Archives pour janvier 2018

Leonardo di Costanzo

Né en 1958 à Ischia (Naples)

Italie

Documentariste, scénariste, réalisateur

L’Intervallo, L’Intrusa

Extraits d’un entretien avec Leonardo di Costanzo, réalisateur de « L’intrusa » qui signe ici sa deuxième fiction après un long passé dans le cinéma documentaire. (…)

Qu’est-ce qui vous a amené à passer du documentaire à la fiction ? Est-ce pour avoir une plus grande liberté narrative ?

Oui, il y a un peu de ça. En même temps, je ne sais pas si c’est une question de liberté. Avant je n’avais jamais pensé passer à la fiction. (…) Ce travail sur le monde des bénévoles et des associations est difficile à faire en documentaire. (…) Je suis arrivé à la fiction (suite…)

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Xavier Beauvois

Né le 20 mars 1967 à Auchel (Pas de Calais)

France

Acteur, réalisateur, scénariste

Nord, N’oublie pas que tu vas mourir, Le Petit Lieutenant, Des Hommes et des Dieux, Les Gardiennes

Comment le projet des GARDIENNES est-il né ?
Sylvie Pialat m’avait envoyé le roman d’Ernest Pérochon, il y a environ cinq ans.
Les Gardiennes est resté très longtemps sur un coin de ma table de nuit. Je ne
l’ouvrais pas, mais il était là et mon regard tombait souvent sur lui. Sylvie et moi
l’évoquions à chaque fois que nous nous croisions. Je sentais qu’elle entretenait
avec ce livre un rapport littéraire mais aussi affectif, qu’il y avait toute une histoire… (suite…)

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MAKALA

MAKALA

Emmanuel GRAS – France – 2017 – 1h36   

Documentaire avec Kabwita KASONGO

Un Congolais part vendre son précieux charbon. Y parviendra-t-il ? Un documentaire qui bascule vers la fiction. Propos de l’auteur recueillis par Cédric Lépine :

Emmanuel Gras : L’aspect politique des choses dans ce film reste vrai en dehors de la réalité spécifique même du Congo. Je cherchais plus à montrer une condition de vie qu’une réalité sociale au Congo. Je pense que j’aurais pu faire le même film dans d’autres pays d’Afrique, parce que la question du bois, de l’énergie est présente partout. La dimension politique du film consistait à demander, à travers le parcours d’un homme, ce que signifie travailler pour vivre. Ainsi, tout le projet du film au départ était beaucoup plus matérialiste que le résultat final. Je souhaitais montrer tout l’effort et ensuite le résultat de cet effort. C’est pourquoi apparaissent toutes ces discussions sur les prix pour comprendre le prix des choses. La dimension politique du film est précisément là. Au cours du tournage, j’ai découvert qu’en suivant la réalité d’un homme on découvrait progressivement la réalité d’un pays : on voit ainsi, par exemple, la corruption plus ou moins officielle du pays. Mon but consistait à faire un film de cinéma où l’on suit une histoire et non pas de faire une étude journalistique sur les réalités d’un pays d’Afrique. (…)

 J’avais la volonté de suivre quelqu’un non pas pour montrer un individu seul, mais parce que je trouvais que c’était la meilleure manière de raconter une histoire en suivant l’effort d’une personne. Je voulais que l’on s’attache physiquement à lui en mettant en scène différentes sensations en dehors de toute considération du rapport de l’individu au collectif. En ce qui concerne la manière d’intégrer ce personnage au village, il ne s’agit pas d’une volonté absolue de le montrer seul. J’avais filmé d’autres scènes où on le voit en lien avec le reste du village, buvant des coups avec ses amis, lors de réunions avec le chef du village… Comme ma ligne directrice consistait à montrer le travail, j’ai peu à peu resserré le cadre sur lui et sa famille. (…) Il n’y a aucune structure venant de l’État auquel se rattacher. C’était pour moi évident que ce contexte apparaisse dans le film. (…) Kabwita a fait plus qu’être un sujet de film : il est devenu acteur du film au sens où il a été totalement participatif des scènes. Il a été créateur d’un événement. Je pense aussi que le film était pour lui l’occasion de se mettre en scène de la manière dont il voulait se montrer. J’aime beaucoup cette idée selon laquelle le documentaire consiste à filmer des acteurs qui jouent eux-mêmes leur vie. J’ai filmé un héros et je voulais qu’il apparaisse ainsi au générique.

