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PACIFICTION-TOURMENT SUR LES ILES

PACIFICTION – TOURMENT SUR LES ILES.
De : Albert Serra – Espagne – 2022 – 2h45.

   Avec Benoit Magimel, Pahoa Mahagafanau, Marc Susini, Montse Triola                                                      

Après la comédie d’aventures « Jack Mimoun et les secrets de Val Verde », Benoit Magimel, sous le sunlight des tropiques, entre dans le cinéma poétique d’Albert Serra. Deux films aux antipodes. Le comédien brille aussi dans l’envoûtant et étrange « Pacifiction – Tourment sur les îles», tourné à TAHITI. L’un des plus grands films du dernier Festival de Cannes.

Les films de l’Espagnol Albert Serra s’inscrivent dans des moments d’entre-deux : qu’il s’agisse de crépuscule ou d’aurore, le temps d’apparence suspendu est compté. D’où cette sensation de flottement permanent, d’incertitude. Tenter de fixer quelque chose qui, par essence, s’apprête à disparaître, c’est refuser la mort  Pour exister, la mise en scène se cherche tout de même un point d’appui sur lequel personnifier les « tourments » du récit. Ce long métrage, présenté en compétition au Festival de Cannes, avance dans une atmosphère mouvante et étrange à la lisière des genres : thriller politique, conte fantastique, comédie dramatique, sans s’y arrêter tout à fait. A chaque fois, Magimel y est omniprésent et omniscient.  L’acteur a embarqué dans un voyage dont le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est pas fourni avec une carte routière pour se guider. Un voyage où il était l’un des seuls comédiens professionnels. S’il fallait trouver une lignée à son personnage de Pacifiction, on évoquerait les héros de Conrad, Melville ou Stevenson. Hommes échoués au milieu du tumulte, en équilibre instable sur un fil perdu. 

Voici revenu le temps des colonies. Ou à peu près. Avec un charisme impérial, Magimel, costard blanc de dandy exilé, chemise colorée, verres fumés de star inquiète, joue avec roublardise un haut-commissaire de la République basé à TAHITI. Il flatte l’autochtone d’un paternalisme anachronique. Il cherche la bonne mesure et, surtout, la bonne figure à adopter pour rassurer une population qui soupçonne une reprise possible des essais nucléaires dans la région. Tantôt hâbleur, tantôt mutique, l’homme s’adapte, divague. Minaude aussi. Magimel marche ici sur des flots d’intranquillité. L’incertitude vient du dehors. Que sait au juste notre haut-commissaire ? Sûrement pas grand-chose, mais son égo, même entamé, l’oblige à entretenir un certain mystère. Albert Serra observe cet homme et ce monde, en suspens. En fait d’observation, le cinéaste pénètre littéralement son âme et contamine les sens du spectateur. C’est de la poésie pure, du romantisme noir et baroudeur, où le grotesque qui affleure désamorce toute pesanteur. Du cinéma moderne qui déjoue les figures imposées des scénarios illustrés. Immense comme son acteur principal. L’électricité que Magimel  met dans chaque rôle porte à une certaine incandescence.

Les spectateurs vont voir le prochain Magimel comme, à l’époque, ils allaient voir un Ventura…Trente-quatre ans de métier. Variation des plaisirs. Avec lui, tout le temps, ça pose quelqu’un. On ne va pas s’étonner de le voir là, aujourd’hui, enchainer les compositions sans jamais répéter la même note : mélo, drame, burlesque, aventure, thriller… Le grand écart le maintien en équilibre.  Et voilà l’acteur habillé en monument du cinéma français avec ses multiples décorations en bandoulière (prix d’interprétation cannois, deux César, des titres de chevalier et d‘officier de l’ordre des Arts et des Lettres…).  

D’après les critiques de PREMIERE 

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STELLA EST AMOUREUSE

En 2008, Sylvie Verheyde réalisait son troisième long-métrage, Stella, beau portrait autobiographique d’une collégienne qui traîne son enfance dans le bistrot de ses parents, en banlieue parisienne. Stella a grandi, est en Terminale, on est en 1985. La jeune fille confie ses nuits aux Bains Douches, une boîte de nuit parisienne, où elle rencontre un garçon qui lui fait tourner la tête. De quoi oublier ce qu’il se passe à la maison : son père (Benjamin Biolay) parti avec une jeunette, le désespoir nicotiné de la mère (Marina Foïs), obligée de revendre le bistrot et, bientôt, la différence de classe qui creuse l’incompréhension entre copines.

