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Le Capitaine Volkonogov s’est échappé

LE CAPITAINE VOLKONOGOV S’EST ÉCHAPPÉ

Film russe de Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov-2022-2h05-VOST

Avec Yuriy Borisov, Timofey Tribuntsev, Nikita Koukouchkine, Alexandre Yatsenko, Natalya Krudiashova…

1938. Union soviétique. Depuis août 1936, les purges staliniennes font rage. Aux commandes de la saignée, tapi au fond de son bureau de la Loubianka, quartier général de toutes les polices politiques soviétiques puis russes, de la Tchéka à l’actuel FSB en passant par le NKVD puis le KGB, prison de sinistre mémoire russe où furent enfermés, torturés et exécutés des milliers de prisonniers, Lejov multiplie arrestations arbitraires, tortures et exécutions sommaires. C’est alors le NKVD, le Commissariat du peuple aux Affaires intérieures, qui officie. Une vague d’extermination hors-normes, la Grande Terreur d’août 1936 à novembre 1938, qui exige des hommes aux nerfs d’acier et peu enclin au vague à l’âme. Parmi eux, le jeune capitaine Volkonogov, la vingtaine musculeuse, crâne rasé, un sourire d’ange sur une gueule de Spetsnaz. Ni meilleur ni pire que ses condisciples. Sauf que les purges, c’est comme les révolutions : elles finissent souvent par dévorer leurs propres enfants. L’ambiance devient vite pesante au sein de l’unité du capitaine. C’est d’abord le suicide par défenestration du commandant Gvozdev, le supérieur de Volkonogov, puis un camarade convoqué qui ne revient pas de sa pause-déjeuner, puis un second, et Volkonogov, qui connaît la maison, sait qu’il sera le prochain. La loyauté au Parti ayant ses limites, il s’enfuit sans autre plan que celui de sauver sa peau, pour une heure, pour un jour, pour une semaine de plus, avec une espérance de vie plus maigre que celle d’un Zek… Pris immédiatement en chasse, le capitaine court à travers Leningrad, après avoir dérobé un de ses dossiers contenant 98 fiches de condamnés. Il a eu une vision : s’il veut aller au paradis, il doit obtenir le pardon des proches des victimes qu’il a tuées. Méthodiquement, il se rend à chaque adresse, où bien évidemment il n’est pas franchement bien accueilli. L’acteur trentenaire Yuriy Borisov, déjà vu dans Compartiment numéro 6, joue ici une partition difficile : celle d’un homme suffisamment naïf pour penser qu’il pourrait être absout des atrocités qu’il a commises…

Ce film difficile, à l’atmosphère étrange, aux tons rouges comme les tenues flamboyantes des agents du NKVD, comme les murs de briques des façades décrépites des arrière-cours et des usines fatiguées, aux accents orwelliens, est interdit dans la patrie de Vladimir Poutine…

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Toute la beauté et le sang versé

                        TOUTE LA BEAUTÉ ET LE SANG VERSÉ

Film américain de Laura Poitras-2022-documentaire-1h53-VOST-

Lion d’or à la Mostra de Venise 2022-meilleur film documentaire au festival international du film de Stockholm 2022.

