Archives auteur : admincc

FACE A LA MER

FACE À LA MER

De Ely Dagher, Liban-2021-1h56. Avec Manal Issa, Roger Azar, Yara Abou Haidar

Premier long métrage de Ely Dagher, tourné peu avant l’explosion dans le port de Beyrouth du 4 août 2020.

Jana revient soudainement à Beyrouth après une longue absence à Paris et reprend contact avec la vie familière mais étrange qu’elle avait quittée.

On a découvert Manal Issa en 2016 dans Peur de rien de Danielle Arbid où elle campait une jeune Libanaise débarquant à Paris pour tenter d’y trouver une liberté qu’elle n’avait jamais pu trouver dans son pays et de s’y intégrer par sa force de caractère que rien ne semblait pouvoir altérer. Dans Face à la mer, son personnage vit exactement le voyage inverse. Installée en France depuis des années, elle revient vivre dans son pays natal et tente de se reconnecter avec cette ville de Beyrouth qu’elle peine à reconnaître. Bad Trip absolu d’une impasse des personnages et de toute une société. Le film synthétise une inquiétude, un sentiment de perte, une dérive, une menace. Il témoigne d’une épreuve collective et envoie un ultime message de détresse. Pourquoi était-elle partie ? Pourquoi a-t-elle choisi de revenir ? Ces questions- là planent en permanence sur un récit qui ne cherchera pourtant jamais à y porter de réponses. Face à la mer s’affirme comme une expérience esthétique et sensorielle. On le vit dans la tête de cette jeune héroïne, incarnée avec une intériorité majestueuse par Manal Issa qui vit cette ville comme une sorte d’espace fantomatique dont les habitants à commencer par ses parents, dopés aux anxiolytiques, semblent dévorés par une léthargie grandissante pendant que la reconstruction incessante des grands ensembles, privent de plus en plus d’entre eux de vue sur la mer et donc d’horizon.

Ely Dagher fait ressentir cette ville autant ravagée par les guerres à répétition que par la gestion défaillante de ses dirigeants. Un geste envoûtant et hélas prémonitoire. Quelques semaines après le tournage, se produisait l’énorme explosion des entrepôts du port qui allait ajouter du chaos au chaos.

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur FACE A LA MER

LIBERTAD

De Clara Roquet
 Espagne 2022
Avec Maria Morera, Nicolle Garcia, Vicky Pena
C’est un été comme les autres. Vacances sur la Costa Brava chez une grand-mère dont les histoires moult fois rabâchées ne fonctionnent plus qu’avec la petite sœur, alors que Nora, du haut de ses 15 ans, se sent envahie par un mortel ennui, une étrange torpeur. Il n’y a plus qu’à prendre son mal en patience dans la prison dorée de cet univers bien protégé, rythmé par le tic tac du coucou trop vieux qui a fini par se détraquer. La vie progressivement semble rétrécir malgré les paysages de rêve, les conditions d’une classe sociale aisée qui a accès à toutes les distractions possibles. Les vacances, c’est l’impossibilité d’échapper à la présence permanente de la famille, l’impossibilité de respirer quelques bouffées de liberté avec les copines, de se raconter de vive voix les premiers baisers avec ou sans la langue, « mais comment tu fais avec ton appareil dentaire ? ». Toutes ces préoccupations qui passionnent plus les adolescentes que les virées en bateau avec ceux dont on aimerait s’émanciper.
À tout cela se superposent les angoisses et la jalousie de la mère de Nora, notamment envers son mari qui ne les rejoint pas mais surtout devant la place prise par Rosana, la bonne colombienne immigrée pour se faire une vie meilleure, qui seule semble avoir le pouvoir de rassurer l’aïeule.

Cela se dit dans l’intimité d’un craquage, mais pas officiellement et surtout pas devant les amis envers lesquels on affiche la haute bienveillance obligée de la classe supérieure. Ce malaise larvé se camoufle donc lorsqu’il s’agit de prendre la décision magnanime d’accepter que Rosana puisse accueillir sa fille du même âge que Nora et qui n’a plus nulle part où aller. Elle porte un des plus jolis prénoms du monde : Libertad. « Liberté », celle dont rêve justement Nora.

