Né le 20 mars 1967 à Auchel (Pas de Calais)
France
Acteur, réalisateur, scénariste
Nord, N’oublie pas que tu vas mourir, Le Petit Lieutenant, Des Hommes et des Dieux, Les Gardiennes
Comment le projet des GARDIENNES est-il né ?
Sylvie Pialat m’avait envoyé le roman d’Ernest Pérochon, il y a environ cinq ans.
Les Gardiennes est resté très longtemps sur un coin de ma table de nuit. Je ne
l’ouvrais pas, mais il était là et mon regard tombait souvent sur lui. Sylvie et moi
l’évoquions à chaque fois que nous nous croisions. Je sentais qu’elle entretenait
avec ce livre un rapport littéraire mais aussi affectif, qu’il y avait toute une histoire…
Puis j’ai fini par le lire et l’ai trouvé très fort. J’aimais, avant tout, qu’il s’agisse d’un
livre mettant en scène des femmes.
Qui était Ernest Pérochon ?
Pérochon était instituteur dans les Deux-Sèvres. Ila été soldat pendant la Première Guerre Mondiale,au front, mais il a eu une crise cardiaque et a doncété démobilisé. En 1920, il a reçu le Prix Goncourt pour « Nêne », une autre histoire de ferme et de femmes. Cela lui a permis d’abandonner l’enseignement pour se consacrer à l’écriture. Les Gardiennes est publié en 1924. Ensuite, sous l’occupation, Pérochon a refusé de collaborer avec les Allemands, ce qui lui a attiré certains ennuis qu’il a préféré cacher à sa famille. En 1942, il a été victime d’une seconde crise cardiaque. Il en est mort. Il avait 57 ans.
On retrouve dans LES GARDIENNES les thèmes qui vous sont chers, à commencer par celui d’une communauté – en l’occurrence paysanne – attachée à assurer, contre vents et marées, la survie d’un idéal. Il s’agit pourtant bien d’une adaptation, la première d’ailleurs au cours de votre carrière?
C’est vrai… Cela a soulevé quelques difficultés. J’aimais le livre de Pérochon mais un certain nombre de choses ne me convenait pas. Je trouvais qu’il y avait trop de malheurs, trop de maladies, trop de morts… J’ai modifié un peu tout ça. Et puis Pérochon met en scène de nombreux enfants.
Comment s’en sortir au cinéma quand on prévoit de raconter une histoire se
déroulant sur trois ou quatre années?
Impossible, sauf à faire appel à une famille nombreuse pour faire jouer les enfants aux différents âges. C’est la superiorité du roman sur le cinéma. Il y a des choses qu’on peut
facilement écrire mais qu’on ne peut pas filmer. En résumé, je peux dire qu’en m’appropriant le roman je n’ai pas hésité à le trahir complètement ! Mais il le fallait : ce n’est qu’en procédant de cette façon que je pouvais lui être fidèle. Et je crois qu’au bout du
compte la substance du livre est en effet passée dans le film.
Vous avez travaillé avec une co-scénariste…
Oui, j’ai travaillé avec Frédérique Moreau. Comme je le disais, du livre au scénario, de très nombreuses choses ont changé. Et à nouveau du scénario au film. C’est comme ça sur chacun de mes films. Je fais en sorte que le scénario soit le meilleur possible. Mais ce n’est pas là où j’investis mon désir. Un scénario n’est qu’un point de départ. Tout est remis en jeu dès que je mets le pied sur le plateau. C’est là que l’excitation commence, que le film commence à vivre.
La ferme, tenue par Hortense (Nathalie Baye) en l’absencedes hommes partis à la guerre, est évidemment très importante.Elle est le décor principal. Comment l’avez-voustrouvée ?
La ferme est même le personnage principal des GARDIENNES. Nous avons vu un nombre
incroyable de maisons avant de nous décider. Et d’abord dans quelle région tourner ?J’aurais aimé tourner dans le Pas-de-Calais, c’est une région que j’aime. Mais c’est là qu’était le front, et le front n’est pas le sujet des GARDIENNES, bien au contraire : le sujet, ce sont les femmes à l’arrière, s’occupantde tout en l’absence des hommes, jusqu’à ce qu’ils
reviennent. J’ai ensuité pensé à La Rochelle et au Limousin. C’est là que les Américains ont débarqué au cours de la Première Guerre Mondiale. Les choses sont alors allées assez rapidement : la région donne l’impression que rien n’a bougé depuis un siècle ! Ily a encore de nombreuses fermes avec du bocage. Ce qui n’existe pour ainsi dire plus ailleurs, depuis le remembrement. Il ne fallait pas seulement que le décor soit juste historiquement, il fallait aussi que j’y crois, que je le sente. Il y a des décors qui, sur le papier, semblent parfaits, mais il suffit d’y mettre un pied pour réaliser que quelque chose ne va pas… Et là, j’ai ressenti tout de suite de bonnes ondes : c’est la bonne ferme, c’est celle-là que je veux (…)
Tourner tout un film dans un seul endroit, pour ainsi dire, ne vous gêne pas ?
Au contraire. Travailler dans un décor comme celui-là ressemble au fond à une configuration de studio, mais en vrai (…). Avoir un seul décor permet de modifier sans cesse des choses. J’en reviens toujours à la conviction de Truffaut : le tournage est la critique du scénario, et le montage est la critique du tournage. Ça doit sans cesse bouger. Un film est une matière vivante (…). Ces modifications ont aussi une autre raison : mon scénario était trop bavard. Je connais les gens de la campagne, c’est là que je vis : ce sont des taiseux, des gens qui parlent très peu. J’ai donc arraché des pages entières de dialogues.
