Pablo Berger

Né en 1963 à Bilbao

Espagne

Réalisateur, scénariste, producteur

Torremolinos 73, Blancanieves, Abracadabra

Après “Blancanieves”, le réalisateur espagnol montre à nouveau son originalité avec “Abracadabra”, une comédie où un macho espagnol se met à faire le ménage après avoir été hypnotisé par un spirite amateur… Un conte sur le couple dont la dimension féministe est assurément très actuelle. Rencontre avec Pablo Berger.

Avec Abracadabra, vous avez voulu prendre le machisme hispanique pour cible ?

Le machisme hispanique est un élément important de l’histoire. On a cette image de l’homme espagnol qui résout ses problèmes en cognant, et c’est une réalité. Mais en France ou en Scandinavie, cette violence-là existe aussi. Le machisme dont je parle dans Abracadabra est présent partout.

La société espagnole me sert de décor pour délivrer un propos universel. Mais je ne voulais surtout pas faire une thèse sur les rapports entre les hommes et les femmes. C’est par le prisme de la comédie que j’ai voulu m’exprimer. C’est toujours la meilleure façon d’aborder des thèmes sérieux car les gens ne sont pas sur la défensive.

Comment les femmes ont-elles réagi au film en Espagne ?

Le film a très bien marché en Espagne, les femmes se sont identifiées au personnage de Carmen. L’univers féminin me plaît depuis toujours. Tous mes films ont des héroïnes fortes, qui s’appellent toutes Carmen. J’aime l’image de la Carmen de Mérimée, qui a vraiment vu la femme espagnole à travers son personnage. C’est cette femme dont j’explore les différentes facettes.

Dans Abracadabra, Carmen est une femme qui est métaphoriquement hypnotisée par son mari et qui doit se libérer de cette mainmise dans laquelle elle est maintenue. Elle est victime d’une sorte de syndrome de Stockholm : elle est devenue complice de celui qui la garde prisonnière. Sa vie est comme un chemin miné où, à chaque instant, une explosion menace : voilà son quotidien avec son mari.

Carlos, ce macho ibérique, représente l’homme brutal, forgé par toute une éducation, tout un héritage. Lui aussi est une victime : la société ne lui a pas appris à vivre autrement avec une femme. Il aime Carmen mais il ne sait pas la respecter.

Abracadabra invite les femmes à se libérer. Mon film dit que Carmen doit trouver en elle-même la solution : elle n’a pas besoin de quelqu’un, elle n’a plus besoin de Carlos, elle doit pouvoir se sentir libre de commencer une nouvelle vie.

En montrant un homme possédé par la violence et une femme qui doit se défaire de l’emprise que cet homme a sur elle, votre film croise les débats ouverts par l’affaire Weinstein…

Les tempêtes ont toujours un sens. Le monde n’a pas changé autant qu’on le pense. Quand j’avais 18 ans et que j’étudiais à l’université, on parlait de la libération de la femme, et je n’aurais jamais pensé que, trente ans plus tard, le féminisme serait toujours un combat d’actualité. Mon film est le reflet d’une société qui doit encore changer. S’il peut apporter un éclairage sur ces enjeux très importants, j’en suis ravi.

Vous êtes un cinéaste très inventif sur le plan visuel, comment travaillez-vous le style de vos films ?

A chaque fois, il faut trouver une palette. Torremolinos 73 (2003), c’était les années 1970, les couleurs un peu passées de l’Espagne de Franco. Blancanieves (2012), un noir et blanc très contrasté, et des couleurs criardes pour Abracadabra. A travers les costumes, les couleurs, le maquillage, on peut créer des sensations. Comme, cette fois, à travers la présence de Madrid, qui est un des personnages du film.

Mon style, c’est surtout l’émotion, l’humour, la surprise et la musique. C’est ce qui unit tous mes films. Je ne parle jamais de kitsch car ce mot a une résonance péjorative pour les personnages. Je veux que le spectateur puisse les aimer autant que je les aime, et qu’il les accompagne dans leurs aventures délirantes. Leur façon de s’habiller n’est pas décorative, elle raconte qui ils sont. Carmen est une femme déprimée mais elle refuse de le voir : au lieu de prendre du Prozac, elle s’achète des vêtements qui brillent pour se sentir mieux.

Abracadabra montre, comme Blancanieves, votre intérêt pour les contes : que représentent-ils pour vous ?

Tous mes films sont des contes. Abracadabra n’en reprend pas un en particulier, mais c’est une fable moderne. Mon travail de cinéaste consiste à exorciser mes obsessions. Mon clavier d’ordinateur est comme une planche de ouija qui permet d’entrer en contact avec l’autre monde, de dialoguer avec mes démons.

Quand j’écris, je suis comme un possédé dans un film d’horreur, j’expulse des images, des fantasmes, des sensations, des idées. Et je les réunis à travers des histoires simples mais qui ont toujours différents niveaux de lecture. Cela me permet de faire des films ouverts qui n’excluent aucun spectateur, les cinéphiles comme ceux qui ne vont au cinéma que de temps en temps.

Pourquoi avez-vous donné un rôle clé à l’hypnose dans Abracadabra ?

J’aime entraîner les spectateurs dans un monde rêvé qui n’est pas très loin du monde réel. C’est un peu ce que proposait l’esperpento – ce courant littéraire et pictural espagnol qui regardait le monde comme dans un miroir déformant, pour faire apparaître d’une manière presque satirique nos façons d’être. Mon cinéma a donc un lien fort avec l’hypnose, je suis l’hypnotiseur ! Je ne veux pas que le spectateur voie le film, je veux qu’il le vive.

Frédéric Strauss pour Télérama, le 05/04/2018

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