Avec Nan Goldin…

Tout comme l’avait fait 120 Battements par minute de Robin Campillo, le film s’ouvre sur les images d’une intervention d’activistes dans une salle du Met, un des plus grands musées new-yorkais. Puis il effectue un retour sur la vie de Nan Goldin à travers ses œuvres et ses luttes. Née en 1953 à Washington, Nancy Goldin connaît une enfance malheureuse face à des parents conformistes et dépassés. Sa grande sœur est placée en institution et se suicide. Marquée par ce drame, elle quitte sa famille très jeune. À quinze ans elle s’initie à la photographie, poussée par un de ses professeurs. Nan Goldin fait face à sa vie et aux divers milieux dans lesquels elle évolue sans jamais baisser les yeux. Ses photos prises sur le vif documentent le milieu underground new-yorkais à partir des années 1970 : drogue, prostitution, mouvements gay, travestis et lesbiens, violence conjugale, crise du Sida au cours de laquelle disparaissent nombre de ses amis. Ses œuvres sont aujourd’hui présentes dans les plus grands musées du monde. Rendue célèbre par son projet The Ballad of Sexual Dependancy (1979-1986), chronique des rapports amoureux, immersion crue dans son intimité et celle de ses proches, composée de plus de huit cents diapositives projetées en boucle et accompagnées de musique, Nan Goldin n’a jamais eu besoin de personne pour se mettre en scène et montrer ce que les États-Unis passaient sous silence : drogue, prostitution, œil au beurre noir après coït, Sida… Dans les années 2010, elle connaît une période d’addiction à l’Oxycodone ou Oxycontin. Elle mène alors, dans le cadre de l’association P.A.I.N. qu’elle a fondée, des actions contre la famille Sackler, propriétaire de la firme Purdue Pharma, qu’elle juge responsable de la mort de nombre d’américains. Son combat aboutit au retrait du nom de la famille Sackler de plusieurs grands musées qui leur avaient consacré des salles ou des ailes entières pour les remercier de dons importants. Pour la première fois, la photographe de 69 ans confie un bout de sa vie à une autre : Laura Poitras. Cette documentariste bostonienne de dix ans sa cadette mène une critique radicale de la société grâce à ses indéniables qualités d’investigation. Ce documentaire présente donc ce combat de Nan Goldin depuis 2017 contre les opioïdes aux États-Unis, où ces médicaments ont rendu les américains dépendants. On estime le nombre de décès à plus de 500 000 morts aux États-Unis…

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Sur l’Adamant

SUR L’ADAMANT

De Nicolas Philibert

Documentaire

France 2022 1H49

Ours d’or  Berlin 2023

           

La péniche Adamant, amarrée rive droite de la Seine, en plein coeur de Paris, est un centre de soins , tout de verre et de bois, de 650m2…Il s’agit d’un centre psychiatrique de jour, destiné aux patients sortant d’hospitalisation, et ayant besoin d’un encadrement spécifique avant leur retour à la vie en société avec  des repères, et des pratiques qui leur redonnent confiance : ateliers, réunions, simples discussions quotidiennes….

Il en ressort une «ébullition» que le film restitue sans chercher à la structurer artificiellement. On y découvre l’imagination des uns, les talents artistiques des autres, mais aussi leur humour et leur sensibilité, leur poésie et leur vulnérabilité qui nous renvoie à la notre.

Cet établissement flottant met patients et soignants dans le même bateau! au sens propre et figuré…L’eau qui entoure ce lieu de transition apporte un apaisement , une ouverture, une lumière.

La caméra de Nicolas Philibert n’est jamais intrusive, et cherche toujours à équilibrer la relation entre celui qui est regardé et celui qui observe. Elle donne la parole aux patients et établit avec eux une relation privilégiée. Ceci permet aux filmés de s’offrir au regard extérieur, et aux spectateurs d’accéder à la personnalité et à la dignité de chacun. Il n’y a aucun commentaire ni mise en contexte. Ce film est le premier d’une trilogie consacrée à la psychiatrie.

Nicolas Philibert réalise des documentaires depuis 1978, et a été surtout  connu du public après son film Etre et Avoir qui filmait la vie quotidienne d’une classe unique dans un petit village du massif central, film sorti en 2002 et multiprimé, mais aussi La maison de la radio en 2012, et De chaque instant en 2018 décrivant l’apprentissage d’élèves infirmiers.

D’après «La Gazette Utopia».

