Archives pour octobre 2018

Germinal Roaux

Né le 8 août 1975 à Lausanne

Franco-Suisse

Photographe reporter, cinéaste

Des Tas de Choses, Icebergs, Left Foot Right Foot, Fortuna

Germinal Roaux est un réalisateur de talent aux choix radicaux : des cadres d’une grande justesse, une photographie en noir et blanc au service de ceux qui sont des oubliés de la société. Jusque dans leur âme.

Dès le premier plan d’un film, nous savons si un cinéaste a le sens du cadre ou pas. Qu’est-ce que le cadre pour le photographe que vous êtes et le plan séquence pour le cinéaste que vous êtes aussi ?

Germinal Roaux. Il y a beaucoup d’intuition dans le cadre, une sorte d’équilibre à un moment donné. (suite…)

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Nicolas Philibert

Né le 10 janvier 1951 à Nancy Lorraine

France

Documentariste, chef opérateur

Etre et Avoir, Le Pays des Sourds, Nénette, La Maison de la Radio, De Chaque Instant

Nicolas Philibert et l’art de panser

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DE CHAQUE INSTANT

 

 DE CHAQUE INSTANT

Nicolas PHILIBERT–France-2018–1h45

Documentairefrançais

Le réalisateur nous invite à suivre la formation d’élèves infirmiers de l’institut dela Croix-Saint-Simon àMontreuil(93), que l’on suit en classe, puis en stage et enfin qu’on écoute témoigner de leur rencontre parfois rude avec le monde hospitaliersoumis à la pression du rendement, au manque criant de personnel, au poids grandissant des tâches administratives, à la tension dans les services. Sont abordés aussi, le rapport à l’autre, la transmission, les relations entre générations.

Nicolas Philibert : L’idée d’un apprentissage du métier d’infirmier m’est venue suite à mon hospitalisation à deux reprise aux urgences pour une embolie pulmonaire. Alors que je tournais autour de l’idée du corps parce que le cinéma, c’est toujours des corps filmés, mon propre corps m’a envoyé en repérages à l’hôpital. 

Le film se penche sur toutes sortes de corps : d’abord des bouts de mousse utilisés par les étudiants pour apprendre à piquer, puis des mannequins servant à pratiquer les techniques de réanimation, puis des corps complices (une étudiante simulant une pathologie, un étudiant faisant la femme enceinte…), enfin de vrais patients lors des stages à l’hôpital. Mais les corps ce sont aussi les gestes que ces futurs infirmiers et infirmières apprennent à maîtriser. Quand on est hospitalisé, tous ces gestes exécutés avec dextérité par des personnes expérimentées ne semblent pas si difficiles. Filmer leur apprentissage par des étudiants qui tâtonnent permet de les décortiquer et de révéler la complexité de leur enchaînement. 

De plus en plus d’actes techniques leur sont confiés, mais beaucoup se plaignent de la manière dont le relationnel est mis à mal, faute de temps à lui consacrer. Et ils sont exposés à des réalités humaines auxquelles ils ne sont pas forcément préparés. Ils sont nombreux à faire leur premier stage dans des Ehpad (maisons de retraite) après deux mois de cours et de travaux pratiques. Ils se trouvent alors confrontés à des corps vieillissants, sur lesquels ils apprennent à faire des toilettes intimes. Ils ont aussi affaire à des personnes qui n’ont plus toute leur tête. Et la mort inévitablement. Ce stage de première année est pour chacun un baptême du feu. Certains décrochent à ce moment-là ; d’autres renoncent, en 3ème année, quand se profile la prise de responsabilité. 

En résumé, la première partie du film c’est l’apprentissage des règles de bonne conduite, la deuxième, c’est la confrontation au réel durant le stage, souvent livrés à eux-mêmes, ils sont mis à l’épreuve, parfois mis à mal par les équipes qui attendent d’eux des choses qu’on ne leur a pas apprises. La troisième partie permet d’entendre ce que la deuxième pouvait difficilement montrer comme les maltraitances dont ils sont parfois victimes. 

