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L’enlèvement

L’enlèvement (Rapito), Italie, 2h 14 , VO

De Marco Bellocchio, avec Paolo Pierobon,Enea Sala,Leonardo Maltese

En 1858, dans le quartier juif de Bologne, les soldats du Pape font irruption chez la famille Mortara. Sur ordre du cardinal, ils sont venus prendre Edgardo, leur fils de sept ans. L’enfant, baptisé en secret, étant bébé, par sa nourrice inquiète pour le salut de son âme. La loi pontificale est indiscutable : il doit recevoir une éducation catholique. Il devient le protégé, autrement dit l’otage du pape-roi Pie IX. Ses parents d’Edgardo, bouleversés, vont tout faire pour libérer leur fils de l’endoctrinement qu’il subit à grand renfort d’Agnus Dei et de parties de cache-cache dans les jupes du Saint-Père. Soutenus par l’opinion publique de l’Italie libérale et la communauté juive internationale, le combat des Mortara prend vite une dimension politique. Mais l’Église et le Pape refusent de rendre l’enfant, pour asseoir un pouvoir de plus en plus vacillant…Au nom du fils perdu, le cinéaste embrasse le désespoir de ses parents lors de scènes déchirantes ponctuées par de grandes envolées musicales. Son lyrisme, jamais pompier, se double d’un éternel penchant pour l’onirisme, qu’il s’agisse d’Edgardo décrochant un Christ sanguinolent de sa croix ou de Pie IX rêvant que des rabbins viennent le circoncire de force dans la nuit. Mais la séquence où le pape oblige une délégation juive à ramper à ses pieds, tient, elle, d’un cauchemar bien réel.

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Lost in the night

LOST IN THE NIGHT

Film d’Amat Escalante – Mexique – 2023 – VOST – 2h

Avec Juan Daniel,Garcia Trevino,Barbara Mori,Ester Exposito…

En 2013, Amat Escalante signe Heli,un film choc aux images inoubliables dénonçant la violence aveugle de la police paramilitaire mexicaine sous prétexte de lutte contre le narco-trafic (prix de la mise en scène au festival de Cannes 2014). Deux ans plus tard, il tournait La Région sauvage qui explore une veine fantastique particulièrement fascinante.

Avec Lost in the night, le réalisateur confirme son talent en faisant brillamment la synthèse entre les deux. Même s’il n’est que suggéré dans un premier temps,l’aspect fantastique suinte dès les premières images du film, celles d’une intrigante maison contemporaine apparement abandonnée, posée entre désert et lac. On comprendra par la suite l’importance du lieu, qui va quasiment devenir un personnage à part entière de l’intrigue…Mais le récit commence vraiment dans une région centrale du Mexique, par une manifestation contre une mine géante que s’apprête à exploiter un consortium canadien, menaçant l’environnement et les emplois locaux. Une militante anime un débat public houleux, où interviennent en faveur de la mine des ouvriers ouvertement manipulés. Le petit groupe d’opposants quitte les lieux à la tombée de la nuit et comme on pouvait le craindre, son véhicule est intercepté par des paramilitaires : le chauffeur est assassiné et l’oratrice contestataire kidnappée. Rien que de très ordinaire dans un pays où la répression des militants écologiques est d’une brutalité sans limites et où l’impunité des policiers est totale.

Trois ans plus tard, Emiliano, le fils devenu adulte de la militante, désespéré de l’inaction totale des enquêteurs – qui ne se donnent même pas la peine de faire semblant de rechercher la disparue – tombe par hasard à l’hôpital sur un policier à l’agonie qui, peut être pris d’un remords ultime, livre au jeune homme une adresse. Sans autre explication.

