Christian Schwochow

Christian SchwochowChristian Schwochow est né en 1978 à Bergen en RDA. Il travaille comme auteur, et journaliste de radio et de télévision, avant d’étudier à la célèbre Film Academy Baden- Württemberg. En 2007, il obtient son diplôme avec le film November Child (L’enfant de novembre), qui fut un gros succès en salles et qui a remporté une douzaine de prix dont notamment le prix du public à Sarrebruck.
En 2011, il réalise son deuxième long-métrage Cracks In The Shell (La fille invisible) qui remporte le prix du Jury œcuménique, le prix de la meilleure actrice à Karlovy Vary et le prix german film pour la meilleure actrice dans un second rôle. Pour ces deux films, il écrit le scénario avec Heide Schwochow.
En 2012, il réalise l’adaptation du roman «TOWER» Best-seller pour la télévision allemande, qui remporte six prix Grimme.

Entretien avec le réalisateur Christian Schwochow et la scénariste Heide Schwochow

Comment avez-vous découvert le roman «Lagerfeuer» (Feu de Camp) de Julia Franck ?

CS : J’ai découvert ce roman au début des années 2000. A cette période, de nombreux livres de jeunes écrivains de l’Est, traitant de l’époque de la RDA et de ses conséquences, furent publiés. J’étais très intéressé par ces histoires de personnages qui changent de vie, aspirant à en vivre une autre, se retrouvant ainsi coincés dans un lieu transitoire étrange. J’ai eu le sentiment que c’était d’une certaine manière lié à mon histoire personnelle.

En quoi était-ce lié ?

CS : Nous sommes partis en 1989. Même si le Mur de Berlin était déjà tombé, il n’était pas impossible que nous nous retrouvions dans ce genre de camps également. Finalement nous n’y avons pas été, mais durant quelques mois nous avons vécu tous les trois dans le petit salon d’un ami de ma grand-mère.

Vous avez donné le livre à votre mère. Qu’en avez-vous pensé, mme Schwochow ?

HS : Cela m’a fait l’effet d’un ressac. D’autre part, j’ai aimé l’idée de ce monde transitoire. On pourrait le comparer à une grossesse : en effet c’est comme s’il y avait un bébé à l’intérieur de vous, il est ainsi encore totalement abstrait. C’était la même chose avec notre désir d’aller à l’Ouest : nous ne savions pas ce qui nous attendait là-bas mais le désir d’y aller a toujours été présent.

Qu’est-ce qui vous a séduit exactement dans l’histoire de ce livre ?

CS : Cet endroit très spécial : on savait que ce genre de camps existait, mais pas ce que cela impliquait d’y vivre sur une aussi longue période. Pour moi, c’était un sujet totalement inédit et passionnant. Ainsi, j’ai réalisé que cette partie de l’histoire allemande était encore complétement méconnue. Quasiment personne n’était au courant que les services secrets interrogeaient les gens dans ces camps.

HS : Avant notre émigration, l’Ouest était pour nous comme un fantôme. Nous n’avions aucune idée de la manière dont fonctionnait la procédure d’immigration. Ni qu’il faudrait dire des phrases tel que : «J’étais persécuté politiquement».

Comment imaginiez-vous votre départ et votre arrivée à l’Ouest ?

HS : C’était un peu flou, et c’est principalement le départ qui comptait à mes yeux – et pas seulement pour des raisons politiques. Julia Franck réussit quelque chose d’extraordinaire dans son roman : un personnage qui, durant son interrogatoire, affirme qu’elle n’est pas partie pour des raisons politiques, mais qu’elle voulait «se débarrasser des souvenirs.» J’ai été impressionné par cela. Parce qu’à l’Ouest, on pense que les gens partent seulement pour des raisons politiques ou économiques.

CS : Mes idées étaient bien plus puériles. J’avais onze ans, quand nous sommes partis. Mon école était située à Falkplatz, à Prenzlauer Berg, juste à côté du mur. Mettre la main sur un «Bravo» (Magazine) ou échanger des autocollants de sa collection – pour moi, c’était ça l’Ouest. Plus tard, j’ai pensé : le moment du départ est comparable à une séparation. Lorsque vous êtes dans une relation qui vous étouffe, vous pensez à la séparation. Mais cela ne signifie pas nécessairement qu’il n’y ait pas de solution pour cette relation. Vous ne savez pas encore dans quel genre de relation vous souhaitez vous engager ni quel genre de vie vous voulez vivre. Tous ceux qui ont quitté la RDA ont dû commencer une vie complètement différente du jour au lendemain.