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Chili 1976

       CHILI 1976 de Manuela Martelli – Chili – 1h35  – VOST                                                                                                     Avec Aline Kuppenheim, Nicolas  Sepulveda, Hugo Medina, Alejandro Goic    

1976, soit trois ans après le coup d’État qui, avec l’appui des États-Unis, a renversé le gouvernement du Président Salvador Allende et porté Augusto Pinochet à la tête du CHILI, la junte militaire tient le pays en coupe réglée. Interdiction des syndicats et des partis politiques, couvre-feu, abolition de la liberté de la presse, censure, traque des opposants… La limitation drastique des libertés individuelles, l’instauration d’une dictature féroce sont le terreau sur lequel peut fleurir le fameux « miracle » chilien, qui fait le bonheur et l’admiration des chantres de la libéralisation à marche forcée de l’économie. La bonne bourgeoisie chilienne, qui en est la principale bénéficiaire, s’accommode fort bien d’un régime musclé qui, au nom de la lutte contre le communisme, intensifie la répression contre ses opposants, arrêtés, exilés, torturés ou exécutés.

Carmen (remarquable Aline Küppenheim), fait partie de ces privilégiés qui vivent plutôt bien sous Pinochet. Mère et grand-mère comblée, fière épouse d’un chirurgien renommé, catholique sincère, elle regarde sans vraiment la voir la violence d’État qui s’exerce à tous les coins de rue. Comme elle côtoie sans vraiment la comprendre l’opposition qui tente de s’exprimer, aussitôt muselée, réprimée. Pour l’heure, sa principale occupation consiste à superviser les travaux d’aménagement de sa résidence secondaire en bord de mer. Là, à l’écart du bruit et de la fureur de la capitale, vont et viennent ses enfants et petitsenfants, pour d’insouciantes retrouvailles familiales, tandis qu’elle consacre son temps libre à ses bonnes œuvres aux côtés du brave curé de la paroisse. Lequel brave curé lui demande un beau jour de prendre soin avec lui d’un jeune homme, grièvement blessé, qu’il héberge en grand secret. Toute dévouée à sa morale chrétienne et en cachette de sa famille, Carmen prend en charge le garçon, dont le prénom n’est vraisemblablement pas le prénom,dont l’histoire n’est sans doute pas exactement celle que lui a contée le prêtre. Et à son contact, elle commence à entrevoir l’envers du décor du « miracle » chilien.

Écrit et réalisé comme un polar intimiste (daprès le récit autobiographique dune grand-mèrechilienne), le film de Manuela Martelli brosse, avec délicatesse et une belle palette de nuances, le portrait de Carmen – et à travers elle celui du CHILI de ces années-là. Par petites touches, la réalisatrice raconte les ambiguïtés, les antagonismes d’une bonne société pour qui la peur-panique du communisme a justifié l’instauration d’un État d’urgence et permet toutes les exactions – mais se marie difficilement avec les préceptes de l’Église. Laquelle est violemment partagée entre une hiérarchie réactionnaire proche du pouvoir militaire et une base, prêtres, curés, largement gagnée au courant de pensée de la théologie de la libération – dont, sans que ce soit formellement dit, le curé de village qui « embrigade » Carmen serait une représentation. Tout en subtilité, le film évite adroitement l’écueil du drame psychologique et moralisateur en utilisant les codes du thriller, musique entêtante, suspense, rares et efficaces effets de surprise. Il oscille ainsi entre moments de tension intense et description sociale minutieuse, pour raconter l’histoire d’une femme qui s’éveille sur le tard aux réalités qui l’entourent, alors que son pays tout entier va durablement étouffer sous une chape de plomb. Un portrait de femme, profond et délicat, qui va acquérir, dans la douleur, une conscience politique.                                                                                                                        

Les années 1970-1980 ont beaucoup inspiré le cinéma chilien (Tony Manero, No…) mais passeulement (on se souvient de Colonia réalisé par Florian Gallenberger).                                                                      

                                                                                            Critique dUTOPIA

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Dalva

DALVA

Film de Emmanuelle Nicot – France, Belgique -1h20

Avec Zelda Samson, Alexis Manentti, Fanta Guirassy…

Emmanuelle Nicot réalise avec Dalva son premier long. Au delà de ses premiers pas dans la mise en scène autour de deux courts-métrages, elle est connue comme directrice de casting. Le choix d’une actrice pour soutenir tout un film est évidemment fondamental, d’autant plus quand il est question d’une pré-adolescente au passé lourd. Zelda Samson est Dalva, personnage qui donne son nom au film et le contient tout entier. On la rencontre au moment de la séparation forcée avec son père abusif, dans les cris et la violence. C’est autour du thème très délicat de l’inceste que tourne ce film, mais plus précisément des différentes étapes qui suivent le placement d’une jeune fille qui n’a aucun repère de sociabilité.