Prochain Ciné débat : le lundi 29 janvier dans la salle après la séance de 19h30 ou 20h, sur le film INTRUSA

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les gardiennes

Les Gardiennes

Sorti le 6 décembre 17. 2h14

De Xavier Beauvois

Avec Nathalie Baye, Laura Smet et Iris Bry

Des femmes sans hommes, sept ans après Des Hommes et des dieux, du même Xavier Beauvois. Des femmes dans une ferme, il y a un siècle, pendant la Première Guerre mondiale. Voir Les Gardiennes,c’est s’embarquer, à tous égards, pour un voyage dans le passé. L’auteur du roman adapté (1) , ErnestPérochon (prix Goncourt en 1920 pour un autre livre, Nêne), a sombré dans l’oubli. Le monde représenté, la vieille paysannerie française, est presque effacé. La correspondance est donc complète entre le travail de la terre échu aux héroïnes, si concret, si lent, et la patience de Xavier Beauvois construisant son film comme un mur de pierres sèches : l’ampleur, l’intensité ne se donnent pas d’emblée. Peu à peu, la singularité du film se déploie : cette parenthèse hors du temps, pendant des saisons, des années. Ces vies suspendues à une éventuelle mauvaise nouvelle, et où tout est reporté à un hypothétique « après la guerre », prononcé comme une formule magique.Xavier Beauvois et son opératrice Caroline Champetier filment magnifiquement les visages : Laura Smet (la fille aînée), Cyril Descours (le fils cadet) n’ont jamais paru aussi vulnérables et vrais. Mais la meilleure part tient à un événement dont le cinéaste a indiqué qu’il était en partie survenu durant le tournage. Dans le rôle de l’orpheline, recrutée par les fermières pour pallier l’absence des hommes, la débutante Iris Bry, mélange de modestie et d’éclat, devient, irrésistiblement, la véritable héroïne des Gardiennes. C’est une affaire d’aura, puis de présence effective à l’écran. D’où l’impression rare d’assister à la réécriture de l’histoire, à la réinvention du film en cours de route.D’après Télérama

Xavier Beauvois s’attache ici à la communauté de ces femmes soudées par la nécessité de survivre, loin des champs de bataille qui leur confisquent leurs hommes. Comme toujours Beauvois a su choisir des actrices magnifiques, emmenées par Nathalie Baye (qu’il avait déjà dirigée dans Le Petit lieutenant, avec un César à la clé) et Laura Smet, qui incarnent à la perfection ces deux femmes ambivalentes, pas faciles, pas forcément sympathiques mais d’une force, d’une détermination incroyables. Et bien sûr, à travers le destin des femmes se démenant comme elles peuvent à l’arrière, le film évoque la cruauté du sort réservé à tous les hommes broyés par cette absurde tragédie que fut la « grande Guerre », traumatisme majeur du vingtième siècle. D’Après Utopia

La précision de la direction d’acteurs nous permet de nous attacher à une Nathalie Baye (Hortense), à peine reconnaissable et impressionnante sous les traits de cette femme d’un autre temps, à la fois forte et déboussolée face à la génération suivante qui entend bien tirer profit de cette situation imposée pour gagner quelque liberté tant sociale que sexuelle. Outre la finesse de jeu de Laura Smet, on reste subjugué par le naturel de la novice Iris Bry. Bien qu’il s’agisse de son premier passage devant la caméra, elle finit par s’octroyer le premier rôle et par devenir imperceptiblement l’âme du film. D’après Avoir Alire

 

 

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L’Intrusa

 

Semaine du 25 au 30 Janvier

Un film de  Leonardo Di Costanzo

Italie –  2017 – 1h35 – VOST

Avec : Raffaella Giordano

           Valentina Vannino

           Martina Abbate

             

