Archives : Archives films

La belle et la meute

LA BELLE ET LA MEUTE

 Mariam semble à  peine sortie de l’enfance. Elle a un visage rond, de grands yeux rieurs. Ses amis et elle choisissent soigneusement leurs tenues pour à l fête ou elles doivent retrouver des filles et des garçons de leur âge. Quelques plans plus tard, on retrouve Mariam en larmes, hagarde dans la rue, les vêtements déchirés, sans chaussures ni sac. Elle vient d’être violée, elle est désemparée. Ce brusque changement d’ambiance crée immédiatement un trouble destiné à  faire partager au spectateur le sort de cette jeune femme qui non seulement doit surmonter le traumatisme de son agression mais aussi se justifier auprès de policiers peu enclin à l’écouter quand ils ne sont pas carrément menaçants. Elle a la chance de retrouver Youssef, un garçon qu’elle a croisé à la fête et qui se propose de l’ aider  pour faire valoir ses droits

D’hôpitaux en commissariats, de mépris en intimidations, on suit sans en perdre une miette le parcours de cette jeune femme qui découvre l’envers d’une réalité   qu’elle imaginait toute autre et  ce jeune journaliste militant bien décidé à  se battre face à  un ordre social qui dénie  le respect des droits élémentaires des citoyens. L’espoir du soutien de quelques bonnes volontés, elles-mêmes révoltées par tant de violence, ne fait pas long feu. Ni le vieux policier compréhensif et paternel qui tente de se démarquer de ses collègues arrogants et brutaux, ni l’infirmière au regard compatissant, ni la femme-flic prête à  écouter les doléances de cette sœur de combat n’ont assez de pouvoir pour épauler celle qui de victime de viol se transforme peu à  peu en citoyenne agissante. Mariam « la belle » se retrouve isolée face à« la meute » et elle est contrainte de s’en sortir seule. Confrontée à des circonstances inhumaines, elle se révèle¨à  elle-même et fait dés lors basculer une impunité que tout le monde connaît et accepte. S’il reste cruel et Âpre, ce film n’en demeure pas moins un bel espoir pour la jeune république tunisienne, car il est bien évident qu’il n’aurait pu exister avant 2011. Bien qu’il ne fasse pas un portrait tendre des garants de l’ordre dans le pays, il a été soutenu par les autorités culturelles, symbole d’ un réel changement de mentalité dans un pays encore en proie à un régime autoritaire il y a peu.

 

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur La belle et la meute

L’ atelier de Laurent Cantet

L’ATELIER de Laurent Cantet  film Français 1H53/vo

Avec Marina Fois, Mathieu Lucci

En compétition au festival de Cannes 2017 dans la catégorie « un certain regard

 

 

 

La CIOTAT,été 2016, Antoine (Mathieu LUCCI débutant fulgurant)  a accepté de suivre un atelier d écriture ou quelques jeunes en réinsertion, doivent Écrire un roman noir avec l’aide d’Olivia, une romancière connue (Marina FOIS à  son meilleur). Le travail d’Écriture va faire ressurgir le passé ouvrier de la ville, son chantier naval fermé depuis 25 ans, toute une nostalgie qui n’intéresse pas Antoine. Davantage connecté à l’anxiété du monde actuel, il va s’opposer rapidement au groupe et à  Olivia que la violence du jeune homme va alarmer autant que séduire.

 

Laurent Cantet 56 ans, fils d’instituteur, se passionne depuis ses premiers films (« Entre les murs », palme d’™or en 2008) pour les classes sociales, dans lesquelles sont enfermées les individus : avec ce film il invente un cinéma qui échappe à tout message, à  toute thèse : il ne se laisse attraper par aucun filet idéologique ou psychologique : c’est un cinéma joyeusement politique.

 

Voilà  ce qu’il dit :

Des origines du projet : Â«  tout est parti d’un reportage en 1999 (de R. Campillo coscénariste du film) ou l’on voyait une romancière anglaise animer un atelier d’écriture à  La Ciotat encore sous le choc de la fermeture du chantier naval. Le projet a été laissé en plan, j’y suis revenu 17 ans plus tard avec l’intuition que cette histoire ouvrière était de la préhistoire pour les jeunes d’aujourd’hui : ce dont le film témoigne c’est de la mutation radicale de cette société devenue violente, déchirée par des enjeux politiques et sociaux inquiétants : terrorisme, précarité, montée de l’extrême droite. Et les jeunes de l’Atelier  nous le disent : ils cherchent leur place dans un monde qui ne les prend pas en compte, ils ont l’impression qu’ils n’ont aucune prise sur le déroulement des choses et leur propre vie ».

