David André

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Le Blog documentaire : Quelle drôle d’idée que ce film ! Une « comédie musicale documentaire », ou alors faudrait-il dire « documentaire social en chansons ». Comment en es-tu arrivé à cette proposition plutôt audacieuse ?

David André : Je m’interroge encore ! J’ai toujours fait de la musique, depuis que j’ai 16 ans. J’ai longtemps composé, chanté, fait chanter les autres… C’est quelque chose que j’adore, passionnément et simplement. Il y avait même une époque où je me trouvais assez bon… (rires) Et puis un jour, en discutant avec un ami, nous nous sommes dit en rigolant : « Y’en a marre de ces films trop sérieux et un peu austère ; faisons donc de la comédie musicale pour changer ! ».

Sauf que j’ai pris cette idée très au sérieux. J’ai trimbalé cette envie pendant plusieurs années, en imaginant même faire des remakes. Par exemple la vie des caissières de supermarchés dans Les Parapluies de Carrefour… Mais petit à petit, s’est imposée à moi l’idée de réaliser un film poétique, sans horizon, sur la jeunesse en France. Et c’est lors d’un précédent tournage à Boulogne-sur-Mer que je me suis rendu à l’évidence.

On tournait un film sur Jack Lang, ancien député du Pas-de-Calais, pour la série « Empreintes », et on a visité avec lui le lycée Mariette. Ça a été le premier coup de foudre. J’ai flashé ! J’ai alors demandé au proviseur si je pouvais rester dans l’établissement, sans caméra. J’ai observé, puis écrit une première esquisse du projet. Je l’ai ensuite présentée à Caroline Glorion, conseillère de programmes à l’unité documentaire de France 2. Je pensais qu’elle me prendrait pour un fou, mais elle a trouvé ça génial, comme Fabrice Puchault, le directeur de l’unité.

Difficile de réussir un tel pari… et pour que cela fonctionne, il faut, si ce n’est des héros, du moins des personnages forts, et complexes. Or, c’est le cas dans « Chante ton bac d’abord ». On entre très vite, et plutôt facilement, en empathie avec les personnages. Comment les as-tu choisis ? Avec quels « critères » en tête ? On imagine aussi que tu as dû essuyer quelques résistantes, et quelques refus ?

J’ai effectué un premier repérage au printemps 2012 au cours duquel j’ai rencontré beaucoup de monde, dont Alex et son père. Nous avons sympathisé – encore un coup de foudre ! Mais je me disais qu’ils étaient trop tonitruands, trop « hors carde » pour que ça fonctionne… Alex m’a ensuite présenté ses ami(e)s., dont Gaëlle. J’ai rencontré son père, qui travaille sur le port de Boulogne. Et de fil en aiguille, j’ai fait la connaissance de Caroline, Rachel et Nicolas. Ils forment une vraie bande de potes, et c’était sans doute cela que je cherchais.

Mais restait à convaincre les parents. Pendant deux mois, j’ai fait des allers-retours entre Paris et Boulogne, j’ai beaucoup parlé, j’ai présenté mes films précédents, notamment Une peine infinie. Il fallait que je leur explique que je n’allais pas faire un simple reportage télévisé.

J’ai ensuite commencé à tourner le jour de la rentrée, mais j’avais encore des doutes. Je n’étais pas sûr d’eux, et eux n’étaient pas sûrs de moi. J’a loué un appartement près du lycée en septembre 2012 (impossible d’aller à l’hôtel, étant donné le budget de la production), avec 3 ou 4 chambres pour entreposer tout le matériel dont j’avais besoin – y compris les instruments de musique. J’ai commencé à tourner de manière régulière dès le mois de novembre en imaginant un peu ce que j’allais raconter. Et je n’étais vraiment pas convaincu que ça allait être passionant !

On a vraiment l’impression d’un film « avec » eux, et non « sur » eux. Comment se sont construites vos relations ? Et comment s’est passé le tournage ? Quelle est la part de mise en scène, ou en situation, dans les séquences qui sont restées dans le documentaire ?