Dalva a vécu recluse avec son père, en fuite permanente pour ne pas avoir à affronter le regard de la société, jusqu’à perdre la trace d’une mère qu’elle considère de fait démissionnaire. La première réussite de la réalisatrice est de ne jamais juger ses personnages.Quand Dalva défend son père, le recherche à corps perdu, la caméra la regarde, tente de comprendre les mécanismes qui amène une enfant à se construire autour d’un tel interdit. Les discussions engagées avec elle tentent de décortiquer la rhétorique de l’enfermement dans la seule réalité jamais proposée. Comment comprendre le monde quand on ne le connais pas ? Pourquoi ce que l’on vit serait une transgression quand on n’a jamais été confronté au bien et au mal et à la vie en communauté ? Ces deux questions jalonnent les premières séquences de l’arrivée de Dalva dans ce foyer qui devient son seul refuge.

La progression de l’histoire, tout comme l’écriture du film, est très graduelle. Il y a à la fois de la douceur et de la pédagogie dans la démarche d’Emmanuelle Nicot. Elle transmet plusieurs idées fortes et nécessaires, avec tout d’abord celle qu’il faut du temps à un enfant pour sortir des logiques qui ont nourri toute son éducation. La transformation de Dalva se diffuse sur tout le film, d’abord pour donner le change à ses éducateurs, qu’elle considère comme ses geôliers, puis comme une possibilité réelle quand elle se fait sa première amie au sein du foyer. La solidarité et l’acceptation qui y règnent sont particulièrement touchantes et bien représentées. Il ya une vie dans ce lieu où tous et toutes ont en commun d’être différents, salis pour reprendre les mots de Samia, l’amie et confidente, et une autre avec le monde extérieur, représenté notamment par l’école.

Mais le film pose également en creux une critique du système de « réinsertion » de ces enfants en proue à des difficultés extraordinaires. Le personnage de Jayden, joué  par le très convaincant Alexis Manentti, est le point de rencontre de ces contradictions. Dur et froid avec ses protégé.e.s, il sait aussi se montrer critique face à une principale de collège aux propos discriminatoires, montrant du doigt l’hostilité vis à vis de ces enfants qui sortent de la norme et menacent l’équilibre des « normaux ». Son visage couturé de cicatrices et sa rudesse laissent à penser que le propre passé de cet homme le rapproche de ceux à qui il donne son temps, des parloirs en prison jusqu’aux nuits à veiller au sein du foyer. L’absence de solutions pour les enfants comme Samia, consciente des impasses qu’on lui présente, est également un noeud d’émotions particulièrement fort et bouleversant.

Cette amie au caractère tempétueux qui fait réaliser à Dalva qu’elle possède une porte de sortie pour se reconstruire : une mère aimante prête à la recueillir et lui donne cette nouvelle chance dont telle a tant besoin. Emmanuelle Nicot dresse, en une heure trente, un portrait saisissant qui ne tombe jamais dans le misérabilisme ou l’apitoiement, préférant décrire avec subtilité le processus long et douloureux d’une renaissance et d’un espoir pour les grands blessés peuplant les foyers pour l’enfance. 

 

Critique Le Bleu du Miroir.

