Archives : Archives

PLUMES

PLUMES

De Omar El Zohairy

Egypte france pays bas/ 2022/ 1H52

Avec Demyana Nassar, Samy Bassouny, Fady Mina Fawzy, Abo Sefen Nabil Wesa

Grand Prix de la Semaine de la critique au dernier Festival de Cannes, ce drôle de drame venu d’Égypte peut aussi prétendre à la palme du film le plus déroutant : le réalisateur y insère très naturellement de l’absurde au sein d’un réel miséreux. Plumes a d’ailleurs fait scandale en son pays, pour sa vision, en effet très noire, des bidonvilles du Caire.

C’est l’histoire d’une femme (Demyana Nassar, magnifiquement impénétrable) ou plutôt d’une femme de…, épouse et mère, soumise à l’autorité de son mari et de ses enfants en bas âge dans un morne appartement noirci par les fumées toxiques de l’usine dont le maître de maison est lui-même dépendant. Mais, durant la fête d’anniversaire d’un des garçonnets, un prestidigitateur transforme le père en… poule : le burlesque s’installe ainsi dans ce décor digne d’un Zola égyptien. Tandis que la fiente envahit dorénavant l’ancienne chambre conjugale, il s’agit, alors, d’une discrète émancipation féminine. D’abord obsédée à l’idée de retrouver son mari, luttant contre la bureaucratie et les arrangements proposés par un homme aux mains baladeuses, l’épouse, loin de tout cliché sur la mère courage, se pare d’une noble indifférence. Un sourire à peine perceptible, léger comme une plume, s’affiche sur son visage. Le cinéaste ose même délester sa fable d’une morale. Ou alors, on croit deviner la suivante : ce n’est pas par magie mais avec une vraie prise de conscience que le pouvoir du patriarcat peut devenir volatil.     Par Guillemette Odicino de Télérama

Interview du réalisateur Omar El Zohairy le 24 /03 par Fanny Arlandis (Télérama)

«Cette histoire a germé en moi dans mon enfance et m’a longtemps obsédé. J’ai grandi avec des parents séparés car mon père était parti vivre aux États-Unis, séduit par le rêve américain. C’était un homme passif, qui refusait la plupart du temps d’affronter la réalité et qui ne croyait pas en lui. Il est mort dans la pauvreté, acculé par la pression du capitalisme. Le personnage principal de mon film, la mère de famille, est très proche du caractère de mon père. Personne ne se soucie jamais de ces gens, on ne les remarque pas dans la rue, au même titre qu’une plume tombée sur un trottoir. Mais si on s’arrête pour observer une de ces personnes de plus près, on découvre qu’elle concentre de la douceur et une infinie beauté… comme mes personnages. La mère de famille n’a rien d’une héroïne, d’ailleurs on rit d’elle au début, puis, au fur et à mesure, on se sent de plus en plus proche d’elle.»

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur PLUMES

ALI ET AVA

ALI et AVA

film de Clio Bernard, Grande Bretagne , 1h35

avec Adeel Akhtar, claire Rushbrook, Shaun thomas…

A priori, ils n’ont pas grand-chose en commun, à part la ville où ils habitent. Bradford ,

un décor populaire de briques et de grisaille, quelque part dans le York-shire, dans le nord de l’Angleterre. Ava, la cinquantaine, mère et grand-mère précoce à la silhouette un peu massive, au regard bleu infiniment doux et fatigué, ne vit que pour sa famille et son travail d’éducatrice dans une école.Ali,un peu plus jeune,ancien DJ,barbu hâbleur et chaleureux cache ses blessures et sa solitude (en instance de séparation,coincé avec son ex-femme à la maison) derrière l’humour et l’exubérance. Ils ne fréquentent ni le même quartier,ni le même milieu, n’ont pas les mêmes goûts musicaux, ne sont pas issus des mêmes exils (elle originaire d’Irlande et lui pakistanais). Pourtant, lorsque le hasard les réunit, la tendresse est immédiate.Peu à peu,cette drôle de solidarité instinctive, ludique et délicate évolue vers un sentiment plus fervent. Entre Ali et Ava, l’histoire d’amour n’est pas seulement singulière et attachante, portée par 2 acteurs d’une exceptionnelle sensibilité. Elle est  aussi le subtil révélateur d’un contexte social difficile, que la réalisatrice représente sans jugement ni pesanteur démonstrative, avec une humanité rare et lucide. Ou comment évoquer la dureté du monde avec une infinie douceur. L’entourage des 2 amoureux, en effet, accepte fort mal ce lien naissant. Il est question de racisme et de préjugés, de deuils, de mensonges intimes et d’anciennes douleurs, et surtout de communautés étanches.Avec un optimisme prudent,ce film subtil rebâtit des passerelles fragiles (en passant,souvent,et avec brio,par la musique et le jeu) dans une société toujours plus clivée.