Extraits d’un entretien avec François Ekchajzer publié sur Télérama 3581, du 29.8.2018 

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FORTUNA

FORTUNA

De Germinal Roaux / 2018 / 1H46

Avec Kidist Siyum Beza, Bruno Ganz, Patrick d’Assumçao 

Au milieu des immenses montagnes enneigées et silencieuses, elle parle en murmurant à la Vierge Marie… La délicatesse de ces premières images donne d’emblée une résonance particulière à l’histoire de Fortuna, adolescente noire, arrivée jusqu’en Suisse après avoir traversé la Méditerranée. Pour les migrants comme elle, un parcours fléché existe, mais elle refuse de quitter son refuge dans l’hospice de Simplon, où vivent les chanoines de la congrégation du Grand-Saint-Bernard.

En confrontant une question d’actualité à ces décors naturels empreints d’un sentiment d’éternité, le réalisateur évite, comme son héroïne, les chemins tout tracés. Il aiguise une sensibilité vraie à travers le dépouillement du cinéma en noir et blanc, et construit aussi un propos ambitieux, utile. Telerama, Frédéric  Strauss

Le réalisateur  choisit  à travers le parcours solitaire de cette toute jeune fille, d’installer le spectateur en toute humilité et sans prétendre apporter de solutions miraculeuses, dans un espace de réflexion face aux questions que la crise migratoire suscite dans nos sociétés actuelles. Bouleversé par les récits de ces jeunes migrants, mineurs et non accompagnés, qu’il rencontre grâce à sa compagne chargée de les encadrer, il se lance dans l’écriture de son film et découvre que pour pallier le manque de places dans les centres d’hébergements, certains de ces réfugiés sont accueillis au sein de communautés religieuses. Un débat nourri d’arguments brillants et mené avec éloquence et sensibilité par les chanoines, révèle les contradictions auxquelles sont confrontés ces hommes d’Église tiraillés entre leur désir d’accueil et d’ouverture au monde et le devoir de réserve et d’isolement inhérent à leur vocation, nous offrant ainsi un sacré beau moment d’émotion. Avoiralire

Fortuna, qui est mineure, refuse tout en bloc et s’accroche au monastère comme une moule à son rocher. Il faudra des trésors de patience pour qu’elle accepte de dévoiler les bouleversements qui agitent son esprit et son corps, tellement plus complexes que les vagues clichés qu’on pourrait imaginer. 

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programmation du 11 octobre au 13 novembre

LE VENT TOURNE
De Bettina Oberli – Belgique/France/Suisse – 1h27
Avec Mélanie Thierry, Pierre Deladonchamps, Nuno Lopes…
La fidélité à une idéologie n’étouffe-t-elle pas nos désirs les plus
profonds ? L’excès de protection amoureuse n’enferme-t-il pas le
corps dans une prison ? Autant de questions que pose la réalisatrice
à travers ce drame champêtre dans lequel un couple de fermiers
idéalistes est ébranlé par l’arrivée d’un ingénieur venu leur installer
une éolienne. Attirée par celui-ci qui voit le monde d’une manière
très différente, la jeune femme se met à douter de son engagement
sentimental et politique. Filmant la nature comme une puissance
tout à tour rassurante ou menaçante, la cinéaste retranscrit
vigoureusement le parcours émotionnel d’une héroïne qui sent le
changement souffler en elle. Troublante dans ce rôle à la fois
intrépide et mélancolique, Mélanie Thierry confirme, quelques
mois après La Douleur, tous ses talents de tragédienne