Accompagnée de sa petite amie, Emiliano s’y rend, pour trouver, au milieu de nulle part, la demeure d’une famille riche et détonante : Rigoberto, un artiste provocateur, brutal et fantasque, son épouse Carmen, une pop star madrilène, ainsi que leurs enfants dont Monica, vedette adolescente et imprévisible sur instagram. Après quelques tergiversations, Emiliano réussit à se faire embaucher comme gardien de la luxueuse propriété…

On ne vous révèlera rien de ce que cachent les secrets de cette étrange famille , ni son lien avec la disparition de la mère d’Emiliano, mais le scénario remarquablement construit brosse un portrait de classe implacable, poussée à son paroxysme par le recours au fantastique qu’on évoquait plus haut. A travers une mise en scène d’une grande maîtrise, qui met en valeur la géométrie de la maison, l’austérité magnifique du désert, Escalante décortique les mécanismes de l’injustice sociale de son pays, sa violence systémique, ses dérives délirantes liées aux réseaux sociaux et à la vacuité de la célébrité, en même temps qu’il nous plonge dans un film noir sous tension permanente, travaillé par les instincts de sexe et de mort. Vraiment impressionnant !

Critique UTOPIA

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Viver mal, mal viver

Mal Viver et viver Mal   :Semaine du 9 au 14 novembre 2023

Films portugais et français de Joao Canijo. Avec Anabela Moreira, Nuno Lopes, Leonor Silveira, Rita Blanco, Madalena Almeida (2 h 04, 2 h 07).

 L’ensemble copieux composé par Mal Viver et Viver Mal, qui arrive sur les écrans français, précédé en réputation d’un Ours d’argent décroché lors de la Berlinale 2023, accole deux films siamois, autour d’un même lieu et d’un même faisceau d’événements.

L’action se situe dans un hôtel de luxe de la côte nord du Portugal, où se rendent touristes riches, parfois célèbres, pour lambiner quelques jours autour de la grande piscine extérieure. Le premier volet (Mal Viver) est consacré aux tenancières, dynastie de femmes – mères, filles, cousines – qui tiennent l’établissement à bout de bras, s’occupant qui de l’accueil, qui du ménage, qui de la cuisine avec une humeur saturnienne et détraquée qui inquiète tout le monde. L’arrivée surprise de sa fille Salomé (Maddalena Almeida) accroît la tension et renverse le statu quo du gynécée.

Le second volet (Viver Mal) investit le même continuum, mais cette fois du point de vue des clients : couple malade d’influenceurs aliénés, mères abusives ou vampiriques (dont l’impériale Léonor Silveira), enfants tiraillés ou désavoués. L’action centrale du premier volet devient l’arrière-plan du second, et inversement.

L’ensemble intrigue par sa spatialisation louvoyante et vénéneuse, ses cadrages sophistiqués, ses élégants jeux de distances et d’échelle. Canijo joue de la structure hôtelière comme d’un espace morcelé, intégralement dépliable, où chaque personnage circule dans une trame oppressante de lignes horizontales et verticales. Les parois expriment la séparation, les fenêtres allumées dans la nuit montrent les destinées parallèles.

Le monde décrit par Canijo, où règnent consternation, aliénation et frustration, est sombre. Reste le plaisir feuilletonnant, non négligeable, des vies qui s’entrecroisent, des points de vue qui se renversent, du ’hors-champ qui se prolonge. Mais la mécanique est froide et l’esthétique vitrifiée. La caméra regarde par la fenêtre, caresse les murs : on reste au seuil de ce film-auberge, maison d’architecte finalement peu accueillante.

D’après la critique du » Monde » Mathieu Macheret 11 octobre 2023

 

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Programmation Octobre/ Novembre 23

 

Du 12 au 17 Octobre

Du 12 au 17 Octobre

L’ÉTÉ DERNIER

De Catherine Breillat, France, 1 h 44

Avec Léa Drucker, Samuel Kircher

Anne, avocate renommée, spécialisée dans les violences sexuelles faites aux mineurs, vit en harmonie avec son mari Pierre et leurs deux filles. Un jour, Théo 17 ans, le fils de Pierre né d’une première union, emménage chez eux. Peu de temps après il annonce à son père qu’il a une liaison avec Anne. Elle nie avec une énergie implacable cet adultère incestueux,n’envisageant pas de risquer de perdre sa famille et sa carrière.

Absente depuis dix ans, Catherine Breillat n’a rien perdu de sa rage, de son impétuosité et de sa recherche de la vérité.

Ce récit subtil captive de bout en bout, servi par deux acteurs prodigieux.