-Du travail avec les jeunes comédiens : « quand une première version du scénario a été achevée, nous avons fait un casting dit « sauvage» : j’ai choisi les acteurs, parmi une centaine de jeunes de la région et j’ai mené avec eux un atelier de 2 semaines à  plein temps, ils n »ont jamais appris leur rôle, ils l’ont intégré«

-De l’atelier d’écriture : Â«  ce que je voulais montrer, avec cet atelier, c’est moins un acheminement vers l’écriture qu’un effort difficile et hésitant pour penser, parler ensemble et se mettre d’accord : si on pense que les jeunes ne savent plus parler, c’est parce qu’on ne leur donne plus l’occasion de le faire : j’ai été stupéfait par la densité de nos échanges, par la façon dont ils trouvaient les mots pour défendre leurs idées ».

-Du roman au film noir : «  j’ai eu envie de donner une coloration « thriller »c’est à  la fois une façon de brouiller les pistes et de susciter des Emotions violentes : je voulais qu’on ait peur à  la fois pour lui et pour elle »

Opération réussie ; voici un film juste, inattendu, haletant : à voir

 

 

PROCHAIN CINE DEBAT autour de CE FILM le 30 octobre, à la suite de la projection de 19H30 

 

 

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur L’ atelier de Laurent Cantet

Une Famille Syrienne

 

Tourné à Beyrouth , « Une famille syrienne », entend évoquer la guerre en Syrie à travers un huis-clos où une famille cloîtrée s’attend au pire. Montrer le quotidien des civils syriens, otages du conflit, telle est l’ambition de Philippe Van Leeuw. « Je voulais mettre des images sur ces personnes qui subissent la guerre au jour le jour», explique le réalisateur de » Le jour où Dieu est parti en voyage » sur le génocide rwandais (2009). Choqué par l’immobilisme de la communauté internationale en Syrie face à Bachar Al Assad, il a choisi de se situer « en dehors des polémiques partisanes » et d’« être au cœur de l’humain ».

Beau et terrible, ce film sur une journée d’une famille syrienne enfermée dans son appartement a reçu les prix de la mise en scène et du public au festival d’Angoulême.   

         Penchons-nous un instant sur le titre. D’abord, la notion de « famille » est trompeuse puisque tous les personnages à l’abri dans cet appartement ne sont pas du même sang, certains étant des voisins et l’une d’elles étant même une domestique. De quoi interroger sur la notion d’appartenance à une famille, au-delà de la seule généalogie et de la classe sociale. Ensuite, la précision comme quoi cette prétendue famille est syrienne est le seul et unique indice (hormis la langue arabe bien sûr) qui nous permette de situer le conflit. L’abstraction géographique, autant que politique, fait de ce long-métrage une œuvre universelle, et donc bien plus puissante qu’une banale dénonciation du régime en place.

Ce faisant,  ce film se révèle éprouvant, tout particulièrement quand la violence extérieure pénètre ce fragile refuge, violence que le cinéaste filme sans complaisance. Dense, « Une famille syrienne » allie la théâtralité d’un huis clos étouffant dans la tradition de l’unité de temps, de lieu et d’action à une réalisation efficace où une caméra fluide suit tous les mouvements des protagonistes.

La violence extérieure n’est pas montrée mais n’en reste pas moins omniprésente, grâce à un formidable travail sur le son. Le bruit des hélicoptères, bombardiers et explosions ponctue ainsi la vie de la dizaine de Syriens qui se terrent dans leur abri de fortune. Chaque bruit à l’extérieur devient une source de terreur, que le rythme de la mise en scène ne fait qu’amplifier.

Pour que cette violence s’incarne, il fallait de beaux personnages, déchirés entre la nécessité de fuir et le besoin de rester. Dans son personnage fort et charismatique au cœur du récit, Hiam ­Abbass  (la mère) bouleverse, aux côtés des non moins émouvantes Juliette Navis et ­Diamand Bou Abboud. Séquestré avec la famille captive, le spectateur n’est immergé qu’une heure et demie dans ce moment de guerre. La parenthèse est pourtant plus éloquente et instructive que bien des reportages et récits dont la barbarie inlassable a fini par nous anesthésier. Ce film devrait aider à modifier le regard sur les réfugiés.