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De Grandes Espérances

DE GRANDES ESPERANCES

DE SYLVAIN DESCLOUS

Avec Rebecca Marder, Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot…

De Grandes Espérances raconte l’histoire de Madeleine et Antoine, un jeune couple plein d’espoir et d’ambition, qui préparent ensemble leurs imminents oraux de l’ENA. Alors en visite chez le père d’Antoine dans sa maison en Corse, les deux politiciens en devenir montrent fièrement leurs idées progressistes et leurs projets pour le futur à une classe politique plutôt réfractaire. Mais ces espoirs volent en éclat lorsqu’une altercation éclate sur une route, vire au drame et que Madeleine et Antoine décident de dissimuler les preuves de leur culpabilité. De retour à Paris, la jeune femme est recrutée par Gabrielle Dervaz, députée socialiste ex-ministre qui voit en elle sa conseillère personnelle. Mais le drame qu’ils ont tenté de laisser en Corse va finir par les rattraper…

Le long-métrage est construit comme un thriller politique sous tension, où les traumatismes et les fantômes planent au-dessus de ses deux personnages principaux. Madeleine est d’ailleurs le point de vue polarisateur du film, faisant tourner toutes ses thématiques autour de son interprète Rebecca Marder qui excelle de bout en bout (elle confirme cette année après sa performance savoureuse dans le Mon Crime de François Ozon son talent puissant et intelligemment protéiforme). La comédienne trouve ici un rôle sombre, celui d’une jeune étudiante en politique aux ambitions d’excellence qui verra ses espoirs basculer lorsqu’un drame et ses conséquences terribles s’abattront de plein fouet sur elle, sur sa famille et sur sa carrière. Desclous et Pierre Erwan Guillaume (qui signent le scénario) composent alors une fresque politique en pleine décrépitude, faisant glisser le ton du film entre le polar nerveux lorsque les mensonges menacent, le récit dramatique amené par les relations entre les personnages et le thriller à tendance horrifique qui fait planer les fantômes de certains traumatismes. C’est à ces égards que De Grandes Espérances plantent autant de graines riches en thématiques fortes, en évoquant notamment l’émergence d’une nouvelle génération politique qui cherche à coup d’idéaux et de valeurs assumées à faire sauter les bâtiments idéologiques préétablis. Leurs alignements à gauche du spectre politique installés dès la discussion d’ouverture, le film peut alors se permettre de scruter l’âme humaine en utilisant particulièrement le personnage d’Antoine. Ce dernier, traitant son traumatisme par la fuite, agit en miroir par rapport à Madeleine, qui bâtissent ensemble une dualité idéologique creusant le cœur du long-métrage.

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Goutte d’Or

Du 13 au 18 avril 2023

GOUTTE D’OR

de Clément COGITORE,FRANCE (1h38)

 

Il s’appelle Ramsès et la Goutte d’Or est son royaume. Au pied du métro Barbès, ses rabatteurs appâtent le client, distribuant par milliers des petits papiers imprimant une promesse: «Médium». Ramsès reçoit, dans une pénombre travaillée à la bougie, des endeuillés prêts à payer en liquide pour des nouvelles de leurs chers disparus. Sa petite entreprise ne connaît pas la crise, d’ailleurs ses concurrents du quartier, voyants et autres «professeurs» d’origines diverses, lui reprochent de rafler leurs parts de marché. Ramsès s’en fiche, business is business.

Sa prospérité s’explique: il est bon, bluffant même. On jurerait que les morts lui parlent pour de vrai, d’une mamie retrouvée dans l’au-delà, d’une maison aux volets bleus, de souvenirs précieux, d’amour et de pardon. Le soir, dans un gymnase, Ramsès se produit en public, micro en main, mystifiant des familles éplorées de ses murmures consolateurs. «Je fais des petits spectacles. Quand les gens sont contents, ils reviennent», résume en coulisses le mage qui ne croit pas à la magie. Car il y a un truc, évidemment, une arnaque bien huilée que Goutte d’Or révèle habilement, sans hâte, sans rire mais qu’il n’a aucune envie de raconter aux gamins de Tanger qui font irruption dans sa vie. Moineaux livrés à la rue, à la drogue, à la violence, ils ont eu vent de ses talents et, au moins aussi effrayants que les Oiseaux de Hitchcock, exigent qu’ils retrouvent un copain envolé.