  L’INTRUSA

Ciné Débat le 29 Janvier après le film

Quelque chose d’un peu coupant, brouillon, colle aux premières séquences du film de Leonardo Di Costanzo, Agitée dès l’orée, cette fiction – du cinéaste italien coutumier du genre documentaire – en une âme aux contours cabossés, semble quêter refuge pour reprendre son souffle. On se demande bien où l’on arrive. Dans un quartier populaire de la banlieue de Naples, des tours de béton jaune soleil aux multiples fenêtres encerclent de plus petits et modestes immeubles d’un centre d’accueil pour enfants. Giovanna, éducatrice bénévole, en est la gardienne à la chevelure acier et au regard vif tel un ciel dégagé et secret.

La police s’introduit dans ce lieu de solidarité pour arrêter un homme lié à la Camorra, responsable du meurtre d’un individu pris pour cible par erreur. Le coupable laisse une femme, Maria, sa jeune fille et son bébé derrière lui, dans ce centre où beaucoup vont vouloir qu’ils partent au plus vite, effrayés par les circonstances et les possibles retombées. Giovanna lutte pour qu’il en soit autrement. Outre la gestion des enfants et des querelles, des ateliers créatifs que l’éducatrice mène avec d’autres intervenants pour créer de grandes fresques murales et autres façonnages artistiques (comme ce pédalo géant et homme ferraille nommé Mr. Jones), elle se tient en figure phare antimanichéenne, visage de nuances et d’acceptations. Selon elle, chacun doit apprendre et changer pour l’autre. Les enfants, bruts et à la fois innocents, y arrivent même mieux que les plus grands.

Le portrait naturaliste que Di Costanzo fait de cette situation est humble, sans enjolivures. Il se pose près des colères et des gestes de soutien puis donne sa confiance à toutes les respirations présentes car aucune n’est forcée, stylisée, appuyée pour faire monter le drame. Le refuge pour les défavorisés forme ce terrain où les émotions se diffusent sans grand problème. Au bord de la route, Giovanna refuse poliment qu’on la dépose chez elle. Le cours du film se trouve là, dans cette déambulation qui n’a pas besoin d’être emmenée au plus vite. Cette femme compte sur le temps pour que la tolérance se fasse, que les maux guérissent. Verra-t-elle juste ? La réponse à cette question n’est pas de notre ressort, semble-t-il presque pas de celui du cinéaste non plus. Le récit est une fiction bel et bien ficelée, écrite et poétique tout en frôlant l’aspect d’un flux documentaire où chaque réponse semble authentiquement décidée par les âmes qui le traversent.

Les petits bâtiments qui forment ce foyer imitent les plus grands environnants. Des trompe-l’œil d’immeubles sont peints sur les murs, s’affublent de fenêtres allumées et promettent plus de vies encore, plus d’habitants. Derrière tout cela se trouve l’Intrusa et le vœu d’un monde moins étriqué, plus vaste. Et à Di Costanzo de nous emmener au cœur d’un abri pourtant si délimité, monde miniature de cohabitation et théâtre des sentiments, qui n’a besoin ni de tout ni de trop pour dessiner le lieu du vivant.

                                                                                                                          

Horaires sur les sites cinecimes.fr

ou cinemontblanc.fr

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programmation janvier fevrier 2018

 

 

Du 4 au 9 janvier

Du 4 au 9 Janvier

UN HOMME INTEGRE

De Mohamed Rasoulof – Iran – 2017 – 1h57 – VOST

Avec Reza AkhlaghiIrad, Soudabeh Beizaee, Nazim Adabi

Reza a quitté Téhéran avec femme et enfants pour se consacrer  à l’élevage des poissons loin  de la violence de la capitale. Celle ci le rattrape quand une compagnie privée décide d’acquérir par tous les moyens un terrain qu’il possède mais ne veut pas vendre.