D’après les critiques de :

Julien Dugois (avoir-alire.com), Corinne Renou-Nativel ( La Croix), J.F Juliard ( le Canard Enchaîné).

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur Une Famille Syrienne

Faute d’amour

Après « Elena « puis « Leviathan « prix du scénario à Cannes 2014, le réalisateur nous revient avec « Faute d’amour », histoire de disparition soudaine dans un pays menacé par le chaos.

Boris et Genia sont en train de divorcer. Ils se disputent sans cesse et enchaînent les visites de leur appartement en vue de le vendre. Lui est en couple avec une jeune femme enceinte ; quant à elle, elle fréquente un homme aisé qui semble prêt à l’épouser.

Ce film traite de l’enfance malheureuse avec un regard extrêmement délicat. Il nous parle aussi d’un couple, Boris et Genia, capable de se déchirer, voir même de se déchiqueter, de manière totalement égoïste sans penser un seul instant aux dégâts provoqués autour d’eux.

C’est aussi un film sur le couple en général, cette association parfois composé de deux individus incapables de réfléchir à l’avenir, car aveuglés par le bonheur présent. En effet, on ne peut s’empêcher de penser que tout va recommencer. Dans le même lieu, avec ce couple qui vient visiter l’appartement. Dans d’autres lieux, avec ces deux nouveaux couples formés par Boris et sa nouvelle compagne, par Génia et son nouveau compagnon.

Mais c’est également un film sur la Russie actuelle ; si « Leviathan » dénonçait un pays rongé par la corruption, « Faute d ‘amour » montre un pays miné par l’individualisme, la relation que Génia entretient avec son portable étant particulièrement révélatrice et un état qui n’assure pas à ses citoyens le minimum qu’ils sont en droit d’attendre. Seul éclair dans ce tableau noir, la mobilisation réelle d’une association de citoyens bénévoles palliant les carences de la police.

(critique UTOPIA)

« Faute d’amour » a obtenu le prix du jury lors du dernier festival de Cannes

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur Faute d’amour

Happy End

« Happy End » de Michael Haneke, film franco-autrichien (1h48), nominé au festival de Cannes 2017

Avec Jean-Louis Trintignant, Mathieu Kassovitz, Isabelle Huppert, Fantine Harduin…

Dans Happy End, Haneke revisite ses grands thèmes, la violence, l’enfermement et la mort à travers une comédie noire. Un puzzle humain parfois glaçant et pourtant ludique, un jeu de piste dans la grande demeure de grands bourgeois à Calais. Isabelle Huppert joue la chef, femme de tête qui veut aller de l’avant. A quoi bon ? Tout fout le camp. Son père vient de rater sa tentative de suicide et prépare la suivante. Son fils boit et, au lieu de se préoccuper de l’entreprise familiale, la néglige. Son frère est très occupé par sa maîtresse musicienne, avec laquelle il explore des fantasmes d’avilissement, et par sa fille, une gamine quelque peu soupçonnée d’avoir tué sa mère à coups de tranquillisants…

Ces personnages sont ceux d’une farce sombre et débridée. Mais la maîtrise est partout. D’abord chez les comédiens qui évitent les écueils de la dérision. Mathieu Kassovitz qui interprète le frère, se fait le reflet d’un monde lisse, où tout n’est que neutralité apparente et mensonge. Jean-Louis Trintignant, en patriarche déterminé à mourir, dans la dignité ou dans l’indignité, embrasse un néant qu’il n’essaie pas de faire passer pour une sagesse philosophique. Même la jeune Fantine Harduin sait tenir, sans le simplifier, son personnage de petite fille qui joue avec la vie et les tranquillisants.

Haneke, lui aussi, garde la mesure. S’il réaffirme sa vision d’une société occidentale mortifère, il n’en appelle pas à la condamnation de ses bourgeois. Il en fait des aveugles, buttant sur une vie qu’ils ne savent plus voir et dont même la dureté leur échappe. C’est l’effondrement général, mais on prépare un mariage. Où des migrants qui errent dans la ville finiront par trouver une place saugrenue, invités à s’assoir à une table. Tout se mêle, le décorum d’une classe sociale qui n’est plus dans le vrai et la brutalité de la réalité. L’inconscience joyeuse et la tragédie.

