Louis Garrel

Né le 14 juin 1983 à Paris

France

Acteur, réalisateur

Les Deux Amis, L’Homme Fidèle

Louis Garrel : « On voulait que le film soit joueur, étrange, surprenant tout le temps… »

AlloCiné : L’homme fidèle est un film assez surprenant car il ne va jamais là où on l’attend…

Louis Garrel, acteur et réalisateur : Oui, le film est étrange car il commence comme un film français, c’est à dire qu’on s’attend à un programme et en fait, assez rapidement, le film change de programme. C’est un truc que le film ne va pas cesser de faire : changer de programme tout le temps. Il va alterner

entre une comédie dramatique, puis film comique, puis film policier… Il est comme ça : inconstant ! C’était le désir qu’on avait avec Jean-Claude Carrière, [co-scénariste du film], d’essayer de prendre tout le temps à contre-pied les attentes du spectateur. Comme spectateur, on est très rapide. Quand un film commence, on se dit : voilà, il va se passer ça… On voulait que le film soit joueur et essayer d’être surprenant tout le temps. Comme dans une partie d’échecs, essayer de deviner ce que les spectateurs attendaient pour essayer de leur donner autre chose pour maintenir ce qu’on appelle l’intérêt dramatique.

Aviez-vous en tête, dès le départ, tous ces rebondissements, ou vous avez joué en écrivant ? 

 Pour notre première collaboration ensemble, je lui ai proposé de partir de l’idée de La Seconde Surprise de l’Amour de Marivaux et il ajouté l’idée du « remariage », c’est à dire du couple qui se sépare et qui se remet ensemble avec toutes les péripéties que ça engendre. Le film empreinte donc au marivaudage, au film de « coming of age » et aux comédies romantiques. On a joué dans l’écriture. La première scène, dont les gens me disent qu’elle est assez surprenante, on l’a d’abord écrite, et ça a défini des caractères. Plutôt de se dire qu’on va prendre des personnages qui obéiraient à cette loi dramaturgique, on les a plutôt lancés dans une situation, et ça les a définis. Ensuite, on a improvisé avec Jean-Claude [Carrière]. Car ce qui est rigolo, c’est que lui et moi, on n’aime pas forcément les mêmes films. Je suis peut être plus sentimental que lui. Lui est plus sec. Par exemple, il déteste les explications psychologiques. De temps en temps, j’ai besoin que ça soit plus expliqué. C’était une espèce de conflit entre lui et moi, même en tant que spectateurs de cinéma. Ce qui a donné ce scénario qui nous appartient à tous les deux. On a essayé d’être le plus surprenant possible. Je ne pense pas que le film soit un triangle amoureux. Il y a un texte sur le film que j’ai lu qui m’a bien plu qui s’appelle Rectangle amoureux et j’aimais bien ça, car c’est plutôt quand même à quatre. Il y a deux femmes, un garçon et un petit garçon qui a 10 ans. Ce dernier essaye de manipuler les adultes comme un enfant, mais qui n’est pas du tout conventionnel. C’est un petit garçon qui voit des meurtres partout. Il est comme un détective.

Oui, c’est la vraie surprise du film, d’autant qu’on ne le voit pas sur l’affiche.

Oui, il a des coups à jouer dans le film.

Et c’est lui qui amène le film un peu vers un autre genre…

Oui, quand il fait irruption dans le film, tout d’un coup, il fait changer le film de régime. On oublie tout ce qui vient de se passer et on se dit que le film change de registre, pour au final rechanger de registre. C’est l’élément perturbateur par excellence. Il vient perturber la quiétude du personnage qui essaye de reconquérir une femme qui l’a quitté 10 ans auparavant. Sauf qu’entre temps il y a un enfant qui a grandi et qui ne veut pas que les choses se passent de manière top calme pour plein de raisons.

L’homme fidèle est un film cinéphile, nourri de films, de références, comme Rohmer ou Téchiné, comme si le film était dans une continuité, un prolongement de ces auteurs…

Parfois, ce n’est pas tout à fait conscient. On fait avec ce qu’on est. Quand les gens me parlent de François Truffaut, je ne pense pas du tout faire un film à la François Truffaut. Mais il se trouve que quand j’avais 14 ans, c’est un des cinéastes qui m’a le plus plu, le plus touché. Je parle la langue du cinéma que j’ai aimé. Après, il y a des choses plus conscientes. Par exemple le fait de travailler avec Philippe Sarde qui a beaucoup fait la musique de Claude Sautet, qui sont aussi des films qui m’ont beaucoup plu quand j’étais adolescent. C’est aussi une manière de les citer ou faire intervenir des souvenirs cinéphiles.
On a projeté le film à l’étranger et les gens nous disent : c’est très Nouvelle vague. Mais je ne pense pas du tout. C’est très différent. (…) La Nouvelle Vague, c’est plein d’idées différentes de cinéma. (…) Ou peut être que c’est cette espèce de douceur, un peu comme dans la série des Doisnel, qu’on retrouve dans le film. Ca n’empêche pas la cruauté dans le film, mais c’est peut être ça qu’il y a de commun avec Antoine Doisnel. Mais la vérité, c’est que de temps en temps, même en interview, je fais semblant de pouvoir faire de grandes théories sur le film, mais je ne sais pas très bien, car quand on fait un film, c’est plus pulsionnel que réfléchi. On réfléchit, mais c’est plutôt des désirs : j’avais envie de filmer Laetitia Casta, j’avais envie de filmer Lily Rose Depp, j’avais envie de travailler avec Jean-Claude Carrière. Puis ensuite, il y a eu les désirs de Jean-Claude, Laetitia… Tout se met en place et il se trouve qu’il y a un film. Peut être plus tard, je pourrai le regarder avec de la distance.

Il y a trois voix off dans le film. Pourquoi avoir utilisé ce procédé?

J’aime beaucoup les voix off. Ca me permet aussi de rompre avec l’illusion du cinéma qui peut m’angoisser. La voix off me permet de prendre de la distance et c’est une modulation du passé car une voix off est souvent au passé. Ca me met à égalité avec le spectateur. J’avais décidé de faire trois voix off ce qui a beaucoup plu à Jean-Claude Carrière qui n’en avait jamais utilisé autant dans un de ses scénarios. La voix off fait très François Truffaut et j’adore ce cinéaste. Comme c’est un film à petit budget, pour des raisons techniques j’ai dû renoncer à avoir des acteurs de figuration sur le film. Les rues et les cafés sont donc très déserts ce qui fait penser à la nouvelle vague qui s’est faite dans une économie très restreinte. Ce qui m’embêterait c’est que le film fasse nostalgique.

Quel est votre auteur de théâtre préféré?

On dit souvent que tout est contenu chez Shakespeare. C’est la bible au théâtre…

Propos recueillis par B. Baronnet pour Allociné et Q,Hervouet pour AvantPremière.

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