LES GARDIENNES est le premier rôle d’Iris Bry au cinéma. Non seulement elle est extraordinaire, mais ce n’est que progressivement que le spectateur réalise que Francine est le personnage principal. Et, bien que LES GARDIENNES ait certains points communs avec DES HOMMES ET DES DIEUX, c’est la première fois qu’un de vos personnages finit par échapper à la communauté, non pour se sacrifier mais pour s’émanciper ! Comment avez-vous choisi Iris Bry ? Et comment avez-vous travaillé avec elle ?
C’est vrai, sans doute, que Francine ne prend de l’importance que peu à peu… C’est lié à ce que je disais à l’instant : il s’agit d’un choix de cinéaste plus de scénariste. Il y a les cinéastes du scénario, les cinéastes du tournage et les cinéastes du montage. Je suis un cinéaste du tournage. Si on pense qu’un film a une âme, alors il faut s’attendre à ce que cette âme parle, qu’elle dise des choses. Et il faut être prêt à l’écouter, à s’adapter en conséquence… Quand j’ai vu Iris, j’ai compris que j’avais devant moi une bombe. Je me suis contenté de lui donner la place qu’elle méritait. Elle a réussit à faire de Francine l’incarnation du passage des femmes vers le 20ème siècle…
Le film de guerre vous a toujours intéressé. Mais ici c’est autre chose : vous montrez l’arrière, avec seulement quelques éclats de guerre, le plus souvent rêvés…
J’ai toujours pensé que LES PARAPLUIES DE CHERBOURG était un vrai film de guerre : montrer non pas la guerre elle-même mais ses effets sur ceux qui n’y participent pas directement. Je voulais donner à voir aussi quelques cadavres. Lorsque nous avons filmé le rêve de Georges, au cours duquel il finit par réaliser qu’il combat contre lui-même, j’ai demandé à Caroline Champetier de faire quelques images des cadavres au sol. Et c’est par là que ma monteuse et moi avons décidé de commencer le film. La scène est silencieuse, elle a quelque chose de doux, mais d’un autre côté elle annonce les choses très clairement. C’est une des leçons de Jean Douchet : le sujet d’un film doit apparaître dès les premiers plans.
Votre film est entièrement dédié au travail, et pas le plus facile qui soit : le travail de la terre. Le rapport à la terre est capital dans votre cinéma mais c’est la première fois que vous en parlez aussi directement.
J’ai voulu faire ce film pour rendre hommage à cette classe de paysans et à leur noblesse particulière.
Comment êtes-vous parvenu à retrouver la vérité de gestes aujourd’hui quasi disparus, labourer, semer… ? Les plans où l’on voit la mère et la fille semer en avançant l’une derrière l’autre sont magnifiques.
Nous avons fait des recherches, nous avons travaillé avec des historiens… Nathalie Baye et Laura Smet ont fait des stages à la campagne pour apprendre. Mais il ne fallait pas qu’elles en sachent trop, puisqu’elles sont censées accomplir certains de ces gestes pour la première fois.
Au retour des hommes, Hortense dit à sa fille, qui se plaint de les voir se disputer, qu’elle préfère cela à la guerre. Et elle ajoute : «Ils sont redevenus ce qu’ils étaient.» On pourrait croire qu’elle se réjouit que les choses reprennent leur cours mais d’un autre côté c’est une réplique terrible. Rien n’a changé, chacun retrouve sa place comme avant, le sort desfemmes n’a pas évolué…
Exactement. C’est peut-être la réplique la plus importante du film. Et elle est en effet assez dure. Mais le monde paysan est comme ça, dur. Les femmes onttout fait pendant la guerre. Elles ont conduit des trains, elles ont travaillé à l’usine, elles ont nourri le pays… Les hommes rentrent et tout recommence comme avant…. Cependant, le ver est dans le fruit…
LES GARDIENNES est une sorte de western… De quels films vous êtes-vous inspiré ?
Pour chaque projet, les uns et les autres me conseillent de voir ou de revoir de nombreux films. En général je préfère m’abstenir. Je veux être libre et pouvoir suivre mon instinct. En l’occurrence, il est vrai que j’ai beaucoup pensé au western. LES GARDIENNES est un western, à ceci près que ce n’est pas un ranch, c’est une ferme. Ce ne sont pas des cow-boys mais des cow-girls. J’ai aussi regardé de nombreux tableaux, par exemple ceux de Van Gogh, du temps où il était très influencé par Millet. Mais je voulais éviter de faire un film trop directement pictural. On peut repérer quelques références mais elles ne sont pas si nombreuses.
Pourquoi avez-vous décidé de tourner en numérique ?
En général je ne suis pas tellement du genre à aimer expérimenter des techniques nouvelles. Je préfère me concentrer sur le film. Cependant, j’ai eu l’impression que les choses étaient désormais assez stabilisées techniquement pour que je puisse m’y mettre à mon tour. Cela m’a permis, pour la première fois, de tourner deux prises à la suite sans aucune interruption. En pellicule il y a toujours un petit truc qui oblige à tout recommencer, le clap, etc. En numérique on peut laisser tourner autant qu’on veut au-delà du temps de la prise, et cela peut donner des résultats très étonnants. La toute fin du film, le sourire que Francine adresse à la caméra, n’est rien d’autre que le sourire qu’Iris, arrivée au terme du tournage, adresse à l’équipe. En pellicule je n’aurais pu faire cela. (…)
D’après les propos recueillis par EMMANUEL BURDEAU pour le dossier de presse.