Archives pour avril 2014

Spike Jonze

Spike JONZESpike Jonze (né Adam Spiegel le à Rockville, Maryland), est un réalisateur de vidéos clips et de cinéma ainsi qu’un producteur de télévision.

Passionné de skate, rider émérite en bmx/freestyle, Adam Spiegel a commencé comme photographe dans le magazine de bmx FREESTYLIN’ http://oldschoolmags.com/freestylin.html. Il a ensuite commencé à réaliser des videos de skateboard, et s’est tout naturellement mis à réaliser des courts-métrages et des clips. À l’instar de son collègue Michel Gondry, mais dans un autre registre, Spike Jonze est intéressé par les paris risqués. Produire une fausse troupe de danse (très) amateur pour Fatboy Slim, plonger Björk dans une comédie musicale classique, intégrer le groupe Weezer à un épisode de Happy Days, transformer son épouse en gymnaste professionnelle pour les Chemical Brothers. Ce genre de préoccupations trouve depuis quelques années un souffle nouveau dans deux parties très distinctes du travail de Jonze : son œuvre de cinéaste, d’un côté, et de l’autre, son œuvre en tant que producteur de la série Jackass pour MTV, où des cascadeurs professionnels se mettent en péril de manière drôle et bête.

En tant qu’acteur, Spike Jonze a joué dans le film Les Rois du désert (Three Kings).

Il collabore souvent avec le scénariste Charlie Kaufman.

En 2009, il adapte le célèbre livre pour enfants de Maurice Sendak, Max et les maximonstres. Le film est sorti en salle le 16 décembre 2009.

« Her, ou l’histoire étrange de Theodore Twombly (Joaquin Phoenix), un homme sensible laissé inconsolable après une rupture difficile qui fait l’acquisition d’un programme informatique ultramoderne, capable de s’adapter à la personnalité de chaque utilisateur : il fait la connaissance de ‘Samantha’, une voix féminine intelligente, intuitive et étonnamment drôle… dont il va tomber amoureux.

Interviewé par AlloCiné le 11/11/2013 :

Tous vos films s’attachent de près ou de loin aux relations humaines. Où en êtes-vous dans ce domaine ? Comprenez-vous mieux les relations entre les humains ?

Spike Jonze : Oui, vous avez raison, cela me fascine. Dans le cas de « Her », ce n’est pas seulement la relation d’un homme avec une machine mais aussi avec son environnement et les gens qui l’entourent. Et je pense que tout le monde peut s’identifier à ce personnage et sa difficulté de communiquer avec « l’Autre ». Mais vous avez raison, car après quatre films je réalise en effet que je reviens toujours à ce thème de la relation entre les êtres, les animaux, ou ici les hommes et leur ordinateur. Ce qui est amusant, c’est que lorsque je tourne, je ne me rends pas compte de cette récurrence de thèmes : ce n’est pas pensé ou structuré, cela vient naturellement.

Quels ont été les défis, les challenges que vous avez dû surmonter ?

La difficulté majeure était de vous faire croire dans la relation amoureuse entre cet homme et la machine alors que l’on ne voit que lui à l’écran et qu’ELLE on ne fait que l’entendre. C’est pour cela que je voulais Joaquin Phoenix, qui est un acteur tout en finesse et d’une subtilité incomparable. Il doit réagir et ressentir en permanence comme si ELLE était vraiment là, devant lui. Il a fait un travail incroyable et bluffant. La difficulté est venue aussi, pendant l’écriture, d’imaginer à quel point nous pouvons devenir dépendant de nos ordinateurs. Et c’était dur de trouver un équilibre entre ces idées un peu complexes et un rapport humain simple et compréhensible. Je voulais surtout montré la difficulté à maintenir une relation, surtout comme dans ce cas quand la « personne » n’est pas vraiment physiquement présente.

En parlant de Joaquin, vous pouvez expliquer plus en détails ce choix ?

Beaucoup de gens disent que c’est dur de travailler avec lui, mais pour moi c’est le contraire. Il me fait confiance et sait être direct dans ses rapports. C’est un être complexe qui aime comprendre ce qu’il joue et qui ne tombe dans la facilité ou l’évidence. Par exemple ce n’est parce que une scène est triste qu’il jouera la tristesse. Il aime être à contre-courant d’une certaine manière, et surprendre. Même quand il comprend la motivation de son personnage, il ne sait pas toujours où il va avec sa performance et il laisse les choses faire, il tâtonne, improvise, cherche tout en douceur la meilleure interprétation possible pour la scène à jouer. Ainsi, avec lui, toute prise est différente et pleine de fraîcheur. C’est pourquoi j’adore travailler avec lui.

 

 

 

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John Turturro

John Turturo

L’idée de génie a été de confer à Woody Allen le rôle du maquereau. Comment est-ce arrivé ?
John Turturro J’avais joué dans un film de Woody Allen en 1986, « Hannah et ses soeurs ». Nous avions gardé le contact. Il se trouve que nous avons le même coiffeur. Et, un jour que je confiais à ce dernier l’idée de mon scénario, il m’a dit : « Woody Allen est mon client. Je vais lui parler. » Les choses se sont faites ainsi, ciseaux en main.

Comme dans la mafia ?
Oui. Beaucoup de films ont vu le jour chez le coiffeur. Beaucoup de truands ont été exécutés sur le fauteuil de leur coiffeur. Je me demande s’il y a une relation.

Donc… ?
Donc j’ai été voir un de mes copains, un libraire spécialisé dans les livres anciens, qui m’a dit : « Prends mon personnage, prends Woody Allen, et fais ton film. » Du coup, le personnage est devenu un maquereau bibliophile. Mon film est une version ironique de « Macadam Cowboy ».