Présenté à la quinzaine des réalisateurs au derniers Festival de Cannes, Ali et Ava est un petit miracle de réalisme lumineux, dont on ne peut que tomber amoureux.

Critique de Cécile Mury de Télérama

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur ALI ET AVA

CONTES DU HASARD ET AUTRES FANTAISIES

 

Écrit et réalisé par Ryûsuke HAMAGUCHI – Japon 2021 2h01 VOSTF – avec Kotone Furukawa, Kiyohiko Shibukawa, Katsuki Mori, Fusako Urabe, Aoba Kawai… Grand Prix du jury, Festival de Berlin 2021 • Montgolfière d’Or, Festival des 3 Continents 2021.

 

pastedGraphic.pdfCuriosité du calendrier des sorties de films, Contes du hasard et autres fantaisies a été réalisé par Ryûsuke Hamaguchi juste avant l’éblouissant Drive my car qui lui a valu une consécration critique et publique méritée l’an dernier. Les spectateurs retrouveront ici avec plaisir les motifs qui parcourent une œuvre relativement jeune et déjà frappée de fortes récurrences. À la manière d’ondes concentriques au milieu d’une surface calme, le cinéma de Hamaguchi procède par l’introduction d’un fait inattendu dans la vie sentimentale des personnages – un hasard, une étrangeté, une disparition – et s’attache à saisir les plus infimes remous qu’il engendre. Sans choc ni soubresaut, la vibration ainsi provoquée va lentement conduire les personnages dans un processus de révélation à eux-mêmes et aux autres, où la parole, entre confidence et création, tient un rôle essentiel. De film en film, la répétition de ces procédés font du cinéma d’Hamaguchi une étude toujours renouvelée et sans cesse surprenante de l’intime. Les trois contes indépendants qui composent le présent film n’ont donc rien d’un exercice de style : ils sont le cœur même d’une œuvre fascinante, tout entière placée sous le signe de la variation.

Voici donc trois récits, trois trajectoires de femmes qui ont en commun finesse d’écriture, sobriété de mise en scène et sens du romanesque.
Dans le premier mouvement, il est question d’un étrange triangle amoureux. Alors que deux amies partagent un taxi, l’une d’entre elles effeuille le jeu de séduction verbal qu’elle vient d’avoir avec un homme. Ce que la conteuse ignore, c’est qu’à mesure qu’elle détaille son histoire, son amie reconnaît un de ses anciens amours. Evidemment gênée que son amie tombe amoureuse d’un de ses ex, mais ne pouvant se résoudre à briser son idylle, la jeune femme comprend peu à peu que le plus troublant est encore de constater que la description de son amie a provoqué en elle un regain de désir enfoui pour son ancien petit ami.
Le deuxième conte est un traquenard amoureux dans lequel deux amants tendent un piège à leur ancien professeur de littérature, devenu romancier à succès. La jeune femme, sûre de ses atouts, se trouvera confrontée à un homme à la fois étonnamment rétif à ses avances et beaucoup plus joueur qu’elle ne le pensait…
Enfin le dernier segment met en scène une erreur de retrouvailles, lorsqu’une femme pense reconnaître dans la rue, à tort, une ancienne amie de lycée. Cette dernière, n’osant interrompre la joie et les confidences sitôt entamées de la fautive, s’enfonce dans un drôle de quiproquo, jusqu’à comprendre l’opportunité qu’une telle situation peut représenter pour elles deux.

