Arnaud des Paillères

Né le 1er décembre 1961 à Paris

France

Scénariste, réalisateur, monteur

Adieu, Disneyland, mon vieux pays natal, Parc, Michael Kohlhaas, Orpheline

Orpheline raconte l’histoire rude de quatre femmes qui s’avèreront n’être au final qu’une seule et même personne. Ce film, grand gagnant de la dernière édition du FIFF, a remporté le Bayard d’or et le prix d’interprétation féminine du rendez-vous des cinéphiles namurois. Orpheline semble déjà avoir glané ses lettres de noblesse. A la rencontre d’Arnaud des Pallières pour nous permettre de mieux comprendre l’idée qu’il a voulu transmettre par ce film…

Dans ce long-métrage, les scènes crues et le langage vulgaire sont omniprésents. Ce souci d’authenticité classe votre projet comme une œuvre peu éthique. Pourquoi avoir pris le parti de l’authenticité plutôt que celui de la bienséance, aux risques de réduire potentiellement le nombre de spectateurs ?

Ce film est inspiré d’évènements autobiographiques de la vie de Christelle (scénariste du film). Les moments tirés de sa petite enfance sont les plus authentiques. Les scènes les plus crues de ce long-métrage proviennent des chroniques des 13 ans et des 20 ans de l’héroïne. J’ai voulu être au plus proche de ce que Christelle m’avait narré de son existence. Je souhaitais mettre « sur pellicule » la vérité et la réalité, quitte à ce que ce soit percutant. Faire quelque chose de juste, par respect de ce qui m’avait été livré, primait sur la manière dont cela allait être perçu. Les témoignages des sentiments et de l’histoire de Christelle étaient au cœur de ce projet. La rudesse de ce film n’est apparue qu’ensuite. Il n’y a aucune stratégie commerciale derrière mon film. Je ne cherche pas à atteindre un public qui soit le plus large possible. Mon vœu est avant tout de transmettre l’histoire et le message que j’ai mis dans l’optique de ce film. C’est au public d’accepter ou non de me suivre dans ce voyage. S’il y a vraiment un moment où j’ai pris une attention particulière pour qu’une certaine catégorie de spectateurs s’intéresse à ce projet, c’est au cours du montage. Encore une fois, pas dans un quelconque souci marketing mais dans un souhait de mettre en lumière la fougue et la fulgurance de la jeunesse et de l’adolescence. Christelle m’a transmis l’histoire d’un être qui ne stagne pas. L’énergie de la jeunesse prédomine sur les difficultés de la vie. Le personnage principal de ce long-métrage n’est pas une victime, c’est une personne rock’n’roll qui continue d’avancer. Je n’ai eu aucune contrainte marketing au cours de la réalisation de ce projet. J’ai fait mon film comme je voulais le faire. En restant au plus proche de l’histoire que l’on m’avait raconté, en mettant en lumière les émotions de cette vie et mon message. J’ai refusé de faire ce qui est devenu monnaie courante dans le cinéma actuel. J’ai banni les simplifications et les censures au profit d’un cinéma qui projette des images proches de celles du monde, en gardant les singularités du récit de l’existence de Christelle.

Pourquoi avoir construit ce film comme une généalogie et non comme une chronologie de votre premier rôle ? Quel était votre but ? 

 Je voulais que ce soit comme dans la vie. Dans la vie, on n’a jamais accès à l’entièreté de l’existence de la personne que l’on rencontre. On sympathise avec le présent d’un être. Si on décide vraiment de créer un lien avec cette personne, alors on découvre des parties de son passé. Petit à petit, grâce à la relation naissante, on a accès à divers fragments de l’histoire et de la psychologie d’autrui. C’est à ce moment qu’il nous est permis de faire la différence entre ce qui nous paraissait et ce qui est. C’est là que l’on comprend qu’il faut toujours déduire plus que ce que les apparences font apparaître. C’est ce qui est le plus important dans mes films. Je veux que, comme dans la vie, tout ne soit pas donné tout de suite aux spectateurs.

Est-ce que cela ne crée pas des subjectivités qui axent les visions que les spectateurs peuvent avoir des personnages, comme cela peut être le cas face au personnage du père de l’héroïne ?

Ma connaissance d’autrui résulte d’un lien et d’une rencontre. Je n’ai pas d’explication. Je dois supposer, quitte à me tromper. Ce sont les risques qu’implique toujours une relation interpersonnelle. J’ai essayé de faire un film qui nous fasse rencontrer les personnages de manières fragmentaires. C’est le sujet de mon film ! Qu’est ce que l’identité et qu’est ce qu’une personne ? Le moi est multiple donc il faut tourner autour de mon être pour me connaitre. Les gens ne sont pas linéaires. Le cinéma est un art temporel, il peut se contredire. C’est une de mes forces. Ça le rend beau. Les incohérences constituent un personnage au fil du temps. On veut toujours nous présenter un homme cohérent et logique. On veut toujours montrer un être sûr de ses choix. La psychologie et la chronologie de ce dernier doivent être limpides. Mais moi je dis « NON » à cela. Ce n’est pas la réalité. Les choses nous arrivent de manières fragmentaires et les gens se contredisent constamment. Le désordre et les facettes multiples d’un être sont aux fondements de la construction d’un être.

Pourquoi avoir fragmenté votre héroïne entre quatre actrices alors que pour d’autres personnages, à l’instar de celui de Sergi Lopez, vous avez gardé les mêmes acteurs en les vieillissant ?

