Archives pour novembre 2015

Camille Fontaine

 

France

Scénariste, réalisatrice

Par Accident

Entretien avec Camille Fontaine

Vous avez fait vos armes en écrivant des scénarii. Le passage derrière la caméra était-il une suite logique ?

Non, pas du tout. (Longue réflexion) Etre scénariste, c’était fou… Passer mes journées à m’interroger si tel personnage va affronter l’obstacle que j’ai placé justement devant lui ou rebrousser son chemin en courant… Et ça me plaisait d’écrire pour les autres, entrer dans des univers inconnus et très différents. (Elle a récemment signé le scénario de West Coast de Benjamin Weill, qui voit des jeunes bretons se prendre pour des gangsters rappeurs, et celui de Jeunesse – d’après Joseph Conrad -, réalisé par Julien Samani. Tous deux actuellement en fin de post-production). Et puis ma vie de scénariste était très confortable. C’est un métier obsessionnel et solitaire qui me convenait bien. Pourtant, j’ai dû en avoir marre. (rires) Je crois que tout simplement l’idée de mettre en scène devait m’habiter depuis un bon moment.
Je ne voulais juste pas me l’avouer.

Comment l’idée d’écrire Par Accident est-elle née ?

Je me promenais dans Paris : ça commence souvent comme ça. Au croisement des rues Montreuil et Faidherbe, je suis tombée sur un appel à témoins. Il était placardé sur un poteau. (suite…)

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Samuel Benchetrit

220px-Samuel_Benchetrit_Deauville_2011_cropped26 juin 1973  Champigny-sur-Marne

France

Acteur, réalisateur, scénariste, écrivain

Janis et John, J’ai toujours rêvé d’être un gangster, Chez Gino, Un voyage, Asphalte

 

Entretien avec Samuel Benchetrit

Qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser Asphalte ?

Samuel Benchetrit : Ce film réunit deux des nouvelles des « Chroniques de l’asphalte » que j’ai écrites en 2005 auxquelles j’ai adjoint l’histoire d’une comédienne qui vient s’installer dans ce même HLM désaffecté d’une cité. Avec Asphalte, j’avais envie de raconter la banlieue différemment à travers des personnages qu’on n’a pas l’habitude de voir quand on aborde ce sujet. Et si je devais résumer le film, je dirais qu’il s’agit de trois histoires de chute. Comment peut-on tomber – du ciel, d’un fauteuil roulant ou de son piédestal – et être récupéré ? Voilà la question qui traverse à chaque instant Asphalte. Car les gens de banlieue peuvent être de très grands « récupérateurs ». Pour y avoir passé ma jeunesse, je peux dire que je n’ai jamais connu de solidarité aussi forte qu’en banlieue. Même si avec le temps, comme partout, la solitude et l’isolement gagnent peu à peu du terrain. (suite…)

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Laszlo Nemes

Cannes-2015-Grand-prix-a-Son-of-Saul-du-Hongrois-Laszlo-Nemes_article_popin18 Février 1987  Budapest

Hongrie

Réalisateur, scénariste

Le Fils de Saul  (Grand Prix du Jury Cannes 2015)

 Entretien avec Laszloo Nemes

Comment est née en vous l’idée du FILS DE SAUL ?

Sur le tournage de L’Homme de Londres, à Bastia. Lors d’une interruption d’une semaine, j’ai trouvé dans une librairie un livre de témoignages publié par le Mémorial de la Shoah, Des voix sous la cendre, connu également sous le nom des « rouleaux d’Auschwitz ». Il s’agit de textes écrits par des membres des Sonderkommando du camp d’extermination, enterrés et cachés avant la rébellion d’octobre 1944, puis retrouvés des années plus tard. Ils y décrivent leurs tâches quotidiennes, l’organisation du travail, les règles de fonctionnement du camp et de l’extermination des Juifs, mais aussi la mise en place d’une forme de résistance.

Qui étaient les Sonderkommando, que faisaient-ils ?

C’étaient des déportés choisis par les SS pour accompagner les convois jusqu’aux chambres à gaz, les faire se déshabiller, les rassurer, les faire entrer dans les chambres à gaz, puis extraire les cadavres et les brûler tout en nettoyant les lieux. Le tout rapidement car d’autres convois de déportés allaient arriver. Auschwitz-Birkenau fonctionne comme une usine à produire des cadavres, puis à les éliminer. Lors de l’été 1944, elle fonctionne à plein régime : les historiens estiment que plusieurs milliers de Juifs y sont assassinés chaque jour.
Les membres du Sonderkommando bénéficient, le temps de leur mission, d’un relatif traitement de faveur : nourriture prise aux convois, relative liberté de mouvement dans leur périmètre… Mais pour eux, la tâche est épuisante, et ils sont éliminés régulièrement par les SS, tous les trois ou quatre mois, car il ne doit rester aucune trace de l’extermination.