On ressent dans ces trois histoires un immense plaisir de conter et une capacité surprenante à déjouer les trajectoires attendues. Les longues conversations, parfaitement écrites, qui jalonnent le film sont autant d’éloges à la puissance du verbe. Il y a dans ces portraits un travail profond sur l’identité de ces femmes, sur ce qu’elles n’ont jusque-là pas su dire et, peut-être plus encore sur ce qui ne pourra jamais être dit. Chacune se révèle tout en gardant ses mystères et c’est toute la finesse du cinéma de Ryûsuke Hamaguchi : ne pas vouloir résoudre, se contenter de caresser l’insaisissable avec une délicatesse infinie

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur CONTES DU HASARD ET AUTRES FANTAISIES

MONEYBOYS

MONEYBOYS 
De C.B. Yi – Taïwan – 2021 – 1H56 – VOST
 
Nous sommes en Chine et nous découvrons le tout jeune Fei qui, comme des millions d’autres Chinois de son âge, a décidé de quitter sa campagne déshéritée pour la grande ville et ses promesses. On apprend qu’il a laissé au village une mère malade, qu’il doit soutenir financièrement, et on constate qu’il a très vite compris que son corps à peine pubère était pour lui la source de revenus la plus efficace et la plus rapide. Il a un amant, Xiaolai, qui voudrait le protéger des mauvaises rencontres mais tous les deux savent que c’est un vœu pieux… Ils vivent chichement mais somme toute heureux, jusqu’à ce qu’un client, plus violent et pervers que les autres, fasse basculer leur vie…
On va retrouver Fei quelques années plus tard dans un tout autre cadre : il occupe un appartement bourgeois, tel un de ces nouveaux riches de la Chine moderne du capitalisme d’État. Fei a un protecteur, fréquente une bande d’amis exerçant pour la plupart le même métier, parfois l’un ou l’autre fait un mariage de façade, pour rassurer une famille lointaine…

Ce premier film très réussi – signé d’un jeune réalisateur chinois qui a trouvé asile en Autriche avant de devenir l’élève de Michael Haneke – nous offre une analyse sociologique très fine d’une réalité chinoise qu’on voit peu à l’écran. Inspiré par les témoignages, recueillis pendant son année d’études à Pékin, de jeunes camarades d’université contraints de se prostituer pour survivre, C.B. Yi – qui avait d’abord le projet d’un documentaire avant de se raviser par crainte de mettre en danger ses amis – filme avec un œil d’entomologiste l’hypocrisie et la violence de la société chinoise : inégalités économiques monstrueuses qui frappent sans pitié les garçons et les filles arrivant de la campagne, harcèlement souvent teinté d’homophobie de la part des policiers, duplicité des familles qui acceptent volontiers l’argent des fils prodigues tout en désapprouvant leur mode de vie (on en voit un exemple terrible dans le film lors du retour éphémère de Fei dans son village lacustre)… C.B. Yi a par ailleurs parfaitement assimilé les leçons de maître Haneke et fait preuve d’un vrai talent pour installer des ambiances différentes mais toujours d’une grande force expressive : l’atmosphère poisseuse et anxiogène de la première partie laissant place à la froideur très papier glacé de l’univers bourgeois et policé dans lequel évolue Fei devenu « riche », d’appartements cossus en boîtes de nuit glamour. Avec toujours en arrière-plan une nature chaude et luxuriante dont on a la sensation que humidité sature le cadre. Enfin il faut souligner la splendide prestation de Kai Ko (découvert en 2017 dans le beau Adieu Mandalay) qui incarne aussi bien la fragilité et la soif de vivre du tout jeune Fei débarquant dans la grande ville que son flegme désabusé quand il se rend compte, peut-être trop tard, que, malgré sa réussite matérielle, il est envahi par le remords et le vide affectif que comble mal l’arrivée d’un jeune et bel amant

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur MONEYBOYS

Piccolo Corpo

 PICCOLO CORPO

De Laura Samani, France, Italie, Slovénie 1h39

Avec : Celeste Cescutti, Ondina Quadri

Odyssée mystique d’une mère prête à tout pour faire baptiser son enfant mort-né. Un beau portrait dans l’Italie du début du XXème.

Le bébé de la jeune Agata est mort-né et ainsi condamné à errer dans les Limbes. On lui dit qu’elle est si jeune, qu’elle en aura d’autres mais Agata s’entête dans sa douleur. Elle refuse que son bébé mort ne soit qu’un brouillon inutile, une enveloppe vidée promise à l’oubli. L’enfant mort-né est privé d’au-delà car non baptisé, piégé pour l’éternité dans les limbes. Il existerait un endroit dans les montagnes où son bébé pourrait être ramené à la vie, le temps d’un souffle, pour être baptisé. Agata part seule avec le cadavre de son bébé dans un coffre de bois, en quête de ce sanctuaire lointain où il serait possible de ressusciter le bébé un instant pour lui donner le sacrement nécessaire. Agata entreprend ce voyage et rencontre Lynx, qui lui offre son aide. Ensemble, ils se lancent dans une aventure qui leur permettrait de se rapprocher du miracle. Ce film est à la fois une odyssée initiatique et une réflexion originale sur la solidarité aux marges de l’identité féminine.