CS : C’est pourquoi ce roman et ce film sont une métaphore pour de nombreuses personnes. L’émigration est source de beaucoup d’espoir, mais ce nouveau départ s’avère être beaucoup plus difficile que prévu – et ce particulièrement sur le plan émotionnel. Ces personnes pénètrent dans cet espace transitoire. Certains y sont encore aujourd’hui.

Avez-vous eu des difficultés lors de votre installation ?

CS : Tout d’abord, s’en aller était une grande aventure, l’aspiration à une vie différente. Je me souviens aussi qu’il nous a fallu tout de même un certain temps pour comprendre comment se comporter. Par exemple, à l’école on m’a dit: «Tu dois être soulagé d’avoir échappé à ce pays de merde». Ça m’a fait réaliser que je ne pensais pas de la même manière. Les premiers mois ont été particulièrement difficiles. Assis tout seul dans cette petite pièce, tout en sachant que mes parents n’avaient pas de travail. Papa arpentait les rues comme un fou. J’ai trouvé ça insupportable de ne pas avoir d’argent. Je n’avais jamais été pauvre auparavant.

HS : Et Pourtant, c’était quand même plus facile pour nous. Ceux qui sont allés à l’Ouest quand le Mur était encore en place n’ont pas pu voir leurs familles pendant des mois, voire des années. Et s’ils ne pouvaient pas s’y installer ou qu’ils changeaient d’avis, il n’y n’avait aucun moyen de revenir en arrière. A l’Est, cela aurait été considéré comme une défaite. C’est comme ça pour Nelly Senff et Hans Pischke dans le film, pour qui rentrer n’était pas une option envisageable.

Au lieu de cela, Nelly essaie de se faire à l’Ouest, en résistant aux questions, aux interrogatoires.

HS : Nelly continue à être sceptique et demande : «Pourquoi devrais-je vous donner des informations ? J’ai été obligée de donner des informations à la Stasi et maintenant que je suis ici, je dois encore donner des informations ? Je ne suis pas disposée à le faire et c’est terminé.» C’est une bonne attitude.

CS : Mais ce n’était pas facile d’adopter ce genre d’attitude à l’Ouest. Un jour à l’école, j’ai essayé d’expliquer que tout le monde n’avait pas une vie terrible à l’Est, et le professeur m’a répondu: «Eh bien, pourquoi ne pas retourner avec ton foutu Honecker, alors !».

Le film travaille aussi sur les connotations et les ambivalences. Beaucoup de questions restent sans réponses pendant un certain temps. par exemple, Hans pischke est-il vraiment un mouchard de la Stasi ? Nelly Senff n’est-elle réellement pas au courant du sort du père d’Alexejs, Wassilij Batalow ?

CS : Oui, Hans Pischke est un personnage sournois. Il n’a pas d’attache et vit dans le camp depuis deux ans. Soudain, il devient suspect, Nelly lui demande même : «Pourquoi vous êtes toujours là ?». Il pourrait l’être, il tente de se lier d’amitié avec Alexej afin de recueillir des informations sur Wassilij, mais il pourrait tout aussi bien dire la vérité. Nous avons laissé certaines questions sans réponse car nous pensions que ce manque de certitude décrivait bien les relations interpersonnelles de l’époque.

HS : À cette époque, il n’y a aucune preuve. Dans le script, nous avons travaillé très dur sur ce point. Parce que l’aspect intéressant du film est que Nelly ne pourra faire son premier pas vers la liberté que si elle apprend à faire à nouveau confiance.

L’intention de Nelly est de tout laisser derrière elle, de se débarrasser de ses souvenirs.

CS : Oui et cela n’a rien à voir avec la question Est/Ouest ou toute autre question d’immigration. C’est quelque chose que tout le monde a connu au cours de sa vie, lorsque le moment est venu de prendre un nouveau départ. Et je pense que c’est ce qui rend cette histoire universelle.

Combien de temps avez-vous travaillé sur le script ?

HS : Trois ans au total.

Avez-vous souvent vu Julia Franck, l’auteur du roman original, dans le cadre du travail sur le script ?

HS : Oui, nous nous sommes souvent vues, surtout au début ; je lui ai tout simplement demandé de me raconter beaucoup d’histoires, ce qu’elle sait faire d’une très belle manière. Un jour, nous avons visité ensemble le Centre d’urgence des réfugiés à Marienfelde. Puis, je lui ai envoyé régulièrement les différentes ébauches du scénario. Il était très important pour moi qu’elle aime le film.

 

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