 

Du 19 au 24 Octobre

Du 19 au 24 Octobre

L’AIR DE LA MER REND LIBRE

De Nadir Mokneche – France – 2023 – VOST –

1 h 30

Avec Youssouf Abi Ayad, Kenza Fortas, Zahia Dehar….

Traiter un sujet sensible d’une manière délicate n’est pas si courant. Raison de plus pour découvrir « L’Air de La Mer Rend Libre » qui raconte un mariage arrangé aujourd’hui à Rennes dans une famille française d’origine maghrébine. Celui-ci unit SaÏd, jeune homme parfait quoique peu pressé de convoler (il est gay, sa famille le sait, mais personne n’en parle), et Hadjira, brunette réservée quoique futée, qui a brûlé son adolescence avec une racaille mais qui a fait amende honorable depuis. Pour leurs mères il est surtout question de sauver la face, ce qui n’est pas si simple. Le réalisateur déjoue nombre de clichés et cette jolie comédie est portée par le charme de ses comédiens.

 

Du 26 au 31 Octobre

Du 26 au 31 Octobre

LOST COUNTRY

De Vladimir Perisic, France, Serbie, 1 h 38, VOST

Avec Jovan Ginic, Jasna Duricic…

Le portrait d’un adolescent dans la Serbie de 1996 en plein chaos. Stefan a 15 ans, collégien et fils de la porte-parole du gouvernement serbe. Le régime criminel de Milosevic, rudoyé par des manifestations étudiantes contre le trucage des élections, vit ses dernières heures. Stefan oscille entre mère et patrie, les illusions se perdent, l’innocence aussi.

Le réalisateur fait le récit d’apprentissage d’un adolescent tiraillé entre une nouvelle conscience politique glanée auprès d’amis lycéens et une loyauté affectueuse envers sa mère.

Prix de la révélation pour Jovan Ginic à la Semaine de la Critique Cannes 2023.

 

Du 2 au 7 Novembre

Du 2 au 7 Novembre

LOST IN THE NIGHT

De Amat Escalante – Mexique – 2023 – 2 h – VOST

Avec Juan Daniel, Garcia Trevino, Ester Exposito, Barbara Mori…

Trois ans après la disparition de sa mère, une activiste écologiste, un jeune homme recherche les coupables. Son enquête le mène chez une riche famille d’artistes…Le mexicain Amat Escalante continue de raconter la violence et la corruption de son pays dans une forme un peu moins brutale que dans Heli. Lost in the night évolue à un rythme déstabilisant, fait de faux départs, de montées en puissance presque aussitôt désamorcées. Ces circonvolutions finissent par former une toile obsédante, dans laquelle le cinéaste exprime sa culpabilité d’artiste se «nourrissant» de l’horreur du monde.

 

Du 9 au 14 Novembre

Du 9 au 14 Novembre

MAL VIVER / VIVER MAL

De Joao Canijo – Portugal/France – 2 h 07 et 2 h 04

Ce sont deux films, deux faces d’une même pièce : le champ et le contrechamp de la même histoire avec les mêmes protagonistes : on peut les découvrir dans n’importe quel ordre : l’action se déroule dans un hôtel portugais tenu par les femmes d’une même famille.

Mal viver se concentre sur ces femmes et la relation complexe et délétère qui les unit, amplifiée par l’arrivée de la plus jeune, qui va réveiller rancunes et ressentiments, enfouis depuis longtemps.

Viver mal, quant à lui, s’intéresse aux clients de l’hôtel, qui semblent, eux aussi, avoir choisi les vacances pour régler leurs comptes à ciel ouvert.

Avec une mise en scène très maitrisée, le spectateur peut faire son propre chemin, dans un dédale, qui balaie toute certitude dans ce jeu où il revoit les mêmes scènes, sous 2 prismes différents.