Comment Woody Allen a-t-il réagi ?
Je lui explique ce que je veux faire, il me regarde. « Tu veux que je joue… un mac ? Tu es sûr ? » Je lui raconte mon scénario, et il le ponctue de remarques : « Ca, c’est pas drôle. » Puis : « Ca, c’est peut-être drôle. » Et finalement : « C’est drôle. »

Ecrire un scénario avec l’aide de Woody Allen, c’est comme être charpentier sous l’égide de saint Joseph.
… ou électricien avec M. Volt. C’est formidable.

Diriger Woody Allen, n’est-ce pas intimidant ?
Bien sûr ! Mais, sur le plateau, je dois dire qu’il est très facile, très coopératif. J’ajoute que je suis bien plus grand que lui, ça facilite les choses.

Votre film est une version amusante d' »American Gigolo » ?
Non. C’est un film sur l’amitié, sur les rapports entre les gens. Ces rapports sont faits d’affection, d’absurde, de ratages, de plein de choses. Le sexe, c’est secondaire.

Vous avez travaillé comme acteur avec beaucoup de grands réalisateurs : Scorsese dans « la Couleur de l’argent », Francesco Rosi, Michael Cimino, les frères Coen… Qu’avez-vous appris dans le domaine de la mise en scène ?
Qu’il ne faut jamais hésiter. Une fois que la scène est écrite, découpée, cadrée, il faut y aller. La rigueur, voilà la clé de tout. Le reste n’est que du vent.

A propos des Coen, l’un de vos rôles les plus mémorables, c’est celui de Jesus (prononcez Hésouss) Quintana, le joueur de bowling, dans « The Big Lebowski »…
Ah ! Je l’ai adoré, ce personnage. Vêtu de violet, l’ongle long au petit doigt, une sorte de voyou latino imbu de lui-même… C’est un personnage que j’avais conçu dans une petite pièce de théâtre, et les Coen l’ont aimé. On s’est dit qu’un jour nous tournerions un film avec la suite des aventures de Jesus Quintana… Il le mérite.

Vous êtes devenu metteur en scène parce que votre métier d’acteur vous frustrait ?
Non. Je suis très content de ma carrière d’acteur, j’ai eu beaucoup de chance. Mais il y a des histoires que je veux raconter. Je ne suis pas motivé par l’argent – on m’a proposé de réaliser des superproductions hollywoodiennes, j’ai refusé – ni par la célébrité. Je veux faire des trucs intéressants, voilà tout.

Comme à vos débuts ?
Exactement. A la fin des années 1970, quand j’ai débuté dans le métier, je jouais dans des pièces off-off-off Broadway, pour des cachets ridicules. C’était tellement off que c’était dans le Nebraska, ou presque. On ne mangeait que la poussière des planches et le papier peint de la chambre d’hôtel. Mais j’ai adoré cette période. Le théâtre était roi. Le cinéma, c’était bon pour les vendus. Nous, nous étions des purs. Le jour où on m’a payé 300 dollars la semaine, j’ai cru que j’étais milliardaire !

Qu’est-ce qui vous poussait ?
L’amour du théâtre. Je ne voulais rien faire d’autre. Rien.

Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis, sur le cinéma-bon-pour-les-vendus ?
La Nouvelle Vague. J’ai vu les films de Trufaut, de Godard, de Chabrol, de Rohmer, de Louis Malle, et je me suis dit : il existe un autre cinéma que celui des studios. Un cinéma d’auteur. C’est drôle de penser qu' »Ascenseur pour l’échafaud » a pu changer ma vie…

Comment avez-vous découvert le théâtre, enfant ?
Mon père était charpentier, ma mère chantait en amateur, et ils allaient au spectacle. La famille vivait dans une électricité permanente : mes parents s’adoraient, mais ça criait pas mal, aussi. On riait, on cassait des assiettes, on hurlait, on s’embrassait. Très italien, tout ça… C’était comme un théâtre permanent. Il y avait du théâtre dans ma vie, et je me suis borné à mettre de la vie dans mon théâtre… Je me suis tout de suite passionné pour Shakespeare et Tennessee Williams. Le cinéma, c’est une autre histoire…

C’est-à-dire ?
Les acteurs de cinéma, dans ma jeunesse, étaient beaux et blonds. Moi, je ne suis pas beau et je suis brun.
Je n’imaginais pas avoir une carrière dans les films. Puis j’ai vu Dustin Hoffman dans « Little Big Man ». Boum badaboum ! Tout a changé. Il était petit, brun et moche. Si lui pouvait être tête d’affiche, alors moi aussi.

Quels ont été les rôles déterminants pour vous ?
Probablement « Do the Right Thing », de Spike Lee, et « Miller’s Crossing », des frères Coen. Dans les deux, je jouais des personnages qui n’ont rien d’héroïque. C’est devenu ma note personnelle : le trouble. Mais ma passion du théâtre n’est pas éteinte. Mon deuxième film comme metteur en scène, « Illuminata », en 1998, se déroulait dans les coulisses d’un théâtre, et, à l’occasion, je remonte sur les planches avec plaisir.

« Apprenti Gigolo » est votre cinquième film comme metteur en scène. Vous êtes en dehors du cinéma américain d’aujourd’hui. Pas de superhéros, pas d’explosions, pas d’effets spéciaux…
C’est du cinéma d’artisan, et j’en suis heureux. Car, depuis 1927, on est passé du cinéma muet au cinéma qui n’a rien à dire. Essayons d’inverser la tendance, c’est ce que m’a dit mon coiffeur.

Par 9 avril 2014

 

 

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ALAIN RESNAIS

 

 

Le Roi Resnais

Décédé le 1er mars à 91 ans, le réalisateur de « Nuit et Brouillard » et d' »On connaît la chanson » était un géant. Portrait.

