Qu’est-ce qui vous a poussée à coréaliser « l’Amour flou » ?
C’est une idée complètement folle. Quand, avec Philippe, nous sommes sortis du marasme de cette séparation par la grande porte, c’est-à-dire par ce projet immobilier, autour de nous, quelqu’un a dit de cette chose hyper-aventureuse, enthousiasmante et casse-gueule : « C’est dingo, c’est l’histoire d’un film. » Quelque chose en moi s’est mis en route sur ce sujet si personnel : l’intime conviction qu’on avait une histoire de vie et de cinéma très forte
à partager avec les gens m’a envahie immédiatement, intuitivement, comme une folie. Ce n’était pas nombriliste. Il y avait une fable de cinéma. Je nous ai vus comme les personnages d’une fiction alors qu’on a tout construit autour de notre réalité. Nous avions quelque chose à inscrire de notre mouvement de vie pour nos enfants, mais aussi pour les spectateurs, un manifeste de notre regard sur la société, le monde et l’amour. C’est la première fois de ma vie que j’écris, et tout est sorti avec une joie et une facilité qui m’ont déconcertée. L’objet fabriqué est au-delà de tout ce que j’ai pu espérer. Il nous ressemble à 250 %, avec la plus-value de tout ce que les gens ont pu donner dans le film. C’est un geste inouï, qui me rend aujourd’hui d’une fierté absolue.
Pourquoi avez-vous pris le parti d’en rire ?
C’est ma nature profonde. J’adore entendre les gens rire. Si je pouvais, je m’enduirais le corps avec leur rire. Je ne suis pas du tout une intellectuelle sombre et intense. J’aime les gens drôles. Philippe Rebbot, le père de mes enfants, est le type le plus mélancolique et en même temps le gars le plus spirituel et le plus drôle qu’il m’ait été donné de rencontrer. Le ton s’est imposé très vite dans l’écriture. Nous avions assez souffert de cette séparation. Raconter à quel point nous avions envie de garder la joie de notre histoire, d’en faire quelque chose qui dépasse les chagrins et les regrets, a motivé ce projet. Je voulais que nos enfants puissent voir ce film dont nous parlons tous les jours depuis un an. Pour eux, ce film devait aussi être un acte de joie et d’amour.
« L’Occupation » est aussi une histoire de rupture…
Ma psy me dit toujours que je suis la personne qui fait le moins le lien entre les choses. C’est quand on me l’a dit que j’ai commencé à y penser. Sinon, je n’avais pas réfléchi à la gémellité entre les deux projets. Par le hasard des choses, c’est vraiment deux moments de vie d’une femme à peu près au même âge. À 45 ans, ce sont deux rôles exceptionnels. Ils parlent de moments très sensibles et mystérieux de la vie d’une femme.
Dans quelle mesure ces deux projets parlent d’une angoisse de mort et d’un désir de renaissance ?
Dans notre film, ce n’est pas très visible, mais Philippe et moi avons une prescience assez forte du temps qui passe et de la fragilité des choses. Notre film n’est pas testamentaire mais il y a la volonté d’immortaliser la joie de cet instant, d’emprisonner pour toujours ce moment d’amour intense. Le film est mu par une angoisse que les choses s’achèvent. Dans la pièce, la frénésie de cette femme est pour éprouver, avant de ne plus éprouver. Il y a ce désir d’aller chercher en soi l’extrêmement vivant, avant d’être enterrée à tout jamais.
Comment avez-vous rencontré ce texte d’Annie Ernaux ?
Par Pierre Pradinas, mon allié, mon partenaire de théâtre. C’est mon neuvième spectacle avec lui. Il m’a emmenée tellement loin – Ionesco, Tchekov, Shakespeare, Gabor Rassov, Labiche – et dans des genres tellement différents que je le suis à l’aveugle. On a tissé ensemble une histoire d’amitié de théâtre phénoménale que j’aurais aussi aimé retrouver au cinéma. Cette histoire de fidélité m’a fait grandir à force de me réinventer. Après « la Cantatrice chauve », il avait envie d’une petite forme. Je n’avais jamais lu Annie Ernaux. J’ai découvert « l’Occupation », puis le reste de son œuvre. Je suis assez fascinée par cette femme. J’ai eu envie de tout connaître d’elle. Cette pièce est arrivée à un moment de ma vie où j’avais un grand chagrin intérieur. Elle dit que la catharsis ne profite qu’à ceux qui sont indemnes de passions. Elle a fonctionné. Découvrir l’ampleur, la justesse, l’immensité de ce texte et de cette auteure a illuminé mon chemin de femme. J’ai senti le chagrin s’envoler au fur et à mesure. Je trouve son écriture limpide et complexe, animale et chirurgicale, très littéraire et affûtée comme un serpent, très déliée, proustienne et en même temps hyper-vive. Chaque soir, j’ai l’impression d’être missionnée pour essayer d’en restituer toute la richesse et l’intelligence. Chaque soir, c’est une telle sculpture que j’ai du pain sur la planche pour les années à venir.
Que vous apporte le musicien sur scène ?
Si on se plante, c’est à deux. Si on réussit aussi. Le monologue est gratifiant mais très solitaire. La musique me porte, m’inspire, m’émeut. Elle sculpte, habille et enrichit le récit.
Que signifie être comédienne, un an après le début de Metoo ?
Je suis assez mal placée pour en parler. J’ai bien sûr regardé avec éblouissement et joie cette libération des souffrances de femmes contraintes au silence. Mais je n’ai rencontré que des gens très respectueux dans mon travail. J’ai toujours réussi à m’exprimer totalement. Je suis la plus mauvaise féministe parce que j’en ai tous les acquis sans avoir eu à me battre pour. J’ai cette chance de m’être exprimée très librement dans la douceur avec des hommes merveilleux autant comme partenaires dans la vie que dans le travail.