 

Du 16 au 21 Novembre

Du 16 au 21 Novembre

L’ENLÈVEMENT

De Marco Bellocchio,

Avec Paolo Pierobon, Enea Sala, Leonardo Maltese

En 1858, dans le quartier juif de Bologne, les soldats du Pape font irruption chez la famille Mortara. Sur ordre du cardinal, ils sont venus prendre Edgardo, leur fils de sept ans. L’enfant, a été baptisé en secret, étant bébé, sur l’initiative de sa nourrice inquiète pour le salut de son âme. La loi pontificale est indiscutable : il doit recevoir une éducation catholique. Il devient le protégé, autrement dit l’otage du paperoi Pie IX. Les parents d’Edgardo, bouleversés, vont tout faire pour libérer leur fils de l’endoctrinement qu’il subit à grand renfort d’Agnus Dei et de parties de cache-cache dans les jupes du Saint- Père. Soutenus par l’opinion publique de l’Italie libérale et la communauté juive internationale, le combat des Mortara prend vite une dimension politique. Mais l’Église et le Pape refusent de rendre l’enfant, pour asseoir un pouvoir de plus en plus vacillant

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Déserts de Faouzi Bensaidi

Déserts de Faouzi Bensaïdi, Maroc, 2h04, avec Fehd Benchemsi, Abdelhadj Taleb, Rabii Benjhaile. La Quinzaine des Cineastes, Cannes 2023.

Faouzi Bensaïdi nous avait déjà séduits avec Mort à vendre, il y a quelque temps (2011). Étonnant, Déserts nous embarque dans ses boucles narratives, bifurquant librement d’un genre à l’autre. Un film à la fois trépidant et contemplatif, à méditer.

Les déserts du titre, aux sens littéral et métaphorique, se superposent : deux employés d’une agence de recouvrement de dettes, Mehdi et Hamid (Fehd Benchemsi et Abdelhadj Taleb, excellents) sillonnent effectivement le désert. En eux, chez les pauvres gens qu’ils tentent d’intimider, de grands déserts affectifs, des manques, du vide. Le contraste entre le désert à perte de vue et l’absence de perspective des personnages, dans des existences bloquées, est saisissant.

La première partie du film fonctionne selon une mécanique comique très efficace, mélange de saynètes burlesques, absurdes, où les deux comparses échouent systématiquement à récupérer les sommes. Un tapis, une chèvre, une réconciliation entre un mari et sa femme, voilà les petits gains engrangés, bien insuffisants pour la rentabilité exigée.

Brusquement, le film effectue un virage, pour bifurquer vers le western. Les deux employés croisent la route d’un criminel, roi de l’évasion et le récit, lui aussi, s’évade. Comme si deux moitiés de film se faisaient soudain écho, à travers le vide du désert : on retrouve la carte, les figures de femmes autoritaires, le motif du tissage, et tant d’autres petits signes parsemés.

Petits cailloux dans le désert, pour aller nulle part en particulier. Avec style, le film résiste à tout enfermement, pour proposer une balade au sens noble. Du comique au drame, du roman à la poésie, Faouzi Bensaïdi s’autorise toutes les incursions. Loin du trajet balisé, le spectateur se trouve sans cesse surpris, d’une séquence à l’autre, par les trouées du récit, par les changements de ton, par les échappées poétiques. La musique, les incantations, les bribes de contes intriguent et charment. Car, pour reprendre les mots de Mehdi : “Les histoires n’existent pas, elles n’existent que par celui qui les écoute“. Ainsi de ce beau film, qu’il nous revient de faire exister et respirer en liberté.

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Fermer les yeux ,de Victor Erice

Fermer les yeux de Victor Erice avec Manolo Solo, Ana Torrent… 2h49

Croire encore au cinéma, ou ne plus y croire, c’est une des questions de Fermer les yeux, le nouveau film du très rare Victor Erice, cinéaste espagnol et fameux qui, sans s’arrêter complètement de tourner, n’avait pas fait de long métrage depuis le Songe de la lumière (1992). Avant ça, un par décennie, encore vibrants dans les mémoires cinéphiles.

Alors Erice de nos jours recommence, et Fermer les yeux commence comme un film. Dans une grande maison de village, au domaine de Triste-le-Roy, dans l’après-guerre, un certain M. Lévy, grand ours mal en point comme sorti d’un Buñuel, commandite à un détective une enquête pour retrouver sa fille élevée dans la Chine lointaine. On n’en saura pas plus, en tout cas pour l’instant : cette longue scène d’ouverture est non seulement un film dans le film, mais encore lui-même inachevé, au tournage interrompu, à l’orée des années 90, par la disparition soudaine et inexplicable de l’acteur, Julio Arenas, qui jouait le détective et le rôle principal.