 Avec beaucoup d’intelligence, la cinéaste évite tous les poncifs du film sur la fête (addiction à l’alcool et aux drogues) pour ne garder que la vitalité du sentiment de son héroïne et l’irrésistible ivresse que procure la vie nocturne. Et si le film parle d’amour, c’est pour mieux raconter l’émancipation de Stella qui, bien qu’amoureuse, n’en perd pas totalement sa lucidité ni son indépendance.

De cette trajectoire surgit une ambition pas si commune au cinéma, et encore moins lorsqu’il est raconté du point de vue d’une femme : montrer le désir comme une force libératrice et non comme une cage autodestructrice vivant aux dépens du regard masculin.

Magnifiquement interprétée par Flavie Delangle, gamine le jour et femme fatale la nuit, Stella a le redoutable âge des possibles, celui des choix et des désirs multiples, des découvertes et des déceptions, celui des premières fois, surtout… 

Le film sera cette attente, cette patience de vivre, à l’école, chez elle, par contraste avec l’intensité répétitive des nuits en boîte, au contact des mondes étanches qu’elle seule traverse, transfuge social, avec sa quête égarée de jeune fille : se sentir vivante, en se sentant amoureuse, accéder à l’anonymat d’une danse où tout devient possible.

Stella n’a pas accès à la parole, «donnée culturelle». Ce qu’elle ignore, elle préfère le taire. Cela explique et justifie l’emploi de sa voix intérieure, cette parole off qui est aussi celle de l’écriture, du récit de soi, qui lui ouvre la voie à l’expression de ce qu’elle ne dit pas, ne sait dire, en se laissant porter.

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MEDUSE

MEDUSE

De Sophie Lévy France 2022 1h26

   Avec Anamaria Vartolomei, Roxane Mesquida, Arnaud Valois, Léo Dussollier                                                

   Un huis clos envoûtant porté par un remarquable trio dacteurs.

Il y a vingt et un ans, Roxane Mesquida crevait lécran dans un film particulièrement dérangeant de Catherine Breillat « A ma sœur ». Le titre aurait été tout aussi pertinent pourl’étonnant premier long métrage de Sophie Lévy, MEDUSE, dans lequel lactrice interprète Romane, une commerciale entièrement dévouée à sa cadette, Clémence (Anamaria Vartolomei), restée hémiplégique et privée de la parole à la suite dun accident de voituredont Romane est sortie saine et sauve. Les deux sœurs vivent seules dans la grande maison isolée que leur a léguée leur grandmère, au cœur d’une forêt de pins.

Un soir Romane rentre tard chez elle en compagnie de Guillaume (Arnaud Valois) un pompier dont elle est tombée rapidement amoureuse. Le lendemain matin Guillaumecouvre une fille dans le salon : cest Clémence. Il va progressivement se sentir investi dune mission : lui redonner corps et vie. Son arrivée bouleverse ce huis clos. Guillaume vas’attacher à Clémence, persuadé que ses exercices de rééducation vont laider à retrouver la parole et lusage de ses jambes. Mais au fil du temps, le rapprochement et la complicité de Clémence et Guillaume vont devenir de plus en plus insupportables pour Romane.

Méduse est un film d’atmosphère envoûtant. Où la violence exacerbée des sentiments, sur fond de solitude, de culpabilité et de paranoïa, est nime dune lumière éthérée et de superbes couleurs d’automne.

Les références à la gorgone Méduse, cette figure de la mythologie grecque à la tête couverte de serpents et dont le regard transformait en pierre quiconque la regardait,  ponctuent habilement le récit, comme dans les plans récurrentsles chevelures de Clémence et de Romane semblent se mêler inextricablement. Lambiguïté de leur relation fusionnelle, entre complicité et rivalité plus ou moins fantasmée, est incarnée avec brio. Roxane Masquidaimpressionne autant dans la dureté que dans la vulnérabilité, et Anamaria Vartolomei, dans un rôle encore plus éprouvant que celui de sa partenaire, confirme, un an après LEvènement,dAudrey Diwan, quelle est lune des actrices les plus prometteuses de sa génération.