SHEHERAZADE
De Jean-Bernard Marlin – France-2018- 1h49
Avec Dylan Robert, Kenza Fortas, Idir Azougli, Lisa Amedjout.
Présenté à la Semaine de la critique à Cannes et au festival d’Angoulême, SHEHERAZADE est une fiction documentée, qui va du film noir au thriller. Jean-Bernard Marlin, qui avait obtenu l’ours d’or à Berlin en 2013, pour un court métrage  » La Fugue  » nous
offre là son premier long métrage. Zac, abandonné par une mère démissionnaire, traîne dans les quartiers louches de Marseille avec une bande de délinquants. Condamné à quelques mois de prison,
il ressort pour cette fois devenir le  » protecteur  » de jeunes
prostituées, dont Shéhérazade, dans le quartier chaud de la
Rotonde. Elle se vend, l’héberge, lui, surveille les clients et encaisse
l’argent. Peu à peu, et presque à leur insu, ils vont tomber amoureux,
avec la fougue de la jeunesse, et par là même grandir et trouver le
respect de soi même, et de l’autre. Histoire d’amour atypique de
deux enfants, ni tout à fait coupables, ni tout à fait innocents. Un
film qui restera longtemps dans nos mémoires.

 

DE CHAQUE INSTANT
De Nicolas Philibert – France – 2018 – 1h45 – Documentaire
Acteurs inconnus…
Chaque année, des dizaines de milliers de jeunes gens, filles et garçons, se lancent dans des études en soins infirmiers. Entre coursthéoriques, exercices pratiques et stages sur le terrain, ils devront acquérir un grand nombre de connaissances, maîtriser de nombreux
gestes techniques et se préparer à endosser de lourdes responsabilités.
Ce film retrace les hauts et les bas d’un apprentissage qui va les confronter très tôt, souvent très jeunes, à la fragilité humaine,à la souffrance, aux fêlures des âmes et des corps. C’est pourquoi il nous parle de nous, de notre humanité.
Dans ce merveilleux documentaire, Nicolas Philibert est un radiographe
subtil et délicat. Il fait preuve de cette justesse de regard,
mélange d’extrême attention et de tact, qui caractérise son art.

FORTUNA
De Germinal Roaux – France – 2018 – 1h45 – Documentaire
Avec : Kidist Siyum Beza, Bruno Ganz, Patrick d’Assumçao…
Comment mettre des images de cinéma sur la crise des migrants ?
Comment affronter l’horreur à l’arrivée, sonder ce qu’elle déclenche en nous et ce qu’elle laisse à ses victimes poussées par extrême nécessité vers nos paysages, nos lois, nos corps étrangers ? Le
photographe et cinéaste a choisi le chemin de la poésie, posant sa caméra à l’Hospice du Simplon où les religieux ont décidé
d’accueillir des réfugiés. Parmi ceux-ci, FORTUNA, Éthiopienne
de 14 ans, sans famille ni possession, secrètement enceinte, affronte
ses tourments en silence. Cette solitude subie s’oppose à celle,
choisie, de ses hôtes, ses questions de survie cohabitant avec leurs
interrogations morales. Le réalisateur brille chaque fois qu’il laisse
parler les éléments, opposant le souvenir de la traversée en mer à
l’immobilité des pentes enneigées. Cette petite poésie-là, en noir
et blanc minéral et lumière patiemment sculptée, qui ne peut
exister qu’au cinéma, vaut mieux que de longs discours sur la crise
migratoire. Elle imprime l’indicible au fond de nos rétines.

AMIN
De Philippe Faucon – France-2018- 1H31
Avec Moustapha Mbengue, Emmanuel Devos
Amin, ouvrier journalier sur les chantiers de construction, vit en France, à St Denis, dans un foyer de travailleurs immigrés. Il vientdu Sénégal, il s’apprête à y retourner ; là-bas ses 3 enfants, sa
femme souffrent de son absence. Jour après jour, voyage après voyage, Amin est captif, de son devoir, de ses responsabilités..
Soudain, il est tenté par un chemin de traverse : une liaison imprévue avec une française, Gabrielle, chez qui il effectue des
travaux. Entre l’exilé et cette femme seule, entre ces deux solitudes,un nouvel espace juste et sensible s’ouvre, un temps à l’abri de la
contrainte et de la fatalité, un temps seulement.
Avec ce film fort, Philippe Faucon (après Fatima ou La désintégration)
donne un visage inoubliable à sa fresque du déracinement et de
cette immigration.