Comment lutter quand les moyens légaux se révèlent inefficaces autrement qu’en utilisant les armes de l’adversaire : violence et corruption ? Le réalisateur passe ainsi d’une dénonciation kafkaïenne d’un système social à un thriller mafieux dans lequel les convictions morales du héros finissent par céder devant la nécessité de sauver sa peau.

Tourné en Iran et cependant sans espoir d’y être distribué, le film a obtenu le Prix “Un Certain Regard” à Cannes 2017.

 

Du 11 au 16 janvier

Du 11 au 16 Janvier

MAKALA

D’Emmanuel GRAS –  documentaire français – 1h36. 

Avec Kabwita Kasongo

Au Congo, un jeune villageois a comme ressources ses bras, la brousse environnante et une volonté tenace. Après nous avoir fait partager son quotidien, le cinéaste nous embarque avec lui et son vélo surchargé sur la route périlleuse vers Kolwesi, où Kabwita espère vendre le fruit de son travail pour nourrir sa famille. Il sublime cette réalité en révélant sa part d’étrangeté, de grandeur ou même de beauté et il élève la quête de son héros à une dimension onirique.

C’est un film aride, contemplatif et néanmoins incisif sur la misère en Afrique. Tout y est vrai et cinématographique.

 

Du 18 au 23 janvier

Du 18 au 23 Janvier

Grand prix de la Semaine de la Critique à Cannes 2017

LES GARDIENNES

De Xavier Beauvois – France – 2017- 2h14

Avec Nathalie Baye, Laura Smet, Iris Bry…

Que deviennent les femmes quand les hommes font la guerre ? Ayant débusqué un roman oublié paru en 1924 et signé d’Ernest Pérochon, un écrivain qui ne l’est pas moins, Xavier Beauvois, en l’adaptant, a tenté, à sa manière de nous le faire voir.

Début 1915, à la ferme du Paridier, les femmes ont pris la relève des hommes partis au front. Travaillant sans relâche, leur vie est rythmée entre le dur labeur et le retour des hommes en permission. Hortense, la doyenne, engage une jeune fille de l’assistance publique pour les seconder. Francine croit avoir enfin trouvé une famille…

Le réalisateur et son opératrice Caroline Champetier filment magnifiquement les visages : Laura Smet (la fille aînée), Cyril Descours (le fils cadet) n’ont jamais paru aussi vulnérables et vrais. Dans le rôle de l’orpheline, la débutante, Iris Bry (Francine), mélange de modestie et d’éclat, devient, irrésistiblement, la véritable héroïne des « Gardiennes… »

Xavier Beauvois restitue les réalités d’il y a un siècle, mais regarde également notre époque droit dans les yeux » (Marianne).

 

Du 25 au 30 janvier

Du 25 au 30 Janvier

L’INTRUSA

De  Leonardo Di Costanzo – Italie – 2017 – 1h35 – VOST

Avec  Raffaella Giordano, Valentina Vannino, Martina Abbate

Naples. Aujourd’hui. Giovanna, travailleuse sociale combative de 60 ans, fait face à une criminalité omniprésente. Elle gère un centre qui s’occupe d’enfants défavorisés et offre ainsi une alternative à la domination mafieuse de la ville. Un jour, l’épouse d’un criminel impitoyable de la Camorra, la jeune Maria, en fuite avec ses deux enfants, se réfugie dans ce centre. Lorsqu’elle lui demande sa protection, Giovanna se retrouve confrontée, telle une Antigone moderne, à un dilemme moral qui menace de détruire son travail et sa vie.

 On retrouve dans ce film une utopie sociale filmée avec intelligence et sensibilité, un îlot de solidarité aux prises avec la Camorra, la peinture d’un laboratoire social plein de promesses et d’espoir. C’est aussi un formidable portrait de femme. Rafaella Giordano irradie dans le rôle de Giovanna.                                                                                                                               Présenté à la quinzaine des réalisateurs à Cannes 2017.