Critique de Frédéric Strauss, « Télérama »

Publié dans Archives films, Uncategorized | Commentaires fermés sur Happy End

ETE 93

Le premier long-métrage de la Catalane Carla Simon peut se présenter comme la chronique estivale d’une petite fille de 6 ans dont les parents sont morts. Ce serait pourtant passer  à côté du film que de le réduire à un sujet aussi écrasant. La beauté de ce coup d’essai tient à ce que  l’on ne sait, de prime abord,  de quoi il retourne. Son véritable sujet, beaucoup plus secret, se situe dans les interstices du film, et ne se précise que dans la durée.

.Le parti pris de Carla Simon se présente avec l’ évidence et la force de sa simplicité : filmer à  hauteur d’enfant. La caméra s’arrime donc à Frida, sans nous expliquer le bouleversement que l’on perçoit autour d’elle. Les grands s’affairent, on range tout comme en vue d’un déménagement, on échange des messes basses. Voilà  Frida subitement transbahutée de la ville à  une grande maison de campagne, auprès d’une nouvelle famille, constituée de son oncle Esteve, de sa tante Marga, et de leur petite fille de 3 ans, Anna. En se rangeant du côté de l’enfant, la mise en scène adopte son point de vue parcellaire et incomplet sur les événements. Nous ne devinons que par bribes qu’elle a perdu ses parents. Les carences du récit ­renvoient Evidemment au non-dit que les adultes font peser sur l’enfant, à ce qu’ils lui taisent en pensant l’Épargner.

Le récit se cale ensuite sur l’écoulement ordinaire des vacances d’ été. Le temps passe à  jouer dehors, les baignades, les repas en famille, les fêtes de village et les bals populaires. Le film se vit à  la fois comme une célébration du moment présent et des impressions qu’il délivre ( la chaleur du soleil, les saveurs, la musique), mais aussi comme le flottement d’une douleur suspendue qui tarde à s’affirmer.

En effet, Frida ne parait pas franchement affectée par la mort de sa mère . Cette mort ne cesse de se rappeler incidemment  elle, dans la prévenance ostensible des adultes ou dans le suivi médical dont elle fait l’objet. La violence d’une telle disparition rejaillit par bouffés soudaines dans le comportement de la petite fille, plein de brusqueries et de gestes inconsidérés notamment envers Anna, sa cadette, qu’elle met en danger plus d’une fois

Le film décrit surtout l’apprivoisement mutuel entre les membres d’un foyer recomposé par la force des choses. La mise en scène prête attention aux ajustements affectifs de chacun, toujours susceptibles de se renverser. La résolution du film passe par la conquête d’un espace de confidence entre l’enfant et l’adulte, comme par la possibilité© de nommer enfin les douleurs enfouies.

A terme, Eté 93 s’avère un beau film sur les puissances du refoulement. Le travail imperceptible qui s opère dans la psychè de Frida n’est autre que le lent et tortueux cheminement d’une Emotion contenue qui finit par Eclater au grand jour.

 

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur ETE 93

Les Filles d’Avril

Les filles d’Avril

De Michel FRANCO – Mexique – 2017 – 1h43 – VOST 

Avec Emma Suarez, Ana Valeria Becerril, Joanna Larequi

Une exploration troublante de l’instinct maternel et de ses dérives.

Valeria, 17 ans, vit avec sa grande sœur, dans une petite maison face à la mer. Elle est enceinte et amoureuse d’un garçon du même âge, attentionné mais pas très mûr. Le bébé, elle veut le garder. Elle accouche. Mais, très vite, elle se retrouve dépassée. Sa mère, Avril, vient l’aider. Trop bien : elle accapare l’enfant et décide de l’adopter. (D’après Jacques Morice, Télérama)

Le cinéaste et ses actrices inspirées explorent les relations de cette famille où la grand-mère aspire à usurper la place de la mère pour retrouver le plaisir de la maternité, tout en restant pourtant très humaine (ce qui est bien rendu par le jeu de l’actrice Emma Suarez). Cependant ce que Valéria va endurer et les cris du bébé rappellent qui va en payer le prix.