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Jean Bernard Marlin

ENTRETIEN AVEC JEAN-BERNARD MARLIN

Comment êtes-vous devenu cinéaste?
J’ai 38 ans. J’ai grandi à Marseille dans un milieu modeste. Mon désir de cinéma remonte à l’enfance, à ladécouverte de E.T. et autres films du même genre à la télévision. Mon père n’était pas du tout cultivé, mais il adorait regarder des films et la seule relation que j’avais avec lui, c’était ce moment-là, quand on regardait ensemble des films à la télé. Dire très jeune que plus tard on fera des films, ça faisait rire mon entourage…Quand j’avais 16 ans, il y avait un atelier cinéma dans une MJC, animé par quelqu’un qui m’a fait découvrir le cinéma d’auteur – ce cinéma-là, au départ, ce n’était pas du tout mon monde ! Il m’a aussi appris l’existence d’écoles de cinéma. À Paris, j’ai passé le concours de l’école Louis Lumière où j’ai été admis et formé au métier de directeur de la photo. Puis j’ai fait un atelier scénario d’un an et demi à la Femis.

De quoi vit-on en attendant son premier long métrage ?
Travailler dans le cinéma quand on n’a pas de contacts, c’est compliqué. J’ai même été au RSA pendant une période pas si éloignée… J’ai enchaîné des emplois de courte durée, souvent liée à ma formation, mais j’ai vu que je n’étais pas très doué pour la technique pure. J’ai aussi enseigné l’art dramatique, il y a deux ans, au Cours Florent. En 2013, mon court-métrage, La Fugue, a obtenu l’Ours d’or au Festival de Berlin. Le prix a attiré l’attention sur moi : le producteur Grégoire Debailly m’a demandé si j’avais un sujet et il en a financé l’écriture. C’est ce qui a donné Shéhérazade aujourd’hui.

D’où vient l’idée de ce film ?
Le point de départ, c’était il y a cinq ans, à Marseille, un fait divers sur un petit proxénète. Un adolescent de 16 ans, en fugue, est arrêté dans un hôtel de passe du centre-ville où il vit avec deux filles prostituéesde son âge. Pendant plusieurs mois, ils vivent de l’argent de la  prostitution. On l’accuse de proxénétisme. Eux, ils vivent une histoire d’amour. C’était assez violent entre eux, il y avait des coups échangés. Mais les protagonistes l’identifiaient bien comme une histoire d’amour. Cette histoire, je l’ai rencontrée plusieurs fois dans la rue, à Marseille. J’ai vu des jeunes filles prostituées se battre et tenter de survivre sur le
trottoir pendant que leur copain était en galère. Certaines leur ramenaient même de l’argent en prison.

Avez-vous connu pendant votre enfance marseillaise des gens comme les personnages de Shéhérazade ?
C’est arrivé, sporadiquement. Je ne baignais pas dans ces milieux, sinon j’aurais sombré dans la délinquance, moi aussi. J’habitais dans le 13e arrondissement qui, en termes de sociologie, se situe entre les cités pauvres et les quartiers tranquilles. Et j’étais plutôt bon à l’école. Plus tard, en passant quasiment une année dans les Centres Éducatifs Fermés pour un documentaire, j’ai tissé des liens avec cette jeunesse. J’ai même essayé de chercher les protagonistes du fait divers qui m’inspirait. Je ne les ai pas trouvés, mais j’ai rencontré des
gens qui les connaissaient, cela a conforté l’idée que cette histoire était assez banale.

