Archives pour mai 2023

Cannes 2023 Palmarès et Contre-Palmarès….

Télérama Cannes 2023 : on a classé tous les films en compétition, du plus raté à la Palme d’or potentielle

21 – “Black Flies”, de Jean-Stéphane Sauvaire

Un jeune urgentiste et un collègue endurci traversent un New York chaotique, entre guerre des gangs et foule de condamnés. Désolé de tirer sur l’ambulance, mais Sean Penn, une fois de plus, en fait trop dans ce film balourd à la violence complaisante, remake inavoué et, surtout, inutile d’À tombeau ouvert de Scorsese.

20 – “Club Zéro”, de Jessica Hausner

Derrière la mise en scène arrogante et précieuse de la réalisatrice autrichienne ne reste que son mépris pour les troubles alimentaires des héros adolescents d’un film vainement provocant. Une caricature du cinéma d’auteur européen sous (mauvaise) influence de Michael Haneke.

Lire notre critique

https://www.telerama.fr/cinema/cannes-avec-club-zero-jessica-jausner-pousse-la-satire-de-notre-epoque-jusqu-a-la-nausee-7015691.php

19 – “La passion de Dodin-Bouffant”, de Tran Anh Hung

Chatoyant produit destiné à l’export – sous le titre international The Pot-au-feu, ça frétille du patrimoine –, cet ode à la gastronomie mijote, à feu très doux (2h14) et en lumières chaudes, une conception de l’art de vivre fin XIXe dont personne n’aurait songé à vérifier la date de péremption. Ça ouvre l’appétit, certes, mais, en termes de cinéma, on frôle l’indigestion.

Lire notre critique

https://www.telerama.fr/cinema/cannes-la-passion-de-dodin-bouffant-une-pub-de-deux-heures-pour-le-pot-au-feu-7015734.php

18 – “Le retour”, de Catherine Corsini

Le programme du film tourné par la réalisatrice dans sa Corse natale oscille entre ouverture de placards pleins de squelettes, choc social attendu au bord de la piscine et récit d’apprentissage sensible (racisme, rébellion et émois de tous genres). Ça fait beaucoup. Trop.

17 – “La Chimère”, d’Alice Rohrwacher

La cinéaste italienne des Merveilles imagine un homme obsédé par l’image d’une absente, et qui met son don de médium au service d’une bande de pilleurs de tombes étrusques. Très vite, et malgré le charme de Josh O’Connor, l’expérience part, hélas, dans toutes les directions, tant par son esthétique que par sa narration – film de deuil, comédie néo-réaliste, manifeste pour la marginalité, tragédie musicale, romance en germe…

16 – “Firebrand – le jeu de la reine”, de Karim Aïnouz

Catherine Parr, la sixième femme du roi Henri VIII, le « Barbe-Bleue » anglais, échappera-t-elle à la décapitation subie par deux de ses prédécesseuses ? Alicia Vikander et Jude Law excellent dans ce film élégant mais un peu trop propre, qui aurait davantage sa place sur la BBC qu’en compétition à Cannes.

15 – “Perfect Days”, de Wim Wenders

En filmant les gestes immuables d’un employé modèle des toilettes publiques à Tokyo, le cinéaste allemand compose une ode à la poésie du quotidien, bien filmée, mais qui laisse un peu de marbre. Le monsieur-pipi en question, Koji Yakusho, a toutefois un charisme fou, qui mériterait le prix d’interprétation.

14 – “Banel et Adama”, de Ramata-Toulaye Sy

Le seul premier film de la compétition mêle le conte et la tragédie dans un village du Sénégal menacé par la sécheresse. Un pari risqué qui court mille fois le péril de la joliesse et du dialogue appliqué mais le déjoue, parfois in extremis, grâce à un personnage féminin dont la grâce cache à la fois un secret dévorant et une force insoupçonnable.