 

Du 1 au 6 février

Du 1 au 6 Fevrier

IN THE FADE

 De Fatih Akin – Drame-Thriller – France – Allemagne – 2017 – 1h 40

Avec Diane Kruger, Ulrich Tukur, Johannes Krisch, Denis Moschito, Numan Açar

La vie de Katja, blonde allemande aux yeux bleus, s’effondre lorsque son mari Nuri, d’origine kurde et son fils meurent dans un attentat à la bombe.  Sur fond de trafic de drogue et d’agissements divers de mafias communautaires, « In the Fade » montre avec subtilité comment la suspicion envers les victimes reflète des préjugés sociaux et ethniques.

Le couple Katja/Nuri, modèle d’union intercommunautaire harmonieuse, n’était visiblement pas du goût de leurs parents respectifs, côté allemand comme côté kurde…

Le film est découpé en trois chapitres qui permettent de suivre le cheminement de Katja, du bonheur insouciant au désir de vengeance, avec un dernier volet intense, oscillant entre le thriller et la tragédie grecque. Dénonciation efficace du terrorisme néo-nazi, ce thriller est aussi un touchant portrait de femme qui offre son meilleur rôle à Diane Kruger

Prix d’interprétation féminine pour Diane Kruger au festival de Cannes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Emmanuel Gras

Né en 1976

Directeur de la photographie, réalisateur, scénariste

Bovines, 300 Hommes, Makala (Grand Prix de la Semaine de la Critique, Cannes 2017)

Entretien avec Emmanuel Gras, pour son film « Makala »

 par CÉDRIC LÉPINE pour Médiapart le 2/07/2017

 Cédric Lépine : Plongeant dès les premières scènes dans le quotidien d’un charbonnier en République Démocratique du Congo, la dimension politique de votre film émerge peu à peu. Comment s’est manifesté chez vous ce choix de mettre hors-champ la réalité politique et géopolitique de tout un pays pour mieux la faire réapparaître lorsque l’on ne s’y attend plus ?

Emmanuel Gras : L’aspect politique des choses dans ce film reste vraie en dehors de la réalité spécifique même du Congo. Je cherchais plus à montrer une condition de vie qu’une réalité sociale au Congo. (suite…)

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Censure et situation politique en Iran. Entretien avec M. Rasoulof

Entretien réalisé par Samuel Douhaire pour « Télérama », publié le 05/12/2017

Votre description de la corruption généralisée en Iran dans Un homme intègre impressionne par sa virulence. Avez-vous présenté au bureau de la censure une version édulcorée du scénario afin de pouvoir tourner ? 

En Iran, il faut demander deux autorisations, l’une pour le tournage, l’autre pour la sortie en salles. Pour la première, j’ai fait comme d’habitude : dans le scénario transmis aux autorités, j’ai camouflé les passages qui auraient pu chatouiller la censure – avec l’expérience, je finis par connaître la sensibilité des censeurs. Ensuite, lors du tournage, j’ai réintégré les scènes manquantes.

Les autorités sont-elles intervenues pendant les prises de vues ?

Sans vouloir trop entrer dans les détails (qui pourraient être utilisés contre moi lors d’un futur procès), il y a eu trois interventions du bureau de la censure, suivies de trois interruptions du tournage. Mais j’ai appris à gérer ce genre de situations. Prenons un exemple : en Iran, vous ne pouvez pas tourner une scène avec des personnages de policiers sans la présence d’un représentant des forces de l’ordre. Je me suis arrangé : la présence de vrais policiers sur le plateau n’a pas influencé ce que je voulais tourner.

Un homme intègre pourra-t-il sortir un jour en Iran ?

Je risque d’aller en prison, donc je vois mal le film dans les salles iraniennes ! Je voulais présenter Un homme intègre au festival de Téhéran au printemps dernier. Il a été refusé au prétexte que c’était un film « faible », « décousu » – aucun motif politique n’a été avancé par les organisateurs. Les médias iraniens proches du pouvoir m’ont aussitôt attaqué en disant qu’il n’avait aucune valeur artistique. Mais peu de temps après, Un homme intègre a été sélectionné à Cannes. Les autorités m’ont alors demandé de procéder à des changements massifs dans le montage. J’ai refusé, avec deux arguments. D’une part, si le comité de sélection cannois a trouvé le film très bien comme ça, pourquoi devrais-je le modifier ? Et, d’autre part, je leur ai rappelé que, quand ils avaient rejeté le film pour le festival de Téhéran, ils n’avaient rien trouvé à redire à ce qu’il racontait.