Que la machine se détraque. Voilà ce qu’il attendait, quitte à le provoquer : « Si le film commence à ronronner, j’ai envie d’un coup de cymbale. Je veux qu’au moment où le spectateur croit que le film va tout droit, ça parte sans crier gare sur une bretelle que personne n’a devinée. » Quelque chose en Alain Resnais – né en 1922 – s’était détraqué, il y a quelques années, dans la colonne vertébrale, les muscles, les artères. Depuis plusieurs mois, on ne le surprenait plus dans sa promenade quotidienne, dans le quartier des Champs-Élysées. Et, lorsqu’il vous recevait chez lui, il se tenait bien droit sur sa chaise, un coude appuyé sur la table couverte de DVD. Alors, parler de cinéma, de théâtre, d’acteurs, de bandes dessinées, de livres, de sa passion pour Bob Hope ou de son amour de Stephen Sondheim lui offrait de mettre entre parenthèses ses misères, tandis que sa vivacité d’esprit, sa malice, son intelligence fulgurante, son extrême bienveillance faisaient oublier qu’il avait dépassé les quatre-vingt-dix années. Et puis la machine détraquée a fini par s’arrêter, au soir du 1ermars.

Depuis plus de soixante- dix ans qu’il était entré en cinéma, par la porte de l’Idhec (Institut des Hautes Etudes cinématographiques), section montage, ce fils d’un pharmacien de Vannes avait exploré son art plus et mieux que quiconque. En témoigne la fantastique diversité de son oeuvre, que lui-même se plaisait à porter au compte du hasard, expliquant que ses films étaient tous le produit de rencontres et de désirs qui n’étaient pas forcément les siens, mais ceux des producteurs, des écrivains, des acteurs. Ainsi parlait-il à leur propos de « commandes », mouvement qui lui était naturel et témoignait d’une humilité très exceptionnelle, mais qui exprimait également une réalité : si le réalisateur de « Pas sur la Bouche » est aussi celui de « l’Année dernière à Marienbad », si le cinéaste de « Hiroshima mon amour » a signé également « On connaît la chanson », c’est bien qu’il a voulu et su se laisser porter, sans négliger pourtant de reproduire les soubresauts de l’histoire, guerres d’Algérie (« Muriel ou le temps d’un retour », 1963), d’Espagne (« La guerre est finie », 1966), du Vietnam (participation au collectif « Loin du Vietnam »), ou évocation de l’affaire Stavisky (1974).

Dans la mémoire collective du spectateur, quelques-uns de ses films se distinguent, qui ne se ressemblent pas et sont pourtant à l’évidence l’oeuvre d’un même homme. Sur un texte de JeanCayrol dit par Michel Bouquet, les images de « Nuit et Brouillard » (1955) apportèrent à plusieurs générations la révélation de l’horreur absolue, celle que pendant dix ans on avait choisi de taire, celle que certains tentèrent encore de cacher, s’appliquant à limiter la diffusion du film (la censure française exigea que fût recadré un plan qui montrait le képi d’un gendarme français surveillant les pauvres gens). Alain Resnais fut ensuite catalogué cinéaste intello-emmerdant, à cause de « Hiroshima mon amour », texte de Marguerite Duras, et de « l’Année dernière à Marienbad », scénario d’Alain Robe-Grillet. Resnais n’avait pas oublié cette phrase d’un exploitant marseillais à propos de « Marienbad », film qui ne compte pas, en effet, parmi les plus limpides de son auteur : « C’est très beau, monsieur Resnais, très beau… Mais ce serait quand même terrible si demain tous les films étaient comme celui-là… » A ce souvenir, il riait encore, s’amusant de ce que l’on puisse redouter qu’un jour tous les films se ressemblent, quand le monde du cinéma est assez grand pour tous les contenir. « L’Année dernière à Marienbad » avait été vu en France par près de 900 000 spectateurs. Comme avec « Hiroshima », Resnais y inventait des manières nouvelles, constructions dramatiques inédites, partis pris de montage révolutionnaires, qui subjuguèrent les cinéastes, ceux de la Nouvelle Vague, mais aussi tous les autres, et ceux qui rêvaient de le devenir.

Dans « Providence » (1977), un vieillard à l’approche de la mort (John Gielgud) s’inventait ainsi qu’à ses proches une autre vie que la sienne, une autre existence que la leur. A -55- ans seulement, Resnais était déjà un peu ce vieil homme, comme il était tous ses personnages. Avoir pris ainsi de l’avance a pu l’aider à rester jeune longtemps. Jeune, il le fut lorsque, près de vingt ans plus tard, il fit appel à Agnès Jaoui etJean-Pierre Bacri et pour adapter Alan Ayckbourn, et cela donna les ébouriffants « Smoking/No Smoking » (1993), avec Pierre Arditi et Sabine Azéma dans tous les rôles. Il signa ensuite « On connaît la chanson » (1997), où les paroles de Johnny Hallyday, France Gall, Joséphine Baker, Ouvrard, Bashung étaient mimées par les fidèles Arditi, Azéma, Dussollier, Lambert Wilson et autres. Et puis il s’en alla trouver une opérette oubliée (« Pas sur la bouche », 2003), s’offrit le coup de folie génial des « Herbes folles » (2009), peut-être le plus étourdissant de tous ses films. Enfin, il vous reste à découvrir « Aimer, boire et chanter », heureux mortels que vous êtes. Resnais a encore réussi son coup : il vient de passer la porte, il nous manque, c’est à pleurer, mais il aimerait qu’avec lui on sourie.