13 – “The Zone of Interest”, de Jonathan Glazer

La vie quotidienne et familiale de Rudolf Höss, commandant d’Auschwitz, à quelques mètres du camp. Ce quasi-huis clos chez les monstres travaille avec un soin maniaque l’éternelle question de la banalité du mal et de la représentation de l’horreur. La mise en scène est virtuose mais son parti pris de distance esthétique confine à la pose et dénature partiellement le sujet. Comme si le film subissait la contagion du vide qu’il dénonce.

12 – “Monster”, de Hirokazu Kore-eda

Cinq ans après sa Palme d’or pour Une affaire de famille, le cinéaste japonais use de points de vue successifs façon Rashomon, pour raconter avec pudeur et empathie une attirance entre deux écoliers particulièrement émouvante. Dommage qu’il ait fallu tant de longues digressions pour en arriver là.

11 – “Vers un avenir radieux”, de Nanni Moretti

Le réalisateur de Journal intime revient à l’autofiction existentielle qui a fait sa gloire avec une comédie mélancolique censée conjurer trois disparitions réelles ou redoutées : celle du communisme, celle d’un couple et celle du cinéma. Le sujet grave mais le film, souvent réjouissant.

10 – “L’été dernier”, de Catherine Breillat

Dix ans après son dernier film, la cinéaste sulfureuse fait un retour gagnant avec le portrait complexe d’une quinquagénaire qui attire son jeune beau-fils dans ses filets. Son récit, vif et subtil, est maîtrisé de bout en bout. Et Léa Drucker, géniale, est l’une des prétendantes les plus évidentes au prix d’interprétation.

9 – “The Old Oak”, de Ken Loach

Dans une bourgade sinistrée du Nord de l’Angleterre, le patron d’un pub (le formidable Dave Turner, principal rival de Koji Yakusho pour le prix d’interprétation masculine) se lie d’amitié avec une jeune réfugiée syrienne, en dépit de la xénophobie ambiante. Ce beau récit à fort potentiel lacrymal, semble puiser sa force dans toute l’œuvre passée du vétéran Ken Loach. Et nous prouve une fois de plus à quel point le « vieux chêne » (87 ans en juin) est encore vert.

8 – “Asteroid City”, de Wes Anderson

Une famille endeuillée, une petite ville dans le désert du Nevada, une météorite et une troupe de théâtre newyorkaise se mêlent dans un récit gigogne proliférant. Le dandy texan recrée à sa manière chic et décalée l’Amérique à la fois triomphante et inquiète des années 1950. Et, deux ans après la déception de The French Dispatch, retrouve la grande forme.

7 – “Jeunesse”, de Wang Bing

Fidèle à sa méthode d’immersion au long cours, le grand documentariste chinois a filmé entre 2014 et 2019 les « petites mains » qui travaillent dans les 18 000 ateliers de confection de Zhili, accumulant deux mille six cents heures ( !) de rushes. Il en tire aujourd’hui un premier film (deux autres devraient suivre), déjà très copieux mais jamais ennuyeux. Un témoignage social terrifiant mais porteur d’une énergie communicative grâce à la vitalité des jeunes ouvriers filmés avec admiration par Wang Bing.

6 – “Les filles d’Olfa”, de Kaouther Ben Hania

Autour de l’histoire vraie d’une mère célibataire dont les deux filles aînées sont parties faire le djihad en Libye, la réalisatrice tunisienne brode un film intense, aux frontières du documentaire et de la fiction, pour interroger les violences faites aux femmes et la transmission des traumas familiaux. L’audace du film pourrait être son passeport pour le prix du Jury.

5 – “Rapito – L’enlèvement”, de Marco Bellocchio

En 1858, les autorités pontificales enlèvent un enfant juif baptisé en douce. De ce scandale mondial, le réalisateur du Traitre tire un récit puissant, alternant humour grinçant et scènes déchirantes dans un style opératique. Un prix de la mise en scène (au minimum) ne serait pas volé.

4 – “Les feuilles mortes”, d’Aki Kaurismäki

Pour évoquer la naissance des sentiments entre deux esseulés, le cinéaste finlandais de L’Homme sans passé déploie des trésors d’humour pince-sans rire. Un hommage au cinéma qui offre à ses spectateurs un merveilleux refuge.

