix, comme si nous étions attablés avec ses copines, à la fac. Noriko a 20 ans et ne sait pas à quoi elle pourrait se consacrer. Entraînée par sa cousine Michiko, elle décide d’apprendre l’art du thé. Et les voilà qui pouffent devant la méticulosité de Mme Takeda (merveilleuse Kiki Kirin, disparue depuis le tournage) et l’incroyable précision de son enseignement. « Il faut que la tranche de vos petits doigts touche le tatami en posant la jarre d’eau. » Verdict des élèves : c’est très marrant, le thé.
En entrant pas à pas dans une vénérable tradition nippone, le réalisateur n’hésite pas à rendre instructive cette adaptation d’un roman de Noriko Morishita. Mais il n’y met aucun cérémonial. Il est du côté de ces jeunes filles, qui se confrontent avec insouciance à la sagesse de leur vieille enseignante. Elles ignorent ce qui comptera dans leur existence. Une cérémonie de la première bouilloire de l’année chasse l’autre, une décennie s’envole, et Noriko reste fidèle à son rendez-vous du samedi chez Mme Takeda. Sans pouvoir dire vraiment ce qu’elle en retire
Qu’est-ce que l’art du thé ? Un passe-temps ou un rituel sacré ? Cette interrogation court à travers le récit, qui montre à la fois le caractère précieux du breuvage et la fantaisie des réunions féminines auxquelles il donne lieu ici. Ce mélange raconte la vie, pareillement banale et précieuse à la fois. Le bonheur est de refaire les mêmes choses, apprend Noriko. Répéter les mêmes gestes pour faire infuser du thé ouvre, dès lors, de belles perspectives. Simplicité et raffinement dialoguent, légèreté et profondeur se répondent : voilà l’accord parfait