Ciné Mont-Blanc
A ne pas rater !!
/!\ Le prochain Coup de Coeur Surprise aura lieu le Lundi 3 Mars 2025 à 20h 00. A l’issue de la projection, nous vous proposons de nous rejoindre afin d’échanger vos impressions.
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Toute l'équipe Cinécimes vous souhaite une excellente année cinéphile !!
Archives : Archives films
Perfects Days
PERFECT DAYS
Film de Wim Wenders – Japon , Allemagne – VOST – 2h03
Avec Koji Yakusho, Min Tanaka, Arisa Nakano
Perfect Days , le nouveau film de Wim Wenders ( « Les ailes du Désir, Paris Texas » ) a de quoi surprendre et déstabiliser ! Il narre l’histoire d’un tokyoïte dont le travail est de récurer les toilettes de la capitale nippone.
Jour après jour, l’homme se lève, prend son petit-déjeuner, arrose ses bonzaïs, se rend à son travail, termine sa journée aux bains publics, puis au bar du coin avant parfois d’aller acheter un livre dans sa librairie préférée.
Cette construction journalière méthodique, Wim Wenders viendra par trois fois la conter avec un personnage principal quasiment mutique .Sous les traits de l’excellent koji Yakusho, laureat du Prix d’Interprétation Masculine Cannois 2023 pour ce rôle tout en finesse, Hirayama n’est pas muet, juste pas bien bavard, contrairement à son collègue qui le seconde sur le nettoyage des sanitaires nippons : des lieux qui sont une vraie institution au pays du soleil levant… et qui font figure de seconds rôles dans le film de Wim Wenders. Ce dernier semble être totalement fasciné par leurs différentes architectures et le lieu de vie qu’ils constituent au Japon (on y laisse des petits jeux sur papier).
Ce quotidien, qui est l’essence même du film, est parfaitement montré et distillé grâce à un montage vraiment habile et qui annihile tout ennui.
Mais le film est loin de se résumer à un documentaire sur les sanitaires nippons.
Le long-métrage (deux heures dont on ne ressent jamais le poids de la monotonie) va analyser la vie d’Hirayama, un homme pas aussi simple que ne semblait le laisser croire les premières scènes du film. Au fur et à mesure du récit, Wenders explore les liens que celui-ci noue avec tout son entourage : les clients, ses collègues, les commerçants, sa nièce, sa sœur. On découvre alors un homme à la fois ordinaire et complexe, drôle et attachant. Et le métrage de célébrer sa bienveillance , sa bonté et sa générosité. Une personnalité et une conduite qui apportent tant de sérénité à l’intéressé qui jouit de la vie grâce à de petits plaisirs. On dit que le bonheur est quelque chose d’intime. A chacun de trouver comment être comblé de bonheur.
Hirayama trouve aussi le bien-être dans la photographie, la lecture, des standards du rock sur cassettes audio (on se délecte des chansons des Rolling Stones, de Patty Smith, Lou Reed ou encore Otis Redding) et même – plus délicat – dans l’éloignement de certains problèmes familiaux que l’on devine.
Wenders nous donne à voir les choses différemment et refuse de juger l’homme pour ses choix, ce dernier les assumant complètement. Que reprocher à celui qui ne recherche qu’à vivre ses jours parfaits ?
Perfect Days est de ces films sensibles et poétiques qui vous touchent en plein cœur.
Critique ABUS de CINE
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Pierre Feuille Pistolet
PIERRE FEUILLE PISTOLET
De Maciek HAMELA, documentaire, Pologne/France /Ukraine-VOST. 1h24.