Le film exprime trois points de vue féminins (de fille ou de femme ?) tandis que le garçon (doit-on dire l’homme ?) reste passif.

Avec « Les Filles d’Avril », sans renier son esthétique très directe, Franco attendrit un peu son cinéma et signe son film le plus lumineux, le moins cruel de tous, le plus mûr. (…) C’est à ce jour, sans nul doute, son meilleur film. (Jean-Baptiste Morain, Les Inrockuptibles)

En bord de mer d’abord, puis dans les rues de Mexico City, Michel Franco pose un regard délicat sur ses actrices. On le sent réticent à porter un jugement trop sévère sur celles qu’il met en scène. Dans leur cas, la polysémie du mot « peine » – la sanction ou la tristesse – trouve pleinement à s’incarner… (Laetitia Drevet, La Croix)

La vérité qui éclate progressivement éclaire sous un jour nouveau les scènes inaugurales et certains comportements a priori « normaux ». Glaçant. (Christophe Narbonne, Première)

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur Les Filles d’Avril

Gabriel et la montagne

Gabriel et la montagne reconstitue les soixante-dix derniers jours de la vie de Gabriel Buschmann, qui fut un ami du réalisateur, Felipe Barbosa . En 2009, ce jeune homme issu de la bourgeoisie de Rio avait consacré une année sabbatique à  faire le tour du monde. En tant qu’étudiant en sciences économiques s’apprêtant à intégrer une université© américaine, il souhaitait voir la pauvreté là  ou elle se trouve en voyageant autrement que comme un vulgaire touriste, en vivant parmi les autochtones, en empruntant des chemins de traverse.

Le film commence par la découverte de son cadavre, enfoui derrière une dense végétation, littéralement absorbée par le paysage. Cette ouverture place tout ce qui suivra sous le signe de la mort, apportant à l’aventure de Gabriel une teinte tragique, et permettant à  Barbosa de se distancier d’emblée de son idéalisme. Car tout l’enjeu du film est là  : comment rester fidèle à l’ami mort tout en prenant avec son aventure la distance que  lui pas pu prendre

La fidélité passe par la précision documentaire d’™un tournage qui a duré presque autant de jours que le temps de l’action, dans les lieux précis ou est passé Gabriel, avec, dans leurs propres rôles, tous ceux qui l’ont réellement accueilli et accompagné. Il s’agit surtout de s’approcher au plus prés de ce qu’il a pu éprouver. Cet aspect documentaire n’empêche pas une problématisation très subtile. Le cinéaste n’est jamais contre son personnage mais il révèle par petites touches ses contradictions. Malgré son désir de submersion totale, Gabriel ne peut Échapper à  son statut d’étranger, de mzungu, comme on nomme les Blancs en Afrique de l’Est. Il n’est pas seulement trahi par sa couleur de peau mais surtout par sa volonté trop affichée de s’intégrer.

Bien sur, aucun Africain ne regarde et ne vit  en Afrique avec une telle excitation vis-à -vis de tout ce qui l’™entoure, avec un tel élan humaniste face à une misère dont il n’est qu’un spectateur passager, avec une telle fierté à  ne pas se comporter comme ceux de sa classe. Venue le rejoindre pendant quelques jours, sa petite amie, plus lucide, lui rappelle ses origines bourgeoises, que démontrent les rapports compliqués à l’™argent de ce riche jouant au pauvre.

Sans que le cinéaste ne force nos sentiments, on est constamment partagé entre la sympathie et l’agacement envers ce jeune homme candide qui incarne à la fois la générosité et les limites d’une certaine posture humanitariste,  ou a générosité serait une forme tordue de narcissisme. Et peut-être incarne-t-il aussi la complexité© et l’ambivalence du Brésil, pays Emergent après avoir appartenu au tiers-monde, et qui culturellement garde toujours un pied en Afrique. Gabriel et la montagne n’ est cependant pas un film à thèse, à  peine une fable. De quoi meurt Gabriel ? d’une trop grande confiance en sa liberté, en sa connivence avec le monde ? Mais ses photos demeurent. Celle qui semble avoir été prise depuis l’endroit précis ou il est mort, est bouleversante car elle ramène son aventure à sa part la plus solitaire et impartageable, ou  c’est dans le regard embué d’une agonie parmi les plantes sauvages qu’ il parvient tragiquement à  cette fusion avec le monde à  laquelle il aspirait.