Avez-vous un lien familial avec la Shoah ? (suite…)

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Vers l’autre rive

Vers l'autre rive 2De Kiyoshi Kurosawa – France, Japon – 2015 – 2h07 – VOST
Avec Eri Fukatsu, Tadanobu Asano…
Trois ans après sa mort, un homme revient chez lui pour emmener sa femme dans un curieux périple, entre lune de miel et tournée d’adieu. C’est un voyage dans un Japon des montagnes et des villages, pour rencontrer des amis d’antan, parfois morts eux aussi. Entre conscient et inconscient, c’est un grand film de maturité, une bouleversante réflexion existentielle, et aussi une douceur de vivre insoupçonnée. La logique des rêves est superbement restituée par cette alternance de moments suaves et de brusques accès de noirceur. Le cinéaste, qui ne s’éloigne jamais de sa femme, donne aussi sa vision du couple soudé par un lien irrévocable, transcendant et charnel. Arrivé à la soixantaine, Kurosawa réussit son premier film d’amour.
Prix de la mise en scène “Un certain regard” Cannes 2015

Critique

Vers l’autre rive se présente comme un récit initiatique saisissant le mystère de la mort cohabitant avec la vie, et réciproquement le mystère même de celle-ci. « L’amour est fort comme la mort », selon la belle formule du Cantique des Cantiques : Kurosawa livre un film cosmique où s’exprime un rapport au monde entier, autant abstrait que sensible.
Mizuki est une jeune veuve professeur de piano que l’on suit dans son quotidien, quand elle voit surgir, alors qu’elle prépare des petits beignets traditionnels, son défunt mari au cœur même de son salon. La mise en scène de l’apparition/disparition de Yusuke est superbe : la caméra de Kurosawa, comme la virtuosité des raccords du montage, suscite le trouble et l’étrangeté par ses cadrages, surcadrages, décadrages. Une des spécificités de ce maître du cadre consiste dans le découpage qui fait coexister les vivants et les morts par le recours à une frontière oblique et le jeu de positions des personnages dans le champ. Nous ne saurons jamais si la présence de Yusuke est tangible ou rêvée, Kurosawa, par un procédé gigogne, multipliant les réveils de Mizuki. Mais il ne s’agit pas tant de savoir qui est un revenant, qui ne l’est pas, l’incertitude planant sur tout un chacun. Dès le seuil du film, Mizuki, revêtue de vêtements pâles, se fond dans les décors (littéralement, les toiles de fond), alors que Yusuke est doté de couleurs vives (son manteau orangé) : le vivant, menacé de mort, et la mort, attirée par la vie, coexistent.
Cette coexistence, Kurosawa nous donne encore de la saisir aussi bien dans la fusion que dans la surimpression : que ce soit dans les noces figurées à l’écran par l’ultime – et unique – étreinte sexuelle entre les époux, ou dans la perception de couches subtiles mêlant les êtres. Lorsque à la fin les amants sont l’un derrière l’autre, face à la rive, et avant que Yusuke ne disparaisse, ils sont réunis par les teintes bleues de leur vêtement (le haut bleu de Yusuke et le bas bleu de Mizuki), tout en se fondant peu à peu à la manière de surimpressions précisément, entre transparence et opacité.

Autre critique

Un homme mort rentre à la maison, alerte et élégant. Il a juste oublié de retirer ses chaussures, lui fait remarquer sa veuve encore jeune, comme lui. L’apparition, bien que surnaturelle et inquiétante, impose vite son évidence : ceux qui ont perdu quelqu’un ne s’attendent-ils pas secrètement, et tout le temps, à son retour ? Le mot « fantôme » a la même étymologie que « fantasme ». Autant dire « désir ». La veuve n’avait pas remplacé son homme, disparu trois ans plus tôt. A l’initiative du revenant, les époux partent pour un curieux périple, entre lune de miel et tournée d’adieux.