Le cinéaste polonais donnait, avec son van de huit places, un coup de main pour véhiculer des amis fuyant les bombardements russes qui débutaient. Puis il a enchaîné les trajets et les rencontres pour les victimes d’une guerre aussi soudaine que monstrueuse. Il a parcouru plus de cent mille kilomètres sur les routes d’Ukraine et a décidé de laisser une trace des échanges, confessions, larmes parfois rires sur la banquette du van en route vers l’exil. Sasha, 34 ans, s’excuse mais sa fille Sanya, petit bout de 5 ou 6 ans, ne parle plus depuis qu’un missile est tombé à quelques mètres de la maison, blessant grièvement son frère. Ewelina, 21 ans, est avec sa maman de 38 ans et son bébé. Cette mère porteuse espère se rendre à Paris, où l’attend la future famille de l’enfant. Elle doit se débrouiller seule, la clinique où elle était suivie n’existant plus. Ou encore une grand-mère réconfortée par ses petits-enfants lorsqu’elle évoque, la larme à l’œil, la ferme familiale, les vaches abandonnées. La caméra frontale capte le récit de ces témoins. C’est la survie dans ce huis clos, et la guerre dehors. Et Sofia, gamine malicieuse de 7 ans, propose une partie de Pierre- Feuille-Ciseaux…
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Little Girl Blue
Réalisatrice Mona Achache
France / 1H35
Avec : Marion Cotillard, Mona Achache, Marie Brunel
Entre documentaire et auto-fiction, Mona Achache fait le vibrant portrait de sa mère, Carole Achache, qui fut romancière, mais aussi photographe de plateau (pour Sautet, Losey, Tavernier…) et des femmes de sa famille accablée d’une étrange malédiction. Marion Cotillard y livre une composition inouïe.
Entre malaise et curiosité, Mona Achache exhume, quelques années après son suicide à 63 ans, l’histoire de sa mère. Son beau film s’ouvre sur une montagne de documents : des lettres, des photos, des carnets, éparpillés dans un appartement et progressivement épinglés au mur par la cinéaste. C’est le chaos. Puis elle remonte le fil. Et très vite, le chaos laisse place au vertige. Le récit familial devient celui d’un trauma qui va se recomposer sur trois générations et que chaque femme transmet à la suivante. Pour conjurer ce cycle infernal, la réalisatrice décide donc d’en effectuer l’archéologie et choisit de faire revivre sa mère.
Marion Cotillard entre alors en scène et se transforme devant la caméra, jean, perruque, cardigan, bijoux, lunettes…, jusqu’à composer un portrait presque parfait de Carole Achache, et se raconter…Son enfance, fille très aimée par sa mère Monique Lange, l’emprise de Jean Genet, consentie par cette même mère, puis la drogue, le sexe, la nécessité d’écrire, les refus des éditeurs, la tentation d’en finir…Plongée dans un microcosme intellectuel des années 60/70 , folle envie de liberté…
A travers Marion Cotillard, le film est aussi le plus incroyable témoignage sur un travail d’actrice, elle a visionné pour interpréter ce personnage des heures de pellicules, écouté des dizaines d’interviews, elle pousse la perfection jusqu’à modifier sa voix en utilisant le tabac….Elle incarne littéralement cette mère, et nous fascine…
D’après Première et Télérama
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Googbye Julia
« Goodbye Julia » aura représenté un des évènements de l’édition 2023 du Festival de Cannes. Non pas tant pour le Prix de la Liberté que le film a reçu au sein du Certain Regard, mais parce qu’il représente la première incursion du Soudan en sélection officielle. L’œuvre s’ouvre sur des couleurs chaudes, en 2005, à une époque où le pays était unifié, au sens qu’il ne formait qu’un État. Mais sa population était, elle, bien divisée, entre le Sud à majorité chrétienne, et le Nord principalement musulman. Pour ceux qui suivent les actualités internationales, le sort du pays ne sera pas une surprise, un référendum de 2011 aboutissant à l’indépendance du Sud, et l’année 2023 ayant vu l’émergence d’une guerre sanglante initiée par des généraux avides de pouvoir.
Si le métrage esquisse en creux les troubles de cette terre d’Afrique du Nord-Est, il se concentre bien plus sur son duo de protagonistes, Mina et Julia. La première est une ancienne chanteuse ayant abandonné la musique pour satisfaire son mari, se contentant de sa vie bourgeoise dans les quartiers huppés. La seconde vit dans la même région, mais dans un secteur nettement moins privilégié. Avec ses origines sudistes, on lui rappelle d’ailleurs régulièrement à quel point elle est par essence inférieure à ses voisins aux racines différentes. La rencontre entre les deux n’aurait ainsi jamais dû se produire, mais un triste événement va amener Mina à embaucher Julia comme employée de ménage, avant qu’une amitié réelle ne naisse entre elles.