Clément Cogitore réalise une exploration fiévreuse, hallucinée presque, d’un arrondissement parisien en mutation, un coin du 18ème populaire allant de Barbès à la Porte de la Chapelle, entre trottoirs bondés et colossaux chantiers d’urbanisation, misère noire des mineurs exilés et inéluctables lendemains gentrifiés. (…) Le réalisateur nimbe la dureté de Goutte d’Or d’une beauté onirique, tandis que l’excellent Karim Leklou (Ramsès), tout en opacité, colère et cynisme rentrés, troque la tristesse mesquine de son personnage contre la possibilité d’un émerveillement. Un rai de lumière dans les ténèbres.

Extraits de la critique de Marie Sauvion, Télérama

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The Lost King

Un film de    Stephen Frears

Angleterre. 1h49 –  VOST

Avec Sally Hawkins, Steve Koogan…

     C’est le genre d’histoire incroyable dont nos voisins d’outre-Manche semblent avoir le secret, bien gardé au fond d’un cul-de-basse-fosse de la Tour de Londres

 Dans les années 2010, se crée à Édimbourg une société Richard III, immortalisé par Shakespeare dans sa pièce célèbre comme un roi bossu et cruel ayant fait assassiner ses jeunes neveux pour s’emparer du trône. Autant dire que le dernier souverain de la dynastie Plantagenêt, mort au combat à la fin du XVe siècle et dont le corps aurait été jeté dans la rivière traversant la ville de Leicester, a une réputation quelque peu entachée.

Suite à une représentation du Richard III, Philippa Langley, une modeste employée, se passionne pour l’histoire de ce roi décrié, bien décidée à prouver que le vrai Richard III n’était pas le sinistre sire qu’ont fixé pour la postérité ses successeurs les Tudors. Elle rejoint donc la société locale Richard III. Mais contrairement à ces collègues plus modestes et moins téméraires qui se contentent de quelques articles dans la publication mensuelle, elle plaque tout pour se donner une mission : trouver l’emplacement de la dépouille de Richard III dont elle est persuadée qu’il est enterré dans une église détruite depuis. Et on n’imagine pas ce qu’une simple passionnée d’Histoire anglaise est capable d’obtenir à force d’intelligence, de ténacité et de connaissances acquises sur le tas !

Cette histoire savoureuse (excellent scénario co-signé par Steve Coogan, qui joue le rôle de l’ex – mari et premier soutien de Philippa) est mise en scène par l’expérimenté et polyvalent Stephen Frears, qui a déjà tâté de la royauté avec les très plaisants The Queen (starring Helen Mirren dans le rôle d’Élisabeth II) et Confident royal (avec Judy Dench en Reine Victoria). 

Et la reine de l’affaire est la pétulante Sally Hawkins, qui incarne formidablement l’obstination parfois drolatique de cette citoyenne ordinaire que personne ne voulait croire et qui mit un pied dans la grande Histoire, à la surprise de ses proches et au grand dam des institutions universitaires.

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ETERNEL DAUGHTER

De Joanna Hogg, Royaume Uni/ Etats Unis, 1h36, VOST. Avec Tilda Swinton, August Joshi, Carly Sophia Davies 

Joanna Hogg s’est fait connaître récemment avec The Souvenir, film en deux parties, retraçant la relation d’emprise qu’elle a vécue jeune femme et l’œuvre de fiction qu’elle aurait voulu en tirer. Cette révélation critique va permettre la sortie en France de ses trois films précédents, Unrelated, Archipelago et Exhibition, inédits jusqu’alors en France. Depuis The Souvenir, Joanna Hogg, citée comme référence par Kelly Reichardt et produite par un parrain prestigieux, Martin Scorsese, n’est pas restée inactive. Avec Eternal Daughter, elle propose sans doute son film le plus accessible, sorte de drame gothique inspiré des nouvelles de Henry James, où elle revient sur son obsession de la mémoire, du travail de deuil et de la mise en scène atmosphérique, proche de l’art contemporain. 