Je pourrais répondre à cette question avec une immodestie folle furieuse, et dire que j’aurais pu réaliser ce film avec d’autres lycéens. Il suffit de regarder les gens pour trouver les romans ou les mythologies qui les habitent. Chacun de nous renferme cette dimension de récit ou cette part d’imaginaire, et on peut la déceler si on prend le temps de la chercher.

Mais pour répondre à la question de manière plus honnête, je dois avouer que j’étais en quête de roman social et que j’ai eu beaucoup de chance de croiser ces familles, avec des relations très riches entre parents et enfants. Cela étant, tous ces personnages n’ont pas suffi à tempérer mon angoisse : qu’allais-je pouvoir raconter ? J’étais un peu pétrifié car je ne trouvais pas des enjeux aussi forts que dans Une peine infinie.

Si je repense à Alex et son père, je ne savais pas trop quoi faire de plus que de filmer leurs concerts. S’agissant de Nicolas, son père a refusé d’apparaître dans le film, et je ne percevais pas non plus ce que je pouvais trouver du côté de sa mère. Alors, je me suis sans doute beaucoup raccroché à Gaëlle – et ça se sent dans le film. Dans l’opposition à son père et dans son envie d’aller Beaux-Arts, il y avait le début de quelque chose qui pouvait faire sens.

Son père était plutôt réticent à l’idée de participer au film au départ. Il a finalement accepté, et nous avons alors imaginé la séquence dans le bar. On a repéré et répété cette scène avec mon chef-opérateur Thibault Delavigne comme si nous étions dans un film de fiction. Les valeurs de plans, la lumière, les cadrages… Tout était prêt pour le jour J. Nous avons même bloqué l’accès au café. Le père de Gaëlle était mal à l’aise, et on arrivait pas à obtenir grand chose de probant. Je leur ai alors expliqué que si ce n’était pas agréable pour eux, ce serait nul pour moi aussi, et pour le film. On a fait une pause, puis on est reparti en parlant de la conseillère d’orientation, et est arrivé ce moment où le père de Gaëlle lui explique qu’il ne pourra pas lui offrir de nouvelles études si elle se trompe de choix. Cette scène a résisté au montage. On pourrait croire que c’est « fictionné », mais il s’agit seulement d’une exigence cinématographique qui grandit tout le monde. Les remises de bulletins scolaires, par exemple, ont été captées en « cinéma direct »…

Venons-en aux chansons. Comment ont-elles été écrites ? Et comment ont-elles été mises en musique ? Puis en images ?

J’avais un peu peur que les lycéens fuient, alors je ne leur ai parlé de ces chansons qu’après quatre mois de tournage. L’idée les a fait beaucoup rire, et ils en étaient finalement ravis. Au fil de l’année, un semblant de dramaturgie commençait à apparaitre (par exemple avec la visite aux Beaux-Arts), et je leur demandais d’écrire leurs sentiments ou leurs impressions en fonction de la trame que je voyais se dessiner. Par exemple, Gaëlle a rédigé une « adresse à son père », dans laquelle elle lui dit ce qu’elle a sur le coeur. Je compose ensuite la mélodie au piano, et lui propose. On discute ensemble et on parvient à ce morceau, « Ne t’en fais pas, papa ». Avec Caroline, je lui ai demandé d’écrire ce qu’elle pensait du village dans lequelle elle habitait. Sur le papier, elle explique : « J’ai une vue sur un champ de terre » ; ce qui deviendra, en chanson, « chemin de terre, chemin de fer ».

Nicolas, lui, ne voulait pas aborder la mort de son canard. Il me racontait n’importe quoi, alors même que je savais que son animal avait succombé au froid. Pour arriver à « Duck is dead », j’ai dû lui faire comprendre qu’on fabriquait un documentaire qui ne pouvait pas se contenter de ses fables personnelles. Les discussions ont été assez nourries avec lui sur l’écriture des chansons, mais je crois que nous sommes parvenus à des morceaux qui correspondent bien à son personnage, et à son état d’esprit de l’époque.