C’est un voyage dans le Japon des montagnes et des villages, et dans le passé du défunt. Là où, avant de s’établir dentiste en ville, il avait gagné sa vie en distribuant des journaux ou en préparant des raviolis. Les amis d’antan qui accueillent le couple sont parfois morts, eux aussi. Parfois même, ils l’ignorent. A chaque étape, c’est une ancienne possibilité d’avenir qui resurgit, mais aussi des fautes à réparer. Et une douceur de vivre insoupçonnée, qu’il serait bon de prolonger indéfiniment, à deux, cette fois… La logique des rêves est superbement restituée par cette alternance de moments suaves et de brusques accès de noirceur. La précipitation soudaine des événements ajoute au trouble : il faut se dépêcher d’attraper tel train ou tel car qui mène à la prochaine halte de cette vie en condensé, en accéléré…

Mais si le film brille dans la zone frontalière entre la réalité et l’inconscient, il impressionne aussi par l’entre-deux qu’il suggère entre la vie et la mort. Kiyoshi Kurosawa s’est fait connaître il y a une quinzaine d’années avec des thrillers tels que Cure ou Kaïro, qui mettaient déjà en scène des spectres, mais avant tout horrifiques. Sans rupture radicale, Vers l’autre rive apparaît comme un grand film de maturité, où la familiarité ancienne du cinéaste avec les fantômes l’amène à une bouleversante réflexion existentielle. Le dialogue éphémère entre les vivants et les défunts, imprégné ici de shintoïsme, permet un bilan, moral, spirituel, peut-être une réconciliation.

Le cinéaste, qui ne s’éloigne jamais de sa femme, même pour rencontrer la presse, donne aussi, dans ce mélodrame onirique, sa vision du couple : une entité en proie aux non-dits, mais soudée par un lien irrévocable, quasi transcendant dont l’origine est pourtant une attraction charnelle. Une des plus belles scènes montre, parmi les joies rendues à la veuve, le corps désirant de son époux, jusque-là évanescent. Son abandon voluptueux, imprévisible, est le signe ultime de sa présence avant la grande séparation… Arrivé à la soixantaine, Kurosawa réussit son premier film d’amour.
Louis Guichard – Télérama

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Mia Madre

Mia madre 2De Nanni Moretti – Italie, France – 2015 – 1h47 – VOST
Avec Margherita Buy, John Turturro, Giulia Lazzarini…
Une cinéaste (jouée par Margherita Buy) est en pleine crise créative et personnelle. Mia Madre, le nouveau film de Nanni Moretti, pourrait bien être un autoportrait masqué du « splendide sexagénaire » qu’est aujourd’hui l’auteur de La Chambre du fils : les doutes d’un créateur prisonnier de son image de grand sage, réputé mieux comprendre que quiconque le pays autour de lui, alors que sa vie privée serait aussi chaotique que celle de tout le monde… On dit ça, mais on n’a encore rien vu !
Sélection officielle Cannes 2015

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Par accident

Par accident 1De Camille Fontaine – France – 2015 – 1h24
Avec Hafsia Herzi, Emilie Dequenne, Mounir Margoum…
Premier film de Camille Fontaine dont la principale qualité donne à voir une réalité sociale fouillée. Amara jeune algérienne installée dans le sud de la France avec son mari et sa fillette, renverse, par accident, un piéton qui tombe dans le coma. Une condamnation ruinerait leur avenir, sans le témoignage opportun d’Angélique, extravagant électron libre. Rencontre improbable de cette française délurée et de ce couple d’immigrés, intégré, voire moderne. Véritable thriller, filmé avec acuité et habileté : le bien, le mal, l’amitié… Cette situation inédite à l’écran est servie par des comédiens talentueux, duo de femmes sous le regard lumineux de Mounir Marçoum en mari bienveillant. Drame solaire.

Critique

Amra, une jeune Algérienne installée avec son mari et sa fillette dans le sud de la France, doit une fière chandelle à Angélique, une bimbo extravertie et sans attaches. Petit à petit, la paranoïa s’installe, grandit : et si cette amie qui lui veut du bien était dangereuse ?… Pour son premier film, Camille Fontaine s’essaie au thriller psychologique. A l’exception de la toute fin, forcée, elle ménage la tension grâce à son regard acéré sur la dualité féminine et son habileté à suggérer une menace sourde — réelle ou non. Mais la plus belle qualité du film est sociale : filmer une Française potentiellement dérangeante pour un couple d’immigrés moderne et intégré. Une situation inédite à l’écran, traitée comme une évidence. Entre la subtile Hafsia Herzi et Emilie Dequenne, dans un grand numéro d’héroïne de Brian De Palma des Bouches-du-Rhône, un acteur s’impose, lumineux en mari bienveillant : Mounir Margoum.
Guillemette Odicino – Télérama