Par Pascal Mérigeau 8 mars 2014

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Dallas buyers club

Dalla buyers club2
De Jean-Marc Vallée – Etats-Unis 2014 – 1h57 – VOST
avec Matthew McConaughey, Jennifer Garner, Jared Leto…

Un sujet sensible, une histoire authentique, des acteurs physiquement méconnaissables tels que l’industrie hollywoodienne aime souvent produire, et vous obtiendrez peut-être le parfait calibrage d’un film pressenti pour rafler quelques statuettes aux prochains Oscars. On pourrait alors craindre une œuvre filmique davantage formatée pour solliciter les mouchoirs que pour réellement honorer une histoire biographique étonnante. Pourtant, ce serait oublier qu’au cinéma les bonnes surprises restent souvent possibles.Avec la délicate épreuve de rodéo, la séquence d’ouverture de Dallas Buyers Club est à elle seule symptomatique des principaux enjeux du film. En lutte avec un taureau déchaîné, qu’il tente de maîtriser sous les cris d’une foule en délire, le défi pour Ron Woodroof (interprété par Matthew McConaughey) est de tenir le plus longtemps possible en selle, comme pour affirmer le plus durablement sur la scène publique sa propre virilité. L’enjeu consiste donc à résister, à persévérer, dans un univers physique et social supposé le soumettre constamment à l’épreuve. Le combat est d’autant plus intense que le personnage ignore encore que cette épreuve de quelques minutes restera le pendant métaphorique du combat de toute sa vie.

Rodéo, sexe, drogue, violence… et VIH. Il suffit au champion texan l’expérience d’un simple accident du travail pour prendre connaissance de sa séropositivité et apprendre qu’il ne lui reste que 30 jours à vivre. Le combat pour la survie constitue ainsi la thématique principale du nouveau film de Jean-Marc Vallée, après le très mitigé Café de Flore et son ambition dramatico-romanesque, étirée sur plusieurs générations. Dallas Buyers Club adopte un montage à contre-pied des précédentes réalisations du cinéaste, tant la primauté est ici donnée, dès l’annonce de la maladie, à la survie de tous les instants. Le film s’octroie ainsi la forme d’une compilation chiffrée de jours, restreinte par la proximité d’une mort annoncée. Cette forme narrative permet cependant au film de déjouer sans cesse les attentes du spectateur, de feindre la finitude sans jamais réellement l’accomplir, comme pour souligner la survie extraordinaire et inespérée de Ron Woodroof.

Si le montage général souligne la singularité de la trajectoire personnelle de notre anti-héros -qui succombe progressivement à l’organisation d’un trafic de médicaments alternatifs- il orchestre néanmoins une série d’ellipses narratives, comme s’il pliait sous le poids d’une certaine standardisation attendue pour un film préformarté pour les DALLAS BUYERS CLUBOscars. Un tel raccourcissement informatif compromet dès lors le potentiel dramatique de quelques scènes, comme lors du diagnostic de la maladie, et trahit le traitement expéditif de certains dialogues du film. Étrangement, c’est peut-être dans cette constance elliptique que le film dévoile également ses plus beaux atouts, tant il s’agit moins de reproduire sciemment des raccourcis narratifs que de les détourner, de les faire rentrer en résonance avec une conscience sélective des derniers instants d’une vie hantée par la crainte de la perte.

Ce surdécoupage général se prolonge à l’intérieur même des séquences, qui utilisent des coupes répétitives afin de reproduire l’instantanéité de l’urgence. L’excellent travail sonore permet à Jean-Marc Vallée de relayer au sein même de son dispositif de mise en scène l’accélération d’une altération physique ; le récurrent « bip » clinique devient le prolongement psychique d’un homme désemparé, parcouru par l’effroi de la mort et la recherche d’une jouissance extrême des derniers moments de vie. Cette quête se trouve également matérialisée par l’utilisation d’un cadre centrifuge, dont les limites sont sans cesse repoussées par les deux anti-héros, qui tentent désespérément d’y opposer une pulsion de vie, une intention de survie, comme pour mieux préserver les conditions de possibilité, malheureusement illusoires, d’un hors-champ.

Narrative, la résistance des personnages face à la maladie devient par essence un acte physique, littéralement incarné par la métamorphose des deux comédiens Matthew McConaughey et Jared Leto. Le corps devient ici un moyen d’affirmation ; un ancrage de la dégénérescence, de la maladie dans le temps, et permet au cinéaste d’en faire un outil dramaturgique à part entière. Féminin et Rock-Glam avec Rayon (Jared Leto) ou foncièrement négligé comme avec Ron, le corps transcende sa propre expressivité et se donne à voir comme une modalité d’être face à la fatalité. Que ce soit dans le cercle familial de CRAZY, dans celui de la royauté avec Victoria ou celui, plus élargi, d’un Café de Flore qui entrecroise les trajectoires personnelles, Jean-Marc Vallée transforme le corps physique en un reflet désenchanté du corps social et du corps idéologique. Et insuffle à l’acte de résister sa fonction créatrice.

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Aimer, boire et chanter

Aimer, boire et chanterDe Alain Resnais – France 2014 – 1h48
avec Sabine Azéma, Hippolyte Girardot, Michel Vuillermoz, Sandrine Kiberlain et André Dussolier…

Dans la campagne anglaise du Yorkshire, la vie de 3 couples est bouleversée, pendant quelques mois, par le comportement énigmatique d’un de leurs amis George Rilley :

Lorsque l’un de ceux-ci, médecin, révèle, par mégarde à sa femme Kathryn, que les jours de George sont comptés, il ignore que celui-ci a été le premier amour de Kathryn ; les deux époux répètent une pièce de théâtre, au sein d’une troupe amateur locale, ils vont y accueillir Georges, pensant que la pratique théâtrale offrira un dérivatif à son avenir menacé. Georges va jouer les amoureux éperdus auprès de Tamara (qu’il a, semble-t-il fréquenté, étroitement dans leur jeune âge), actuellement, femme de son meilleur ami Jack, mari infidèle…Celui-ci tente de convaincre Monica l’épouse de George,( séparée de lui , pour vivre avec un fermier), de revenir auprès de son mari pour l’accompagner pendant ces derniers mois.

Mais, au grand désarroi des hommes dont elles partagent la vie, George exerce une étrange séduction sur ces trois femmes : Monica, Tamara et Kathryn et l’on découvre qu’il a promis à chacune d’elle de l’emmener en voyage à Ténériffe…Avec laquelle, partira-t-il ?