Montrer une réalité dont vous avez été le témoin, c’est une nécessité ?
Pour écrire ce film, je suis revenu habiter dans la ville où j’ai grandi. J’ai passé plusieurs mois avec des jeunes femmes qui se prostituent dans le quartier de la Rotonde, où a eu lieu cette histoire. Elles ont entre 16 et 24 ans, elles traînent en bande. Elles vivent dans des chambres d’hôtel du quartier. J’ai observé leur vie dans la rue, je leur ai demandé de me parler de leur vie amoureuse. Je me suis rendu compte que beaucoup d’entre elles étaient passées par des foyers. Ça s’inscrivait dans la continuité de mon travail, un documentaire et un court métrage sur un jeune de foyer. Au départ, ce n’était peut-être pas conscient, mais je sais aujourd’hui qu’à la base d’un projet, il y a toujours pour moi une exigence documentaire. J’ai besoin d’y croire, j’ai un problème de croyance avec un cinéma trop artificiel. Je peux aimer le cinéma fantastique ou de science-fiction, mais il faut que ce soit réaliste. Le cinéma est un sport de riches et mettre en avant des personnes qui restent habituellement dans l’ombre, essayer de le faire de façon authentique, cela me paraît très important. C’est un geste politique. D’où le choix de comédiens non-professionnels : ils ont instinctivement le langage, les gestes des personnages. Leur visage raconte une histoire. Mon producteur, Grégoire Debailly, aime aussi les histoires ancrées dans le réel, avec une
approche documentaire. Il produit les films de Samuel Collardey. Mais, avec Shéhérazade, je suis allé un peu plus vers la fiction.

Comment s’est déroulée l’écriture du scénario ?
À Marseille, j’ai rédigé une première version assez documentaire. Puis je suis reparti à Paris, et la scénariste Catherine Paillé m’a fait des retours : ce qui ne devait être qu’une collaboration est devenu une vraie co-écriture. Elle a apporté une sensibilité qui lui est propre, quelque chose de poétique, et aussi beaucoup de bon sens. Les dialogues étaient déjà très écrits parce que je connais le langage de ces jeunes, je connais leurs expressions, je les maitrise même très bien. Ce qui ne m’a pas empêché, au tournage, de laisser parfois
les jeunes improviser. Et puis Lisa Amedjout, qui joue le rôle de Sabrina dans le film, m’a aussi aidé : elle connaissait bien les filles du quartier de la Rotonde, elle m’a dit ce qui sonnait juste ou pas dans leurs scènes.(….)

Pourquoi ouvrir votre histoire contemporaine par des images d’archives ayant trait à l’immigration ?
Pour ancrer le film dans Marseille, pour que la ville soit un personnage à part entière. Marseille est une ville d’immigration, je suis moi-même issu de l’immigration, ma mère est arménienne. C’est une façon de dire que les héros de ce film sont les enfants de ces gens-là. Quand j’étais enfant, on avait tous des origines étrangères : ce mélange de cultures représente Marseille. Dans un souci documentaire, j’ai tourné le film sur les vrais lieux de prostitution : le quartier de la gare Saint Charles et le boulevard Sakakini. Dans les endroits où traînent et vivent mes personnages: le quartier de Belsunce et le parc Kalliste dans les quartiers Nord de Marseille. Comme les acteurs, les décors devaient être authentiques, ce sont ceux que mes personnages côtoient dans la vie réelle. Tout a été tourné in situ, à Marseille. (…)

Vous filmez parfois de loin, dans l’embrasure d’une porte, via un miroir, comme quand Zac vient voir sa mère… Dans quel but ?
Parfois, je trouve trop grossier d’être avec les personnages à l’endroit où il se passe quelque chose. Il est plus fin, plus délicat, de rester à distance. D’ailleurs, il y a des scènes que j’aime moins parce que je me reproche de les avoir filmées trop frontalement. La mère de Zac correspond bien aux mutations sociales de la ville : elle appartient à une nouvelle génération de mamans. Aujourd’hui elles sont jeunes, leur mari est souvent en prison, elles sont parfois démissionnaires vis-à-vis de leurs enfants. J’ai rencontré beaucoup d’éducatrices, leur métier est un vrai sacerdoce. Il n’y a pas assez d’argent pour une vraie réinsertion et il est impossible de trouver du travail à Marseille, j’en ai fait l’expérience à la sortie du lycée. C’est une ville très pauvre. (…)