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Asphalte

Asphalte 2De Samuel Benchetrit – France – 2015 – 1h40
Avec Isabelle Huppert , Thierry Gimenez , Gustave Kervern …
On est quelque part en France, dans une barre HLM noyée sous la grisaille. L’ascenseur tombe en panne… et le film décolle vers le loufoque et le burlesque à travers 3 rencontres improbables. La solitude est le point de départ de tous les personnages, chaque histoire est la naissance d’un lien: l’astronaute américain et la vieille dame maghrébine qui fait le couscous, l’actrice oubliée et son voisin de palier, l’infirmière et le patient amoureux en fauteuil…Pour une fois la banlieue n’est pas synonyme de violence et de haine, et une vérité bienfaisante émane de ce portrait en déséquilibre.

Critique

S’inspirant partiellement de deux nouvelles de son propre recueil Les Chroniques de l’asphalte, Samuel Benchetrit entrecroise ici trois histoires dans et autour du même immeuble de banlieue parisienne – trois histoires de rencontres et d’apprivoisement : entre un handicapé mal à l’aise avec la vie en société et une infirmière de nuit esseulée, un ado désinvolte et une actrice sur le retour, une mère d’origine kabyle et un astronaute américain atterri dans le coin par erreur. Le tout forme un film à sketches dont le montage parallèle tente de faire un film choral sur la cohabitation entre les hommes, où de l’ensemble des voix particulières se dégagerait une expression commune. On reconnaît les contours du spleen, des difficultés de rapport à l’autre et à soi, de l’envie de se réinventer… Soit des sentiments et des notions assez généraux et vagues pour intriguer par les promesses qu’ils formulent, mais qui ne génèrent qu’un intérêt fugace. Le film et l’ambiance douce-amère qu’il entretient ne nous atteignent que superficiellement : la loufoquerie, l’ironie, la neurasthénie et la sérénité cherchent à susciter le rire et la pitié, mais n’impliquent le regard qu’à distance.

À cela n’est pas étrangère une certaine affectation de la mise en scène qui, avec son artisanat du dialogue et la retenue de ses cadres fixes au format 1.33 (choisis semble-t-il en fonction de l’exiguïté des décors), fait mine d’un point de vue conciliant l’attention posée aux fêlures humaines (gestes et paroles) et la volonté d’en tirer posément les dimensions burlesque et poétique. Or, il manque quelque chose pour que la démarche touche vraiment : un rapport sincère et affirmé au monde qu’il filme, à ses personnages fêlés, plutôt qu’une raideur de conteur cherchant sa contenance. En l’état, cette posture de cinéaste ne nous laisse qu’observer de loin les personnages et les situations comme on observerait un petit monde qui se voudrait un reflet du nôtre, mais qui paraît plutôt isolé dedans.

Petite musique

Il faut dire aussi que chacun des trois récits pris séparément se révèle assez inconsistant. L’un rame pour arriver à l’essentiel (un homme ment gentiment et pathétiquement pour séduire une femme, et finira par sortir de sa coquille) dont sa vision s’arrête au gentil et au pathétique. Un autre ne tient guère que sur un jeu d’acteur délicieusement décalé (avouons-le : on a un faible pour Isabelle Huppert en vieille ex-star à la ramasse) et sur une vague célébration cinéphile (on y passe un extrait de La Dentellière, déguisé en noir et blanc et sous un autre titre). Et le dernier agite un contexte géopolitique actuel (les relations tendues entre l’Amérique et le monde arabe) en arrière-plan d’un face-à-face où, au-delà d’une certaine cocasserie convenue, il ne se passe à peu près rien.