Alors que Georges est la figure centrale du film, objet des sentiments et ressentiments, on ne le verra pas à l’écran. Figure imaginaire pour le spectateur, il prend vie, à l’évocation qu’en font les protagonistes et dans les interférences qu’il crée dans leurs relations, à l’image de la proposition de ce voyage à Ténériffe, objet de toute les jalousies….

Truffé d’humour et gaillardement vaudevillesque, AIMER, BOIRE et CHANTER questionne la complexité, la versatilité des sentiments amoureux, dans un groupe d’amis dont l’un est condamné… Alain Resnais met un joyeux bazar dans la conduite du récit, au fil d’une mise en scène proche du théâtre et pourtant d’une fluidité, d’une élégance cinématographique.

C’est un film léger, presque primesautier , qu’il lègue , comme un dernier au revoir…

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Apprenti gigolo

Apprenti gigoloÉcrit et réalisé par John TURTURRO – USA 2013 1h30mn VOSTF
avec John Turturro, Woody Allen, Sharon Stone, Vanessa Paradis, Liev Schreiber, Sofia Vergara, Bob Balaban…

Les sourcilleux diront sans doute que le point de départ de Apprenti gigolo est un peu tiré par les cheveux, mais laissons les sourciller, c’est surtout très drôle : l’histoire de deux potes désargentés, un vieux libraire juif vivant au milieu d’incunables poussiéreux et un fleuriste italien à mi temps qui décident, pour résoudre leurs problèmes financiers, de s’associer pour un commerce fort particulier, l’un devenant le mac de l’autre qui se fera gigolo au service de femmes esseulées ou simplement en quête d’aventures pimentées.

C’est peut-être improbable mais ça fonctionne à fond : Apprenti gigolo est une comédie hilarante, l’occasion de voir à l’œuvre deux acteurs géniaux (et on parlera plus bas des dames, qui ne sont pas en reste) : dans le rôle du coiffeur Fioravante, John Turturro, acteur fétiche des Frères Cœn, qui signe aussi scénario et réalisation ; et face à lui, Woody Allen, rien que ça, qui fait très rarement l’acteur devant la caméra des autres (qui joue même de moins en moins dans les siens) et qui trouve ici un de ces rôles qui ont fait sa très grande gloire et notre très grand bonheur : celui du Juif new yorkais insupportablement baratineur, volontiers égocentrique, un peu magouilleur et très très marrant. Ces deux funambules de la comédie nous entraînent sur leur fil, on marche, on court, on croit même à l’incroyable famille afro-américaine dont Murray (Woody Allen) est affublé, à tous ces gamins à coupe afro qu’il emmène vaillamment au terrain de basket…

Tout part d’une conversation à bâtons rompus entre Murray et sa dermatologue, la riche et fantasque Docteur Parker (Sharon Stone, splendide en femme dominatrice qui tombe la robe et le masque), qui lui révèle qu’elle cherche un homme pour faire une expérience à trois avec sa meilleure amie. Autant dire que cette confidence ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd et notre libraire sans le sou va s’employer à convaincre son fleuriste esthète et lunaire d’ami de devenir l’homme de la situation. Si Fioravante n’est pas forcément l’Apollon des catalogues d’escort-boys, il a une immense qualité : comprendre les femmes et être à leur écoute. Si bien qu’après le Docteur Parker, redevenue à son contact adolescente apeurée et à qui il donne entière satisfaction, ce sera Avigal (Vanessa Paradis, étonnante en femme hassidim et en anglais approximatif), veuve de rabbin qui toute sa vie a vécu dans le carcan du quartier ultra orthodoxe de Williamsburg à Brooklyn, qui n’a jamais été embrassée bien qu’elle ait eu plusieurs enfants : le contact d’un homme attentionné s’avère pour elle une expérience totalement nouvelle…

Car Apprenti gigolo ne se résume pas à son épatant duo d’acteurs – auquel il conviendrait d’ailleurs d’ajouter le désopilant Liev Schreiber en policier communautaire de la morale juive orthodoxe, amoureux d’Avigal et bien décidé à pas se la faire chiper par un bellâtre italo américain. Le film propose le très joli portrait de plusieurs femmes, dans toute leur diversité, dans toute leur complexité, chacune des clientes de Fioravante ayant son mystère, sa part d’ombre. Bref c’est drôle, c’est malin, c’est authentiquement romantique… Un petit plaisir délectable…

UTOPIA

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HER

De Spike JONZE – Etats-Unis 2014 – 2h06 – VOST
Avec Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams…

HerHER, à la frontière entre la chair et le virtuel

Une fable à peine futuriste qui explore avec une maestria modeste la frontière entre la chair et le virtuel. Spike Jonze est de retour, plus ambitieux et talentueux que jamais.

Le nouveau film de Spike Jonze est une sorte de variation de ces expérimentations sur l’incarnation cinématographique, la disjonction entre corps et voix, image et son, présence et absence à l’écran : une actrice célèbre (Scarlett Johansson) y “figure” par sa seule voix, et un acteur (Joaquin Phoenix) est seul à l’écran, dialoguant avec une partenaire par téléphone interposé.

Her est situé dans un Los Angeles du proche futur. Les gratte-ciel y ont poussé comme des champignons, les déplacements urbains se font dans un grand vortex techno-architectural (métros, corridors vitrés, passerelles design, ascenseurs…). Très réussi dans sa vision plastique d’une mégalopole à horizon dix ans, Her ne projette pas un futur anxiogène à la Metropolis ou Blade Runner mais une anticipation à peine exagérée de notre présent, une société consumériste et confortable, sourdement rongée par les difficultés relationnelles, la mélancolie et la solitude.