On l’apprend parce que son auteur, Miguel Garay, cinéaste et écrivain désormais à la retraite, se retrouve, vingt-deux ans plus tard, à se remémorer ce moment clé de son passé, douloureux mystère, quand une émission de télé un peu sensationnaliste l’invite pour évoquer l’affaire du comédien envolé, son grand ami d’alors.

 Les amples deux heures quarante-neuf de Cerrar los ojos donneront des indications sur leur histoire, le destin postérieur du réalisateur, depuis exilé vers le sud dans un coin bien planqué, et peut-être, après main coup de théâtre ou plutôt coup de cinéma, sur celui de Julio Arenas avant qu’il ait sombré dans l’oubli

La question d’y croire ou pas, est directement évoquée par Max, l’ami archiviste et cinéphile, qui conserve les quelques bobines du film inachevé, au moment où Miguel passe les récupérer pour les vendre à la télévision.  Max se dit pratiquant mais pas croyant, alors que l’ex-cinéaste, de toute évidence, est encore croyant mais non pratiquant. Fermer les yeux navigue quelque part entre les deux. Il se montre à la fois pleinement capable d’exercer sur nous les splendeurs (les promesses, les plaisirs, les douleurs) d’un art encore possible à faire, et avec la fraîcheur qui s’impose, mais aussi , non, sans le déclarer mourant, finissant, d’époque ou d’âge d’or enfui, disparu sans laisser d’adresse ..

Quant à la mémoire ou l’oubli, thèmes moins méta de sa fiction, ils composent, du cinéaste, de sa pratique ou de sa croyance, une sorte d’autoportrait en deux directions, deux idéaux portés à des états extrêmes : celui qui se souvient trop et celui qui a trop oublié, l’hypermnésie et l’amnésie, l’art du passé et le silence radio du futur, le trop-plein du souvenir ou le trop libre de l’oubli.

 Tout un film, tout un art du temps et du rythme, passe dans la tension entre ces deux pôles.  La candeur et la rouerie, l’innocence et la ruse (entre foi et loi : croire, ou seulement pratiquer) de Fermer les yeux s’y mêlent et s’y confondent, fusionnant en un audacieux climax qui nous abandonne à la surprise avant de disparaître pour de bon.

D’après la critique de Libération 16 aout 2023

 

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Ama Gloria

De Marie Amachoukeli

Avec Louise Mauroy-Panzani, Ilça Moreno-Zego

Cléo, 6 ans, a des bouclettes, des lunettes, et l’énergie du bonheur. Surtout quand elle regarde sa nounou, Gloria, qu’elle adore – et c’est réciproque. Mais quand la petite orpheline de mère apprend que cette femme essentielle à son quotidien doit repartir au Cap-Vert pour l’enterrement de sa propre maman et s’occuper, enfin, de ses propres enfants, le cœur de Cléo se fend. C’est pas juste. Alors papa, pas très présent mais gentil bougre, promet qu’elle pourra la rejoindre pour les vacances d’été sur l’île de Santiago. Histoire d’une parenthèse initiatique au bord de la mer, et d’un nouvel apprentissage du deuil…

Franchement, on se demande comment Marie Amachoukeli (Party Girl, avec Claire Burger et Samuel Theis, Caméra d’or à Cannes en 2014) fait pour, à ce point, capter l’essence de l’enfance, et la substantifique moelle d’un lien inconditionnel, même (surtout ?) s’il n’est pas sanguin. La moindre image de ce film ultra sensitif respire l’amour dans sa plus touchante expression. Gloria fait découvrir son île à Cléo, lui apprend à nager – ce qui sera bien utile, un peu plus tard, lors d’une séquence aussi lyrique qu’alarmante –, la trimballe partout, de la plage où l’on écaille des poissons tout juste pêchés à son modeste logement où son fils, grandi sans elle, la rejette, tandis que sa fille est en passe d’accoucher. C’est une histoire d’amour en vases communiquants : la femme que Cléo veut rien que pour elle va devenir grand-mère, et la fillette souhaitera la mort de ce bébé qui lui « vole » la berceuse qu’elle pensait réservée à ses seules oreilles. C’est aussi un hommage, délicat, jamais démonstratif, à toutes ces émigrées rémunérées pour abandonner leur famille au profit d’autres.

