Leviathan
D’Andreï Zviaguintsev – Russie 2014 – 2h21 – VOST
Avec Alexeï Serebriakov, Elena Liadova…
L’action de « Leviathan » se déroule dans une petite ville au bord de la mer de Barents. Kolia vit paisiblement avec sa nouvelle femme et son fils issu d’un premier mariage. Tout bascule le jour où Vadim Sergeyich, le maire corrompu de la ville veut exproprier la famille… Le regard du cinéaste sur son pays est sans indulgence ni pitié. Zviaguintsev s’attaque aux quatre piliers de la Russie moderne : l’illusion de la démocratie, la corruption, la religion et l’alcoolisme. « Leviathan » nous frappe par la puissance de sa mise en scène, la beauté de ses images, la force de caractère de ses personnages.
Prix du scénario à Cannes 2014.
Kolia, solide garagiste qui vit dans une petite ville au bord de la mer de Barents, avec sa jeune femme Lilia et son fils Roma, qu’il a eu d’un précédent mariage, un adolescent dans la fleur de l’âge ingrat. Il a une maison juste à côté de son garage, posée sur les hauteurs avec vue sur la mer sauvage. Un modeste paradis menacé par le maire de la ville, Vadim Cheleviat, qui veut à tout prix le racheter pour un projet mystérieux. Se sentant acculé, Kolia fait appel à son vieil ami Dmitri, avocat moscovite. Mais aux regards que s’échangent Dmitri et Lilia, on peut prévoir que leur relation va rajouter de la complexité à une situation qui se dégrade jour après jour…
À partir d’un canevas simple et d’une grande efficacité dramatique, Zviaguintstiev construit un récit implacable qui suit le destin – qu’on devine inexorable – de Kolia, acceptant, irréductible, d’affronter le chaos. Le cinéaste en profite évidemment pour décrire, avec un humour acide et cruel, une société en pleine déliquescence où alcool, cupidité et religion pervertie font bon ménage, au-dessus ou complètement à côté de la morale, de la loi ou de ce qu’il en reste, les tentatives désespérées de l’avocat Dmitri pour la faire respecter semblant bien dérisoires. Le maire, petit rougeaud pathétique mais diablement nuisible, incarné par un acteur aussi génial que méconnu, fera sans aucun doute figure de modèle pour la représentation des oligarques locaux dans le cinéma russe ! La scène absurde qui voit Kolia et quelques amis (dont le chef de la police déclarant pouvoir s’enivrer sans risque puisque lui seul contrôle les conducteurs alcooliques !) rouler cent kilomètres pour aller tirer au fusil d’assaut sur l’effigie d’anciens dignitaires du régime au bord d’un lac, tout en s’enfilant des litrons de vodka bon marché, est anthologique.
Égrenant aussi son chapelet d’arrestations arbitraires, de violences policières et de décisions judiciaires d’une bêtise crasse, Leviathan – le titre est une référence directe à l’œuvre du philosophe Hobbes, qui prônait la puissance de l’État juste pour régir la guerre des intérêts individuels – s’avère une charge morale d’une puissance inouïe, d’une mordante ironie où l’État dévoyé et l’Église toute puissante sont justement au service exclusif des intérêts de quelques individus.
Critique UTOPIA