Le job de Theodore Twombly (Phoenix) consiste justement à lutter contre ces maux de l’aliénation moderne : il rédige des lettres d’amour pour les multiples clients d’une société qui commercialise les sentiments et l’écriture, denrées devenues rares. Lui-même en pleine séparation et vaguement dépressif, Twombly s’achète un nouveau logiciel de compagnie : une voix féminine avec laquelle il converse au téléphone à tout moment, comme avec un ami proche. Rapidement, entre lui et “her”, naît une histoire d’amour…

Bien que l’un des deux protagonistes soit invisible, on croit à cette romance entre un corps et une voix, on souhaite qu’elle dure, on est navré quand des dissensions pointent au sein de ce couple d’un nouveau genre. Ajoutons que Spike Jonze parvient à réinventer le génial Joaquin Phoenix, méconnaissable avec sa moustache et ses grandes lunettes, beaucoup plus sobre que dans The Master (pas dur, certes), plus émouvant et nuancé que dans The Immigrant.

Mais sous les subtiles performances d’acteur palpite un film plus conceptuel qu’il en a l’air et qui pose mille questions théoriques d’ordre aussi bien cinématographique qu’existentiel. Un logiciel informatique sera-t-il un jour doué de sentiments (question jadis posée par 2001 et Kubrick) ? Une relation amoureuse est-elle envisageable entre un humain et un programme ? Une relation charnelle virtuelle accomplie est-elle possible ? Un personnage de cinéma peut-il exister sans apparaître à l’écran ? Le corps de l’acteur est-il soluble non seulement dans le virtuel mais aussi et plus simplement dans le son ? Où se joue l’incarnation cinématographique ?

Si la voix de Her avait été celle d’une inconnue (éventuellement laide) plutôt que celle de Scarlett Johansson, comment le film en aurait-il été affecté, et dans quelles proportions ? La société devra-t-elle un jour tolérer la “différence” du cyborg comme elle a appris (ou doit continuer d’apprendre) à accepter les autres minorités ethniques ou sexuelles ? A toutes ces interrogations, Spike Jonze répond par un oui timide, fragile, encore perclus de doute.

Her est une fable qui nous pousse dans nos retranchements éthiques et conceptuels, teste notre réflexion sur la dernière frontière entre l’humanité et les machines, la chair et le virtuel. Le savoureux paradoxe (digne de Resnais) est de nicher cette pelote philosophique dans un objet filmique aussi émouvant et séduisant que ludiquement grave et humblement novateur. Après le surcoté Dans la peau de John Malkovich ou le décevant Adaptation, Spike Jonze signe là un fulgurant retour.

par Serge Kaganski, Les InRocks (extraits)

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La cour de Babel

La cour de BabelDe Julie Bertuccelli – France 2014 – 1h29 – Documentaire

La Cour de Babel : des ados unis dans la diversité

Non, vous ne rêvez pas : La Cour de Babel, le nouveau documentaire de Julie Bertuccelli, se passe à Paris, en 2013 ; dans une classe d’accueil du collège de la Grange-aux-Belles, dans le 10e arrondissement ; à des années-lumière de ce que l’on raconte sur la France d’aujourd’hui, sa déprime, son pessimisme forcené, ses pulsions xénophobes.

Une classe, 24 histoires. Un élève dont les parents sont diplomates, un autre qui vient étudier le violoncelle, une troisième qui vient en France pour retrouver sa mère, une autre en attente de droit d’asile. Le cinquième élève, un Serbe, chassé de son pays par des groupes néonazis juste parce qu’il est juif… Les uns s’expriment correctement en français, d’autres le baragouinent à peine. Peu importe. L’important est d’être là. De ne plus être triste d’avoir dû quitter son pays. D’essayer d’être heureux. Si possible. Au centre de ce film choral, un personnage anime, écoute, pose des questions, cherche des solutions, enseigne. Met en valeur les particularités de chacun, suscitant respect et confiance de la part de ses élèves. Brigitte Cervoni, la professeure de français. C’est elle qui fait vivre ensemble tout ce petit monde. Elle qui met du liant entre les élèves jusqu’à ce que se créent entre eux des rapports d’une profonde humanité ; qui trouve le temps de faire faire à ses élèves un film sur le thème de la différence. On dira que cette cour de Babel est un brin utopiste. Que cette classe, animée de main de maître par Mme Mme Cervoni, est une classe de rêve dans laquelle se développe une pédagogie d’exception. Il n’empêche. Cette classe a bel et bien existé, avec ces élèves et cette professeure. Nous n’oublierons pas le sourire de ces adolescents, confiants et heureux d’être en France. Pour combien de temps ?

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Nebraska

Nebraska2de Alexander Payne – Etats-Unis 2013 – 1h50 – VOST
Avec Bruce Dern, Will Forte, June Squibb…

Le dernier film d’Alexander Payne, Nebraska, fait encore plus référence au cinéma qu’il affectionne. Non seulement il redonne un rôle immense à Bruce Dern, mais il s’obstine également à travailler la route, la perdition, le détachement, une symbolique tirée directement du cinéma des années 60 et 70 lorsque les Coppola, Rafelson, Ashby, Schatzberg ou Ritchie s’acharnaient dans le même sens.

Toute l’œuvre de Payne tient dans la recherche d’identité mélancolique, à l’heure des questionnements, coincée aujourd’hui dans un monde et une nation qui subit une crise économique et financière très importante. Le metteur en scène se paye le luxe de filmer le tout dans un noir et blanc somptueux, très contrasté, allant même jusqu’à chercher des portraits à la Robert Frank lorsque ce dernier se chargeait d’aller photographier les américains. Les gens simples y sont encore une fois les protagonistes, les victimes d’un système qu’ils ne maîtrisent plus depuis longtemps et avec lequel ils ne font que composer.