Si Marie Amachoukeli puise cette authenticité émotionnelle dans ses souvenirs d’enfance, elle qui fut élevée par une nounou portugaise et souffrit de leur séparation, sa mise en scène devient hypnotique, aussi, par son parti pris d’une focale douce, à deux doigts des visages, qui donne à l’ensemble une beauté impressionniste, comme le point de vue d’une gosse un peu myope. Et dès que la cinéaste craint le cliché, elle choisit le dessin animé, pour pigmenter de couleurs rêveuses les souvenirs enfouis et les peurs secrètes de sa jeune héroïne. Bien sûr, la magie d’Àma Gloria vient, aussi, de ces deux actrices non professionnelles, la petite Louise Mauroy-Panzani (comment la réalisatrice a-t-elle pu lui tirer de tels sanglots ?) et Ilça Moreno Zego, d’origine cap-verdienne, si lumineuse et sereine. Sans oublier Arnaud Rebotini, le musicien électro, compositeur des musiques de films de Robin Campillo, parfait en père attendri, auquel Marie Amachoukeli offre, au son de la chanson de Nilda Fernandez Mes yeux dans ton regard, un slow à pleurer.

Télérama, Guillemette Odicino

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Programmation Septembre et Octobre 2023

Du 31/08 au 5/09

Du 30/08 au05/09

REALITY

De Tina SATTER, Etats-Unis, 1h22, VOST, avec Sydney Sween

Josh Hamilton, Marchant Davis.

À partir de vrais enregistrements, la cinéaste érige l’interrogatoire de Reality Winner, lanceuse d’alerte sous Trump, en un féroc

thriller psychologique, fin portrait d’une jeune femme, film politique et un huis clos policier éloigné des clichés habituels.

Tout est stupéfiant dans ce condensé de l’Amérique post-11-septembre.

Le film retranscrit les dialogues sans nettoyer les scoriesde la conversation originale, ses plaisanteries et répétitions. Tout cela est porté par une Sydney Sweeney exceptionnelle dans lerôle de cette jeune femme à la normalité désarmante et sa manière de faire apparaître peu à peu ses ambiguïtés, ses zones d’ombre, sa complexité ; les travaux d’approche badins des enquêteurs dérivent peu à peu vers l’interrogatoire musclé et, face à eux, la suspecte reste indéchiffrable ; s’associe l’actualité de Trump sur le même sujet, et du coup l’invraisemblable paralysie de la justice américaine face à l’ex-président.

Du 7 au 12/09

Du 07 au 12/09

LES TOURNESOLS SAUVAGES

De Jaime Rosales, 1h43, Espagne, vost

Avec Anna Castillio

Julia, incarnée par la lumineuse Anna Castillo, est une jeune femme moderne, indépendante, déjà mère de deux enfants qu’elle élève seule, sans pour autant renoncer à une vie amoureuse.

Orientant et organisant sa vie selon les désirs de l’homme qu’elle s’est choisi pour soleil, et qui chaque fois devient son « tournesol » . Trois prénoms masculins vont successivement scander le film, annonçant simultanément un règne et son caractère transitoire. Trois chapitres, comme autant de vies, autant d’impasses ou de chances explorées. Trois liens, trois climats, saisis avec sensibilité par la caméra d’Hélène Louvart. Face à trois types de masculinité parfaitement incarnés, Anna Castillo s’impose, dans chacune de ses émotions, comme la plus lumineuse des filles d’aujourd’hui.