Daprès les critiques de TELERAMA

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R.M.N

R.M.N.

De Cristian Mungiu

Avec Marin Grigore, Judith State, Macrina Bârladeanu

R.M.N. signifie Rezonanta Magnetica Nucleara (en français I.R.M.), scanner cérébral qui tente de détecter des choses sous la surface. Ce titre éloquent pourrait entrer en résonance avec toute l’œuvre de Cristian Mungiu, l’un des plus grands cinéastes roumains (et mondiaux), chacun de ses précédents films (le dernier en date étant le formidable Baccalauréat) analysant avec précision un aspect de la société roumaine. Cette fois-ci, à travers l’observation d’une petite ville de Transylvanie, il entreprend de diagnostiquer les maux dont souffrent de plus en plus de pays au coeur même de l’Europe. Cette région, disputée autrefois entre Roumains et Hongrois, habitée par les Roms, occupée par les Saxons, par son histoire multiethnique et multiculturelle, est en perpétuelle tension, creuset de mouvements nationalistes réveillant les passions xénophobes à chaque élection.
Matthias, Rom parti travailler en Allemagne, s’enfuit après s’être battu pour avoir été traité de « sale gitan » et revient dans son village natal en Transylvanie. Il y retrouve son fils qui n’arrive plus à parler, victime d’un choc psychologique causé par quelque chose qu’il a vu dans la forêt. Il y revoit aussi son ex-petite amie qui dirige une boulangerie industrielle. Elle touche des subventions européennes pour pratiquer le dumping social, maintenir les salaires au plus bas, et les travailleurs locaux ne veulent pas travailler pour une misère. Aussi vient-elle d’embaucher des ouvriers srilankais, provoquant des tensions dans le village par cette mise en concurrence. Matthias, plus préoccupé par sa survie et celle de son fils, va se retrouver au coeur d’une crise qui mettra chacun face à ses propres lâchetés, hypocrisies vis à vis de soi-disant valeurs, chacun parlant sa propre langue, hongrois, roumain, allemand… et même français, un Français se trouvant aussi dans cette bourgade de moins en moins paisible, missionné pour compter les ours. Car la Transylvanie est aussi connue pour receler dans l’obscurité de ses forêts de nombreuses bêtes sauvages (les habitants revêtant même des peaux d’ours lors de fêtes traditionnelles).

Chaque langue, chaque personnage, chaque religion, chaque élément du récit entre en résonance avec les autres, avec le monde, avec au centre cet enfant mutique face aux ours sauvages tapis dans les profondeurs de la forêt.

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Butterfly Vision

BUTTERFLY VISION

Film de Maksym Nakonechniy – Ukraine – RépubliqueTchèque – Croatie – Suéde – 1h47

Avec Rita Burkovska, Lyubomyr Valivots, Myroslava Vytrykhoska, Makar…

Lilia, experte en reconnaissance aérienne, retrouve les siens en Ukraine après plusieurs mois en  captivité dans le Dombas. Les médias veulent lui arracher des commentaires, elle doit subir des examens physiques, sa mère et petit ami tentent de percer le mystère de son calme étrange… L’horreur est, en fait, ancrée en Lilia : la jeune fille se découvre enceinte à la suite de viols qu’elle a subi dans les geôles russes. Alors qu’elle hésite à avorter, son petit ami, sous le choc, rejoint un mouvement d’extrême droite…

Comment se reconstruire quand la violence couve aussi à domicile, dans une Ukraine que le réalisateur et sa coscénariste n’hésitent pas à montrer tiraillée par des conflits internes ? Ce premier long métrage impressionnant capte le traumatisme de guerre sans aucune complaisance, et l’analyse dans ses conséquences intimes. Les souvenirs de Lilia remontent sous forme de cauchemars surréalistes et d’images pixellisées, comme filmées par un appareil de reconnaissance défectueux, cassé par l’ennemi. Ces sautes d’images tranchent avec le beau naturalisme de l’ensemble, tels des bugs invisibles aux yeux des proches. A la dévastation de Lilia, le film oppose donc une déchirure sociale, à travers le personnage du petit ami qui s’adonne à des exactions contre les Roms en tenue paramilitaire. Butterfly Vision s’impose ainsi comme le magnifique portrait d’une femme en terrain hostile, héroïne de sa propre libération, silhouette butée fuyant le statut de victime. Dans ce rôle, Rita Burkovska impose un mystère insondable, une distance presque gracieuse. Comme un papillon indestructible face aux horreurs de la guerre. TELERAMA .