Ces séquences chantées ont été réalisées un peu à l’arrache, avec un matériel très léger. Nous étions deux ou trois dans l’équipe, avec un téléphone portable qui diffusait la mélodie. Les voix ont été enregistrées par les lycéens dans l’appartement que j’avais loué. Je voulais que tout reste spontané, et à leur image. J’ai donc préféré un bon micro qui coupe les réverbérations à Boulogne, plutôt que les studios parisiens

Le film semble finalement très découpé. Il procède plus par instants, baignés de musique par ailleurs, que par séquences qui s’étendent sur la longueur. Cette représentation un peu impressioniste – ou pointilliste – était-elle une intention de départ ou s’est-elle imposée au cours de la réalisation du documentaire ?

Je voulais réaliser un film qui ait la pèche ! Il y a peut-être un peu trop de musique, c’est vrai, mais j’avais vraiment envie d’un grand film épique et romantique sur la jeunesse d’aujourd’hui. Il me fallait donc un montage dynamique, avec de vraies scènes de cinéma (la visite aux Beaux-Arts, le jour des résultats du bac, etc.). Or, la plupart du temps, ce que je filmais était très répétitif. J’ai enregistré au moins 40 scènes le matin devant le lycée, et il ne s’y passe pas grand chose. Tout juste saisit-on quelques éléments sur leur manière de s’exprimer, sur leur langage – corporel et vocal. Il n’en reste pas beaucoup dans le film.

D’une manière générale, le cinéma documentaire qui fait du naturalisme pour le naturalisme m’ennuie. J’ai beaucoup aimé les 3h15 de la dernière palme d’or, Winter Sleep, mais je partage aussi l’avis de Ken Loach : un bon film ne doit pas durer plus longtemps qu’un match de football. Je revendique le droit à l’action dans le documentaire. Le « cinéma direct », quand il ne fait pas progresser l’histoire, tend à m’exaspérer. Je revendique donc un récit tendu, et je comprends que ma proposition de montage pose question. On m’a d’ailleurs interpellé sur le manque de temps morts lors de certaines projections en avant-première. Mais contrairement à Une peine infinie, où je joue beaucoup sur les silences, du procureur notamment, je souhaitais avec Chante ton bac d’abord osciller constamment entre émotions, sourires et gravité. Je pense qu’on ne s’ennuie pas devant mon film, et c’est ce qui m’intéresse – même si je concède que ce n’est pas un critère de réussite.

Le film s’ouvre quasiment sur la voix-off de Gaëlle qui, à deux reprises dans le déroulé de la narration, vient exposer les enjeux de ce qu’il va advenir. Etait-ce une volonté du diffuseur d’être aussi transparent dans le récit ?

C’est effectivement une exigence de la télévision, et j’ai enlevé certains passages de voix-off dans la version du film qui sort en salles. Je suis d’accord avec cette remarque : la voix de Gaëlle me paraît un peu artificielle au début. Une fois qu’elle s’est installée, on s’y habitue et on a même envie qu’elle revienne, je crois. J’ai aussi essayé de ne pas trop la diriger dans l’interprétation, ni de gommer son petit accent du Nord. Elle a également été très libre dans le choix de certaines phrases.

En février 2013, j’imaginais plutôt une voix-off comme celle qu’on peut entendre dans Les Deux Anglaises et le Continent. Je rêvais que le film soit une réminiscence, que Gaëlle mange sa glace sur la plage en lançant un récit au passé. Mais les tests que nous avons tentés ne se sont pas avérés concluants.

Cela étant, l’enjeu de la voix me plaisait avec Gaëlle. Je n’ai certainement pas bien trouvé la manière de la fixer dans les premiers passages du film sur lesquels elle intervient, mais c’est une facette du récit indispensable à mes yeux. Une facette qui reste perfectible, nous sommes d’accord…

Le film alterne des entretiens assez convenus et des fulgurances plus poétiques. Or, les premiers posent parfois question. A quelle place as-tu voulu assigner les lycéens en leur proposant ce cadre qui, à certains endroits du montage, prend un peu la forme d’une confession intime ? C’est frappant quand les uns expliquent ce qu’ils pensent des autres cependant que nous voyons ces autres en illustration. D’où et à qui parlent-ils dans ces scènes ?