Quelles scènes la censure voulait-elle effacer ?

Il y avait treize modifications majeures. Il fallait expurger notamment tout ce qui touche à la justice iranienne, aux minorités religieuses non musulmanes… Mais aussi, toutes les scènes autour de la « Compagnie » qui persécute Reza, le personnage principal du film qui refuse la corruption. A travers toutes ces coupes, la censure voulait ramener le film à un cadre strictement local afin que les spectateurs se disent : « C’est une simple bagarre dans un village, ce n’est pas un système national, mais juste un différend local qui dégénère. » Si j’avais accepté leurs demandes, il aurait fallu refai

Le scénario d’Un homme intègre est-il inspiré de faits réels ?

Le noyau dur du film prend racine dans une expérience personnelle qui remonte à une vingtaine d’années. Le reste est un mélange de choses vues, lues, entendues. En Iran, n’importe qui se retrouve confronté plusieurs fois par jour à des dilemmes moraux : un grand nombre de mes compatriotes sont pris dans un conflit schizophrénique qui les transforme en hypocrites. Ici, un individu ne peut pas être lui-même : vous êtes obligés en permanence d’être dans le mensonge, de fabriquer un personnage qui n’est pas vous. La corruption est une conséquence de cette situation. Prenons un exemple. L’alcool est officiellement interdit. Mais beaucoup de monde en produit chez soi, comme Reza dans la première scène du film, et en consomme. Il y a un contrat tacite entre le pouvoir et les citoyens. Les autorités disent en substance : « Nous savons ce que vous faites, mais, tant que vous resterez discret, tant que vous ne protesterez pas en public, nous vous ficherons la paix. Mais ne touchez pas à la politique ! » Pour continuer à vivre, un Iranien n’a donc d’autre choix que de participer à cette hypocrisie générale. Le fait même que je demande une autorisation pour un scénario dans lequel je parle de la corruption est, en soi, un acte hypocrite. Parce que je sais que, si je dis la vérité, je ne pourrai jamais tourner. Ça ne me réjouit pas de tricher, mais je n’ai pas le choix.

Pensez-vous que l’élection, puis sa réélection au printemps dernier, de Hassan Rohani, un modéré, à la présidence du pays, va faciliter les réformes démocratiques en Iran ?

Non, je ne pense pas. La marge de manœuvre de n’importe quel chef de l’exécutif est extrêmement limitée au départ : les vrai pouvoirs régaliens sont ailleurs, entièrement entre les mains du Guide suprême de la révolution islamique. On ne peut s’attendre à quoi que ce soit, ni de la part de Rohani, ni de n’importe quel homme politique qui serait à sa place. L’inspiration d’Un homme intègre est venue à un moment où Rohani multipliait les slogans en faveur des « droits citoyens ». J’ai pris ça comme un encouragement à travailler à visage découvert, sans le stress d’agir clandestinement que j’ai vécu pour tous mes films précédents. Mais une fois élu, ce même Rohani est incapable de me défendre : mon droit citoyen de critiquer la corruption est pourtant bafoué. Quand Rohani parle de droit citoyen, c’est pour faire de moi un citoyen dans son cadre mental, politique et idéologique. En gros, il me considère comme citoyen si je suis d’accord avec lui.

Y a-t-il une volonté de mettre au pas le cinéma indépendant ?