Quand Zac décide de devenir proxénète, le film délaisse le naturalisme pour se frotter au cinémade genre…
Je n’ai pas vraiment pensé le film en termes de genre, même si Shéhérazade est « trans-genre » comme beaucoup d’autres films aujourd’hui : il mêle des codes du documentaire, du thriller, du film noir et de l’histoire d’amour. La base est naturaliste, mais je voulais décoller un peu de ça, j’aime bien les récits plus amples. J’ai pensé que le film était tellement documentaire que je pouvais m’amuser à proposer autre chose. C’est aussi pour ça que j’ai choisi Jonathan Ricquebourg comme chef opérateur : il a signé l’image de « Mange tes morts », qui partait du documentaire pour dévier vers le monde des gangsters. Les intrigues et les scènes mafieuses du film par exemple, je les ai écrites en me documentant, puis je les ai réécrites sur le tournage avec certains acteurs du film qui connaissaient mieux que moi les situations que je décrivais. Ils m’ont montré où garer le scooter pour braquer les Bulgares, par exemple… Les acteurs étaient en quelque sorte les conseillers techniques du film !

Le troisième acte est singulier : il met au jour une puissante histoire d’amour…
À côté de l’aspect documentaire du film, je voulais insuffler une dimension romanesque à cette histoire d’amour. Je souhaitais que Zachary et Shéhérazade « se crament » pour une histoire de cœur, qu’ils touchent au sublime. J’ai beaucoup pensé à Pasolini et à Elia Kazan au moment de l’écriture du scénario. Je voulais une éducation sentimentale contemporaine, une histoire d’amour sur la brèche, au jour le jour, comme cellesque je connais.

L’aveu impossible devient un enjeu scénaristique d’une force imprévue. Il faut toute la maïeutique de la machine judiciaire pour faire parler Zac et Shéhérazade…
Avec la partie tribunal, le film change de registre, on est dans autre chose : le langage, le monde des adultes, on s’adresse presque à une autre zone du cerveau. À l’écriture, on avait identifié deux enjeux intéressants : le déni de l’amour pour Zac et le déni de la prostitution pour Shéhérazade. C’était ça dont j’avais envie de parler, on touche au cœur du projet. Shéhérazade a beaucoup de mal à reconnaître qu’elle exerce ce métier. Et Zac ne peut pas admettre être amoureux d’une fille, encore moins d’une pute. Ça fait faible, ça lui demande d’abandonner le personnage qu’il s’est construit. Il doit dire en public le contraire de ce qu’il a dit au début du film : « Moi, je respecte les filles, je respecte pas les putes ».

À quoi sert le personnage de Zelda, la colocataire transgenre de Shéhérazade ? À montrer déjà que Zac peut changer…?
Je me suis rendu compte en enquêtant qu’il y avait à Marseille beaucoup de garçons ou de filles qui se prostituaient tout en étant en transition, en cours de changement de sexe. Je me suis dit que je ne pouvais pas parler de ce milieu-là sans avoir un personnage comme eux. L’actrice elle-même est transsexuelle. Zelda prend du crack et je ne pouvais pas non plus occulter l’emprise des drogues dures. Mais, oui, l’obligation qu’a Zac de cohabiter avec elle marque un début de changement en lui. Au casting, quand j’ai demandé à des jeunes des quartiers de jouer avec des personnes transgenres, c’était assez violent. Du coup, j’ai pensé que c’était intéressant de montrer qu’en vivant près d’elle, Zac commence à mieux comprendre l’autre.

Pourquoi ce titre ?
J’ai baptisé le film du nom du personnage qui en est le moteur, qui fait changer mon personnage principal. Et le personnage s’appelle Shéhérazade parce que j’ai croisé des filles qui portaient ce nom et que je trouvais ça en décalage avec la Shéhérazade des Mille et une nuits, bien que ce soit une courtisane. Surtout, je voulais que le film soit féminin.