 

 

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur Gabriel et la montagne

LOLA PATER

Zino, alors qu’il se recueille sur la tombe fraichement creusé de sa mère dans le carré musulman d’un cimetière parisien, est loin d’imaginer la vague déferlante qui va venir balayer le récit maternel. De son père absent, sa mère ne lui disait pas grand-chose. Elle en avait supprimé les traces, les photos. Il se serait volatilisé, aurait abandonné femme et enfant sans une explication. Sujet délicat, rarement abordé pour ne pas blesser l’épouse abandonné un quart de siècle plus tôt. Mais les histoires que gobe sans broncher un fiston aimant tiennent rarement le choc devant un notaire bien renseigné dès qu’il s’agit de droits de succession. C’est ainsi que l’homme de loi va retrouver sa trace et se faire un devoir de communiquer son adresse. Bien sûr Zino a tôt fait d’enfourcher sa moto et le voilà parti pour le midi, à la recherche de son père. Le nom, Farid Chekib, inscrit sur la boîte aux lettres d’un mas provençal lui confirme qu’il est arrivé à destination. La maison est pleine de vie, de femmes, de musique. Il faut dire que Lola, la belle et grande brune qui règne sur le lieu, y donne des cours de danse orientale. On prend d’abord le visiteur pour un danseur mais le visage de Lola, troublée, se décompose lorsque Zino demande à voir Farid. S’il la prend pour la nouvelle épouse de son père, nul n’est dupe très longtemps. Lola n’est autre que son géniteur, un bien étrange pater !  Cette réalité là, il faudra un bon moment à Zino pour se l’approprier ! Dans l’immédiat, il rebrousse chemin….Quand il revient au bercail, le retour est d’autant plus rude entouré par le vide, l’absence, dans l’immeuble de son enfance…. Jusqu’à ce que Lola, n’y tenant plus, fasse à son tour le voyage jusqu’à son fils. Une Lola gauche, fragilisée, assaillie par les doutes, les regrets…

Jamais Nadir Moknèche ne tombe dans les clichés sordides ou simplistes pour parler la réalité de ces hommes et femmes qui ont dû fuir leur pays, l’Algérie, pour ne pas terminer leur vie dans un asile psychiatrique…

Le réalisateur a eu la bonne idée de confier le rôle principal à Fanny Ardent, qui sert le personnage à merveille par la puissance de son regard, par son autorité naturelle. Sous ses extravagances volubiles, on comprend qu’il y a un être d’une énergie, d’une force rare, qui continue à se battre pied à pied pour s’assumer et garder la tête haute.

Critique UTOPIA

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur LOLA PATER

DJAM

Djam

Un film de Tony Gatlif  avec Daphné Patakia et Simon Abkarian (1 h 37)

 

« Djam » est un road movie qui vous entraîne sur les pas d’une jeune grecque un peu fofolle, un peu naïve : elle chante, elle danse, elle sourit à la vie. Son oncle Kakourgos tient un bar où viennent danser et chanter des afficionados du Rebetiko une musique populaire grecque : «  c’est la musique de l’exil quand on part avec une valise sans rien de son pays »

Djam se voit confier une mission par son oncle: aller à Istanbul pour chercher une pièce de bateau. Elle y rencontre Avril, une Française de 19 ans seule et sans argent venue en Turquie pour être bénévole auprès de réfugiés. Entre Grèce et Turquie sur fond de crise financière et migratoire, Djam et Avril croisent de nombreuses vies en souffrance et sont les témoins impuissants des drames dont ces lieux ont été le théâtre : « sur le rivage des bateaux fracassés, une montagne de gilets de sauvetage…… »

Tout le film ressemble à Djam et son oncle, dotés d’une belle énergie, altiers et passionnés, fous de musique, allègres pour tenir à distance le désespoir, avec la générosité de ceux qui n’ont presque rien et la sagesse de ceux qui savent intimement où se trouve l’essentiel.

Porté par le personnage de Djam le film l’est aussi par son interprète, une nouvelle venue saisissante .Elle parle grec, français, anglais et s’impose comme allégorie de notre présent mondialisé.

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur DJAM