Tu évoques la scène dans laquelle on parle d’Alex, personnage que j’adore par ailleurs… Au départ, j’ai fait parler chacun des personnages de tout le monde, et il n’en reste quasiment rien dans le montage final. Quand je mène ces entretiens, j’ignore encore quel sera le statut de ces paroles dans le film. Même si jaime bien les documentaires basés sur la parole – et j’en ai réalisé quelques-uns de ce type – je voulais un film où l’histoire soit portée par les scènes qu’on aurait filmées. Mais c’est un peu plus complexe que cela, et ce qui émerge de la parole ainsi enregistrée de ces lycéens est très riche (il y a une dizaine d’heures d’interviews sur les 200 heures de rushs). Quand Gaëlle, filmée en contre-plongée, explique que ses parents n’ont peut-être pas eu l’occasion de s’épanouir, c’est très beau ! C’est peut-être même l’un des moments que je préfère dans le documentaire.

Je n’ai donc jamais fermé la porte à ces entretiens, et ils ont été salutaires au sens où ils m’ont permis d’expliquer à chacun des personnages ce que je cherchais pendant le tournage. Et au final, je pense que le film dénué d’entretiens serait nettement moins bon.

S’agissant de la séquence que tu évoques, elle doit durer 7 secondes ! Et pourquoi, d’ailleurs, le film ne récupérerait-il pas certains codes des confessions adolescentes ? Il y en a peut-être 3% dans l’ensemble du film, mais ça correspond aussi à ce qu’ils vivent, à leurs cadres. Ces propos sont intéressants, et il faut les entendre. Si c’était à refaire, je maintiendrais ces courtes scènes.

Le film expose, de manière évidente, les idéaux des jeunes qui viennent se fracasser sur le réalisme parfois rigide de certains de leurs parents. Ce sont deux générations qui en disent long sur l’évolution de la société française… mais c’est aussi un documentaire sur une ville, sur un paysage industriel et urbain particulier. Et c’est peut-être la part la plus poétique du film, celle qui évoque le plus de choses, qui renferme aussi un imaginaire disparu ?

Cette ville est effectivement très touchante, et très humaine. A un moment de la composition du film, j’ai persuadé mon monteur de travailler sur une séquence représentant Boulogne-sur-Mer sous la neige. Il n’y croyait pas, et nous avons mis trois jours pour en venir à bout. Et au final, ce sont des plans très évocateurs qui en disent beaucoup plus que ce qu’ils figurent. Cette ville est simplement belle, nostalgique sans doute. J’ai en tout cas essayé de la filmer comme quelque chose qui mérite qu’on s’y arrête, et j’ai veillé à ce que l’image soit à la hauteur du passé de cette cité.

Dernière question : on imagine que, lors des premières projections du film, les spectateurs s’interrogent sur le devenir des personnages du documentaire… . Mais on a plutôt envie de savoir comment ont-ils vécu le tournage, et surtout la projection de leurs propres vies au cinéma ?… Gaëlle t’accompagne lors de certaines présentations, mais penses-tu que le film a créé quelque chose de plus chez eux ?

Cette question est très angoissante pour moi. Pendant tout le tournage, j’ai mené un travail de pédagogie permanent pour leur expliquer que, sans doute, Google se souviendrait longtemps de ce film. A chaque instant de la fabrication du documentaire, j’ai ressenti cette responsabilité qui était la mienne. D’autant que je ne fais pas fondamentalement ce film pour moi ; mais plutôt pour eux, et leurs familles.

Ils ont donc été les premiers à voir le montage final au cours d’une projection où tout le monde a pleuré, s’est applaudi et, surtout, où chacun s’est reconnu. C’était essentiel pour moi.

Le film a ensuite créé des solidarités entre les familles. Elles s’entraident, notamment pour trouver des stages, ou se donner des pistes pour des jobs d’été. Et je prends ma part ! On ne s’immisce pas impunément dans la vie des gens pendant 6 mois… « Tonton David », comme ils m’appellent, trouve donc aussi des stages pour ces bacheliers. Ils me consultent parfois, me demandent des conseils et j’ai très envie de me montrer digne de leur confiance.

Ces jeunes ne sont d’ailleurs pas du tout dans le calcul ; ils sont simplement généreux. Ce qui leur tombe dessus avec ce film est assez dingue, et finalement très bénéfique pour ceux d’entre eux qui ont le moins confiance en eux.

Propos recueillis par Cédric Mal

 

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