Pour son premier passage derrière la caméra, Mohamed Kordofani, ancien ingénieur, fait preuve d’une certaine aisance, en particulier dans sa manière de mêler l’intime aux troubles de cette société qu’il ausculte de loin. On sent les clivages sociaux, ce racisme systémique, mais le drame se joue ici ailleurs, au cœur d’un microcosme familial bouleversé suite à une tragédie. Les secrets s’immiscent, les faux semblants aussi, la culpabilité remonte. La tentation du pamphlet est balayée par la réalisation d’un portrait maîtrisé, à la fois chronique d’une amitié bouleversante et récit d’émancipation de deux femmes qui rêvent d’échapper à leurs conditions, peu importe qui leur impose leurs contraintes, « Goodbye Julia » demeure indéniablement un film à voir, aussi bien pour son sujet que pour la rareté de ce type de productions dans nos contrées hexagonales.
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L’enlèvement
L’enlèvement (Rapito), Italie, 2h 14 , VO
De Marco Bellocchio, avec Paolo Pierobon,Enea Sala,Leonardo Maltese
En 1858, dans le quartier juif de Bologne, les soldats du Pape font irruption chez la famille Mortara. Sur ordre du cardinal, ils sont venus prendre Edgardo, leur fils de sept ans. L’enfant, baptisé en secret, étant bébé, par sa nourrice inquiète pour le salut de son âme. La loi pontificale est indiscutable : il doit recevoir une éducation catholique. Il devient le protégé, autrement dit l’otage du pape-roi Pie IX. Ses parents d’Edgardo, bouleversés, vont tout faire pour libérer leur fils de l’endoctrinement qu’il subit à grand renfort d’Agnus Dei et de parties de cache-cache dans les jupes du Saint-Père. Soutenus par l’opinion publique de l’Italie libérale et la communauté juive internationale, le combat des Mortara prend vite une dimension politique. Mais l’Église et le Pape refusent de rendre l’enfant, pour asseoir un pouvoir de plus en plus vacillant…Au nom du fils perdu, le cinéaste embrasse le désespoir de ses parents lors de scènes déchirantes ponctuées par de grandes envolées musicales. Son lyrisme, jamais pompier, se double d’un éternel penchant pour l’onirisme, qu’il s’agisse d’Edgardo décrochant un Christ sanguinolent de sa croix ou de Pie IX rêvant que des rabbins viennent le circoncire de force dans la nuit. Mais la séquence où le pape oblige une délégation juive à ramper à ses pieds, tient, elle, d’un cauchemar bien réel.
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Lost in the night
LOST IN THE NIGHT
Film d’Amat Escalante – Mexique – 2023 – VOST – 2h
Avec Juan Daniel,Garcia Trevino,Barbara Mori,Ester Exposito…
En 2013, Amat Escalante signe Heli,un film choc aux images inoubliables dénonçant la violence aveugle de la police paramilitaire mexicaine sous prétexte de lutte contre le narco-trafic (prix de la mise en scène au festival de Cannes 2014). Deux ans plus tard, il tournait La Région sauvage qui explore une veine fantastique particulièrement fascinante.
Avec Lost in the night, le réalisateur confirme son talent en faisant brillamment la synthèse entre les deux. Même s’il n’est que suggéré dans un premier temps,l’aspect fantastique suinte dès les premières images du film, celles d’une intrigante maison contemporaine apparement abandonnée, posée entre désert et lac. On comprendra par la suite l’importance du lieu, qui va quasiment devenir un personnage à part entière de l’intrigue…Mais le récit commence vraiment dans une région centrale du Mexique, par une manifestation contre une mine géante que s’apprête à exploiter un consortium canadien, menaçant l’environnement et les emplois locaux. Une militante anime un débat public houleux, où interviennent en faveur de la mine des ouvriers ouvertement manipulés. Le petit groupe d’opposants quitte les lieux à la tombée de la nuit et comme on pouvait le craindre, son véhicule est intercepté par des paramilitaires : le chauffeur est assassiné et l’oratrice contestataire kidnappée. Rien que de très ordinaire dans un pays où la répression des militants écologiques est d’une brutalité sans limites et où l’impunité des policiers est totale.
Trois ans plus tard, Emiliano, le fils devenu adulte de la militante, désespéré de l’inaction totale des enquêteurs – qui ne se donnent même pas la peine de faire semblant de rechercher la disparue – tombe par hasard à l’hôpital sur un policier à l’agonie qui, peut être pris d’un remords ultime, livre au jeune homme une adresse. Sans autre explication.