Libertad n’est d’abord qu’une ombre fugace et boudeuse que l’on aperçoit dans l’embrasure d’une porte. La jeune fille deviendra vite pour Nora un sujet d’attention et d’attraction, qui découvrira ainsi les conflits qu’elle a avec sa propre mère dont l’état servile la révolte sans doute, sans qu’elle sache l’exprimer clairement. En chiennes de faïence, les deux s’observent selon l’adage « chacune à sa place et les moutons seront bien gardés ». Le premier pas, c’est la petite bourgeoise qui le fera. D’abord un peu timidement face à cette fille du même âge mais qui a l’air tellement plus grande, tellement moins timorée et plus mature d’avoir déjà vécu. Progressivement Libertad la poussera à ne plus écouter ses peurs, à oser être. Regarder les garçons, les aborder, laisser parler une sensualité en train de devenir trop grande pour la contraindre dans un sage maillot une pièce de petite fille. Avec le goût de la révolte grandira une indéfectible amitié qui nourrira l’envie de briser l’ordre hiérarchique du monde, le plafond de verre invisible séparant les classes sociales.

La réalisatrice s’est inspirée de son propre passage à l’âge adulte dans un milieu privilégié. Elle en restitue l’ambiance avec une précision tranchante, jamais acerbe. Une fiction empreinte d’une analyse sociologique fine où se mêlent aux images d’Épinal celle d’une réalité plus populeuse et anguleuse. Les deux jeunes actrices incarnent les rôles principaux avec une fraîcheur sublime. Deux étoiles naissantes, à n’en pas douter.

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur LIBERTAD

Antoneta Alamat Kusijanovic (Murina)

Née le 27 septembre 1985 à Dubrovnik

Croatie

Réalisatrice, scénariste

Entretien avec la réalisatrice Antoneta Alamat Kusijanovic 

Quelle a été la genèse du film ?

Je voulais développer l’univers et le personnage de mon court métrage Into the Blue. J’avais vraiment aimé mettre en scène un affrontement au cœur d’un petit groupe de personnages, l’inscrire dans une nature dont l’austérité rime avec les émotions en jeu et la violence que celles-ci peuvent déclencher. Je suis partie de cette dynamique, d’une image de la nature que j’avais depuis l’enfance, quand je venais sur cette île rendre visite à ma grand-mère. (suite…)

Publié dans Archives réalisateurs, Réalisateurs | Commentaires fermés sur Antoneta Alamat Kusijanovic (Murina)

C.B. YI (Moneyboys)

Pour son premier film, le réalisateur sino-autrichien s’est emparé d’un sujet sensible : la prostitution d’un jeune Chinois. Formé par Michael Haneke en Autriche, ce cinéphile averti a pourtant voulu “respecter la manière chinoise de faire des films”. Avec une grande délicatesse. Présenté à Cannes 2021 en sélection officielle (section Un certain regard), Moneyboys est la chronique rigoureuse de la dérive mélancolique d’un jeune Chinois qui se prostitue pour aider les siens, tout en se condamnant ainsi à être rejeté par eux.

(suite…)

Publié dans Archives réalisateurs, Réalisateurs | Commentaires fermés sur C.B. YI (Moneyboys)

Mina Mileva et Vesela Kazakova (Women Do Cry)

Mina Mileva et Vesela Kazakova forment un duo énergique hors pair. Leur premier film, on ne peut plus féministe, dresse un portrait sans détour de la condition féminine dans la société bulgare. Rencontre.

 

Les étonnantes Bulgares Mina Mileva et Vesela Kazakova avaient peu fait, jusqu’ici, parler d’elles en France : la sortie en salles de leur cinquième film, Women Do Cry, qui a été présenté à Un certain regard au Festival de Cannes 2021, révèle le tempérament de feu de ce duo féministe. Volubiles, passionnément engagées dans leur travail et très drôles aussi, elles nous ont parlé de leur démarche de réalisatrices. Une rencontre qui a eu lieu avant l’entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine et ses répercussions, notamment en Europe de l’Est.

(suite…)

Publié dans Archives réalisateurs, Réalisateurs | Commentaires fermés sur Mina Mileva et Vesela Kazakova (Women Do Cry)

Omar EL Zohairy (Plumes)

Dans son extravagant premier long-métrage, le réalisateur égyptien s’est appliqué à transfigurer la réalité pour la rendre plus universelle, explique-t-il dans un entretien au « Monde ».

Commencé au Caire il y a trente-quatre ans, le trajet d’Omar El Zohairy est classique. Institut d’études cinématographiques, assistanat à la réalisation durant quelques années, notamment auprès de Yousry Nasrallah, puis réalisation de deux courts-métrages, dont, en 2014, rien que pour le plaisir de le citer : La Suite de l’inauguration de toilettes publiques au kilomètre 375. Plumes, son premier long-métrage, a été médité à Paris, lors d’une résidence de la Cinéfondation, que l’on remercie d’avoir incubé un talent aussi extravagant.