Ce premier film de la réalisatrice italienne Laura Samani, sort des sentiers battus en suivant le parcours initiatique d’une jeune femme en 1900, mère d’une enfant mort-née. Son projet : sortir sa fille des limbes au terme d’un pèlerinage. Sujet original, à la mise en scène maîtrisée, ce très beau film augure une cinéaste à suivre.

Une même spiritualité du quotidien est perceptible dans le récent Lamb, avec Noomi Rapace. Le parcours d’Agata s’enrichit de rencontres dangereuses qui font penser à L’Homme qui rit de Hugo, la traversée des souterrains de la mine évoque Melmoth, l’homme errant de Mathurin, et la traversée de la montagne, Croc-Blanc de Jack London. Situé en 1900, le film ne cherche pas à reconstituer l’époque, il se déroule tout en extérieur.

La foi, l’épreuve, la pugnacité sont au cœur du film. La rencontre d’Agata avec Lynx, petit malfrat qui veut se ranger des voitures, donne de l’humanité à des personnages qui évoluent tout le long du récit. Elle, avec sa mission mystique, lui, avec son désir d’une nouvelle vie, cherchent une rédemption qui sera l’aboutissement du voyage

Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur Piccolo Corpo

Kira Kovalenko (Les Poings Desserrés)

Née le 12 décembre 1989 à Naltchik

Russe

Réalisatrice, scénariste

Entretien avec Kira Kovalenko

D’où venez-vous, et qu’est-ce qui vous a poussé vers le cinéma ?

Je suis née à Naltchik, la capitale de la Kabardino-Balkarie, et j’y ai passé toute ma jeunesse. Je viens d’une famille simple, mes parents n’ont pas fait d’études supérieures, ne sont aucunement liés à une quelconque forme d’art et je ne comptais absolument pas devenir metteur en scène. C’est vraiment par hasard que je suis arrivée dans l’atelier de cinéma qu’avait ouvert Alexandre Sokourov à Naltchik (suite…)

Publié dans Archives réalisateurs, Réalisateurs | Commentaires fermés sur Kira Kovalenko (Les Poings Desserrés)

Ildiko Enyedi (L’Histoire de ma Femme)

Née le 15 novembre 1955 à Budapest

Hongrie

Réalisatrice, scénariste, chargée de cours

Mon XXème siècle, Corps et Ame, L’Histoire de ma Femme

Entretien avec la réalisatrice, Ildiko Enyedi 

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’adapter ce roman de Milán Füst ?

D’habitude, j’écris mes propres scénarios, c’est la première fois que j’adapte une œuvre littéraire. Milán Füst est un cas unique dans la littérature hongroise et internationale, souvent incompris ou encensé pour de mauvaises raisons. Pour moi, Füst est avant tout un penseur radical, qui enveloppe ses idées dans une prose riche et sensuelle, pleine d’humour et de vivacité. Il a écrit ce livre très personnel pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que sa vie était menacée. Je trouve ce choix très révélateur. (suite…)

Publié dans Archives réalisateurs, Réalisateurs | Commentaires fermés sur Ildiko Enyedi (L’Histoire de ma Femme)

Joanna Hogg (The Souvenir I et II)

Née le 20 Mars 1960 à Londres

Britannique

Réalisatrice, scénariste, productrice

Unrealated, Archipelago, Exhibition, Souvenir I et II

Qui est Joanna Hogg, la réalisatrice du diptyque “The Souvenir” ?

On n’avait rien vu d’elle ici. Écrit en deux parties, “The Souvenir” est le premier film de la réalisatrice anglaise à traverser la Manche. Et il est bouleversant. Rencontre avec Joanna Hogg, 61 ans, nouvelle révélation du cinéma britannique.