L’histoire est un modèle d’écriture de scénario comme toujours chez cet auteur. Les personnages sont campés très justement, les situations sonnent vraies et ce qui pourrait passer pour simpliste chez un autre metteur en scène devient ici intense, drôle et raffiné. Bruce Dern incarne un père de famille lunaire, ronchon et un peu aux fraises. Ayant reçu un misérable papier publicitaire qui lui fait croire qu’il a gagné un million de dollars dans le Nebraska, il décide d’aller le chercher lui-même, contre l’avis de sa femme et à pied s’il le faut. Son fils, un vendeur Hi-Fi en pleine séparation, a beau lui expliquer qu’il ne s’agît que d’un leurre, il n’en fait qu’à sa tête. Le vieil homme part ainsi à la première occasion alors que tout le monde a conscience qu’il est fragile, alcoolique et presque grabataire. Touché par l’obsession de son père et par ses rêves oubliés, le fils entreprend alors de l’aider dans sa mission pathétique. Les voici embarqués sur une route où les souvenirs et les espoirs brisés vont se manifester à chaque carrefour.

Très vite avec Nebraska on se souvient des deux films maîtres de Payne, soit Sideways et Mr Schmidt. Déjà, il y cultivait une écriture douce-amère et géniale par bien des côtés. Dans tous ses films, les répliques font mouche, les caractères sont extrêmement bien trempés et l’émotion est à son comble. Fer de lance du nouveau cinéma indépendant, le cinéma de Payne se concentre sur l’Amérique des WASP, des pauvres et des écrasés. Ici il campe une histoire où l’on comprend son message principal : les habitants des petites villes du centre ou du nord de certains états subissent une misère qui a cessé d’être invisible, habillée par des bars moisis, des églises qui s’écroulent, des lieux abandonnés, des publicités antédiluviennes sans oublier les banques installées à chaque coin de rue mais fermées par on ne sait quelle décision sociale. Les lieux sentent l’abandon, l’oubli, la maladie et la mort. Au milieu de tout ça surnagent des peuples sans éducation, si ce n’est celle du foot, de la bagnole, des ragots ou de l’alcool. Véritables victimes d’un système qui est en bout de course, ces personnes ne demandent qu’à vivre simplement, sans problème et en famille. Ces dernières sont malheureusement délitées, en manque d’affection et en crise constante. C’est à peine si on sait ce qu’est l’amour comme l’explique une scène du film. Les héros du métrage passent ainsi d’incompréhensions en découvertes, mais toujours à distance du rêve américain qui est tendu un peu partout sur la longue route qui règle les espoirs et les croyances de chacun.
Payne réussit amplement ce film qui parle de sa région natale. Une fois de plus, on rit et on s’émeut constamment. Entre les images des sombres nuages et la route qui découpe les champs, il subsiste encore un maigre espoir de compréhension entre les gens. Nul doute qu’il s’agit ici d’un sujet très américain, aux problématiques très ancrées dans le quotidien de l’après-crise des subprimes. Toujours est-il que le fond reste universel, sensible et maîtrisé.
Prix d’interprétation masculine au festival de Cannes 2013 pour Bruce Dern.
6 nominations aux oscars de 2014.

Critique de Chris Huby

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Jean-Marc Vallée

Biographie

 Né le 9 mars 1963 à Montréal, Québec, il étudie le cinéma au Collège Ahuntsic et à l’Université de Montréal.

Il réalise Liste Noire en 1995. Ce film a suffisamment de succès au Québec pour retenir l’attention des studios d’ Hollywood. En conséquence, Vallée reçoit des offres de réalisation qui le maintiennent une dizaine d’années en Californie.

 À partir de 1995, il s’attache à réaliser C.R.A.Z.Y. Après dix années d’efforts, le film connaît un succès de salle au Québec et gagne plusieurs prix dont neuf prix Genie et quatorze prix Jutra. Le film obtient un énorme succès à travers le monde

 En 2009, il réalise le long métrage britannique produit par Martin Scorsese, Victoria: les Jeunes années d »une Reine, qui relate de façon romancée la jeunesse de la reine Victoria du Royaume-Uni. Le film est nominé aux Oscars du Cinéma.

 En 2013, il réalise aux États-Unis Dallas Buyers Club, nommé à l’Oscar du Meilleur Film l’année suivante. Ce film obtient trois Oscars du cinéma dans les catégories de meilleur acteur, meilleur acteur de soutien, et maquillage.

 Premier Québécois à avoir l’un de ses films en lice pour les Oscars : Dallas Buyers Club, Jean-Marc Vallée concourt dans la catégorie du meilleur film de l’année. Une nomination qui va de pair avec celle du meilleur acteur pour Matthew McConaughey et du meilleur acteur dans un second rôle pour Jared Leto – deux comédiens qui l’ont impressionné sur le tournage, et lui ont appris à sortir de sa « zone de confort ».

Rencontre avec Jean-Marc Vallée : « Matthew et Jared sont des mecs possédés »

 

Pour les besoins du film, Matthew McConaughey et Jared Leto ont perdu beaucoup de poids. Avez-vous eu peur pour la santé de vos acteurs sur le tournage ?

Jamais… Jared est taré, ça c’est sûr. Nous l’avons rencontré très tard. Il a tout simplement arrêter de manger pour maigrir, ce qu’il ne nous avait pas dit. Matthew, de son côté, sans doute parce qu’il a aussi une famille, a fait les choses de manière plus consciencieuse. Jared aurait peut-être dû faire de même, mais c’est sa façon de faire. Puis il n’a jamais donné un signe de faiblesse ou de perte de contrôle. Encore moins Matthew, qui tournait tous les jours contrairement à Jared. Ils étaient tous les deux toujours en pleine possession de leurs moyens, avec une énergie débordante, prêts à remettre en question le scénario, la mise en scène… Ce sont vraiment des mecs possédés.

Cette forme de possession a-t-elle créé une émotion particulière entre leurs personnages ? A-t-elle influencé leur manière de jouer ?

