De Régis Warnier – Cambodge, Belgique, France – 2014 – 1h35
Avec Raphaël Personnaz. Kompheak Phoeung…
Cambodge 1971
Alors qu’il travaille à la restauration des temples d’Angkor, François Bizet,
ethnologue français, est capturé par les Kmers rouge. Détenu dans un camp perdu
dans la jungle, François Bizet est accusé d’être un espion de la CIA. Sa seule
chance de salut convaincre Douch, le jeune chef du camp de son innocence. Tandis
que le français découvre la réalité de l’embrigadement des Kmers rouge, se
construit entre le prisonnier et son geôlier, un lien indéfinissable.
On ne se remet jamais de devoir sa vie à un bourreau. D’avoir échappé à la mort
par le bon plaisir d’un tueur de masse. Lorsqu’il est libéré après quatre mois
de captivité dans la jungle cambodgienne, François Bizet s’entend dire par son
gardien, »Grace à moi, ta fille aura un père qui l’aura vue grandir ». Cette
phrase il ne l’oubliera jamais.
Critique
On ne se remet jamais de devoir sa vie à un bourreau. D’avoir échappé à la mort par le bon plaisir d’un tueur de masse. Lorsqu’il est libéré, après quatre mois de captivité dans la jungle cambodgienne, François Bizot s’entend dire par son gardien : « Grâce à moi, ta fille aura un père qui la verra grandir. » Cette phrase, il ne l’oubliera jamais. Toute cette aventure, il la décrira, des années plus tard, dans deux livres : Le Portail et Le Silence du bourreau…
En 1971, Bizot a 31 ans. Ethnologue, il étudie depuis des années la culture khmère, il s’est marié avec une Cambodgienne. Un jour qu’il revient d’un temple, il se fait arrêter, avec son collaborateur et un tout jeune dessinateur, par des révolutionnaires communistes. Il passe des jours et des jours, enchaîné, dans un camp que dirige un petit chef idéaliste, mais déjà fanatique, surnommé Duch. Celui-là même qui dirigera, plus tard, le plus grand centre de torture de Phnom Penh : le cinéaste Rithy Panh (coproducteur de ce film) retracera son ascension et sa chute dans S21, la machine de mort khmère rouge (2003) et Duch, le maître des forges de l’enfer (2011).
Régis Wargnier, lui, filme les prémices de la terreur. Un duel dans la jungle, silencieux, fascinant, indéchiffrable. A chaque instant, Duch pourrait liquider son petit Français, colonialiste et présumé espion. Il ne le fait pas. Est-ce parce qu’il le sait innocent ? Parce qu’il le découvre digne dans les épreuves qu’il lui fait subir ? Ou parce qu’il est le seul à la ronde à pouvoir l’entendre justifier sa mission révolutionnaire en récitant Alfred de Vigny : « Gémir, pleurer, prier est également lâche. Fais énergiquement ta longue et lourde tâche » ?… Bizot ne lui facilite rien : par l’entremise d’un paysan, il essaie de faire passer une lettre à sa femme. Il tente de s’enfuir. En dépit de tout, Duch défend son protégé. Contre ses subordonnés. Contre ses supérieurs, dont un certain Pol Pot… C’est cette bizarrerie qui intéresse Régis Wargnier. C’est ce mystère qu’il cerne. Sa mise en scène rend tout singulier : les liens, visibles et invisibles. Et les lieux, apparemment sereins, où le mal envahit les cœurs purs : cette petite fille dont les khmers ont tué le père, notamment, qui s’en va, une nuit, non pour secourir le Français, prisonnier comme elle, mais serrer jusqu’à lui faire mal, l’entrave de sa jambe…
Après la libération du héros, on assiste à l’évacuation de l’ambassade française de Phnom Penh. A l’arrachage, sur un pont, par les khmers rouges, de l’épouse de François Bizot, ramenée de force chez les siens : scènes spectaculaires dont Régis Wargnier est coutumier (Indochine), mais qu’il n’avait pas si bien réussies depuis longtemps.
L’essentiel, cependant, et jusqu’au bout, demeure l’affrontement entre Duch (Kompheak Phoeung, impeccable) et Bizot (Raphaël Personnaz, très loin des beaux mecs fades qu’on lui fait généralement jouer). Le rapport presque sado-maso qui unit, malgré eux, ces deux hommes. D’où cette scène incroyable, où Duch, incarcéré après la chute des khmers rouges, appelle son « ami français » comme témoin à décharge, lors de son procès à venir. Bizot refuse de témoigner pour Duch, mais accepte de le rencontrer une dernière fois. Régis Wargnier montre, alors, des mains qui se serrent à contrecoeur, des regards qui fuient et des questions sans réponse sur le mal aveugle et le pardon impossible. Entre ces deux survivants troubles, il filme l’inexpliqué. —
Pierre Murat – Télérama