La guerre encore plus monstrueuse à l’égard des femmes, elles sont la proie de toutes les perversités humaines, leur corps étant convoité pour la jouissance macabre qu’il augure chez l’ennemi. Le réalisateur ne fait pas un film partisan. Il adopte un point de vue très digne, très dépouillé jusqu’au choix d’une image sombre, sans filtre. Les examens médicaux subis sont regardés de loin, derrière un panneau, comme s’il ne fallait pas répéter l’outrage que son corps a déjà subi. Le passé monstrueux de la jeune femme resurgit par saccades, mais Marksim Nakonechniy refuse d’ostraciser les tortures qu’elle a connues (cicatrices profondes à la place des tatouages qui habillent ses bras et son dos). La suggestion est la voie la plus appropriée pour dessiner les contours de l’indignité, de l’humanité et de l’ignominie. Le réalisateur ne rajoute pas du drame au drame. Il regarde son personnage avec ses démons, ses blessures; il le tient à distance de la caméra, comme si à travers la comédienne magnifique qui incarne ce personnage brisé, il fallait encore plus de recul et de respect pour envisager les corps féminins.

Butterfly Vision est beaucoup plus qu’un film de cinéma. C’est une œuvre qui témoigne de toutes les blessures laissées par la guerre et de la difficulté, voire l’impossibilité de retrouver une existence paisible. Le nationalisme et le racisme contre les communautés Roms se mêlent à ce récit tragique, rappelant à nos consciences que la ligne du bien et du mal est de loin aisée à tracer. CLUB A VOIR A LIRE .

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Jeunesse en sursis

JEUNESSE EN SURSIS

De Kateryna Gornostai

Ukraine/ 2H02/ VOST

Titre original Stop-Zemlia (jeu enfantin ukrainien)

Ours d’argent à Berlin 

Pour son premier long métrage, la jeune réalisatrice ukrainienne Kateryna Gornostai livre une chronique lycéenne remarquable de sensibilité, un portrait de groupe dominé par les doutes et les interrogations d’où émerge un trio d’amis  inséparables, et en particulier Masha, jeune femme amoureuse et un peu perdue, 

Kateryna Gornostai a tenu à impliquer ses jeunes comédiens, issus d’un vaste casting sauvage, dans la construction de leurs personnages. En résulte un sentiment de vérité qui, par contraste, confère beaucoup de force à leurs faiblesses. 

Le sentiment amoureux, l’amitié, l’avenir, les parents, la culpabilité, la solitude, l’anxiété,  autant de sujets abordés face caméra, petites parenthèses dans le récit où la réalisatrice pose à ses personnages (et/ou à leurs interprètes) des questions intimes. Ces séquences improvisées tirent le film vers le documentaire, augmentant le récit d’une épaisseur sociologique.

Bien que tourné avant l’invasion du pays par les troupes russes, il est difficile de ne pas penser à la guerre comme terrifiant hors champ qui attend ces personnages, de ne pas penser à ces actrices et acteurs en herbe dont l’avenir s’est brusquement obscurci, renvoyant le cinéma loin de leurs préoccupations. 

 Jeunesse en sursis est le dernier film ukrainien à avoir conquis les salles de son pays avant l’invasion russe. 

Ce beau portrait de groupe est d’autant plus touchant qu’il se tient en équilibre dans un monde aujourd’hui ravagé.

 Une plongée juste et sensible dans un quotidien « en sursis ».

