John Turturro

John Turturo

L’idée de génie a été de confer à Woody Allen le rôle du maquereau. Comment est-ce arrivé ?
John Turturro J’avais joué dans un film de Woody Allen en 1986, « Hannah et ses soeurs ». Nous avions gardé le contact. Il se trouve que nous avons le même coiffeur. Et, un jour que je confiais à ce dernier l’idée de mon scénario, il m’a dit : « Woody Allen est mon client. Je vais lui parler. » Les choses se sont faites ainsi, ciseaux en main.

Comme dans la mafia ?
Oui. Beaucoup de films ont vu le jour chez le coiffeur. Beaucoup de truands ont été exécutés sur le fauteuil de leur coiffeur. Je me demande s’il y a une relation.

Donc… ?
Donc j’ai été voir un de mes copains, un libraire spécialisé dans les livres anciens, qui m’a dit : « Prends mon personnage, prends Woody Allen, et fais ton film. » Du coup, le personnage est devenu un maquereau bibliophile. Mon film est une version ironique de « Macadam Cowboy ».

Comment Woody Allen a-t-il réagi ?
Je lui explique ce que je veux faire, il me regarde. « Tu veux que je joue… un mac ? Tu es sûr ? » Je lui raconte mon scénario, et il le ponctue de remarques : « Ca, c’est pas drôle. » Puis : « Ca, c’est peut-être drôle. » Et finalement : « C’est drôle. »

Ecrire un scénario avec l’aide de Woody Allen, c’est comme être charpentier sous l’égide de saint Joseph.
… ou électricien avec M. Volt. C’est formidable.

Diriger Woody Allen, n’est-ce pas intimidant ?
Bien sûr ! Mais, sur le plateau, je dois dire qu’il est très facile, très coopératif. J’ajoute que je suis bien plus grand que lui, ça facilite les choses.

Votre film est une version amusante d' »American Gigolo » ?
Non. C’est un film sur l’amitié, sur les rapports entre les gens. Ces rapports sont faits d’affection, d’absurde, de ratages, de plein de choses. Le sexe, c’est secondaire.

Vous avez travaillé comme acteur avec beaucoup de grands réalisateurs : Scorsese dans « la Couleur de l’argent », Francesco Rosi, Michael Cimino, les frères Coen… Qu’avez-vous appris dans le domaine de la mise en scène ?
Qu’il ne faut jamais hésiter. Une fois que la scène est écrite, découpée, cadrée, il faut y aller. La rigueur, voilà la clé de tout. Le reste n’est que du vent.

A propos des Coen, l’un de vos rôles les plus mémorables, c’est celui de Jesus (prononcez Hésouss) Quintana, le joueur de bowling, dans « The Big Lebowski »…
Ah ! Je l’ai adoré, ce personnage. Vêtu de violet, l’ongle long au petit doigt, une sorte de voyou latino imbu de lui-même… C’est un personnage que j’avais conçu dans une petite pièce de théâtre, et les Coen l’ont aimé. On s’est dit qu’un jour nous tournerions un film avec la suite des aventures de Jesus Quintana… Il le mérite.

Vous êtes devenu metteur en scène parce que votre métier d’acteur vous frustrait ?
Non. Je suis très content de ma carrière d’acteur, j’ai eu beaucoup de chance. Mais il y a des histoires que je veux raconter. Je ne suis pas motivé par l’argent – on m’a proposé de réaliser des superproductions hollywoodiennes, j’ai refusé – ni par la célébrité. Je veux faire des trucs intéressants, voilà tout.

Comme à vos débuts ?
Exactement. A la fin des années 1970, quand j’ai débuté dans le métier, je jouais dans des pièces off-off-off Broadway, pour des cachets ridicules. C’était tellement off que c’était dans le Nebraska, ou presque. On ne mangeait que la poussière des planches et le papier peint de la chambre d’hôtel. Mais j’ai adoré cette période. Le théâtre était roi. Le cinéma, c’était bon pour les vendus. Nous, nous étions des purs. Le jour où on m’a payé 300 dollars la semaine, j’ai cru que j’étais milliardaire !

Qu’est-ce qui vous poussait ?
L’amour du théâtre. Je ne voulais rien faire d’autre. Rien.

Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis, sur le cinéma-bon-pour-les-vendus ?
La Nouvelle Vague. J’ai vu les films de Trufaut, de Godard, de Chabrol, de Rohmer, de Louis Malle, et je me suis dit : il existe un autre cinéma que celui des studios. Un cinéma d’auteur. C’est drôle de penser qu' »Ascenseur pour l’échafaud » a pu changer ma vie…

Comment avez-vous découvert le théâtre, enfant ?
Mon père était charpentier, ma mère chantait en amateur, et ils allaient au spectacle. La famille vivait dans une électricité permanente : mes parents s’adoraient, mais ça criait pas mal, aussi. On riait, on cassait des assiettes, on hurlait, on s’embrassait. Très italien, tout ça… C’était comme un théâtre permanent. Il y avait du théâtre dans ma vie, et je me suis borné à mettre de la vie dans mon théâtre… Je me suis tout de suite passionné pour Shakespeare et Tennessee Williams. Le cinéma, c’est une autre histoire…

C’est-à-dire ?
Les acteurs de cinéma, dans ma jeunesse, étaient beaux et blonds. Moi, je ne suis pas beau et je suis brun.
Je n’imaginais pas avoir une carrière dans les films. Puis j’ai vu Dustin Hoffman dans « Little Big Man ». Boum badaboum ! Tout a changé. Il était petit, brun et moche. Si lui pouvait être tête d’affiche, alors moi aussi.

Quels ont été les rôles déterminants pour vous ?
Probablement « Do the Right Thing », de Spike Lee, et « Miller’s Crossing », des frères Coen. Dans les deux, je jouais des personnages qui n’ont rien d’héroïque. C’est devenu ma note personnelle : le trouble. Mais ma passion du théâtre n’est pas éteinte. Mon deuxième film comme metteur en scène, « Illuminata », en 1998, se déroulait dans les coulisses d’un théâtre, et, à l’occasion, je remonte sur les planches avec plaisir.

« Apprenti Gigolo » est votre cinquième film comme metteur en scène. Vous êtes en dehors du cinéma américain d’aujourd’hui. Pas de superhéros, pas d’explosions, pas d’effets spéciaux…
C’est du cinéma d’artisan, et j’en suis heureux. Car, depuis 1927, on est passé du cinéma muet au cinéma qui n’a rien à dire. Essayons d’inverser la tendance, c’est ce que m’a dit mon coiffeur.

Par 9 avril 2014

 

 

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