Propos tirés du dossier de presse

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Bettina Oberli

 

Née le 6 novembre 1972 à Interlaken

Suisse

Scénariste, réalisatrice

Les Mamies ne font pas dans la Dentelle, Le Vent Tourne

Bettina Oberli, cinéaste des zones obscures

Elle a connu un immense succès populaire avec «Les mamies ne font pas dans la dentelle» mais a aussi tourné d’âpres tragédies. Figure importante du cinéma suisse, la réalisatrice bernoise sort «Le vent tourne», un drame rural situé dans le Jura.

Elle sourit: «J’ai différentes facettes comme tout le monde.», concède une préférence pour le drame: «Je suis plutôt attirée par l’exploration des zones obscures de l’âme humaine.» Parmi ses références, elle cite Jane Campion, des réalisatrices autrichiennes dans la lignée de Michael Haneke comme Barbara Albert ou Jessica Hausner, mais aussi Claire Denis et Olivier Assayas. Et puis bien sûr Lars von Trier «que j’adore et déteste en même temps, comme il le veut». Melancholia, chef-d’œuvre nihiliste, l’a ébranlée: il lui a fallu trois jours pour s’en remettre. Un peu de cette âpreté se retrouve dans Le vent tourne. Situé dans le Jura, ce drame rural s’articule autour d’un couple de paysans, Pauline (Mélanie Thierry) et Alex (Pierre Deladonchamps), qui essayent de vivre au plus près de leurs convictions idéologiques. L’éolienne qu’ils installent devant leur ferme concrétise un projet commun – et attise des dissensions latentes. «Je voulais une femme de certitude qui perd ses certitudes pour se reconstruire, et que cette femme soit inscrite dans le monde contemporain», explique Bettina Oberli.

«Auf Französisch»

Pour la première fois, elle a tourné un film qui parle français. Elle s’étonne que tout le monde s’en étonne alors que personne ne bronche quand Pierre Monnard fait Recycling Lily en Schwyzerdütsch. «Dans notre pays, nous avons quatre langues, quatre cultures. C’est parfois pénible, parce que ça nous sépare, mais c’est beau.» Elle voulait tourner dans le Jura, dont les paysages l’inspirent car, sans vue sur les Alpes de neige ni chalets fleuris, ils rompent avec les clichés d’une Suisse pittoresque et ripolinée. Comme on parle français dans les Franches-Montagnes, la langue de Blaise Cendrars s’est imposée, dite par deux grands comédiens français. Mélanie Thierry a envie de travailler avec des cinéastes qui ont une vision forte. «J’ai trouvé ça avec Bettina. Nous n’avons pas toujours été d’accord, il y a eu de petites frictions. Mais tout s’est très bien arrangé. On s’aime beaucoup. Je sais que je suis dure, coriace. Bettina est trop gentille et moi je suis trop méchante», analyse-t-elle. Le français, Bettina Oberli l’a appris toute petite auprès de sa famille maternelle venue du Seeland. Son compagnon et collaborateur régulier, le chef opérateur Stéphane Kuthy, né à Paris, parle français à la maison avec leurs deux enfants, et l’aîné fait le gymnase bilingue. Quant au cadet, il se passionne pour le théâtre: à 11 ans, il a déjà tenu des rôles dans des pièces de Dürrenmatt ou Thomas Mann jouées au Schauspielhaus.

Pluie torrentielle

A Locarno, Le vent tourne n’a pas eu de chance. Une pluie torrentielle a interrompu la projection sur la Piazza Grande. «C’était horrible! Un cauchemar! reconnaît Bettina Oberli. Au milieu de la première mondiale du film, les 8000 spectateurs ont fui. J’ai dû partir, je me suis cachée toute seule derrière l’écran en pleurant, sans savoir que faire. Me suicider? Rentrer à l’hôtel?» Lot de consolation: elle n’a jamais reçu autant d’affection de la part de la branche cinématographique. Quant aux journalistes suisses, la plupart affichaient des moues hautaines. Une façon de faire payer à la réalisatrice le fabuleux succès des Mamies? Elle en a parlé l’autre jour avec Michael Steiner, le réalisateur de Mein Name ist Eugen, selon lequel «si tu as un succès en Suisse, on ne te le pardonne jamais». Bettina Obeli relativise ce verdict. Elle admet toutefois qu’un réalisateur doit «donner l’impression d’être modeste, s’excuser d’avoir du succès». D’ailleurs, elle a prudemment refusé de réaliser Heidi, projet doré sur tranche et destiné à exploser le box-office.