3 – “Les herbes sèches”, de Nuri Bilge Ceylan

La chronique magistrale des états d’âme d’un trio d’enseignants dans un village reculé d’Anatolie orientale. Comme pour Anatomie d’une chute (lire ci-dessous), le nouveau film tchekhovien du cinéaste turc pourrait gagner tout aussi bien le prix du scénario (le sien est d’une richesse folle), le prix de la mise en scène (somptueuse, comme toujours), ou un voire deux prix d’interprétation (pour Deniz Celiloglu et/ou Merve Dizdar)… Et pourquoi pas le Grand Prix pour synthétiser toutes ces récompenses ?

2 – “May December”, de Todd Haynes

Sur fond de scandale passé, le réalisateur de Carol orchestre avec une maestria narrative et formelle la rencontre vertigineuse de deux femmes, dont l’une doit jouer le rôle de l’autre. Avec des interprétations démentes de Julianne Moore et de Natalie Portman – cette dernière étant la principale concurrente de Sandra Hüller (dans Anatomie d’une chute, lire ci-dessous) pour le prix d’interprétation féminine.

1 -“Anatomie d’une chute”, de Justine Triet

Il y a là tous les éléments concourant au suspense d’une véritable intrigue policière, mais rehaussée d’une approche intime des personnages. Bataille d’ego, désir, frustration, jalousie… la réalisatrice excelle avec un scénario diabolique sur la dissolution du couple. Un projet ambitieux pour du grand cinéma. Notre Palme d’or .

Publié dans Dossiers, Uncategorized | Commentaires fermés sur Cannes 2023 Palmarès et Contre-Palmarès….

L’improbable voyage de Harold Fry de Hettie Mac Donald GB 1H48

Peut-être n’est-il jamais trop tard dans la vie pour surprendre son monde ? ce matin-là démarrait comme tant d’autres, pour Harold Fry : l’’aspirateur avait nettoyé la moquette au beige fané ; derrière les rideaux, on avait espionné le voisin en train de bichonner un arbuste : Rituels sans éclat, petites distractions pour remplir le vide d’une retraite sans vagues. Ainsi procédait à pas mesurés la routine dans ce quartier pavillonnaire de Kings bridge.

À l’aune de cette vie monotone, ce matin-là un fourgon postal dépose une simple lettre…, une enveloppe d’un rose sirupeux venue d’un improbable lieu : Berwick-upon-Tweed dans le Northumberland, la ville la plus au Nord de l’Angleterre, à plus de 700 km de là. Harold s’étonne :  qui connaît-on là-bas ? Absolument personne, lui réponds Maureen, son épouse qui se renfrogne devant sa tasse de thé ; d’une voix perplexe, alors Harold annonce après avoir décacheté l’intruse que c’est une lettre de « Queenie ». Soudain le petit déjeuner de Maureen est gâché, son regard ne masque ni sa contrariété, ni une forme de jalousie inquiète que l’attitude étrange d’Harold ne cessera de nourrir. Depuis combien de temps n’avaient-ils pas eu de nouvelles de Queenie ? 10, 20, 30 ans ? La voilà qui s’annonce terrassée par un cancer
Harold, en être sensé qu’il a toujours été ou voulu paraître, aurait pu, aurait dû se contenter de répondre par quelques mots de réconfort maladroits couchés sur un bout de papier. Et c’est même son premier réflexe, qui entraîne ses pas vers la première boîte aux lettres venue pour envoyer sa réponse à Queenie. Mais un passage éclair dans une station-service, les mots échangés avec la vendeuse aux cheveux bleus, mi-ange, mi punkette, vont changer le cours de son existence. Ses pas ne s’arrêteront pas à la poste, ils ne s’arrêteront peut-être jamais plus, ils l’éloigneront inexorablement du domicile familial vers une quête insensée, déraisonnable, à tout le moins improbable : aller voir Queenie et la sauver. Voilà notre Harold qui entreprend la Longue Marche, celle de sa vie, celle pour la vie, se répétant inlassablement à haute voix comme un mantra hypnotique : « Je vais marcher, et tu vivras. » Folie admirable, majestueuse ! Nous voilà réglant nos pas dans ceux d’Harold, entrainés dans un périple que l’on n’imaginait pas,  riches en rencontres réjouissantes et attachantes : Un périple au cours duquel les chemins d’aujourd’hui serpenteront avec les méandres du passé de notre marcheur, de ses regrets, vers l’espérance d’une rédemption, d’impossibles réparations,  et peut-être l’amour retrouvé.