Mais où se cachait-elle tout ce temps ? La question fait rire la réalisatrice Joanna Hogg, 61 ans, qui accepte de bonne grâce de jouer les révélations en France. S’ils sont les premiers à sortir ici, les deux volets de The Souvenir (en salles) constituent en réalité ses quatrième et cinquième longs métrages – les précédents, Unrelated (2007), Archipelago (2010) et Exhibition (2013) arriveront dans le courant de l’année, promet-on chez Condor, son distributeur. (suite…)

Publié dans Archives réalisateurs, Réalisateurs | Commentaires fermés sur Joanna Hogg (The Souvenir I et II)

Claire Simon (Vous ne désirez que moi)

Née en Juillet 1955 à Londres

Française

Réalisatrice, scénariste

Ca, c’est vraiment toi, Gare du Nord, Vous ne désirez que moi.

Claire Simon analyse la relation très particulière qui unissait Marguerite Duras et Yann Andréa à travers un duel à haute tension exécuté par Swann Arlaud et Emmanuelle Devos. À ce stade, personne ne saurait s’étonner qu’un film de Claire Simon soit une oeuvre provocatrice qui prend des risques. Le cinéma de la réalisatrice française se caractérise par son courage, son audace et sa capacité à poser des questions que peu oseraient poser. Dans Vous ne désirez que moi , ce mélange de transgression et de courage se retrouve, et Simon va même un peu plus loin encore dans les images, pensées et sensations aussi sincères que troublantes qu’elle porte à l’écran.

Cineuropa : Pourquoi avez-vous décidé de recréer cette personnalité très particulière qui est celle de Yann Andréa ?
Claire Simon : Je trouvais le livre extraordinaire, le livre qui est la transcription des deux cassettes. Je trouvais extraordinaire tout ce qui est dit dans ce texte.

(suite…)

Publié dans Archives réalisateurs, Réalisateurs | Commentaires fermés sur Claire Simon (Vous ne désirez que moi)

H6

H6 

 

De l’hôpital numéro 6 de Shanghaï, on ne perçoit d’abord que le gigantisme. Des tableaux électroniques comme dans les halls d’aéroport annonçant les consultations du jour, des rangées de guichets anonymes et une foule de personnes faisant la queue dans un brouhaha indescriptible. Très loin de là, dans un village rural où rien n’a changé depuis la nuit des temps, une femme s’apprête à faire le long voyage qui va la conduire au chevet de son mari dans cet établissement flambant neuf où il a été admis après une chute. Toute la Chine est résumée dans ce contraste entre ville et campagne, entre ultramodernité et traditions confortant la vision que les Occidentaux se font de ce pays. C’est derrière cette image que nous entraîne pourtant la réalisatrice franco-chinoise Ye Ye en nous faisant partager les itinéraires individuels de cinq familles confrontées à l’adversité. Dans ce temps suspendu où l’on doit faire face à la maladie et à la possibilité de la mort d’un mari, d’une épouse, d’un frère, ou d’une enfant. Avec ses questionnements, ses angoisses, ses moments de drame mais aussi de joie. Des sentiments à la fois universels, dans lesquels chacun pourra se retrouver, mais qui dessinent en creux par leur singularité le portrait tout en délicatesse d’un pays et d’un peuple. 

  • Immergée dans cet hôpital pour les besoins du tournage d’une série, YeYea immédiatement ressenti tout le potentiel qu’il recelait. « J’ai eu l’impression de plonger littéralement dans les entrailles de mon pays, de ressentir son pouls, d’entendre son cœur battre, son corps vibrer », explique-t-elle. Dans cet hôpital, où cohabite médecine de pointe et médecine traditionnelle, les couloirs sont envahis par les familles de toutes origines sociales, parfois venues de très loin, qui attendent patiemment les heures de visite autorisées, dorment sur place, se conseillent et s’épaulent. 
  • Tout un microcosme éphémère se forme dont la réalisatrice filme à la fois le collectif et le particulier : les dilemmes moraux – quand la femme et les frères d’un paysan qui s’est cassé la colonne vertébrale doivent décider d’une opération risquée – ou encore financiers – lorsqu’un vieil homme doit se résoudre à vendre son appartement pour payer les soins de sa femme qu’il couve tendrement de ses attentions. Il est moins question pour YeYede porter un regard critique sur son pays que d’en montrer le versant intime. Celui d’une humanité confrontée à la souffrance qui se révèle avec sa pudeur, un certain fatalisme mais aussi une bonne dose d’humour et d’optimisme.
Publié dans Archives films | Commentaires fermés sur H6