Guatemala
Réalisateur, scénariste, producteur
Ixcanul, Tremblements
Après Ixcanul, sur la discrimination des Mayas, le réalisateur guatémaltèque revient avec un autre film social sur l’ostracisation touchant les homosexuels. Tremblements prend la forme d’une saisissante histoire d’amour impossible entre deux hommes, l’un mari et père, pris dans l’étau du fanatisme de sa famille, issue de l’Église évangélique. L’autre, gay assumé.
Avez-vous envisagé Tremblements comme un film militant ?
Non. J’ai voulu faire un film qui parle de pression sociale et rappelle comment l’être humain a tendance à aller à l’encontre des droits de l’homme et des droits de l’autre et de sa liberté. Et l’homosexualité m’intéressait, parce qu’au Guatemala, c’est l’une des insultes les plus graves. Au Guatemala, pour décrire un homosexuel, on l’appelle « hueco », qui veut dire « trou ». Je voulais aussi montrer le rôle des femmes, très important.
Elles sont un peu castratrices, les femmes de votre film : autant la mère que l’épouse et celle qui est pasteur. Pourquoi ?
Nous sommes, au Guatemala, une société qui doit se plier aux normes hétérosexuelles Dès qu’un homme dit qu’il est homosexuel, la première chose que l’Église et la famille lui conseillent, c’est de se trouver une femme et de se marier pour construire une façade sociale. À partir de là, peu importe la femme. Il y a déjà un premier mensonge. S’agissant des femmes, la religion a réussi à en faire les gardiennes de l’oppression et de la norme.
Comment ce rôle a-t-il été dévolu aux femmes?
La société ne leur donne que ce rôle et elles excellent ! La religion évangélique au Guatemala s’est implantée dans les années 1980, en même temps que les militaires faisaient un coup d’État et s’installaient au pouvoir. Les religieux ont eu l’intelligence, surtout dans le secteur rural, de lutter contre l’alcoolisme et avec cette action, ils ont gagné la confiance des femmes – le féminicide est terrifiant au Guatemala et il y avait beaucoup de femmes battues à cause de l’alcoolisme masculin. Elles ont commencé à regarder la religion comme quelque chose de très important. L’Église les défendait, les protégeait, alors même que, dans la globalité, la religion est misogyne.
Le mouvement évangélique a complètement structuré la société guatémaltèque ?
Il est venu se greffer sur quelque chose de déjà construit par les catholiques et par une colonie raciste, classiste et élitiste, avec tout un système pyramidal. Ce mouvement évangélique a profité d’un effet opportunité : il a fait ce que font toutes les religions, occuper une place quand l’État est faible. Au Guatemala, la dernière dictature a à peine eu lieu dans les années 1980, la paix a été signée en 1996 et, comme les militaires restent au pouvoir, nous sommes un pays qui vit sous la peur. Nous sommes fertiles pour les religions. Dieu est présent comme arme. Le diable, dès lors, est lui aussi présent pour nous déresponsabiliser.
Ce que l’on voit dans le film à l’encontre des homosexuels, c’est une forme d’exorcisme ?
Oui, il y a, bien sûr, une forme d’obscurantisme à l’œuvre.
La société civile n’est pas capable d’accorder un espace de liberté pour les homosexuels?
Ah, mais ça, c’est d’un point de vue européen. Vous venez d’un pays où il y a une égalité. Au Guatemala, il n’y en a pas. 70 % des habitants sont des Indiens, qui sont discriminés par le seul fait d’être des Indiens, comme je l’avais montré dans Ixcanul. Ils sont dans une extrême pauvreté et il n’y a pas d’opportunités pour eux. Et les 30% qui restent vivent sous le régime d’une phallocratie masculine. Derrière tout cela, nous avons un féodalisme perpétué par des familles qui détiennent les plus grosses industries. Il y a une peur totale de développer les droits sociaux et c’est Dieu qui est au centre de la société. La société civile n’a donc aucune place : nous sommes juste des suiveurs.
N’y a-t-il pas de mouvement en faveur des droits des homosexuels au Guatemala ?
Il y a évidemment des associations et des gens qui militent pour ces droits, mais ce sont vraiment de toutes petites structures. Il y a un débat qui se fait, mais c’est une expression de revendication très limitée, car risquée.
Existe-t-il de la répression ? L’homosexualité est-elle punie par la loi ?