Du 14 au 19/09

Du 14 au 19/09

AMA GLORIA

De Marie Amachoukeli, 1h24 – France-Belgique

Avec Louise Mauroy-Panzani, Ilça Moreno-Zego…

Qu’est-ce que la maternité si ce n’est avant tout un acte de bonté et un tas de regards qu’on échange avec amour ? Marie Amachoukeli révise le statut de mère à travers Àma Gloria, une délicate fresque d’une enfance qu’on a du mal à quitter. Elle convoque des émotions universelles et une mélancolie de l’enfance rarement capturée. Tout cela avec une mise en scène sans pathos, subtile, juste

Accompagnée de deux grandes figures de qualité, la cinéaste interroge la distance mère-fille au coeur d’une relation de sincérité, tout en rendant hommage à la nounou qui s’est occupée d’elle dans son enfance, Laurinda Correia.»

Du 21 au 26/09

Du 21 au 26/09

FERMER LES YEUX

De Victor Erice – Espagne – 2023 – 2H49 VOS

1947, dans le Château de Triste le Roi, en France, un vieux juif de Tanger, majestueux et défait, fait venir, dans sa demeure un détective privé, pour retrouver sa fille disparue, avec sa mère chinoise, dans l’enfance à Shangaï…il s’agit d’un extrait d

film… Quelques minutes plus tard, en 2012, à Madrid, une autre scène s’ouvre sur un plateau de télévision de téléréalité : il s’agit de découvrir ce qu’est devenu un célèbre acteur (Julio Arenas), disparu, voici 20 ans, en plein tournage, du film dont l’extrait est celui vu un moment plus tôt. Ainsi les 2 récits, l’un fictionnel, l’autre réel vont se fusionner autour de de la figure de la disparition…Film sur l’identité, sur la perte d’identité, sur la célébrité, a été accueilli par une longue standing ovation au Festival de Cannes cette année et fait l’unanimité de la critique ce jour.

Du 28/09 au 03/10

Du 28/09 au 03/10

LA BÊTE DANS LA JUNGLE

De Patric CHIHA, France, 1h43

Avec Anaïs Demoustier, Tom Mercier, Béatrice Dalle.

D’après Henry James (1903) mais transposé dans une boîte de nuit de 1979 à 2004, une oeuvre culte à nulle autre pareille.

John et May ont tissé des liens affectifs qui s’étaient dénoués. John refusait de s’engager dans le mariage, persuadé que sa vie n’était qu’en sursis parce qu’un évènement tragique et douloureux, tapi comme une bête dans la jungle, devait réduire à néant son bonheur et celui de ceux qui lui seraient attachés. Dix ans plus tard, May le croise de nouveau, et le convainc de reprendre leurs relations, mais sur une base amicale. Cette crainte de John évoque la découverte du psychanalyste anglais, Donald Winnicott, qui publie en 1974, «La crainte de l’effondrement», une angoisse qui a pris sa source dans une situation très douloureuse vécue peu de temps après la naissance, mais qui n’est pas mémorisée verbalement mais seulement émotionnellement. Ce passé est ignoré mais son émotion est projetée dans le futur. Il faut absolument éprouver sur grand écran cette expérience, hypnotique, conceptuelle et sensuelle, d’une vie mise entre parenthèses, du temps que May (Anaïs Demoustier) essaie de figer, alors que les années défilent sur la piste, la gestuelle des danseurs évoluant avec les époques (disco, new wave, techno…) C’est raconté au moyen de tout ce qui fait le cinéma : la lumière, la musique, le temps, le mouvement et le romanesque.

Du 5 au 11/10

Du 5 au 11/10

DESERTS

De Faouzi Bensaidi

France, Belgique, Quatar, Allemagne, Maroc – 2H

Pieds nickelés marocains du surendettement, Mehdi et Hamid sillonnent en voiture et en costards cravates froissés le sud du pays. Leur mission : recouvrir pour leur agence les arriérés d’emprunts que n’ont pas honorés de pauvres bougres accablés par la misère et la sécheresse du désert, dans des villages de nulle part. Mêlant comédie et road-movie, le film prend un tour de western et même de quête initiatique lorsque les deux mercenaires désabusés, eux-mêmes mis sous pression, croisent la route d’un bandit de grand chemin.