Voilà un film modeste et serein, beau comme un instant de grâce, infiniment réconfortant et bienfaisant… …

Publié dans Uncategorized | Commentaires fermés sur L’improbable voyage de Harold Fry de Hettie Mac Donald GB 1H48

Damien Ounouri et Adila Bendimerad (La Dernière Reine)

Entretien avec Damien Ounouri et Adila Bendimerad, réalisateurs

Comment est né votre film : La Dernière reine ?

Adila Bendimerad : Par la découverte au travers d’un livre sur l’Algérie et ses personnages célèbres, de Zaphira, l’épouse d’un roi, dont l’histoire oscillait entre légende et réalité. Très vite je me suis aperçue que ce personnage fut contesté puis soutenu à travers les siècles par historiens et chroniqueurs. A chaque fois qu’il est question d’elle, il y a un immense désir mêlé d’une remise en question de son existence. Je me suis intéressée à ce « nœud » comme une possibilité de faire surgir la question de l’effacement des femmes dans l’Histoire et la force d’évocation de la légende à une époque cruciale et jamais représentée de l’Histoire d’Alger. (suite…)

Publié dans Réalisateurs | Commentaires fermés sur Damien Ounouri et Adila Bendimerad (La Dernière Reine)

Chien de la Casse

CHIEN DE LA CASSE

Film français de Jean-Baptiste DURAND-2023-1h33

Avec Anthony Bajon, Raphaël Quenard, Galatea Bellugi, Bernard Blancan…

Dog et Mirales… Leurs surnoms n’ont rien d’innocent… Dog, c’est Damien (Anthony Bajon), taiseux et timide. Mirales, c’est Antoine (Raphaël Quenard), tchatcheur et hâbleur. Ils sont amis d’enfance. Ils ont trente ans ou presque et vivotent dans un petit village endormi du sud de la France dans l’Hérault. Dog tue le temps en jouant à la console vidéo. Mirales ne fait rien de son CAP de cuisine. Il deale des barrettes de cannabis, et se promène avec son chien Malabar. Il vit avec sa mère dépressive. Dog et Mirales zonent ensemble, traînant le soir sur la place du village avec une bande de désoeuvrés comme eux. Aux Etats-Unis on les appelle des underdogs, des moins que chien… Les rues sont vides, les volets fermés, l’ennui, partout… Apparemment soudés depuis l’enfance, les deux amis cultivent une relation forte mais tordue. Mirales n’aime rien tant que chambrer son pote Dog, franchissant plus souvent qu’à son tour la limite de l’humiliation publique et du sadisme caractérisé. Lequel bien nommé Dog, d’une fidélité à toute épreuve, se laisse faire la plupart du temps, regardant dans le vague ou ses chaussures, s’excusant presque d’exister, quand l’autre, à tour de bras, le houspille et lui fait la leçon. Amitié indéfectible et profonde mais pas toujours bienveillante, nourrie de tout ce que la fraternité peut receler d’ambivalence. Ils voudraient être des hommes mais sont encore coincés dans une sorte d’adolescence, pour l’un dans un idéal absolu et orgueilleux, pour l’autre dans la torpeur caractéristique de cette période. Arrive dans ce petit village où l’ennui règne en maître, Elsa, jeune fille dont Dog va tomber amoureux… Cette venue dans la vie de Dog va mettre au grand jour le rapport de force constant dans lequel ils sont enfermés. Se rejoue alors entre eux une petite dialectique du maître et de l’esclave où on ne sait plus exactement qui a le plus besoin de l’autre pour exister, même si l’on voit parfaitement qui domine qui.