Accompagnée de sa petite amie, Emiliano s’y rend, pour trouver, au milieu de nulle part, la demeure d’une famille riche et détonante : Rigoberto, un artiste provocateur, brutal et fantasque, son épouse Carmen, une pop star madrilène, ainsi que leurs enfants dont Monica, vedette adolescente et imprévisible sur instagram. Après quelques tergiversations, Emiliano réussit à se faire embaucher comme gardien de la luxueuse propriété…
On ne vous révèlera rien de ce que cachent les secrets de cette étrange famille , ni son lien avec la disparition de la mère d’Emiliano, mais le scénario remarquablement construit brosse un portrait de classe implacable, poussée à son paroxysme par le recours au fantastique qu’on évoquait plus haut. A travers une mise en scène d’une grande maîtrise, qui met en valeur la géométrie de la maison, l’austérité magnifique du désert, Escalante décortique les mécanismes de l’injustice sociale de son pays, sa violence systémique, ses dérives délirantes liées aux réseaux sociaux et à la vacuité de la célébrité, en même temps qu’il nous plonge dans un film noir sous tension permanente, travaillé par les instincts de sexe et de mort. Vraiment impressionnant !
Critique UTOPIA
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Viver mal, mal viver
Mal Viver et viver Mal :Semaine du 9 au 14 novembre 2023
Films portugais et français de Joao Canijo. Avec Anabela Moreira, Nuno Lopes, Leonor Silveira, Rita Blanco, Madalena Almeida (2 h 04, 2 h 07).
L’ensemble copieux composé par Mal Viver et Viver Mal, qui arrive sur les écrans français, précédé en réputation d’un Ours d’argent décroché lors de la Berlinale 2023, accole deux films siamois, autour d’un même lieu et d’un même faisceau d’événements.
L’action se situe dans un hôtel de luxe de la côte nord du Portugal, où se rendent touristes riches, parfois célèbres, pour lambiner quelques jours autour de la grande piscine extérieure. Le premier volet (Mal Viver) est consacré aux tenancières, dynastie de femmes – mères, filles, cousines – qui tiennent l’établissement à bout de bras, s’occupant qui de l’accueil, qui du ménage, qui de la cuisine avec une humeur saturnienne et détraquée qui inquiète tout le monde. L’arrivée surprise de sa fille Salomé (Maddalena Almeida) accroît la tension et renverse le statu quo du gynécée.
Le second volet (Viver Mal) investit le même continuum, mais cette fois du point de vue des clients : couple malade d’influenceurs aliénés, mères abusives ou vampiriques (dont l’impériale Léonor Silveira), enfants tiraillés ou désavoués. L’action centrale du premier volet devient l’arrière-plan du second, et inversement.
L’ensemble intrigue par sa spatialisation louvoyante et vénéneuse, ses cadrages sophistiqués, ses élégants jeux de distances et d’échelle. Canijo joue de la structure hôtelière comme d’un espace morcelé, intégralement dépliable, où chaque personnage circule dans une trame oppressante de lignes horizontales et verticales. Les parois expriment la séparation, les fenêtres allumées dans la nuit montrent les destinées parallèles.
Le monde décrit par Canijo, où règnent consternation, aliénation et frustration, est sombre. Reste le plaisir feuilletonnant, non négligeable, des vies qui s’entrecroisent, des points de vue qui se renversent, du ’hors-champ qui se prolonge. Mais la mécanique est froide et l’esthétique vitrifiée. La caméra regarde par la fenêtre, caresse les murs : on reste au seuil de ce film-auberge, maison d’architecte finalement peu accueillante.
D’après la critique du » Monde » Mathieu Macheret 11 octobre 2023
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Déserts de Faouzi Bensaidi
Déserts de Faouzi Bensaïdi, Maroc, 2h04, avec Fehd Benchemsi, Abdelhadj Taleb, Rabii Benjhaile. La Quinzaine des Cineastes, Cannes 2023.
Faouzi Bensaïdi nous avait déjà séduits avec Mort à vendre, il y a quelque temps (2011). Étonnant, Déserts nous embarque dans ses boucles narratives, bifurquant librement d’un genre à l’autre. Un film à la fois trépidant et contemplatif, à méditer.