Ce film se passe de sept ans en sept ans. Cela veut dire que l’histoire s’écoule sur un laps de temps de 21 ans. Sergi n’apparaît que dans deux époques consécutives de cette histoire. Ce qui fait qu’il est plus simple de vieillir le personnage que de changer d’acteur. Par contre, le personnage de Kiki est un être qui se décline sur un temps long : 21 années. J’étais donc forcé d’au moins avoir deux actrices différentes. Et dans la construction de mon œuvre, le morcellement de l’histoire en quatre périodes et l’impératif d’avoir plus d’une actrice pour camper le rôle de Kiki, cela me semblait plus intéressant de fragmenter chaque époque par les traits d’une actrice différente. Cela permet de mieux montrer les diverses facettes de l’identité de ce premier rôle.

Avec comme volonté que les actrices jouent à l’unisson ? Ou, au contraire, qu’elles apportent chacune quelque chose de différent ?

Chaque actrice apporte quelque chose au personnage, aussi bien du point de vue du jeu qu’au niveau de la psychologie. De plus, cette image est forte. Ce changement d’actrices symbolise le fait qu’on a plusieurs vies en une seule. C’est une figure poétique et pourtant cela est véridique. Contrairement à ce que l’on dit et ce que l’on pense, l’être n’est pas que dans son unicité. Ce découpage montre clairement que l’être est multiple. Même quand je regarde ma propre vie, cela me semble flagrant. J’ai 55 ans et j’ai vécu plusieurs vies. Si je devais me raconter dans un film, le plus dur ne serait pas de trouver un acteur pour chacune de mes vies, mais ce serait de trouver un acteur qui comporte chacun de ces différents instants que j’ai vécu. Ces talentueuses femmes font aussi partie intégrante de ce qui m’a donné envie de faire ce film comme il est et en y transmettant ce message. A chacune de mes actrices, j’ai confié la même mission initiale. « Tu ne dois pas essayer de calquer ton rôle sur l’une de tes trois alter-ego ». « Nulle n’est le passé et nulle n’est le futur des autres ! Chacune doit vivre comme si elle n’existait qu’au présent. Quand je serai avec chacune de vous, on tournera les scènes les plus importantes de cette œuvre. Ne vous préoccupez pas du rôle des autres. Le spectateur doit toujours se sentir dans le présent.

Qu’est ce qui fut le moteur pour vous entraîner dans ce projet ? Quel message vouliez-vous transmettre aux travers de ce film ?

Je voulais montrer que l’être n’est pas prisonnier d’une expérience. Il n’y a pas qu’une facette à la vie d’une personne. Tel le prisme qui permet d’avoir différentes visions d’un même sujet, la vie est pluridimensionnelle. Il y a une polysémie de sens dans le récit d’un personnage. Je voulais montrer que chaque âge de l’existence d’un homme peut cacher une personnalité totalement différente. On ne reste jamais immobile dans l’état qu’un moment donné de notre vécu nous confère. Seules les photos ont le pouvoir de figer un être à tout jamais dans un instant de sa narration. J’aime assez la figure du culbuto pour mettre en avant ce que je souhaitais exprimer par ce long-métrage. Le centre de gravité de mon héroïne se déplace à fur et à mesure que le temps de ces chroniques s’écoule. Ce film ne doit pas être pressenti comme une succession de flashback ».  Ce qui est vraiment au centre du désir de mettre sur pied ce projet, c’est l’envie de mettre en image le mystère de l’identité. Je voulais faire un film sur l’essence de l’être. Je souhaitais essayer de répondre à la question « qu’est ce qu’un individu? » J’espérais faire un long-métrage sur ce qui fait que l’on est toujours identique à nous-mêmes, tout en étant différent. J’avais cette envie de montrer cela au cinéma mais pour ce faire, j’avais le besoin de trouver une manière de le faire avec beaucoup de poésie. Et cette poésie fut déclinée par la succession de mes quatre actrices pour incarner un même personnage.

Ce film est basé sur un questionnement philosophique. Est-ce que vous vous êtes inspiré des écrits d’un grand auteur pour trouver la ligne directrice de la pensée que vous vouliez faire transparaitre dans ce film ? Si oui, lequel ?

C’est vrai que l’on peut vite rapprocher mon film à différents grands auteurs philosophiques et leurs théories. Pourtant, je ne me suis basé que de mon vécu et de ma vision de l’existence pour faire cette œuvre. À plusieurs moments de ma vie, je me suis posé cette question de l’identité, qui est la réflexion aux fondements de ce long-métrage. Si on m’avait placé dans mon futur sans que j’aie eu accès à toutes les expériences qui m’ont amené vers cet avenir, je pense que je n’aurai eu aucun affect commun avec la personne que je suis maintenant. Inversement, si on me replaçait dans mon passé, je ne verrais que des traces de mon frère et de mes parents. Les gestes de ma main que j’apercevrais ne me sembleraient pas être les miens mais ceux de mon frère. Et la vision de mon visage dans le miroir me rappellerait l’image de mon père. On est peuplé de notre vécu. Comme le disait Walt Whitman, « Je suis vaste, je contiens des multitudes ». Je pense que cette métaphore de la poupée russe est assez juste pour parler de l’existence. Je suis mon vécu mais aussi une partie des gens que j’ai côtoyés. Je pense que c’est cette réflexion philosophique que je voulais aussi montrer dans ce film.

PUBLIÉ LE 19 AVRIL 2017 par REGPHI pour Branchés Culture

 

Ce contenu a été posté dans Archives réalisateurs, Réalisateurs. Mettre en favori.

Comments are closed.