(suite…)

Publié dans Archives réalisateurs, Réalisateurs | Commentaires fermés sur Omar EL Zohairy (Plumes)

Hélier Cisterne (De Nos Frères Blessés)

Né en 1981

France

Réalisateur, scénariste

Hélier Cisterne : « Les cicatrices de la guerre d’Algérie sont toujours présentes aujourd’hui »

Comment en êtes-vous arrivé à faire du cinéma ?

Je suis issu d’une famille rurale, j’ai grandi dans un petit village à la frontière du Lot et de la Corrèze. Dans mon enfance, la culture est présente, mais les sorties dans les salles obscures sont rares. Un jour, alors que j’ai 15 ans, je suis en vacances chez mes grands-parents, je vais au cinéma avec une bande de copains en espérant pouvoir y embrasser une fille. Je découvre « Crash », de David Cronenberg, un film de chair et de métal, tordu comme la tôle d’une voiture accidentée. (suite…)

Publié dans Archives réalisateurs, Réalisateurs | Commentaires fermés sur Hélier Cisterne (De Nos Frères Blessés)

Women Do Cry

WOMEN DO CRY
• De Mina Mileva et Vesela Kazakova
• Bulgarie 2021/ 1H47
• Avec : Maria Bakalova, Ralitsa Stoyanova, Katia Kazakova
Le ton est donné dès le générique, écrit en grosses lettres comme sur une
banderole pour aller à la manif. Il y a de la colère dans l’air, une énergie
aussi, et la force de la solidarité : un programme radical pour ce film bulgare
aussi libre que passionné. À Sofia, on rencontre Ana, Veronica, Yoana, Lora
et Sonja, mères et soeurs formant une grande famille un peu toquée. Un seul
homme y a encore sa place, le père et grand-père. Les partenaires ou petits
amis ont fui, lâchement. Filles et petites-filles sont livrées à la solitude –
sauf Yoana, parce qu’elle est en couple avec une autre femme. La guerre des
sexes bat son plein.
Dans la pagaille sympathique de cette tribu, c’est la souffrance qui fait lien. Celle
de Sonja, qui se découvre séropositive, contaminée par celui qu’elle aimait. Celle
de Veronica, dépressive et agressive à force de s’occuper seule de son bébé. Celle
d’Ana, qui n’a jamais osé s’affronter au père quand il battait leur mère. La
violence est partout. Même dans les rues de la ville, où les Bulgares manifestent
pour dire leur peur que l’identité masculine disparaisse, l’estimant menacée par
la nouvelle notion de genre. L’espoir d’un réconfort revient le temps d’une virée à
la campagne, où l’on honore une sainte, protectrice de la femme. Mais, là aussi, la
tradition favorise le sexe fort.
Ce film féministe et au bord de la crise de nerfs, fantasque et très attachant, fait
du cinéma un langage très expressif. Les deux réalisatrices réussissent des scènes
marquantes, comme celle de la tentative de suicide de Veronica et toutes celles,
nombreuses, où l’on voit des animaux – cigognes symboles de maternité, chattes
représentant, expliquent les autrices, l’indépendance. Ces présences animales
parlent aussi de tendresse, de fragilité. Sous la franchise abrasive de ce regard sur
la condition féminine bulgare, une nostalgie de la tendresse fait vibrer ces
portraits de femmes à fleur de peau (Frédéric Strauss, Télérama
Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur Women Do Cry

PETITE NATURE

Petite Nature

Johnny, 10 ans, est un enfant frêle aux longs cheveux blonds. À la maison, il s’occupe de sa petite soeur. Sa mère picole pas mal. Elle est du genre à cogner facilement, y compris sur lui. Elle l’incite à être plus viril. Son père est parti. Il y a juste des amants de passage. Alors Johnny fait face. Il se débrouille, il a du répondant, il est futé. Il s’affirme avec ingénuité et lucidité. Et son instituteur lui apporte un cadre et du savoir. Johnny se prend de passion pour lui. La fascination devient attirance, désir sexuel. Ce n’est pas rien. Samuel Theis connaît le poids du tabou sur ce sujet- la libido chez l’enfant, au seuil de l’adolescence. Il l’affronte de manière sensible et responsable avec d’autant plus de sagacité qu’il associe clairement cette libido à un désir d’émancipation sociale. Johnny étouffe et ne supporte plus la trivialité de son milieu défavorisé. Marre de cette cité de Forbach, marre de la malbouffe. Assoiffé de savoir et de culture, il aimerait plus tard avoir un métier estimable, pas indigne comme celui de sa mère, dit-il. Aliocha Reinert impressionne en couvrant une large gamme de jeu, de la gêne au numéro de séduction, de l’émerveillement à la colère hargneuse. (D’après Jacques Morice,Télérama)