Beaucoup. Matthew et Jared, de par leur transformation physique, se sont motivés l’un l’autre. Ils étaient tous les deux impressionnés par leur apparence respective. Ils sont compétitifs et étaient stimulés par les performances que le film impliquait. Lorsque je disais « Action », ils se rendaient compte des liens établis entre eux et s’entraidaient alors. En étant témoins de leur comportement, tous les autres acteurs et même l’équipe avaient envie de se dépasser comme eux et d’être à la hauteur. Devant toi, devant la caméra, il se passe quelque chose de spécial, de géant, d’unique… Tu ne dois pas merder. Tu te dévoues donc à la cause comme eux. C’est aussi pour ça qu’on fait du cinéma. On aime faire semblant, créer des histoires, entrer dans un personnage. Et là, ça marche, ça a l’air vrai. Matthew et Jared ont contaminé involontairement tout le plateau.

La force qui s’est dégagée sur le tournage vous a donc impressionné ?

C’est sûr. Regardez ce que le public vit pendant deux heures, il en ressort complètement impressionné par la performance de Jared et de Matthew. Nous avions cela dix heures par jour pendant vingt-cinq jours de tournage. Nous étions le premier public. Dès la première semaine, ils m’ont sorti de ma zone de confort. Ils ont tout de suite mis la barre très haut, alors qu’en ce qui me concerne, je suis plutôt de l’école « less is more » : moins tu en fais, mieux c’est. Mais eux me donnaient du « more is more ». J’essayais de calmer le jeu, j’avais peur que ça soit du suicide professionnel, une comédie.  Ils ont finalement eu raison. Quand je leur demandais d’en faire moins, ils n’y arrivaient pas. En réaction, je me suis donc mis à l’écart, j’ai arrêté de filmer de trop près. La plupart du temps, je n’intervenais pas, j’ai appris à faire confiance à leurs instincts. Je n’ai pas eu à couper des performances. Elles étaient belles et touchantes sans que je m’y immisce. Je leur laissais aussi le champ libre pour bouger. Nous répétions dans le décor, sans éclairages, sans l’équipe, juste un cameraman et un petit moniteur. Parfois les répétitions s’avéraient nulles et on recommençait mais le plus souvent, la performance était spontanée, crue, réaliste, comme dans un documentaire. Comme John Cassavetes, je laisse une grande liberté aux acteurs. Pas de marques au sol, ils peuvent se mouvoir dans l’espace à 360°, l’équipe va dehors, je suis derrière le caméraman et dès que je vois un truc, je bouge ses épaules… et le pointeur, il se démerde. L’enfer pour un pointeur, ce genre de film.

Le Sida est-il un sujet qui vous touchait personnellement avant de faire ce film ? Pourquoi le scénario vous a-t-il tant intéressé ?

Pas du tout. Avant de raconter l’histoire des Buyers Club et du Sida, mon intention était de raconter l’histoire de Ron. C’est une crapule qu’on aime suivre. Ron est un homme homophobe, raciste, prêt à voler ses amis… mais on aime ce mec, on aime l’humanité en lui. Les scénarios avec de tels personnages sont rares. Et c’est grâce à McConaughey qu’on parvient à un tel résultat. C’est plus que de la simple interprétation. Si ça n’avait pas été lui, ça n’aurait pas fonctionné ainsi. Dès les premières minutes, le public est conquis par le personnage malgré ses défauts. Il devient un porte-parole sans le vouloir, à force de se défendre. Je sais néanmoins qu’il se déroule par ailleurs une histoire collective. C’est un film d’émotion qui devient par la force des choses un film politique, non l’inverse. Mais on a aussi voulu servir ce point de vue. Le film est ainsi un hommage aux activistes gay des années 1980 qui ne sont plus avec nous, sauf quelques-uns. Ils ont dû attendre 13 ans [de 1983 à 1996, ndlr] avant de finalement obtenir un traitement contre le Sida, la trithérapie. Une trithérapie qui comporte d’ailleurs de l’AZT, la molécule [zidovudine, ndlr] contre laquelle Ron se bat dans le film, à tort comme on l’a appris plus tard. Au début des années 1980, jusqu’en 1985, personne ne connaissait le véritable effet de l’AZT même si on lui reconnaissait du potentiel. Ron pensait, comme beaucoup de chercheurs, que l’AZT détruisait les anticorps des malades, déjà trop affaiblis. Si tu étais diagnostiqué comme atteint du virus VIH mais que tu n’étais pas encore malade du Sida, ce médicament transformait dans 95% des cas le virus en maladie. Alors Ron avait aussi en partie raison, l’AZT pouvait tuer des gens. Mais il faisait aussi de l’effet sur certains patients dont le système immunitaire était différent. Tout était une question de dosage.

Pourquoi avoir choisi la lumière naturelle ?

Nous n’avons aucune lumière artificielle dans le film. Si nous manquions de lumières, elles figuraient dans le décor. Avec des chandelles supplémentaires, le tour était joué. Dans la scène de la boîte de strip-tease, nous avons placé une centaine de petites bougies rouges sur toutes les tables autour, deux par table. Sauf pour le gros plan de Matthew qui fait penser à une église, où il y en avait une quinzaine. Le chef décorateur a éclairé le film avec l’aide du chef op’, ils ont géré la lumière en fonction de ce qu’ils avaient déjà naturellement. C’est aussi pour ça qu’il y a un truc à la Cassavetes dans le film.

Votre film est nominé six fois aux Oscars. Quel effet ça fait ?

Pour ma part, cela ne change pas grand-chose, mais cela change la perception des autres sur ton travail. Je l’ai bien senti après les Golden Globes (où Matthew McConaughey et Jared Leto ont remporté un prix pour leur prestation dans Dallas Buyers Club, ndlr). Beaucoup d’acteurs sont ensuite venus me voir. Rien que le fait d’être nominé, c’est plutôt cool pour les acteurs et l’équipe. Avec en plus les Critic’s Choice Awards et les Screen Actors Guild Awards, les garçons sont bien partis, rien ne peut les arrêter. Je serais content pour eux s’ils remportaient l’Oscar. La nomination des monteurs est aussi très belle.

Propos recueillis par Mathilde Doiezie, aux côtés de Born to Watch et GQ – Janvier 2014


 

 

 

 

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