Pour Mia Hansen-Løve, son film « Un beau matin » est « une façon d’apprivoiser la peur de la maladie »
Une fois de plus, Mia Hansen-Løve a écrit et réalisé un film aux accents autobiographiques, centré sur la maladie dégénérative qui a vu peu à peu disparaître son père. Elle a choisi Léa Seydoux pour interpréter le double d’elle-même : Sandra, une femme impuissante face à la dégradation progressive mais irréversible de l’état de santé de Georg (Pascal Greggory), autrefois professeur de philosophie. Dans cette souffrance partagée, Sandra est aidée par Françoise (Nicole Garcia), sa mère, et par Clément (Melvil Poupaud), un homme marié dont elle va tomber amoureuse.
Cette double intrigue mêlant le drame de la fin de vie et la passion d’une liaison interdite constitue pour la réalisatrice de 41 ans « une façon de montrer que la vie peut à certains moments nous confronter à des situations très opposées ».
franceinfo : « Un beau matin » aborde les affres et la tristesse de la maladie tout en mettant en scène la renaissance et le bonheur de l’amour. Pourquoi avoir choisi cette double lecture ?
Mia Hansen-Løve : Je ne pourrais jamais faire un film qui irait uniquement vers le côté sombre de la vie. Ce film essaie de rendre compte avec lucidité et transparence ce qu’il y a de tragique et d’irémédiable dans la maladie, et la souffrance qui en découle. Mais sa réalisation n’est devenue possible qu’à partir du moment où une autre idée est venue rencontrer celle-là. Cela vient de l’observation de la vie, qui ne penche jamais que d’un seul côté. La vie peut sembler parfois entièrement noire ou cruelle, mais il y a toujours quelque chose qui vient nous surprendre. C’est ça qui m’intéressait et m’inspirait. Certains cinéastes aiment bien enfoncer les spectateurs dans le malheur, parfois avec des résultats très forts. Mais moi, ce ne sera jamais mon projet de cinéma.
Vous racontez fréquemment des étapes de votre propre histoire à travers vos films. Comment est né le besoin de mettre en scène la maladie dégénérative de votre père ?
J’ai dû me résoudre à l’idée que je ne pourrais pas avancer sans m’être emparée de ce sujet. C’est comme si quelque chose s’était mis sur mon chemin. Quand je me projetais dans l’avenir, sur ce que je voulais écrire, il y avait ça qui s’imposait, qui revenait, qui me hantait. Je ne pouvais pas y couper. Il y a des films que j’ai décidé de faire, que j’ai désirés, comme Norman Island ou Eden, et puis il y a des films qui se sont imposés à moi, comme celui-ci.
Vous êtes vous retrouvée à travers l’interprétation de Léa Seydoux ?
Il y a une très grande force chez Léa. Elle incarne à la fois une présence éminemment féminine et en même temps, il y a quelque chose de presque masculin chez elle, une puissance, un magnétisme très fort. Je n’ai pas le sentiment de ressembler du tout à Léa, et quand je lui propose le rôle, c’est parce que je sais qu’elle a le talent pour faire le chemin jusqu’à ce personnage. Mais c’est aussi pour moi le désir de me libérer de ce que je suis et d’aller vers elle et ce qu’elle incarne. Il y a une émotion chez elle qui n’est jamais fabriquée ni artificielle. Je connais peu de comédiennes de sa génération en France qui en sont capables. C’est comme si elle avait en elle une tristesse qui vient naturellement et qui donne tant de vérité et de simplicité à son jeu. Elle a déjà une grande filmographie, elle a travaillé avec énormément de metteurs en scène, a beaucoup d’expérience… mais elle a gardé une innocence qui me bouleverse. Et ça n’a pas de prix.
Pascal Greggory joue avec beaucoup de justesse le rôle d’un homme qui perd peu à peu la vue, la mémoire et son esprit. Avez-vous été touchée par sa performance ?
J’ai trouvé Pascal sidérant de par son abnégation. Il s’est littéralement effacé pour laisser place au personnage. Dans le film, on oublie Pascal. On le doit à son humilité, à son écoute, à son attention pour la mise en scène et une confiance qu’il m’a accordée et qui nous a permis de travailler dans une entente parfaite, fusionnelle. Il était touché par ce personnage, il voyait au-delà de la maladie tout ce que ce Georg avait pu être, cet homme qui a été un intellectuel, délicat, pudique et mélancolique, et il a transmis tout cela de façon très subtile.
Avez-vous, vous-même, cette peur de vieillir ?
Plus que de vieillir, j’ai peur de la maladie. Pour avoir côtoyé de très près la maladie de mon père – et je sais que beaucoup d’autres maladies dégénératives lui ressemblent -, oui, je trouve ça terrifiant. Et faire ce film, c’est aussi pour moi une façon d’aprivoiser la peur. J’ai moins peur maintenant que j’ai fait ce film, j’ai moins peur après avoir vécu, d’aussi près, tellement d’épreuves liées à cette maladie. Mais le film et le cinéma en général me permettent d’apprivoiser la vie et ses peurs, et donc la peur de la maladie.
D;après Anthony Jammot pour France Télévisions