Jean-François Laguionie

laguionieNé le 4 octobre 1939 à Besançon

France

Réalisateur de films d’animation

Gwen ou le Livre de Sable, le Château des Singes,

l’Ile de Black Mor, le Tableau, Louise en Hiver

 

 

Dans le monde de Laguionie, le temps est incertain, mais toujours clément, finalement. Et, pour savoir l’heure, le réalisateur de L’Ile de Black Mór (2004) regarde le niveau de l’eau par la fenêtre de la salle à manger, où une longue table toute simple lui sert à dessiner. Depuis son premier court métrage, en 1965, La Demoiselle et le Violoncelliste,

cet héritier en ligne claire de Paul Grimault (1905-1994) est un conteur libre comme l’air qui invente des aventures si loin, si proches, avec la philosophie du grand sage et la juvénilité d’un garnement. Il confesse, tout de même, qu’il a toujours été démangé par le cinéma en images réelles. Au tout début des années 1960, jeune diplômé de l’Ecole des arts appliqués, et après une année supplémentaire à apprendre le métier de décorateur à l’école de la rue Blanche, il découvre l’ambition esthétique du cinéma avec les films d’Ingmar Bergman et d’Orson Welles. Puis, avec Jacques Colombat, autre disciple de Grimault, il se « tape tous les westerns » : « Anthony Mann, Delmer Daves… 3h10 pour Yuma, quelle beauté. Et la simplicité du récit ! Je m’en suis servi, ensuite, de manière éhontée ! Mon court métrage Une bombe par hasard est entièrement mis en scène comme un western. Et dans Louise en hiver, il y a des plans à la John Ford ! » Laguionie a même travaillé, il y a plusieurs années, sur une adaptation en images réelles du Baron perché, d’Italo Calvino, qui n’a pas abouti. Pourtant, il ne regrette pas une minute de faire des films dans son coin avec un stylo et des pinceaux : « Je n’aurais pas été à l’aise sur un plateau de tournage. Il faut faire preuve d’autorité, réfléchir à 100 à l’heure… Je suis tout de même plus peinard avec mon papier Canson. »

C’est sur ce papier « à grain » qu’il a peint à la gouache diluée les décors de Louise en hiver. Mais attention, pour lui, un film est surtout une histoire : un texte que sa compagne, Anik Le Ray, réécrit, ensuite, sous forme de scénario. Ce n’est qu’à ce moment-là que le cinéaste sort ses grandes feuilles. « J’ai mon histoire en tête et je commence à dessiner mon film comme si je la voyais dans une salle de cinéma. Enfin, à condition qu’il passe au ralenti ! Ce sont des dessins libres, façon écriture automatique, qui ne sont pas enfermés dans des cases comme dans un story-board. Je ne supporte pas d’enfermer un dessin. » Il trace vite pour garder l’émotion, ne pas perdre l’intuition de ce qui est déjà une mise en scène. Puis, avec son petit appareil photo, il les photographie, les cadre pour en faire un montage sur son ordinateur. Il ajoute sa propre bande-son, enregistre tous les dialogues, joués à plusieurs voix avec sa compagne. Ce qu’il nomme sa « maquette sauvage » est terminée. Il attend alors que son producteur ait trouvé « un peu de sous » pour constituer une équipe de « professionnels » (à 77 ans, il se considère toujours comme un « amateur »), à laquelle il laissera cette animatique (1) complète à redessiner plus précisément. Pour Louise en hiver, il tenait beaucoup au grain, et son équipe l’a reporté sur ordinateur — « Il ne faut pas dire « par » ordinateur, car c’est l’animateur, tout de même, qui anime, avec ses mains pleines de doigts ! ». Si Jean-François Laguionie est d’une humilité confondante, une chose lui donne un discret sourire de fierté : au fil des avant-premières de Louise…, il découvre que sa volonté de simplement communiquer les émotions d’une vieille dame seule touche profondément le public. « Dans quel monde vivons-nous pour que l’on puisse s’étonner d’une histoire simple ? Ce film a l’air de faire du bien aux gens.. « 

Soudain, alors qu’Anik est partie faire le marché et que l’on continue à feuilleter un cahier préparatoire de Louise en hiver, rangé de manière anarchique devant la fenêtre, on remarque ces quelques mots jetés dans le coin d’un dessin : « tenir jusqu’à Noël ». Il rit comme un gosse : « Je ne me souviens plus si c’est une phrase de moi ou de Louise ! » Il a de quoi s’occuper bien plus longtemps. Dans son ordinateur attend déjà la « maquette sauvage » dessinée, montée et dialoguée du Voyage du prince, la suite, dix ans après, du Château des singes, où il sera question, à nouveau, de plage, de civilisation, et d’« histoire naturelle »… Mais aussi d’un hommage à son père, qui passa une partie de sa vie à construire un bateau dans son jardin sans jamais l’achever. Jean-François Laguionie y reconnaît bien volontiers une forme d’hérédité : « Je termine toujours mes histoires avec des points de suspension, même si ce n’est pas très commercial, la suspension… Pourquoi finir une histoire ? La vie, elle, se poursuit. Ou alors il faudrait finir sur la mort du personnage, mais ce n’est pas très commercial non plus ! C’est pour ça que j’aime beaucoup le western, avec le dernier plan où le héros repart… Je ne sais plus qui disait qu’une peinture n’est jamais terminée : elle est abandonnée. Si on enlève le côté négatif de l’abandon, c’est juste que le peintre décide, à un moment donné, de s’arrêter. Il pense qu’une touche de plus pourrait gâcher le tableau. Il a mis l’essentiel. On a tout quand on a l’essentiel, non ? »

Guillemette Odicino

 

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