Les déserts du titre, aux sens littéral et métaphorique, se superposent : deux employés d’une agence de recouvrement de dettes, Mehdi et Hamid (Fehd Benchemsi et Abdelhadj Taleb, excellents) sillonnent effectivement le désert. En eux, chez les pauvres gens qu’ils tentent d’intimider, de grands déserts affectifs, des manques, du vide. Le contraste entre le désert à perte de vue et l’absence de perspective des personnages, dans des existences bloquées, est saisissant.
La première partie du film fonctionne selon une mécanique comique très efficace, mélange de saynètes burlesques, absurdes, où les deux comparses échouent systématiquement à récupérer les sommes. Un tapis, une chèvre, une réconciliation entre un mari et sa femme, voilà les petits gains engrangés, bien insuffisants pour la rentabilité exigée.
Brusquement, le film effectue un virage, pour bifurquer vers le western. Les deux employés croisent la route d’un criminel, roi de l’évasion et le récit, lui aussi, s’évade. Comme si deux moitiés de film se faisaient soudain écho, à travers le vide du désert : on retrouve la carte, les figures de femmes autoritaires, le motif du tissage, et tant d’autres petits signes parsemés.
Petits cailloux dans le désert, pour aller nulle part en particulier. Avec style, le film résiste à tout enfermement, pour proposer une balade au sens noble. Du comique au drame, du roman à la poésie, Faouzi Bensaïdi s’autorise toutes les incursions. Loin du trajet balisé, le spectateur se trouve sans cesse surpris, d’une séquence à l’autre, par les trouées du récit, par les changements de ton, par les échappées poétiques. La musique, les incantations, les bribes de contes intriguent et charment. Car, pour reprendre les mots de Mehdi : “Les histoires n’existent pas, elles n’existent que par celui qui les écoute“. Ainsi de ce beau film, qu’il nous revient de faire exister et respirer en liberté.
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Fermer les yeux ,de Victor Erice
Fermer les yeux de Victor Erice avec Manolo Solo, Ana Torrent… 2h49
Croire encore au cinéma, ou ne plus y croire, c’est une des questions de Fermer les yeux, le nouveau film du très rare Victor Erice, cinéaste espagnol et fameux qui, sans s’arrêter complètement de tourner, n’avait pas fait de long métrage depuis le Songe de la lumière (1992). Avant ça, un par décennie, encore vibrants dans les mémoires cinéphiles.
Alors Erice de nos jours recommence, et Fermer les yeux commence comme un film. Dans une grande maison de village, au domaine de Triste-le-Roy, dans l’après-guerre, un certain M. Lévy, grand ours mal en point comme sorti d’un Buñuel, commandite à un détective une enquête pour retrouver sa fille élevée dans la Chine lointaine. On n’en saura pas plus, en tout cas pour l’instant : cette longue scène d’ouverture est non seulement un film dans le film, mais encore lui-même inachevé, au tournage interrompu, à l’orée des années 90, par la disparition soudaine et inexplicable de l’acteur, Julio Arenas, qui jouait le détective et le rôle principal.
On l’apprend parce que son auteur, Miguel Garay, cinéaste et écrivain désormais à la retraite, se retrouve, vingt-deux ans plus tard, à se remémorer ce moment clé de son passé, douloureux mystère, quand une émission de télé un peu sensationnaliste l’invite pour évoquer l’affaire du comédien envolé, son grand ami d’alors.
Les amples deux heures quarante-neuf de Cerrar los ojos donneront des indications sur leur histoire, le destin postérieur du réalisateur, depuis exilé vers le sud dans un coin bien planqué, et peut-être, après main coup de théâtre ou plutôt coup de cinéma, sur celui de Julio Arenas avant qu’il ait sombré dans l’oubli
La question d’y croire ou pas, est directement évoquée par Max, l’ami archiviste et cinéphile, qui conserve les quelques bobines du film inachevé, au moment où Miguel passe les récupérer pour les vendre à la télévision. Max se dit pratiquant mais pas croyant, alors que l’ex-cinéaste, de toute évidence, est encore croyant mais non pratiquant. Fermer les yeux navigue quelque part entre les deux. Il se montre à la fois pleinement capable d’exercer sur nous les splendeurs (les promesses, les plaisirs, les douleurs) d’un art encore possible à faire, et avec la fraîcheur qui s’impose, mais aussi , non, sans le déclarer mourant, finissant, d’époque ou d’âge d’or enfui, disparu sans laisser d’adresse ..