Samuel Theis traite cette histoire potentiellement « incorrecte » sans le moindre esprit sensationnaliste ou polémique, avec beaucoup de tact, de finesse, de justesse, un sens du tempo patient d’une narration et d’une cristallisation amoureuse, un rapport fort aux lieux et aux acteurs filmés : aux côtés de l’excellent Antoine Reinartz, Johnny et sa mère sont joués par des inconnus absolument remarquables. (Serge Kaganski, Transfuge)

C’est une histoire sur l’enfance, comment on la quitte, comment on grandit. Sur l’éveil à soi, aux autres, au désir. L’alchimie sensible entre Aliocha Reinert et Antoine Reinartz attrape le coeur. Comme il en est des chansons, voici une histoire douce, magnifiquement écrite, tournée et jouée. (Nathalie Chifflet, Dernières nouvelles d’Alsace 

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur PETITE NATURE

SOUS LE CIEL DE KOUTAISSI

SOUS LE CIEL DE KOUTAISSI

De Alexandre Koberidze

Georgie 2021:2H30/VOST

Avec Giorgi Bochorishvili, Ani Karseladze, Oliko Barbakadze, Giorgi Ambroladze

Lisa et Giorgi se rentrent dedans en pleine rue. Une première fois, puis une deuxième… C’est un début de comédie romantique comme on en a vu beaucoup au cinéma. Mais filmé ainsi, jamais : le coup de foudre est en effet cadré sur les chevilles des deux amoureux… Ce genre de trouvailles insolites — et séduisantes —, Sous le ciel de Koutaïssi en regorge. C’est une fable où des objets inanimés (une vieille plante, une gouttière…) sont pourvoyeurs de légendes et alertent les protagonistes de la malédiction qui plane sur eux. Une drôle d’expérience cinématographique où le réalisateur demande soudain à ses spectateurs de fermer les yeux, puis de les rouvrir après un signal sonore…

En dépit de, ou plutôt grâce à cette étrangeté récurrente, on s’attache très vite à Lisa, l’étudiante en médecine, et à Giorgi, le footballeur, frappés par le mauvais œil : le narrateur, dans un texte poétique, prévient que les deux amoureux vont se réveiller avec un physique différent, que leurs talents auront disparu, et qu’ils ne pourront jamais se retrouver. Lisa va donc devenir serveuse, Giorgi sera désormais incapable de taper dans un ballon… et les personnages vont changer d’interprètes.

Leur histoire d’amour maudit pourrait être tragique. Elle émerveille, autant par ses rebondissements tranquilles que par ses digressions buissonnières. Aleksandre Koberidze met régulièrement son récit sur « pause » — quitte à prendre parfois un peu trop son temps —, pour évoquer, entre regard documentaire et rêverie, le passé glorieux de la ville de Koutaïssi. Dans l’ancienne capitale de la Géorgie envahie d’une douce torpeur, il filme, magnifiquement, les enfants, les chiens, et la passion pour le football à l’heure de la Coupe du monde. Il rend, aussi, un bel hommage au cinéma à travers un « film dans le film » qui permet de voir la réalité autrement. Et, peut-être, de réenchanter le monde par la magie… Telerama Samuel Douhaire

: Il y a les films qui vont droit au but et ceux qui s’oublient sciemment en chemin, car c’est la divagation qui leur importe, la flânerie conçue comme principe poétique. De poésie, le second long-métrage d’Alexandre Koberidze, jeune cinéaste géorgien, né en 1984 à Tbilissi, en regorge. Non pas cette poésie autoproclamée qui tord la réalité sous l’effet d’un caprice d’auteur, mais celle qui se recueille directement à la surface des choses, si tant est que l’on veuille bien leur prêter attention.

Sous le ciel de Koutaïssi, révélé lors de la Berlinale 2021, le fut sous son titre international What Do We See When We Look at the Sky ? : « que voyons-nous quand nous regardons le ciel ? » Devinette en guise de frontispice qui traduit assez bien de quoi il retourne : du regard qui, comme le vent, se pose où il veut et transfigure tout ce qu’il touche, transformant le plomb en or et les grenouilles en princes. Le monde Mathieu Macheret

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur SOUS LE CIEL DE KOUTAISSI