Servi par un duo d’acteurs époustouflants, le film est rythmé par des dialogues au cordeau où l’humour et les traits d’esprit fusent, bouffées d’air lumineuses et salutaires. Dans ce premier long-métrage, Jean-Baptiste DURAND suit la relation forte de ces deux underdogs de la France périurbaine troublés par cette jeune fille, où le verbe martyrise ou colore le monde de toute sa force, à l’image des lumières multiples qui composent le film dans ses contrastes forts et sa vive alternance

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur Chien de la Casse

Brighton 4Th

De Levan Koguashvili

Par Boris Frumin

Avec Levan Tedaishvili, Giorgi Tabidze, Nadia Mikhalkova

« Brighton 4th » : un père et son fils pris dans les filets du jeu et de la mafia

.Critique du film sur Bleu du miroir :

Débutant par une très belle séquence d’ouverture de dispute devant un match de football regardé à la télévision, Brighton 4th nous entraine en Georgie et à Brooklyn parmi des personnages picaresques, pour la plupart complètement fauchés ou vivant d’expédients. Soso, le fils de Kakhi, a menti à son père. Il n’a pas brillamment réussi dans ses études, mais a un petit boulot pour rembourser les dettes de jeu qu’il a contractées auprès de personnes qui ne plaisantent pas avec ce type de litiges. Kakhi, malgré son âge est prêt à aider son fils. N’importe quel boulot fera l’affaire pour récolter quelques billets, comme s’occuper de personnes âgées.

Mais quand Kakhi donne de l’argent à son fils, ce dernier finit par rejouer et bien sûr par perdre à nouveau. Cercle vicieux. Alors qu’une issue fatale semble se profiler, l’un des chefs maffieux – à qui Soso doit de l’argent – a reconnu dans le vieil homme la personnalité ex-championne de lutte qui défrayait la chronique sportive. Il lui propose alors un arrangement, un deal.

Le réalisateur et acteur principal de Brighton 4th, c’est Levan Tediashvili, qui a aussi été un authentique champion de lutte, spécialisé dans la lutte libre. Le rôle qu’il s’est attribué lui va comme un gant. Un homme valeureux, digne et courageux. Un vieil homme qui malgré les imprudences de son fils, cherchera à l’aider coûte que coute. Quitte à prendre des risques qu’un homme de son âge ne devrait plus prendre.

 Télérama Jacques  Morice :

Le film est une tragi-comédie sur la situation précaire de ces immigrés géorgiens, contraints de réviser nettement à la baisse leur rêve de réussite en Amérique. On retrouve ici ce mélange de réalisme et d’humour pince-sans-rire à la Kaurismäki, qui faisait déjà le sel des deux précédents films de Levan Koguashvili, hélas jamais sortis en France, mais présentés au festival de La Rochelle en 2015. Il y a quelque chose d’attachant dans le regard que ce réalisateur pose sur ses personnages, des perdants meurtris mais rendus désopilants par leur capacité à s’embringuer dans des équipées piteuses, et à s’enfoncer dans la mouise.

Entre débrouille et embrouilles, petits boulots et kidnapping hasardeux d’un employeur kazakh filou, le film vadrouille, sans précipitation. On aime sa manière de traîner et de trinquer, de se poser parfois dans la pension de famille modeste où logent le paternel et son rejeton, en compagnie d’autres énergumènes. Comme cet ancien, un géant maigre (Kakhi Kavsadze, figure du cinéma géorgien et russe, décédé peu après le tournage), surnommé « le Rossignol » parce qu’il chante à toute heure de la journée. Les chants, la langue et la mentalité flegmatique de tous ces Géorgiens nous touchent. En particulier Levan Tediashvili, authentique champion de lutte, médaillé olympique en 1972 et 1976. Il ne parle pas beaucoup mais son regard et son corps disent beaucoup. Brave et digne, c’est un seigneur.