Julie, accompagnée de sa mère âgée, vient prendre quelques jours de repos dans un hôtel perdu dans la campagne anglaise. La jeune femme, réalisatrice en plein doute, espère y retrouver l’inspiration ; sa mère y voit l’occasion de faire remonter de lointains souvenirs, entre les murs de cette bâtisse qu’elle a fréquentée dans sa jeunesse. Très vite, Julie est saisie par l’étrange atmosphère des lieux : les couloirs sont déserts, la standardiste a un comportement hostile, et son chien n’a de cesse de s’échapper. La nuit tombée, les circonstances poussent Julie à explorer le domaine. Elle est alors gagnée par l’impression tenace qu’un indicible secret hante ces murs.

Une des actrices les plus précieuses et exigeantes de notre époque, Tilda Swinton, plus David Bowie au féminin que jamais, tient un double rôle dans Eternal Daughter, celui de Julie et également celui de Rosalind, sa mère. Là aussi, Joanna Hogg innove en faisant exprès de ne jamais filmer avant la dernière demi-heure les deux personnages dans le même plan. Ce refus de jouer la convention du plan d’ensemble réunissant les deux personnages interprétés par la même actrice possède une réelle signification qui révèle sa potentialité à la fin du film

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TOI NON PLUS TU N’AS RIEN VU

 

Du  23 au 28 Mars 2023

TOI NON PLUS TU N’AS RIEN VU

Un film de Béatrice Pollet – France – 1H 33 – 2022

Avec Maud Wyler, Géraldine Nakache, Grégoire Colin, Roma Kolin

 Claire Morel a besoin de nous pour comprendre ce qui s’est passé. Si nous ne tentons pas de comprendre avec elle, le mystère restera entier C’est au cœur d’une bien étrange affaire, une partie de cache-cache avec soi-même et peut-être avec les autres, que plonge le captivant “ Toi non plus tu n’as rien vu “de Béatrice Pollet. 

Inspiré de faits réels, le second long de la cinéaste française démarre (après un court prologue de bonheur familial) par une soirée folle pour le couple composé de Claire (Maud Wyler) et de Thomas (Grégoire Colin). À son retour tardif du travail, le second, retrouve sa femme inanimée et ensanglantée. Quelques heures après, il est placé (dans un état apparent d’incompréhension absolue) en garde à vue pour complicité de tentative d’homicide. Le motif, il le révélera très vite à Sophie (Géraldine Nakache), l’amie avocate de Claire : « on a retrouvé un nouveau-né sur le container en face de notre maison. Ils disent que c’est l’enfant de Claire – C’est du délire ! – Ça ne peut pas être son bébé. Je serais au courant si ma femme était enceinte ! » 

À partir de ce coup de théâtre initial et de la sidération accablant les protagonistes (Claire est incarcérée), le film détisse méthodiquement ce qui s’avère un déni de grossesse et creuse en profondeur à la recherche des racines de l’événement. Interrogatoires du juge d’instruction (Pascal Demolon), reconstitution, attaques du procureur expertises psychiatriques pour évaluer l’altération ou non du discernement, parloirs de Claire avec Thomas pour le volet d’intimité du couple et avec Sophie pour préparer sa défense, poids de l’opinion publique. Difficile remontée progressive à la surface de Claire sur quelques mois, le film explore un mystère à la lisière de la science, mais aussi les liens entre maternité et psychisme. 

Empathique mais sobre, ménageant habilement le suspense sans effets de manche (un très bon scénario écrit par la réalisatrice), interprété et mis en scène avec justesse, “Toi non plus tu n’as rien vu” se révèle un film passionnant, très humain et éminemment féministe, levant le voile pour l’instruction de tous sur un acte à priori incompréhensible, y compris pour celles qui traversent ce genre d’épreuves. 

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