Laurent Cantet

Né le 16 juin 1961 à Melle

France

Réalisateur, scénariste

Ressources Humaines, Emploi du temps, Entre les Murs, Retour à Ithaque, L’Atelier

Avec L’Atelier, présenté dans la section Un certain regard, Laurent Cantet est revenu au Festival de Cannes pour la première fois depuis la Palme d’or d’Entre les murs, en 2008. En apparence, les deux films se ressemblent mais, à 56 ans, Cantet sait comme personne percevoir et restituer les changements profonds d’une époque. Entre les jeunes de La Ciotat et l’intellectuelle descendue de Paris pour leur apporter les bienfaits de la culturelors d’un atelier d’écriture, ce n’est pas seulement un drame romanesque qui se noue, mais un débat essentiel pour notre temps.

Comment se sont assemblés les éléments qui constituent « L’Atelier » : le rapport des jeunes à la culture, au monde virtuel, à la désindustrialisation, aux distinctions de classe ?

En 1999, avec Robin Campillo, qui avait collaboré à un reportage à La Ciotat, nous avons commencé à travailler sur un film autour d’un atelier d’écriture en pensant que c’était un bon dispositif pour que la parole arrive ; pour faireaussi le point sur cette mutation profonde, qui avait déjà commencé, d’une société qui voulait se souvenir de l’ère industrielle, de la culture ouvrière, du rapport au syndicalisme, à une jeunesse pour qui, déjà à l’époque, tout ça commençait à devenir un truc de vieux.

Vous en aviez fini l’écriture ?

Non, on l’a laissé tomber et on a commencé à écrire L’Emploi du temps. Il m’a semblé intéressant de revenir là-dessus puisque cette mutation, que nous avions entrevue à l’époque, était consommée. De nouvelles préoccupations s’étaient imposées aux jeunes. Un mode de vie très différent s’est fabriqué en vingt ans. Toutes les composantes qui se sont agglomérées sont venues naturellement. Le rapport à Internet me semblait constitutif de ce que sont les jeunes gens aujourd’hui, tout comme celui à la politique. L’extrême droite est installée dans le Sud. J’avais été terrifié en découvrant qu’Alain ­Soral [essayiste d’extrême droite très controversé] avait des millions de suiveurs et que leur moyenne d’âge était inférieure à 20 ans, des choses comme ça, qui me semblaient importantes à dire. Quand nous avons commencé à écrire, l’attentat de Charlie Hebdo avait déjà eu lieu. On avait fini d’écrire quand est survenu le Bataclan. Et la première fois que j’ai eu rendez-vous avec Matthieu Lucci pour parler du personnage, c’était au lendemain de l’attentat de Nice. Il avait passé la nuit à essayer de savoir si ses copains n’étaient pas allés voir le feu d’artifice. Comment peut-on vivre avec ça ?

En face de ces jeunes, il y a l’écrivaine que joue Marina Foïs, qui est, entre autres, le truchement du réalisateur et du ­spectateur. Ce personnage a-t-il lui aussi beaucoup changé ?

Je voulais donner l’image des deux mondes qui se font face. Ceux qui ont les armes pour tenter de penser le monde et ceux qui ne les ont pas forcément, ou qui n’ont pas les mêmes. Elle s’assigne la mission d’essayer de sauver ce jeune homme, elle y met une volonté qui ressemble à celle de beaucoup de militants de gauche qui cherchent un moyen d’agir sur les choses. On est malgré tout souvent impuissant face à ce que la réalité impose, le phénomène s’est d’ailleurs encore accentué en vingt ans. Après les attentats, on a entendu ce slogan qui m’énerve beaucoup : le « vivre ensemble ». J’habite Bagnolet, je côtoie ces jeunes dont je ne sais rien, au bout du compte, et avec lesquels je n’ai aucun échange. Je m’en veux et, en même temps, il y aurait quelque chose de très artificiel à essayer de le faire.

Avez-vous procédé, pour le casting des ­jeunes gens, comme pour celui d’« Entre les murs » ?