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur Brighton 4Th

La Fille d’Albino Rodrigue

LA FILLE D’ALBINO RODRIGUE

Film de Christine Dory -France – 1h30

Avec Emilie Dequenne, Galatea Bellugi, Philippe Duquesne

Une ado de 16 ans, placée dans une famille d’accueil qui, alors qu’elle vient passer ses vacances chez ses parents biologiques, découvre que son père a disparu sans que sa mère ne semble pouvoir donner une explication convaincante. Récit à suspense, ce deuxième long développe surtout une relation mère fille où l’ambiguïté et les mensonges de la première – à l’amoralité passionnante car rendant impossible à deviner jusqu’où elle peut aller dans la banalité du mal – poussent la seconde à une émancipation à marche forcée. Deux personnages à l’écriture ciselée portés par un duo de comédiennes étincelantes : Emilie Dequenne et Galatea Bellugi. C’est un terrible fait divers criminel qui a inspiré ce drame fiévreux… Une atmosphère inquiétante et étrange plane sur ce drame à la Dardenne, saisissant et remarquablement interprété. Un film passionnant qui tient en haleine jusqu’au bout…

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur La Fille d’Albino Rodrigue

Burning Days

BURNING DAYS de Emin Alper – Turquie – 2H08 – VOST
 
Burning days Derrière la colline (sorti chez nous en 2013). On sait que le cinéma d’Emin Alper est traversé par la question des limites du repli sur soi, et le cinéaste turc fait à nouveau preuve d’un talent certain pour traduire cela par l’utilisation des décors (les paysages sont ici ceux d’un western, un no man’s land rocailleux et claustrophobe au pied des montagnes). Film noir en forme de métaphore du néo-fascisme et des ravages de la pensée conservatrice, Burning days est son film le plus ouvertement politique à ce jour.
Quand Emre rencontre pour la première fois les élus locaux, ce n’est pourtant pas un gouffre qui l’attend. Il est au contraire reçu avec une connivence masculine au zèle excessif. En ce sens, la séquence la plus cinglante du film ne se trouve pas dans son dénouement mais dans sa mise en place : une longue scène de dîner arrosé de raki où les codes de la fraternité masculine passent progressivement de l’humour au malaise puis à la terreur. Une variation de registre virtuose, portée par des comédiens excellents (peu d’acteurs peuvent se vanter de jouer si justement l’ivresse contre laquelle on lutte)…

L’élégance et l’intransigeance morale d’Emre le rendraient presque hautain, mais ses allures de grand garçon sensible sont déjà suffisantes pour le rendre louche aux yeux des rustres locaux. Dans ce coin de Turquie comme dans plein d’autres régions du monde, pour être intégré à la communauté des gaillards (Emre demande même à un moment « mais il n’y a pas de jeunes filles dans cette ville ? »), il vaut encore mieux être accusé de viol que d’être soupçonné d’« immoralité ». Alors que la tension continue de monter, Emre est autant prié d’accepter les pots-de-vin pour oublier cette histoire de gouffre que de prouver sa virilité en démentant les rumeurs qui courent déjà sur lui, comme par exemple celle d’être « la coqueluche des lieux de perditions » selon l’euphémisme cinglant employé par l’un des personnages.

Le mot homosexualité n’est pas prononcé une seule fois dans le film. Il y a pourtant une tension homoérotique flagrante qui nappe les face-à-face (pourtant filmés comme dans un western, voilà un décalage queer à la malice appréciable) entre Emre et le journaliste Murat, lui aussi mal vu des potentats locaux, mais le film ne confirme ou ne concrétise délibérément pas cette piste. Lors de la première mondiale du film au Festival de Cannes, certains observateurs occidentaux s’interrogeaient justement sur ce qu’ils interprétaient comme une trop grande pudeur, mais c’est prendre le film sous le mauvais angle. Burning days n’est pas un film sur l’homosexualité, Emin Alper utilise plutôt l’homophobie comme l’une des expressions de la haine de la différence. Il fait de la masculinité forceuse (celle qui s’impose dans les espaces publics et privés, celle qui transforme l’angoissant parcours d’Emre en vraie chasse aux sorcières) le symbole d’une pensée fascisante qui se cache derrière le respect des traditions. Un gouffre prêt à avaler des villes entières.
Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur Burning Days