Quant à la mémoire ou l’oubli, thèmes moins méta de sa fiction, ils composent, du cinéaste, de sa pratique ou de sa croyance, une sorte d’autoportrait en deux directions, deux idéaux portés à des états extrêmes : celui qui se souvient trop et celui qui a trop oublié, l’hypermnésie et l’amnésie, l’art du passé et le silence radio du futur, le trop-plein du souvenir ou le trop libre de l’oubli.
Tout un film, tout un art du temps et du rythme, passe dans la tension entre ces deux pôles. La candeur et la rouerie, l’innocence et la ruse (entre foi et loi : croire, ou seulement pratiquer) de Fermer les yeux s’y mêlent et s’y confondent, fusionnant en un audacieux climax qui nous abandonne à la surprise avant de disparaître pour de bon.
D’après la critique de Libération 16 aout 2023
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Ama Gloria
De Marie Amachoukeli
Avec Louise Mauroy-Panzani, Ilça Moreno-Zego
Cléo, 6 ans, a des bouclettes, des lunettes, et l’énergie du bonheur. Surtout quand elle regarde sa nounou, Gloria, qu’elle adore – et c’est réciproque. Mais quand la petite orpheline de mère apprend que cette femme essentielle à son quotidien doit repartir au Cap-Vert pour l’enterrement de sa propre maman et s’occuper, enfin, de ses propres enfants, le cœur de Cléo se fend. C’est pas juste. Alors papa, pas très présent mais gentil bougre, promet qu’elle pourra la rejoindre pour les vacances d’été sur l’île de Santiago. Histoire d’une parenthèse initiatique au bord de la mer, et d’un nouvel apprentissage du deuil…
Franchement, on se demande comment Marie Amachoukeli (Party Girl, avec Claire Burger et Samuel Theis, Caméra d’or à Cannes en 2014) fait pour, à ce point, capter l’essence de l’enfance, et la substantifique moelle d’un lien inconditionnel, même (surtout ?) s’il n’est pas sanguin. La moindre image de ce film ultra sensitif respire l’amour dans sa plus touchante expression. Gloria fait découvrir son île à Cléo, lui apprend à nager – ce qui sera bien utile, un peu plus tard, lors d’une séquence aussi lyrique qu’alarmante –, la trimballe partout, de la plage où l’on écaille des poissons tout juste pêchés à son modeste logement où son fils, grandi sans elle, la rejette, tandis que sa fille est en passe d’accoucher. C’est une histoire d’amour en vases communiquants : la femme que Cléo veut rien que pour elle va devenir grand-mère, et la fillette souhaitera la mort de ce bébé qui lui « vole » la berceuse qu’elle pensait réservée à ses seules oreilles. C’est aussi un hommage, délicat, jamais démonstratif, à toutes ces émigrées rémunérées pour abandonner leur famille au profit d’autres.
Si Marie Amachoukeli puise cette authenticité émotionnelle dans ses souvenirs d’enfance, elle qui fut élevée par une nounou portugaise et souffrit de leur séparation, sa mise en scène devient hypnotique, aussi, par son parti pris d’une focale douce, à deux doigts des visages, qui donne à l’ensemble une beauté impressionniste, comme le point de vue d’une gosse un peu myope. Et dès que la cinéaste craint le cliché, elle choisit le dessin animé, pour pigmenter de couleurs rêveuses les souvenirs enfouis et les peurs secrètes de sa jeune héroïne. Bien sûr, la magie d’Àma Gloria vient, aussi, de ces deux actrices non professionnelles, la petite Louise Mauroy-Panzani (comment la réalisatrice a-t-elle pu lui tirer de tels sanglots ?) et Ilça Moreno Zego, d’origine cap-verdienne, si lumineuse et sereine. Sans oublier Arnaud Rebotini, le musicien électro, compositeur des musiques de films de Robin Campillo, parfait en père attendri, auquel Marie Amachoukeli offre, au son de la chanson de Nilda Fernandez Mes yeux dans ton regard, un slow à pleurer.
Télérama, Guillemette Odicino
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