Sophie Lévy ( Méduse )


Sophie Levy débute comme assistante réalisatrice début 2000 sur des publicités et des longs-métrages. Après avoir réalisé deux courts-métrages, elle se lance dans la réalisation de clips au milieu des années 2000 et de films publicitaires, régulièrement primés. Méduse est son premier long-métrage. Le film est d’ores et déjà sélectionné dans 80 festivals dans le monde entier, et auréolé de plus de 45 prix.

« J’ai imaginé cette histoire sans vouloir lui donner de morale. Mes trois personnages ne sont ni bons ni mauvais, ils sont façonnés par ce qu’ils vivent et ce qu’ils ont vécu. Les blessures qu’ils ont subies au cours de leur existence ont toujours été le fruit du hasard ou accidentelles, le plus souvent causées par quelqu’un qui n’a pas voulu leur nuire… De ces
dommages collatéraux, de ces drames sans coupable dont mes personnages sont les victimes, que va-t-il advenir ?

Aussi, à travers leurs parcours, j’ai voulu mettre en lumière, la façon dont ces blessures intérieures les fragilisent et, à l’extrême, les chargent potentiellement d’une dangerosité qui pourrait tôt ou tard se retourner contre les autres.
Ce schéma psychologique se décline différemment selon les personnages: le handicap de Clémence qui rend Romane prisonnière du quotidien et du corps de sa sœur est le terreau
idéal de sa jalousie et de sa haine à l’égard de Clémence. Elle a renoncé à sa liberté pour s’occuper de sa sœur, mais comment pourrait-elle lui en vouloir alors qu’elle, elle est bien
portante et autonome ? Et, de la même manière, l’accident qui a laissé Clémence handicapée alors qu’il a totalement épargné sa sœur Romane présente une injustice terriblement difficile à accepter pour Clémence qui devient, de surcroît, totalement
dépendante de sa sœur valide. Mais comment pourrait-elle en vouloir à sa sœur alors qu’elle a mis sa vie entre parenthèses pour s’occuper d’elle ?

Les liens entre les trois personnages se tissent de la façon suivante : Romane espère, en rencontrant Guillaume, qu’elle pourra enfin faire sa vie et s’émanciper de la maison de sa grand-mère et de sa sœur handicapée. Guillaume, qui se sent coupable d’assister  trop souvent à la mort d’autrui sans rien pouvoir faire (dans son travail), voit en Clémence celle
par qui sa rédemption pourrait arriver : s’il parvenait à la sauver, à la ramener à la vie en la rééduquant, il se sauverait lui- même, rendant sa propre vie plus acceptable à ses yeux. Et Clémence, qui n’avait jamais voulu faire de progrès,craignant inconsciemment qu’en
devenant plus autonome, sa sœur ne la délaisse, retrouve suffisamment de confiance en elle (grâce à l’attention de Guillaume) pour réaliser de véritables progrès. Mais cette relation très forte qui se noue entre Guillaume et Clémence, où chacun se sauve à travers l’autre, devient insupportable pour Romane qui a l’impression que sa sœur est, une
nouvelle fois, en train de lui « voler » sa vie.
A l’arrière-plan se trame le mythe de Méduse. Même si mon film n’en est pas l’adaptation littérale, certains de ses thèmes principaux émergent dans mon histoire. Il y est dépeint par exemple la même mécanique psychologique : au moment où le sujet est frappé par le
sort, il devient une victime et simultanément un bourreau potentiel.
Ainsi, le mythe raconte comment la trop belle Méduse devient à la fois victime (quand elle est transformée en monstre avec des serpents sur la tête par Athéna) et en même temps bourreau (puisqu’elle a la malédiction de transformer en pierre quiconque croise son regard) ce qui l’oblige donc à rester cachée. Dans mon histoire, Clémence et sa sœur sont les deux faces de Méduse, qui vivent recluses dans leur maison (comme Méduse dans sa grotte). Le handicap de Clémence figure ainsi le côté monstrueux de Méduse, qui reste
cachée, à l’abri des regards (Romane cache d’ailleurs sa sœur quand elle reçoit ses invités ou quand elle commence à fréquenter Guillaume). Clémence (symboliquement : la part
blessée, châtiée de Méduse) ne doit pas croiser les regards…

La figure de Persée, qui, parée de son casque d’invisibilité, réussit à couper la tête de Méduse en la regardant, non pas dans la réalité, mais dans le reflet de son bouclier de bronze, trouve également un écho dans le personnage de Guillaume car c’est au moment où il disparaît qu’il provoque, par son absence, la « destruction » des deux sœurs (deux
faces de Méduse). Le fait que Guillaume soit pompier est aussi un clin d’œil au personnage  de Persée. Ils ont en commun d’être courageux, et de porter, dans l’imaginaire collectif, le fameux casque si déterminant dans l’histoire de Persée.
J’imagine aussi, dans le binôme des sœurs, une entité un peu effrayante qui, finalement, ne peut accepter aucun homme. Tout comme il y a une dimension castratrice qu’on retrouve dans certaines interprétations du mythe de Méduse –elle y est perçue comme une
représentation du sexe féminin qui terrorise les hommes au point de les transformer en pierre.
J’aime tout particulièrement des cinéastes comme Fassbinder, Bergman ou Cassavetes car ils ont la particularité de s’être intéressés aux femmes et de les avoir filmées avec sensibilité et force. Et finalement ce n’est pas si fréquent au cinéma… Lorsque j’étais enfant, je regardais souvent les westerns à la télévision, et je voyais toujours ces femmes qui recevaient les hommes dans les maisons entre deux scènes de bravoure, puis les hommes repartaient pour de nouvelles aventures laissant les femmes seules dans la maison… et je me suis toujours demandée ce qu’elles faisaient quand on ne les voyait plus, que se passait-il à l’intérieur de la maison ? Ce film est aussi une manière de répondre à
cette question… en restant à l’intérieur, et en observant les femmes quand les
hommes passent et aussi quand les hommes sont repartis. »
Sophie Levy.

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