La dernière Reine

                                                                                                                                                             LA DERNIERE REINE                                                     

Ecrit et réalisé par Damien Ounouri & Adila Bendimerad – Algérie/France – 1h53  –                                                                                                      Avec Adila Bendimerad, Dali Benssalah, Nadia Tereszkiewicz, Tahar Zaoui, Imen Nouel…

Péplum arabo-andalou, fresque flamboyante, tragédie grecque, drame shakespearien… Adila Bendimerad et Damien Ounouri ont fait le pari de réaliser un grand film d’aventure historique, rareté absolue dans le cinéma algérien ! Et le pari est réussi, La Dernière reine se suit avec un grand plaisir et une non moins grande curiosité.

Nous sommes en 1516. Le royaume espagnol s’est emparé de nombreux points stratégiques du littoral nord-africain pour assurer sa sécurité maritime. Comme Oran, Alger est sous sa domination.
Quand le pirate Aroudj Barberousse et ses mercenaires débarquent et libèrent la ville de la tyrannie de Charles Quint, le roi Salim at Toumi, émir d’Alger  (très augustement campé par Tahar Zaoui), décide de faire alliance avec lui malgré tout ce qui les oppose. L’émir est raffiné, érudit, soucieux des traditions et des coutumes de son peuple, le pirate est machiavélique, avide de puissance et prêt à toutes les trahisons. Sur le mode d’un film de cape et d’épée, il découlera de cette alliance toute une succession d’évènements qui tiendront le spectateur en haleine.

Quand l’émir est brutalement assassiné, Barberousse s’apprête à prendre tous les pouvoirs et imposer son ordre avec force et fracas. Mais une femme va lui tenir tête : la reine Zaphira, seconde épouse du souverain défunt, bien décidée à ne pas abandonner le royaume. Des couloirs feutrés du palais aux falaises escarpées dominant la mer Méditerranée, commence alors un combat où se mêlent bouleversements personnels et manigances politiques, domination masculine, oppression familiale et alliances tribales…
La réalisatrice, visiblement fascinée par  la mythique Zaphira, lui prête ses traits et son interprétation habitée, jusqu’à l’entreprise de conquête et de séduction conduite d’abord avec éclat, puis avec de plus en plus de délicatesse et de subtilité, par le chef des pirates.

Fière, altière, animée d’une intraitable force de caractère, d’une intelligence vive et d’un charme singulier, la reine Zaphira est un grand personnage comme le cinéma les aime. Est-elle un mythe ou une réalité historique ? Personne ne le sait vraiment, les historiens eux-mêmes s’interrogent sur l’existence de cette « dernière reine »… Tant mieux, puisqu’à partir de ce mystère peut pleinement se déployer toute la fantaisie d’une fiction baroque et romanesque à souhait, mêlant la « grande » et la « petite » histoire, la destinée d’un peuple et celle d’individus plus ou moins extraordinaires.

– Critique d’UTOPIA –

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur La dernière Reine

About Kim Shoe

Sohee aime tant danser.Cette lycéenne coréenne au caractère bien trempé se verrait bien star de K-pop et, devant la glace, elle répète inlassablement une chorégraphie en se filmant avec son téléphone portable. Mais, il faut bien préparer l’avenir, et le professeur principal de son lycée technique est si fier de lui avoir dégotté un stage de formation dans un centre d’appels téléphoniques…

Alors, Sohee pénètre dans ce local sans âmes où une kyrielle de toutes jeunes femmes sous-payées, casque sur les oreilles, sont sensées empêcher les clients de résilier leur abonnement internet, mais passent surtout leur temps à encaisser les injures de leurs interlocuteurs. Sohee n’est pas assez efficace, son manager parle de déshonneur devant les mauvais résultats du centre, et voilà qu’il se suicide, laissant une lettre aux accents de lanceur d’alerte…Le visage de la lycéenne se ferme, de plus en plus insondable, sous le joug des pressions et de l’humiliation. Quitter ce stage ou bien se déshumaniser pour devenir rentable et ne pas décevoir ses proches : le dilemme est intenable et personne, y compris sa meilleure copine ne voit arriver le drame…