Non seulement le film entier ne semble jamais vouloir dépasser son horizon de sentiments consensuels facilement acquis, mais il s’apparente finalement à un tour de passe-passe pour donner une illusion d’épaisseur à un trio de courts métrages qui n’en méritent pas tant – l’« épaisseur » étant aussi assimilée à l’homogénéité. L’entrecroisement des récits par le montage parallèle tente ce camouflage, et Benchetrit en rajoute un peu, comme avec ce son mystérieux que tout le monde entend et qui serait comme une petite musique courant à travers la cité. Quand on y pense, la petite musique résonne comme prenant part à l’affectation de discrétion et de retenue d’un conteur observant ses contemporains derrière la vitrine qu’il a dressée entre eux et nous.
Critikat

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LE FILS DE SAUL

La fils de Saul 2De Laszlo Nemes – Hongrie – 1h47 – VOST
Avec Geza RÖhrig, Levente Molnar, Urs Rechn, Todd Charmont…
Ambition et rigueur, voilà pour les caractéristiques évidentes de ce premier long métrage. Audace également, il en fallait pour s’attaquer au sujet de la Shoah, et une sacrée confiance en soi, l’enjeu étant de trouver une forme nouvelle qui permette de raconter l’horreur aux jeunes générations. Laszlo Nemes, jeune cinéaste hongrois, a choisi en effet de restituer le quotidien d’un des Sonderkommandos d’Auschwitz. Un choix saisissant, périlleux, d’autant que le film est une fiction relatant un parcours exemplaire: celui de Saul, un des prisonniers, qui dans un ultime sursaut, décide de donner une sépulture à son fils…
Grand Prix du Jury Cannes 2015

Critique Utopia du 21/10/15

Impressionnant tour de force d’un réalisateur hongrois de 38 ans qui signe là son premier film, Le Fils de Saul nous plonge au cœur du chaos, nous place dans les pas de Saul Auslander, un Juif hongrois interné en 1944 à Auschwitz et recruté immédiatement, de force évidemment, pour faire partie des Sonderkommando choisis par les SS parmi les déportés les plus jeunes et qui avaient pour terrible mission de réceptionner, souvent dès la descente du train, les malheureux, hommes, femmes, enfants qui ne se savaient pas encore condamnés. Les Sonderkommando devaient ensuite nettoyer les lieux de l’horreur.
Au cœur de cette inhumanité absolue, implacablement montrée dès la première séquence, un événement terrible va réveiller en Saul Auslander sa dignité. Parmi les dizaines de cadavres qu’il s’apprête à charrier vers les fours, il découvre un enfant encore vivant et Saul croit reconnaître en lui son fils. Son unique objectif va être désormais d’extraire le corps du garçon pour le sauver du four crématoire, lui donner une sépulture et un enterrement décents.
Le scénario est inspiré des témoignages des sonderkommando rassemblés postérieurement dans un recueil, « Des voix sous la cendre » qui avaient été cachés dans des bouteilles enfouies à proximité des fours crématoires et dont l’immense majorité des auteurs furent exécutés avant la libération des camps.
Laszlo Nemes, qui fut l’assistant du grand Bela Tarr (Les Harmonies Weckmeister, Le Cheval de Turin), a pris ce matériau à bras le corps et le porte à l’écran à travers une mise en scène fiévreuse, chaotique, mais sans ostentation indécente, utilisant la pellicule 35 mm pour donner à ses images un côté brut, refusant coûte que coûte que son film puisse être perçu comme esthétisant. Il montre l’horreur sans montrer la mort elle-même, la cantonnant dans un hors champ ou un flou qui suffisent à glacer le sang. Il oppose l’implacable efficacité de la machine nazie, nourrie par le renoncement de beaucoup, au courage obstiné et suicidaire d’un seul homme et redonne ce faisant une dignité à ces forçats au destin abominable, honnis de tous.
Grand prix du jury au Festival de Cannes 2015

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Critikat

Il sera difficile de reprocher à László Nemes un manque d’ambition pour ce premier long métrage sélectionné en compétition à Cannes et récompensé par le Grand prix. Ceci tant du point de vue du sujet que de la forme – et avec un tel propos il ne pouvait pas se passer de réfléchir à ces aspects formels. Le Fils de Saul se déploie comme un flux dans le chaos infernal d’Auschwitz-Birkenau en octobre 1944, lorsque les convois de Juifs hongrois étaient inlassablement déversés pour être anéantis dans des crématoires tellement remplis ras-la-gueule que des fosses attenantes bouillonnantes de graisses humaines furent improvisées. László Nemes choisit un aiguillon pour traverser ces événements ; Saul, membre du Sonderkommando, reconnaît son fils sous les traits d’un jeune garçon qui pousse encore miraculeusement quelques râles après l’action du Zyklon B dans la chambre à gaz. (suite…)

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Programme novembre et décembre 2015

