Rokhsareh Ghaem Maghami

maghamiNée à Téhéran,

Iran

Réalisatrice documentariste

Cyanosis, Going Up the Stairs, Sonita 

Pendant deux ans et demi, la documentariste iranienne Rokhsareh Ghaem Maghami a suivi Sonita Alizadeh, une jeune réfugiée afghane vivant à Téhéran, qui rêve de faire du rap. Mais sa famille, restée en Afghanistan, a décidé de la marier de force, selon la tradition, en échange de 9 000 dollars. Pour aider Sonita à concrétiser son rêve, la cinéaste l’accompagne de bureaux en bureaux pour obtenir un passeport afghan, un visa pour les Etats-Unis et une place dans un lycée de l’Utah. Pour retarder l’échéance du mariage et modifier le cours du destin de Sonita, elle a payé 2 000 dollars à sa famille. Un choix qui soulève des interrogations morales, mais que la cinéaste assume. Rencontre.

Comment avez-vous rencontré votre héroïne ?

Au début, je ne travaillais pas vraiment sur le mariage forcé, plutôt sur les jeunes immigrants en Iran et sur les discriminations dont ils sont victimes, notamment pour aller à l’école. J’ai rencontré Sonita par le biais de ma cousine, qui est travailleuse sociale auprès d’enfants des rues et d’orphelins. Cela n’a pas été le coup de foudre mais j’ai continué à la voir et, finalement, j’ai pensé qu’elle ferait un bon personnage : elle était ambitieuse.

Que pouvez-vous dire sur le mariage forcé ?

Ce sont des arrangements entre familles, basés sur l’argent et l’honneur, qui se pratiquent partout en Afghanistan : c’est une tradition séculaire. En Iran, cela ne se fait quasiment plus dans les grandes villes, seulement dans certaines zones rurales.

Vous êtes bienveillante envers la famille de Sonita : vous n’en faites pas des bourreaux…

Sa mère est aussi aimante que n’importe quelle mère de famille. Ce genre de mariage est le seul qu’elle connaisse : toutes les femmes de sa communauté ont été « vendues » à un moment donné. Elle ne pouvait imaginer d’autre futur pour sa fille. Elle a, elle-même, été mariée de force à 11 ou 12 ans, à un homme de vingt ans de plus, qu’elle appelait « oncle » quand ils étaient fiancés. Elle n’a jamais vraiment su ce qu’était un mari.

Pourquoi être devenue actrice de votre propre documentaire ?

Dans les écoles de cinéma, on vous apprend à être une mouche sur le mur mais, ici, j’ai plutôt été un éléphant dans la pièce. J’ai préféré être authentique, quitte à renoncer à l’objectivité. A mes yeux, l’authenticité est plus importante. Durant le tournage, il s’est avéré que je ne pourrais pas me résoudre à voir Sonita mariée de force. Cela aurait été trop lourd à porter. Vous ne pouvez pas toujours aider mais, parfois, c’est si facile de sauver la vie de quelqu’un. Ensuite, il y a eu une réflexion sur la manière de filmer mon intervention. C’était difficile pour moi d’apparaître devant la caméra, mais je devais le faire.

 Sinon, le film était fini…

Pas forcément. Cela aurait pu se terminer autrement. Sonita serait retournée en Afghanistan et je serais restée à Téhéran, dans le centre social, pour filmer les réactions de ses camarades. Je ne l’aurais peut-être pas suivie là-bas, car elle m’en aurait sans doute voulu de ne pas l’avoir aidée. La fin aurait pu être triste. Et là, ça aurait été un documentaire comme les écoles de cinéma les attendent : regarder une chose horrible et ne rien faire. Quand vous travaillez longtemps avec quelqu’un, vous vous attachez peu à peu, jusqu’à devenir amis. Pour moi, Sonita était devenue bien plus qu’une simple protagoniste. En plus, les spectateurs sont ravis que ça se termine bien.

Comment a réagi la famille quand elle a appris le départ de Sonita pour les Etats-Unis ?

Au début, ils ne comprenaient pas, ils étaient contrariés. Finalement, sa mère a réalisé le potentiel de sa fille. Et maintenant, ça va mieux, Sonita est en bons termes avec sa famille. Elle envoie de l’argent, ce qui permet à ses neveux d’aller à l’école.

Le film pourra-t-il sortir chez vous ? Et en Afghanistan ?

Les traditions afghanes sont plus anciennes, mais la censure y est moins forte, donc il se peut que le documentaire puisse y être diffusé. En Iran, en revanche, montrer une femme qui chante, qui plus est en solo, c’est totalement impossible. La loi l’interdit.

Combien y a-t-il de clandestins afghans en Iran  ?

A peu près trois millions. Ils sont venus progressivement à partir de l’invasion soviétique en 1979. La plupart sont des réfugiés économiques qui viennent pour travailler. Les femmes sont les principales victimes du mariage forcé mais, beaucoup d’hommes, parmi les clandestins, le sont aussi. Ils arrivent à l’adolescence, travaillent dur et économisent pour, plus tard, « acheter » une mariée que leur famille a choisie pour eux et qu’ils ne connaissent pas. Cette tradition les pousse à passer illégalement la frontière, à prendre le risque d’être kidnappés ou tués. Et travailler sans papiers, c’est aussi très dangereux : vous n’êtes pas couvert en cas d’accident.

Sonita, c’est aussi un documentaire qui décrit une bureaucratie absurde, comme chez Kafka…

Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

Lorsque Sonita essaie d’obtenir des papiers, vous filmez plusieurs scènes de bureaux. Et à la fin, dans l’hôtel en Afghanistan, il y a trois portes blindées qui s’ouvrent une à une, comme l’aboutissement d’un long chemin…

Ces portes n’ont pas forcément de signification symbolique. Elles sont là surtout pour des raisons de sécurité. A Kaboul, plus un hôtel a de portes gardées par des soldats, plus il est luxueux. C’est pour protéger les étrangers des attaques des talibans, qui sont fréquentes.

Comment s’est déroulé le tournage ?

Faire des films, c’est délicat dans les deux pays. Mais quand vous êtes un « insider », que vous êtes dans la place, que vous connaissez les bonnes personnes et que vous avez de l’expérience, ce n’est pas si difficile. En Afghanistan, il faut quand même avoir des autorisations et la protection de la police.

Que devient Sonita ?

Elle a commencé sa formation en janvier 2015, dans un lycée de l’Utah, et doit la finir l’année prochaine. Elle milite activement contre le mariage forcé. Elle veut désormais faire des études de droit, afin de devenir avocate pour les droits de l’homme

Propos recueillis par Nicolas Didier, Télérama du 14/10/2016

 

 

Ce contenu a été posté dans Archives réalisateurs, Réalisateurs, Uncategorized. Mettre en favori.

Comments are closed.