Fin ouverte

A Locarno, lorsque l’association SWAN (Swiss Women’s Audiovisual Network), qui milite pour la parité dans le cinéma suisse, a invité les femmes et les hommes de bonne volonté pour une colazione, Bettina Oberli était évidemment présente. En quelque vingt ans d’activités dans le milieu du cinéma, elle a pu observer que «l’ambition, les idées claires, l’exigence sont des valeurs connotées positivement chez l’homme et plutôt négativement chez la femme. On est perdues si on commence à avoir peur de ça. C’est compliqué. Depuis quelques mois, le sujet de l’égalité est omniprésent, nombre de femmes célèbres s’investissent. Je pense qu’il n’est plus possible de revenir en arrière. Le chemin sera long, mais on va dans la bonne direction.» Le vent tourne se termine sur un plan de Pauline, debout devant le Creux-du-Van. Certains spectateurs décèlent la fascination morbide du gouffre. Mélanie Thierry trouve cette image «inquiétante». D’autres voient le vent du large. Bettina Oberli trouve cette conclusion très optimiste. C’est une proposition au spectateur, l’horizon qui s’ouvre. «Il faut laisser les fins ouvertes: elles résonnent plus longtemps.

D’après Antoine Duplan pour Le Temps du 20 septembre 2018.

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Le Vent Tourne

    

      LE VENT  TOURNE

Un film de    Bettina Oberli

Suisse-France-Belgique

1h27

Avec : Mélanie Thierry, Pierre Deladonchamps, Nuno Lopes, Anastasia Shevtsova

                

A l’heure où les questions environnementales se font de plus en plus pressentes, la jeune réalisatrice suisse Bettina Oberli propose une réflexion idéologique  et romanesque sur le sujet à travers le regard de Pauline ( Mélanie Thierry), pivot central autour duquel s’articulent deux points de vue différents. Doit-on essayer de sauver la planète ou est-ce de toute façon déjà trop tard ?

Dans un décor idyllique de montagnes jurassiennes, Pauline et Alex (Pierre Deladonchamps) jeunes agriculteurs soudés dans leur combat commun pour la défense de leur environnement travaillent dur mais sont certains de pouvoir garder encore longtemps le cap d’une vie de solitude et de dévouement à la nature. La belle harmonie se fissurera au contact d’une jeune adolescente russe de Tchernobyl, Galina, ( Anastasia Shevtsova) venue se refaire une santé et du bel ingénieur Samuel ( Nuno Lopes) appelé pour installer une éolienne. C’est un souffle de liberté qui entre dans cette maison, une nouvelle conception de vie faite de plaisir et d’échanges à laquelle Pauline n’a jamais été confrontée jusqu’à présent. Pauline va découvrir qu’elle étouffe. Ce quatuor de jeunes gens tout à la fois utopistes, généreux, sincères et naïfs qui s’enrichissent au contact des uns et des autres, a l’avantage de proposer un généreux éventail de tous les questionnements autour d’enjeux environnementaux. La réalisatrice réussit un drame sentimental souvent palpitant dans une nature belle et dangereuse, pleine de brouillard et dominée par un protagoniste insolite : cette éolienne, géant implanté au milieu de nulle part, comme un moulin de Cervantès, à la fois symbole d’espoir et de discorde.  « Le vent tourne » monte crescendo. D’une caméra très contemplative, la réalisation prend peu à peu une tournure subjective. On voit alors surgir une prise de position écologique, notamment face aux éoliennes. Le film ne tranche pas mais distille quelques indices sur l’opinion de Bettina Oberli.

D’après les critiques du Monde, Télérama, Le Blog du ciné, Bulles de culture                                     

 

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