De Jean-Pierre Duret et Andréa Santana – Documentaire français – 1h30
La France compte de plus en plus de travailleurs pauvres. Tourné à Givors, ce documentaire dresse le portrait de ces « invisibles » : rapport au travail, survie au quotidien grâce au Secours populaire, etc… Il y a le combat – au pied de la lettre – d’Eddy, jeune boxeur et il y a les autres, les précaires permanents, les chercheurs d’emploi chronicisés. Sans pathos, les réalisateurs constatent. C’est effrayant, mais le courage et l’espoir subsistent.
Documentaire présenté par l’association « Sallanches autrement »
Critique
Un magnifique témoignage d’humanité envers la France des « assistés », une misère stigmatisée par certains politiques, qui prend ici la forme d’un combat pour la dignité qui émeut.
L’argument : Aujourd’hui, pour plus de 13 millions de Français, la vie se joue chaque mois à 50 euros près. Derrière ces statistiques, se livrent au quotidien des combats singuliers menés par des hommes et des femmes qui ont la rage de s’en sortir et les mots pour le dire. À leurs côtés, des bénévoles se donnent sans compter pour faire exister un monde plus solidaire.
Notre avis : La crise fait du cinéma documentaire d’aujourd’hui le miroir d’une société qui aime fustiger les blessés au sol, toutes les victimes d’un système dont on tend à essayer de nous convaincre aujourd’hui qu’il est fait pour fabriquer de l’emploi et non pour le détruire à force de réduction de personnel et de délocalisation. Après l’expérience émotionnelle et le choc esthétique Au bord du monde, qui réfléchissait l’image des sans-abris au cœur des splendeurs de la capitale française, voici que sort un mois après Se battre.
Ce documentaire s’intéresse aux autres laissés-pour-compte de la société de consommation, ceux qui sont bannis du système, stigmatisés car dépendant de l’Etat. Or, si ce n’est pas dit dans le film, il est important de rappeler qu’il est de bon ton, en 2014, voire même politiquement correct, de taper sur les doigts des dits assistés, dépeints parfois comme des fainéants qui profitent du labeur des autres, des êtres inutiles, des bons à rien, des parasites… Sur les plateaux de télévision, l’on entend beaucoup souhaiter rendre obsolète le concept d’Etat-providence qui ne peut plus subvenir aux besoins grandissants des précaires. La dette de l’Etat est une obsession… Tout en soulignant qu’il faut mieux armer les entreprises. On connaît le discours.
Se battre montre une situation réelle. Des Français que les plaintes silencieuses n’envoient pas au sport d’hiver, quand d’autres sont amers de voir les impôts ou les charges grimper, mais continuent de jouir de tous les avantages de la société. Les huit précaires de Givors suivis par les deux documentaristes sont dans l’immobilité, comme 13 millions de Français, d’après des dernières statistiques. Ils voient la société filer très vite. Ils l’aperçoivent d’une rive où ils ont échoué à nourrir des oiseaux… Ces voitures qui vont et viennent entre lieu de consommation, de travail et de domiciliation, ils les observent, mais ne prennent pas vraiment part à cet élan collectif. Avec quelques euros pour subvenir à leurs besoins par jour, leur vie sociale est inexistante, ils se sont soustraits progressivement de la socialisation que permet le statut d’actif. Ils se replient dans la solitude la plus lugubre, avec clairvoyance quant à la vie qu’ils auraient pu avoir ou qu’ils ont jadis eu.
L’échantillon de protagonistes du film se veut représentatif de l’état de délabrement d’un certain modèle industriel. Certes on n’y exprime pas toutes les aigreurs, les rancœurs que l’on peut très bien entendre chez les malheureux également, mais on y démontre une réalité qui met à mal les théories insupportables sur ces chômeurs ou assistés qui sont dans cette situation de précarité parce qu’ils le veulent bien. Dans une ville qui dysfonctionne, la quête d’un emploi devient ici chose impossible, alors que le coût de la vie, lui, grimpe. L’épicerie sociale où l’on est soulagé de trouver quelques produits essentiels exprime une misère intolérable. Les petits boulots rustiques qui abîment le corps pour quelques sous participent à cette métaphore globale de combat pour sa survie, utilisée par les auteurs du film, jusque dans le titre, avec notamment le cas d’un adolescent qui exprime sa colère sociale ou ses angoisses quant à l’avenir à travers des compétitions de boxe.
Le déterminisme transpire évidemment à l’écran ; on imagine mal l’école servir d’ascenseur social dans ces tourbières. Mais l’on nous met également en garde contre les accidents de la vie qui peuvent du jour au lendemain nous faire tout perdre.
Avec dignité, Se battre porte un message universel qu’il faut savoir entendre. En filigrane, les auteurs semblent vouloir nous dire, qu’être citoyen, c’est aussi avoir une conscience sociale. La forme documentaire, assez terre-à-terre, convient bien à ce message qui reste entier et parfaitement recevable sur grand écran.
Frédéric Mignard – A voir à lire