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Tout le monde aime Jeanne

Si l’on s’habitue à voir Blanche   Gardin au cinéma, jamais un film n’avait été autant centré sur elle, et plus encore sur l’univers de ses stand-ups. Dans son premier long-métrage, Céline Devaux explore la dépression inavouée que traverse Jeanne, confrontée à la fois au suicide de sa mère, à l’effondrement de sa vie professionnelle et à un désert affectif ; en somme, à cette crise de la quarantaine dont l’humoriste parle tant dans ses truculents spectacles. « Tout le monde aime Jeanne » : c’est selon Jean (Laurent Laffitte) ce que les garçons se racontaient au lycée. Il faudrait toutefois ajouter : tout le monde, sauf Jeanne elle-même, tant cette dernière s’autodéprécie. La dynamique psychologique du récit repose sur cette opposition structurante entre l’intériorité du personnage principal et l’extérieur, qu’il s’agisse du regard des autres (louant par exemple la beauté de Jeanne qui se juge pourtant sexuellement périmée) ou des espaces traversés. La quasi intégralité du film se déroule sous le soleil de Lisbonne, dont les aplats de couleurs vives sont valorisés par la photographie d’Olivier Boonjing, qui pousse jusqu’au bout une logique antiromantique de disjonction entre l’émotion du personnage et les paysages contemplés : pour Jeanne, sa dépression est encore plus insupportable du fait que la beauté du monde semble l’enjoindre à être heureuse.

Ce goût du contraste s’exprime notamment dans le mélange d’animation et de prises de vue réelles : les personnages et les formes créés par le dessin expriment avec fluidité la vie intérieure de la quadragénaire. Plutôt inventif, ce dispositif a cependant un revers : filmées parfois avec moins de rigueur, les séquences en live paraissent en comparaison plus fades. Leur intérêt se loge ailleurs, dans l’usage iconoclaste que le film fait de la voix off. Plutôt que de faire entendre celle de Blanche Gardin, la bande sonore est tapissée de voix étrangères qui résonnent dans la tête de Jeanne, combinant la première personne à la seconde, le tutoiement au vouvoiement. Pour transcender le malheur ordinaire des personnages, le film s’appuie sur le brio comique de ses deux acteurs principaux. Le rire se meut ici en énergie du désespoir : c’est la touche Gardin. Mais ce geste libérateur s’appuie également sur le couplage des deux registres plastiques, la simplicité enfantine des dessins de la cinéaste retournant en tendresse l’épuisement qu’éprouve Jeanne face à ses névroses. C’est la touche Devaux.

d’ après la critique de Critikat ( film presenté à la semaine de la critique à Cannes 2022)

 

 

 

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FLEE

FLEE

Jonas POHER RASMUSSEN – film d’animation Danemark 2021 1h29mn VOSTF – Scénario de Jonas Poher Rasmussen et Amin Nawabi (le protagoniste de l’histoire)89 prix dans moult festivals du monde entier, on n’essaiera même pas de commencer à les citer.

Du 31/08/22 au 20/09/22

FLEECe formidable, ce passionnant Flee prouve une fois de plus que l’animation est un merveilleux mode d’expression pour raconter la marche du monde et traduire au plus juste les comportements, et les sentiments de celles et ceux qu’elle emporte, qu’elle bouscule, souvent sans ménagement. Ces dernières années ont été riches en exemples de la force incomparable de ce qu’on n’appelle plus le « dessin animé », tant l’expression était limitative : on ne citera que Valse avec Bachir d’Ari Foldman, ou les tout récents et très remarquables Josep d’Aurel, succès bien mérité, et La Traversée de Florence Miailhe, à l’inverse injustement boudé. Autant de réussites incontestables qui créaient un univers, faisaient naître des émotions inaccessibles à des films en prises de vues réelles.
Flee du danois Jonas Poher Rasmussen s’inscrit dans la droite ligne de ces grandes réussites. Le réalisateur a demandé à son ami d’origine afghane Amin, désormais universitaire au Danemark, de se confier sur son passé : son enfance, son adolescence, la fuite de son pays natal, le long chemin qui l’a mené jusqu’en Europe. Se confier est bien le mot : il fait s’allonger Amin, sur un divan, tel un psychanalyste, pour que celui-ci, les yeux fermés, puisse se plonger dans ses souvenirs et commencer un récit qui renferme évidemment bien des souffrances enfouies.