Du 12 au 17 novembre

LE FILS DE SAUL
La fils de Saul 1De Laszlo Nemes – Hongrie – 1h47 – VOST
Avec Geza RÖhrig, Levente Molnar, Urs Rechn, Todd Charmont…
Ambition et rigueur, voilà pour les caractéristiques évidentes de ce premier long métrage. Audace également, il en fallait pour s’attaquer au sujet de la Shoah, et une sacrée confiance en soi, l’enjeu étant de trouver une forme nouvelle qui permette de raconter l’horreur aux jeunes générations. Laszlo Nemes, jeune cinéaste hongrois, a choisi en effet de restituer le quotidien d’un des Sonderkommandos d’Auschwitz. Un choix saisissant, périlleux, d’autant que le film est une fiction relatant un parcours exemplaire: celui de Saul, un des prisonniers, qui dans un ultime sursaut, décide de donner une sépulture à son fils…
Grand Prix du Jury Cannes 2015

Du 19 au 24 novembre

ASPHALTE
Asphalte 1De Samuel Benchetrit – France – 2015 – 1h40
Avec Isabelle Huppert , Thierry Gimenez , Gustave Kervern …
On est quelque part en France, dans une barre HLM noyée sous la grisaille. L’ascenseur tombe en panne… et le film décolle vers le loufoque et le burlesque à travers 3 rencontres improbables. La solitude est le point de départ de tous les personnages, chaque histoire est la naissance d’un lien: l’astronaute américain et la vieille dame maghrébine qui fait le couscous, l’actrice oubliée et son voisin de palier, l’infirmière et le patient amoureux en fauteuil…Pour une fois la banlieue n’est pas synonyme de violence et de haine, et une vérité bienfaisante émane de ce portrait en déséquilibre.

Du 26 novembre au 1er décembre

PAR ACCIDENT
Par accident 2De Camille Fontaine – France – 2015 – 1h24
Avec Hafsia Herzi, Emilie Dequenne, Mounir Margoum…
Premier film de Camille Fontaine dont la principale qualité donne à voir une réalité sociale fouillée. Amara jeune algérienne installée dans le sud de la France avec son mari et sa fillette, renverse, par accident, un piéton qui tombe dans le coma. Une condamnation ruinerait leur avenir, sans le témoignage opportun d’Angélique, extravagant électron libre. Rencontre improbable de cette française délurée et de ce couple d’immigrés, intégré, voire moderne. Véritable thriller, filmé avec acuité et habileté : le bien, le mal, l’amitié… Cette situation inédite à l’écran est servie par des comédiens talentueux, duo de femmes sous le regard lumineux de Mounir Marçoum en mari bienveillant. Drame solaire.

Du 3 au 8 décembre

MIA MADRE
Mia madre 3De Nanni Moretti – Italie, France – 2015 – 1h47 – VOST
Avec Margherita Buy, John Turturro, Giulia Lazzarini…
Une cinéaste (jouée par Margherita Buy) en pleine crise créative et personnelle. Mia Madre, le nouveau film de Nanni Moretti, pourrait bien être un autoportrait masqué du « splendide sexagénaire » qu’est aujourd’hui l’auteur de La Chambre du fils : les doutes d’un créateur prisonnier de son image de grand sage, réputé mieux comprendre que quiconque le pays autour de lui, alors que sa vie privée serait aussi chaotique que celle de tout le monde… On dit ça, mais on n’a encore rien vu !
Sélection officielle Cannes 2015

Du 10 au 15 décembre

VERS L’AUTRE RIVE
Vers l'autre rive 1De Kiyoshi Kurosawa – France, Japon – 2015 – 2h07 – VOST
Avec Eri Fukatsu, Tadanobu Asano…
Trois ans après sa mort, un homme revient chez lui pour emmener sa femme dans un curieux périple, entre lune de miel et tournée d’adieu. C’est un voyage dans un Japon des montagnes et des villages, pour rencontrer des amis d’antan, parfois morts eux aussi. Entre conscient et inconscient, c’est un grand film de maturité, une bouleversante réflexion existentielle, et aussi une douceur de vivre insoupçonnée. La logique des rêves est superbement restituée par cette alternance de moments suaves et de brusques accès de noirceur. Le cinéaste, qui ne s’éloigne jamais de sa femme, donne aussi sa vision du couple soudé par un lien irrévocable, transcendant et charnel. Arrivé à la soixantaine, Kurosawa réussit son premier film d’amour.
Prix de la mise en scène “Un certain regard” Cannes 2015

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