NITRAM

NITRAM

De Justin KURZEL – Australie – 2021 -1h50 – VOSTF –

 avec Caleb Landry Jones, Judy Davis, Essie Davis, Anthony LaPaglia… Scénario de Shaun GrantPrix d’interprétation masculine pour Caleb Landry Jones, Cannes 2021.

NITRAMApprocher l’inapprochable, raconter l’inracontable. Reconstituer pour tenter de comprendre l’histoire et le parcours de Martin « Nitram » Bryant, auteur au milieu des années 1990 de la plus importante tuerie de masse, traumatisant durablement l’Australie. En tirer in fine un plaidoyer glaçant et implacable contre la vente d’armes à feu dans un pays qui, plus encore que les États-Unis d’Amérique, s’est construit autour de ce droit inaliénable de chacun à conquérir et protéger son lopin de terre à la force du fusil.

Aux origines du « mal », un prologue suggère la fascination que les explosions et les pétards exercent sur Martin, fils unique, gamin introverti, instable, peu sociable, « différent ». Et peu enclin à discerner dans ses actes le bon du mauvais, le plaisant du répréhensible, ce qui lui vaut de passer ses années d’enfance en pension, loin du cercle familial. Celui qu’avec bien peu de bienveillance on a surnommé Nitram – improbable palindrome de Martin, qui dit assez l’in(tro)version du caractère de celui qui n’exprime jamais ses sentiments – est revenu vivre chez ses parents à l’âge presqu’adulte, ce qu’il ne sera sans doute jamais. Pas ou peu de marques d’intérêt sinon d’affection à attendre de ce côté : sa mère, accablée par la situation de son fils, s’efforce de ne pas le voir ; seul son père s’efforce maladroitement de lui témoigner un peu de compassion sinon de tendresse, en vain. Vide, atone, la silhouette d’un surfeur trop maigre, ersatz de Kurt Cobain blafard et dégingandé, Nitram promène son ennui (est-ce seulement de l’ennui ?) et sa solitude dans une bourgade pavillonnaire suburbaine, elle-même sans vie. Le salut lui vient d’une riche voisine, un peu excentrique, qui vit seule avec ses chiens et se prend d’amitié pour le garçon qui vient occasionnellement entretenir son jardin. Et dont elle pressent sous la fragilité, derrière la farouche incommunicabilité, un potentiel inattendu d’humanité. Parenthèse enchantée qui révèle le garçon à ses sentiments mais se referme tragiquement, trop vite, le laissant seul face à la nécessité de revenir, d’une façon ou d’une autre, au monde qui l’entoure, le rejette et le fait monstre.

Il n’est pas simple de se frotter au monstrueux, à l’innommable. N’excuser d’aucune façon, évidemment, le geste du tueur, mais essayer de raconter, frontalement autant que faire ce peut, un parcours individuel sans exonérer pour autant la société tout entière de sa responsabilité. Le portrait de Martin-Nitram, glaçant, est porté avec une sobriété déconcertante par Caleb Landry Jones, qui n’a pas volé son prix d’interprétation à Cannes. Le vide qui l’habite provoque alternativement la compassion, le rejet, l’inquiétude et l’effroi. On peine à reconnaître en lui les ferments d’humanité qui pourraient, même sporadiquement, susciter le minimum d’empathie nécessaire à un début d’identification. Le réalisateur Justin Kurzel retrouve là les accents passionnants et dérangeants d’Elephant de Gus van Sant ou de We need to talk about Kevin de Lynne Ramsay – parmi les tentatives les plus abouties de raconter de l’intérieur la naissance de personnalités de tueurs de masse. Aucun suspense dans la résolution des conflits intérieurs et extérieurs du garçon. La mise en scène, sèche, précise, sans affects, laisse s’installer une tension sourde, implacable, qui monte en pression comme la colère mal contenue que le concentré de nitroglycérine qu’est Nitram finit, sans passion, par laisser exploser. Nous laissant dans une position inconfortable, avec plus de questions que de réponses. Mais la certitude chevillée au corps que, si Nitram n’est pas exclusivement le produit de la société dans laquelle il s’est construit, c’est elle et elle seule qui lui a donné la violence guerrière comme modèle ultime d’affirmation de soi – et en définitive a permis qu’il soit armé.

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