Tout commence pourtant dans la joie et la couleur, au milieu des années 80, alors que le jeune Amin, âgé d’à peine dix ans, parcourt insouciant Kaboul, walkman sur la tête, écoutant l’incontournable Take on me du groupe norvégien A-Ha. La guerre entre les moudjahidines et le gouvernement prosoviétique a commencé depuis quelques années mais n’a pas encore affecté les habitants de la capitale. Et Amin nage dans l’amour de ses parents, de sa mère qui sait si bien lui caresser les cheveux, et dans la passion très occidentale de la pop et des films de Jean Claude Van Damme… Puis tout va s’assombrir avec l’arrestation arbitraire du père, qui a déplu au régime, et rapidement la chute de Kaboul qui pousse la famille à fuir et à s’installer dans la Russie post soviétique en plein effondrement, ravagée par la corruption et la violence de sa police. La suite raconte magnifiquement l’adolescence, le passage à l’âge adulte, la blessure de l’exil, les traumatismes inextinguibles du passé, et la découverte de l’homosexualité au sein d’une culture familiale qui ne peut l’accepter que difficilement.
Le récit d’Amin, voix entêtante et omniprésente, est bouleversant, et les possibilités quasi-infinies qu’offre l’animation en traduisent merveilleusement les changements humeur et de ton. Aux couleurs chatoyantes de l’enfance sous le soleil de Kaboul vont succéder des aplats presque abstraits de noir, blanc et de gris dans la confusion de l’exil en Russie puis lors de la tentative de fuite vers la Suède. Auxquels se mêlent, en un contrepoint génialement absurde, les archives télévisuelles souvent totalement décalées par rapport aux réalités vécues par Amin.

Les jurys de nombreux festivals du monde entier ont été enthousiasmés puisqu’ils ont décerné, fait assez incroyable, pas moins de 89 prix au film !

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Sundown

CINE CIMES                    Semaine du 22 au 27 septembre                                         

Université Populaire Sallanches-Passy

SUN DOWN

Film de Michel Franco – Mexique, France, Suède -1h23

Avec Tim Roth, Charlotte Gainsbourg,Iazua Larios…

 

 

On ne sait pas vraiment ce qu’il pense, Neil qui reste en vacances au Mexique en dépit du bon sens. Et peu à peu, l’intrigue se corse…

Est-il bête ? Souffre t-il d’un handicap? Ou bien a-t-il atteint le degré ultime du je-m’en-foutisme ?

Neil (Tim Roth, formidable d’opacité traînarde) ne fait pas particulièrement la tête, il lui arrive même de sourire. Mais il parle à peine et passe la plupart du temps à picoler, en bullant au bord d’une piscine de rêve ou sur la plage d’Acapulco ; Il est en train de se la couler douce dans un hôtel de luxe, avec ses proches, lorsque l’annonce brutale du décès d’un membre de la famille les oblige à partir d’urgence. Sauf qu’à l’aéroport Neil prétexte l’oubli de son passeport pour ne pas décoller avec eux. 

Que dissimule ce monstre apparent d’indifférence ?

Au moins deux révélations vont éclairer après coup sa décision. En partie. Une fois qu’on en sait un peu plus sur l’ectoplasme, on continue de buter sur un bloc impénétrable. Qui est aussi une page blanche, sur laquelle on peut tout projeter, y compris – c’est l’hypothèse haute – le symbole d’un homme en crise profonde, métaphysique. Neil est une sorte de mort en sursis, alors il franchit des frontières, passant notamment du monde des nantis à celui du peuple . 

Après avoir rebroussé chemin seul de l’aéroport, il s’installe un moment dans un petit hôtel bon marché, fréquente une plage bondée, fait la rencontre d’une jeune et jolie Mexicaine. On pourrait croire à une parenthèse enchantée. Rien n’est pourtant sûr ni paisible ici, la violence peut jaillir à tout moment. 

Et jusqu’au bout, Neil fascine. Comme l’homme ayant atteint le point de non retour.

Michel Franco parvient à créer du suspense, une très grande tension, grâce à son extraordinaire gestion de la durée, sa maîtrise du non-dit, construisant patiemment une sorte de puzzle existentiel, gorgé d’humour noir, et porté par la puissance d’incarnation d’un Tim Roth vraiment génial.

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