 

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Les Tournesols Sauvages

Réalisateur Jaime Rosales

Espagne 

1H46

Avec Anne Castillo, Oriol Pla, Quim Avila

 

Les films sur l’éducation sentimentale d’une jeune femme moderne ne manquent pas. Mais un charme particulier se dégage de l’itinéraire amoureux, en trois étapes, de Julia, 22 ans, jeune Barcelonaise déjà maman de deux enfants dont elle s’occupe avec attention et tendresse. Ce découpage affectif pourrait donner au film ce sous-titre : « Julia en trois chapitres ». Dans des couleurs ensoleillées, au léger filtre mélancolique, Julia rencontre d’abord Oscar, fou d’elle, trop fou d’elle. Sa relation avec cet homme dont la virilité semble être la seule identité finira avec l’une des scènes de violence conjugale les plus naturalistes vues depuis longtemps. Puis ce sera au tour de Marcos, le père des enfants et militaire qui, un temps, pousse son ex à le rejoindre à Melilla, une enclave espagnole au Maroc. Et, enfin, Alex, l’homme qui, après bien des errances, sera, peut-être, enfin, le compagnon que cette jeune femme méritante mérite. De détails finement écrits en éclatants plans larges sur le décor d’une vie banale, Jaime Rosales livre le portrait empathique d’une fille tournesol, cherchant à se tourner vers un vrai soleil. Face à trois types de masculinité parfaitement incarnés, Anna Castillo s’impose, dans chacune de ses émotions, comme la plus lumineuse des filles d’aujourd’hui. Télérama, Guillemette Odicino

Jaime Rosales explique avoir souhaité brosser un « portrait de femme », en même temps que celui de « trois typologies de masculinité ». A l’heure du post Me Too, et alors qu’un certain féminisme va jusqu’à prôner l’abstinence comme voie suprême vers la libération, il est bienfaisant de voir admise l’importance du lien jusque dans la part de dépendance que celui-ci peut générer, mais pour mieux aboutir à la liberté ultime qui consiste à s’être trouvé. Autre richesse du film : loin d’en rester au constat désespérant, imposé par les premiers liens, selon lequel aimer ne suffit pas pour qu’un amour survive, Jaime Rosales ménage une voie d’espoir, en créant une héroïne qui sait tirer profit de son expérience et apprendre des liens successifs qu’elle connaît pour faire de son existence une véritable « éducation sentimentale », moderne et au féminin, permettant ainsi au bonheur de trouver son point d’équilibre. Comme un cheminement vers la découverte des « liens qui libèrent »…  Anne Schneider, Le mag du ciné

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Reality

REALITY

De Tina SATTER, Etats-Unis, 1h22, VOST, avec Sydney Sweeney, Josh Hamilton, Marchant Davis.

À partir de vrais enregistrements, la cinéaste érige l’interrogatoire de Reality Winner, lanceuse d’alerte sous Trump, en un féroce thriller psychologique, fin portrait d’une jeune femme, film politique et un huis clos policier éloigné des clichés habituels. Rien n’est inventé et tout est stupéfiant dans ce condensé de l’Amérique post-11-septembre. Le film retranscrit les dialogues sans nettoyer des scories de la conversation originale, avec ses plaisanteries et répétitions. Tout cela est porté par une Sydney Sweeney exceptionnelle dans le rôle de cette jeune femme à la normalité désarmante et sa manière de faire apparaître peu à peu ses ambiguïtés, ses zones d’ombre, sa complexité ; les travaux d’approche badins des enquêteurs dérivent peu à peu vers l’interrogatoire musclé et, face à eux, la suspecte reste indéchiffrable.

S’associe l’actualité de Trump sur le même sujet, et du coup l’invraisemblable paralysie de la justice américaine face à l’ex-président.

Ce film, est considéré par Adrien Gombeaud de « Les Echos », comme « l’un des meilleurs films d’espionnage de ces dernières années« . Il est porté par le talent de Sydney Sweeney qui laisse sa part de mystère à cette jeune femme, Reality Winner, faussement banale, qui sera condamnée à 5 ans de prison. Cette information connue d’avance n’empêche pas la réalisatrice d’orchestrer un implacable suspense psychologique. Ce thriller à combustion lente, offre une plongée inconfortable dans l’horreur d’un pouvoir implacable. Cette histoire vraie témoigne de la complexité des rapports entre le pouvoir, les renseignements et le grand public

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