Pour Entre les murs, j’avais organisé un atelier d’improvisation dans le collège, et ceux qui étaient restés étaient dans le film. Pour L’Atelier, c’était un casting plus précis et plus ­ classique, mais j’ai tout de même vu trois cents jeunes.

Une fois que vous avez choisi les interprètes, vous leur avez fait lire le scénario ?

Oui, mais un scénario qui était encore en transformation. Nous avons passé trois semaines à répéter tous les jours. Je leur lisais la scène une fois, ils enregistraient vaguement les choses et on avançait à partir de ça en répétant. Ils n’ont pas eu besoin d’apprendre leur rôle, ils l’ont assimilé progressivement ­pendant ces séances de travail. C’est toujours agréable de constater comment, entre les ­répétitions et le moment où il faut vraiment y aller, c’est-à-dire le tournage, les choses ­explosent et les enjeux apparaissent plus clairement.

Y a-t-il eu débat entre vous et eux autour de ce que vous leur faisiez dire ?

Oui, en particulier avec un des jeunes, chez qui je sentais que certaines choses étaient difficiles à accepter pour lui, en particulier tout ce qui touchait à l’information via Internet. C’est un gamin, non, pas un gamin, un jeune homme, qui se définit comme antisystème, et tout ce qu’on pouvait dire en face de lui ne pouvait que le conforter dans l’idée que j’étais un représentant du système. Parce que je remettais en question des thèses de Soral de temps en temps, sans que lui se ­considère comme d’extrême droite. C’est ça qui est terrifiant.

Est-ce que vous avez fait mieux ou moins bien que Marina Foïs ? A la fin du tournage, ce garçon avait-il changé d’avis ?

Je ne pense pas. Mais c’était l’un des plus heureux d’avoir participé au film. Parce que c’était pour lui une façon de se confronter à des choses qu’il ne voulait pas prendre en compte habituellement. J’ai envie de le revoir, ce qu’on fera très bientôt.

C’est la deuxième fois que vous reproduisez cette distinction de classes sur un plateau. Est-ce que c’était la même dynamique que pour « Entre les murs » ?

Non. Il faut rendre hommage à Marina, qui a trouvé sa place dans cette histoire de manière très intelligente. Pour eux, elle était la Parisienne, la star qu’ils connaissent depuis qu’ils sont gamins. Ils étaient impressionnés mais, très vite, ils ont compris qu’ils étaient collègues. Par ailleurs, Marina est très curieuse, elle a passé beaucoup de temps à discuter avec eux. Je devais intervenir pour dire : « Allez, on se remet au boulot », parce qu’ils étaient penchés sur leurs téléphones portables à regarder des trucs que Marina découvrait. Eux la questionnaient beaucoup sur son statut, sur le cinéma. Il y avait une proximité et une distance qui était justement celles que j’espérais créer entre les personnages.

Entre pessimisme et optimisme, ­où situeriez-vous ce film ?

J’ai longtemps hésité à monter l’épilogue, qui a fini par s’imposer. J’avais besoin de cette porte ouverte à la fin. Sinon, le film aurait été radicalement différent, et j’aurais eu plus de mal à l’assumer.

Cette porte ouverte, vous y croyez ou vous voulez y croire ?

J’y crois quand même. Plus précisément, beaucoup des choses qui me donnent un peu d’espoir aujourd’hui viennent de très jeunes gens, d’expériences de vie différentes. C’est de ce côté-là que j’ai l’impression qu’on a une chance de voir les choses un peu bouger.

Quel type de discussions voudriez-vous avoir autour de « L’Atelier » ?

Je ne voudrais pas que l’aspect sociétal efface totalement le romanesque, cette relation complexe entre Olivia et Antoine. En même temps, c’est la rançon de ce à quoi je tiens, le mélange de tous ces composants du film. Le politique ne m’intéresse que quand il est incarné. Le film fait le constat d’un déficit d’idéologie, je ne peux pas me plaindre qu’on m’en parle.

Propos recueillis par Thomas Sotinel pour « Le Monde » le 14/09/2017.

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