Inspiré d’un fait réel qui a bouleversé la Corée, ce film est un coup de maître, et un coup de poing d’autant plus spécial que la jeune réalisatrice opte pour une mise en scène à l’élégance cotonneuse. Elle radiographie ainsi tout un système, qui tue littéralement la jeunesse sous prétexte de performances. Techniques de persuasions, objectifs insoutenables, concurrence toxique et accords de confidentialité imposés par le siège de l’entreprise : la première partie du film est glaçante de précision et de tension psychologique. On suffoque comme cette gamine qui pourrait être notre fille ou notre sœur, dans cette entreprise dont le nom Human & Net ressemble à un ignoble gag dont la mâchoire se referme sur sa proie, avec la complicité du monde scolaire, lui-même soumis à des objectifs et des classements.

La force du film réside aussi dans sa manière de se plier, après le drame, en une deuxième partie : une enquête où  la première héroïne laisse la place à une autre, Oh Yoo-jin, inspectrice de police butée qui, au sens propre va marcher dans les pas de la jeune Sohee. Elles s’étaient croisées, quelques minutes, sans le savoir, au début de l’histoire. L’adolescente n’est plus là, mais reste cette adulte qui cherche obstinément un pourquoi à la tragédie  et refuse que Sohee s’efface des mémoires. La solitude, cette flic à l’air de bien la connaître également, et elle non plus ne manque pas de caractère, interpellant (et même giflant!) ces hommes qui participent à l’horreur du système. Vertige : dans une autre réalité, la jeune Sohee aurait pu vieillir sous les trais d’Oh Yoo-jin…

Avec ces deux personnages magnifiquement incarnés par Kim Si-eun et Doona Bae (vue récemment dans les bonnes étoiles, du japonnais kore-eda), la réalisatrice July Jung fond deux visages féminins en un seul, inoubliable : celui du combat contre l’ultralibéralisme assassin.

 

Critique de Guillemette Odicino – Télérama.

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur About Kim Shoe

Showing Up

Un film de Keilly REICHARDT

 

Avec : Michelle Williams, Hong Chau, Maryann Plunkett…

USA – 1h48 – VOST

Après le très réussi First cow (2020), succès modeste mais attesté dans les salles françaises, Showing up marque la réunion de la cinéaste avec son actrice fétiche Michelle Williams, qu’elle dirige pour la quatrième fois, témoin d’une collaboration féconde enfin célébrée dans le plus bel écrin du cinéma mondial..

Le synopsis est court mais résume bien le peu de motifs réunis dans ce film extrêmement minimaliste. Lizzie est une artiste, elle sculpte des personnages dans la glaise, pour ensuite les cuire, jouant sur les couleurs et la matière pour créer une galerie bigarrée qui fait penser à un art primal pré-colombien aux prises d’un syncrétisme chrétien célébrant des madones.

Toute l’histoire se résume dans le regard porté sur les gestes de Lizzie. Quand elle ne sculpte pas, Lizzie rend visite à ses parents, notamment à ce frère joué par John Magaro, sublime personnage de First cow, qui apporte son humour froid et décalé pour autant de ruptures de ton qui permettent de repousser le temps d’une parenthèse le sérieux de la sculpture et de l’organisation du vernissage de l’artiste.

Michelle Williams incarne cette plasticienne bourrue, dans la plainte constante, que ce soit vis à vis de sa famille ou de sa logeuse, remplie de la tension qui précède une exposition à fort enjeu. Peu expressive, comme résignée face aux aléas qui peuplent son quotidien, on pense à cette eau chaude qui lui manque cruellement, elle se révèle être une sorte de clown blanc entrainant l’humour à son corps défendant, entre l’agacement et l’absurde de scènes toutes simples sans aucun effets particuliers

La métaphore de la cuisson des sculptures est aussi éloquente : on ne sait jamais ce qu’il va ressortir de ces tentatives, le résultat s’imposant de lui-même sans qu’on puisse tout prévoir, dans une logique du hasard belle et enthousiasmante.

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur Showing Up