Near death experience
De Gustave Kervern et Benoît Delépine – France 2014 – 1h27
BO – Critique
Avec Michel Houellebecq, Marius Bertram, Benoît Delépine…
Présent à l’écran pendant toute la durée du film, Michel Houellebecq incarne un personnage alcoolique, dépressif, suicidaire, plus vrai que nature. Désertant le foyer familial, il s’échappe à vélo dans la montagne et se retire du monde au cours d’une errance mélancolique qu’il poursuit à pied, accomplissant ainsi une sorte de tournée des adieux à sa propre vie.
Au fil de cette errance, les réalisateurs et Houellebecq lui-même, jouent parfaitement du personnage que l’écrivain a lui-même créé : une sorte de symbole du spleen de l’époque, un chantre du crépuscule de nos sociétés. Et il réussit à happer le spectateur. Qu’il danse sur du hard rock ou parle aux pierres, il impose un personnage de cinéma assez inédit, à la fois tragique et burlesque, comme un Buster Keaton des temps modernes.
CRITIQUE
Michel Houellebecq en Droopy critique de la modernité.
«On pénètre dans la salle de bains, / Et c’est la vie qui recommence / On n’en voulait plus, du matin / Seul dans la nuit d’indifférence.» Les poésies de Michel Houellebecq, publiées dans un court volume intégral chez J’ai lu, de même que son disque de slam morose chez Tricatel rendent plus clairement compte que ses «grands» romans de la dimension comique du personnage.
Perçu en règle générale sous l’angle du commentateur sarcastique de notre modernité, Houellebecq n’est peut-être jamais aussi attachant que lorsqu’il laisse parler en lui la loque humaine. Avec sa double prestation d’acteur en cette rentrée, à la fois dans le film de Gustave Kervern et Benoît Delépine, et dans la fiction de Guillaume Nicloux, l’Enlèvement de Michel Houellebecq (qui n’a pas encore de date de sortie), l’écrivain-star surgit sur grand écran dans tout l’éclat de sa décrépitude physique. Toujours plus déplumé, la peau sur les os et privé en partie de dents (1), le visage émacié au point de ressembler de manière saisissante à l’Antonin Artaud tardif extirpé de l’enfer des électrochocs, Houellebecq se sacrifie pour n’être en rien l’individu sain et dispo que promeuvent médias et politiques.
Foufou. Dans Near Death Experience, il interprète d’ailleurs un employé de hotline qui est, à 56 ans, convaincu d’avoir tout raté et décide de se suicider. Enfilant une tenue cycliste, il pédale jusqu’à un endroit isolé dans les montagnes où il tente à plusieurs reprises de sauter du haut d’un barrage ou dans un ravin. Mais son geste est toujours arrêté par des randonneurs importuns mais aussi parce qu’il aime retarder le moment de la mort dans un soliloque intérieur où les bilans négatifs se succèdent. Ils comparent sa vie à un pigeon voyageur portant un message écrit dans une langue énigmatique qu’il n’a jamais su déchiffrer, fabrique des tas de cailloux auxquels il s’adresse comme à sa femme et à ses enfants, danse, saute sur une tente de camping (avec le type à l’intérieur)…Déprimé et foufou.
Lo-fi. Evidemment, il faut une certaine dose de masochisme pour suivre l’écrivain-acteur dans ses ratiocinations maussades, mais comment ne pas reconnaître qu’il touche juste quand il piétine l’injonction dominante à la performance, à la jeunesse, à la sexualité cool et épanouie, à tout âge et en dehors de toute vraisemblance ? Le film est profilé lo-fi, le budget vin rouge a dû être conséquent mais, pour le reste (équipe technique, décors, cascades, effets spéciaux…), on est dans le domaine du raisonnable.
Un léger ennui plane sur l’ensemble mais pas désagréable. Le film pourrait être une émission de radio, car la voix de Houellebecq, off, parle et parle encore avec cette musicalité fluette si particulière. Parfois, il dit des horreurs sur notre sort avec le même détachement modulé que celui de François Lebrun dans la Maman et la Putain, déployant en vaguelettes son mantra bullshit : «N’ayez pas peur du bonheur, il n’existe pas.»
(1) Un cas non négligeable de «sans-dents» qui a plusieurs comptes en banque dans plusieurs pays…
Didier PÉRON
À l’occasion de la sortie de son dernier film NEAR DEATH EXPERIENCE, co-réalisé avec son compère Gustave Kervern, voici un entretien avec Benoît Delépine, réalisé par Carine Trenteun pour le blog Culture 31.
Pourquoi avoir eu envie de faire un film pas drôle ?
Avec Gustave, c’est toujours un peu notre désir de ne pas se répéter, même si certains thèmes reviennent régulièrement dans nos films. Cette fois-ci, effectivement, on avait envie de faire un long-métrage dramatique. Nous avions d’abord travaillé sur un autre sujet, différent de celui-là, pour l’acteur Jean-Roger Milo. On était très avancés mais le projet a été avorté car il devait se tourner au Salon de l’Agriculture, et cela nous a été refusé… deux fois, malgré une réécriture.
Mais on avait une autre idée de scénario. Notre objectif, à Gustave et moi, était de revenir à nos premières amours, c’est-à-dire de refaire un film de façon légère et complètement libre, dans le style de notre premier long-métrage Aaltra, même si ça n’y ressemble pas du tout. On voulait vraiment être en groupuscule avec le noyau dur de notre équipe – Hugues Poulain notre chef-opérateur, Guillaume Le Braz notre ingénieur du son, notre directeur de production, un stagiaire, nous et un acteur – et faire un film avec les moyens du bord, en l’auto-finançant, sans faire appel à personne, en totale liberté, sans contrainte, seulement sur l’inspiration.
(suite…)