Il n’y a pas de répression directe du côté du gouvernement, mais on peut être viré parce qu’on est homosexuel. C’est très courant de ne pas avoir un boulot parce qu’on est homosexuel, les insultes dans la rues sont fréquentes et il y a beaucoup d’agressions homophobes. L’homosexualité n’est pas punie, mais le gouvernement prépare une loi qui non seulement veut pénaliser l’avortement naturel, mais faire passer une dépénalisation des agressions : elle dit qu’aucun acte d’intolérance contre les homosexuels ne sera puni. C’est l’invitation à aller faire ce que l’on veut.
Diriez-vous que les droits et la défense des homosexuels régressent ?
Je crois que c’est global et que ça ne concerne pas seulement le Guatemala. Ça s’est passé ailleurs, au Brésil, en Espagne, aux États-Unis, en Europe aussi. Il y a des régressions de droits un peu partout dans le monde pour les homosexuels. En Afrique, on ne fait rien non plus ! On aime bien s’en étonner, mais après cela, il n’y a pas grand-chose qui se fait, au fond. C’est toujours une réaction commune de l’humain face aux personnes qui ne respectent pas les droits des autres, cela nous étonne toujours, mais cela ne veut pas dire que l’on agit.
Tremblements est une histoire d’amour comme l’était déjà Ixcanul. Est-ce que l’amour pourrait nous sauver de la discrimination?
J’aime beaucoup comment vous le voyez, mais l’amour n’est pas là : ce sont des essais d’amour parce qu’il n’y a pas d’opportunité d’être soi. Quand on n’a pas l’opportunité d’être soi, il est très difficile de penser à aimer quelqu’un d’autre en plus. Tremblements est un amour impossible, évidemment, une histoire d’amour qui n’a pas pu fleurir. C’est une histoire d’amour dont on a peur.
Pourquoi avez-vous choisi un récit intime? Était-ce la meilleure manière de sensibiliser le spectateur ?
J’ai connu des hommes qui avaient suivi ce traitement de reconversion dont je parle dans le film. Évidemment, ce film parle d’une époque où les thérapies de conversion se faisaient différemment. Aujourd’hui, les thérapies ont un peu évolué et sont beaucoup dans la psychologie, mais il y a toujours des castrations chimiques temporaires. L’Église ne pense plus que l’on puisse soigner l’homosexualité, mais qu’il faut apprendre aux homosexuels à ne pas pratiquer et à se marier et mener une vie normale.
Avez-vous documenté votre scénario avec des témoignages ?
Oui, j’ai rencontré de nombreuses personnes et j’ai fait moi-même une thérapie, mais je n’ai pas pu la suivre jusqu’au bout, car je venais de sortir Ixcanul et ils m’ont reconnu. La thérapie était assez drôle, dans le sens où elle était ridicule, mais je voyais là des gens désespérés et qui pleuraient. La thérapie a commencé avec une photo de Ricky Martin et une dame qui disait : « Croyez-vous qu’il y a de la gaieté derrière ce sourire ? Mais non, il y a de la souffrance ! ». Elle passait ensuite une série de photos de gens déprimés et disait que Dieu était en train de souffrir. Mais Dieu souffre pour bien d’autres choses.
Quelle peut être la place du film au Guatemala ? Va-t-il susciter du débat, des interrogations ? Et quelle va être la position de l’Église par rapport à ce que vous montrez ?
Le film sort au Guatemala au mois d’août. Je pense que c’est un film qui va causer énormément de mal-être. Dès que l’on parle d’un sujet comme ça, de certains comportements de l’Église, tout de suite les gens pensent qu’on est en train d’insulter leur Dieu, qu’on est en train d’insulter leur foi, qui est sacrée.
Comment vous préparez-vous au débat que va immanquablement susciter votre film ?
Avec Ixcanul, mon précédent film, nous avons créé une fondation qui a comme objectif d’utiliser le cinéma comme outil de changement des mentalités au Guatemala. Il n’y avait pas de salle de cinéma indépendant et nous avons monté une salle, il y a deux ans, où nous avons ramené 210 films étrangers. Nous avons un public peu nombreux, peut-être 30.000 spectateurs, mais cela commence à faire un petit chemin. Nous faisons aussi beaucoup de cinéma itinérant et nous trouvons un public. Nous travaillons avec des ONG et des associations : nous avons, par exemple, beaucoup travaillé avec des ONG pour les droits des filles après Ixcanul. Le film est devenu un outil pour changer les droits sur le mariage des filles : l’âge légal était à 12 ans et il est maintenant passé à 18 ans. Avec Tremblements, nous voulons faire des alliances avec des églises, pour utiliser le film comme outil de débat et de conversation sur l’inclusion. Nous avons déjà convaincu dix églises de montrer ce film et de débattre. Ce ne sont que dix églises, mais c’est un début.
Jo Fishley pour « Bande à Part » le 6 Mai 2019