Je pense même que le pouvoir veut le faire disparaître ou, à tout le moins, le stériliser. Et il a déjà réussi dans une large mesure : les jeunes cinéastes qui veulent emprunter la voie de la critique sont de moins en moins nombreux. Les pressions que je subis ici vont peut-être faciliter la diffusion d’Un homme intègre, mais ce sera en dehors de l’Iran. A Téhéran, le pouvoir se fiche éperdument de ce qui passe à l’extérieur des frontières. C’est l’intérieur qui l’intéresse : il veut limiter au maximum la contestation et empêcher à tout prix que les différentes critiques se coalisent pour se transformer en courant politique. Le message implicite adressé aux jeunes cinéastes est clair : « Contentez-vous de faire un cinéma d’eunuques, toute autre voie pourrait vous coûter cher. »

Lors de la sortie d’Au revoir, en 2011, un film sur la tentation de l’exil, vous assuriez vouloir rester en Iran. Et aujourd’hui ? Si les autorités vous restituent votre passeport, envisagez-vous de quitter le pays ?

Je ferai tout mon possible pour rester au contact physique et spirituel de ce que je connais le mieux : ma culture en tant qu’Iranien – d’ailleurs, je ne connais que ça ! Je veux utiliser la cuture de ma terre maternelle pour m’adresser au monde avec des thématiques universelles. Dans Un homme intègre, je n’ai pas voulu dire que l’Iran est le seul pays gangrené par la corruption. On trouve de la corruption dans le monde entier.

Remerciements à Ramin Parham pour la traduction.

 

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Mohamed Rasoulof

Né en 1973 à Chiraz

Iran

Réalisateur

Au Revoir, Les Manuscrits ne brûlent pas, Un Homme Intègre (Prix « Un Certain Regard » Cannes 2017)

Depuis cet été, la situation de Mohammad Rasoulof s’est beaucoup compliquée. En septembre, alors qu’il rentrait dans son pays, il a été interpellé à l’aéroport de Téhéran. Son passeport lui a été confisqué, et on lui a signifié qu’il était poursuivi pour “activités contre la sécurité nationale” et “propagande contre le régime iranien”. Il risque sept ans de prison. Il a malgré tout insisté pour que son long-métrage sorte en France comme prévu, ce 6 décembre. “J’ai besoin que le film marche en France pour que les autorités iraniennes comprennent que, quoi qu’elles fassent, le film existe. Car tout ce que j’ai à dire est dedans”.

(Lire aussi rubrique Dossiers l’article « Si je dis la vérité , je ne pourrai jamais tourner »).

Pas un sourire, le regard fixe… Tout au long du film, (suite…)

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Un Homme Intègre

 

 

 

UN HOMME INTEGRE

Un film de Mohamed Rasoulof

Iran 2017.1h57.vost

Avec Reza Akhlaghilrad, Soudabeh Beizaee, Nazim Adabi

Disons le tout de suite, ce long métrage de Mohamed Rasoulof dont on avait apprécié le précédent opus  AU REVOIR, est une œuvre majeure du cinéma iranien.

L’argument est simple et très « western ». Reza avec femme et enfant a pris ses distances avec les jeux de pouvoir et d’argent, la corruption généralisée qui gangrènent son pays. Il a monté à la campagne une entreprise de pisciculture en eau douce. Tout va pour le mieux jusqu’au jour où une compagnie privée décide d’acquérir son terrain par tous les moyens.

Reza n’est pas du genre à se laisser faire, il est sûr de son bon droit et utilise des armes conformes  à ses valeurs morales. Pot de terre contre pot de fer, la lutte apparait vite inégale. Reste une solution : utiliser les mêmes armes que l’adversaire. Mais a-t-on le  droit de piétiner ses convictions, de prendre le risque de perdre sa dignité pour défendre son bonheur ? En a-t-on le droit ou le devoir ?

La dénonciation du système mafieux qui met en réseau police, justice, banques au service d’intérêts privés est implacable; la démonstration kafkaïenne.

Le film est noir mais le montage fait alterner des séquences démonstratives toutes de violence contenue avec de beaux moments de respiration, de silence. Récurrence de la source, de l’eau qui purifie.

Le film est fort, la mise en scène irréprochable, les acteurs ont un charisme ravageur et le tout entre en résonnance avec l’actualité de la situation en Iran.

Au passage saluons la détermination et le courage du réalisateur qui est sous la menace d’une peine de prison pour cette dénonciation sans concession.

Prix « Un Certain Regard » Cannes 2017

 

 

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