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Girls will be Girls

 

GIRLS WILL BE GIRLS

un film de Schuchi Talati

France-Inde-Norvège-Etats Unis – 1h59 – VOST

avec Preeti Panigrahi, Kani Kusruti, Kesav Binoy Kiron..

En Inde, une ado et sa mère, attirées par le même garçon, s’opposent et défient la tradition. Audacieux. Comme un écho au sacre du film All We Imagine As Light de la réalisatrice indienne Payal Kapadia, lauréate du Grand-Prix au Festival de Cannes 2024, voici une autre réussite au féminin venue du même pays, traversée aussi par des thèmes contemporains et un élan réformateur .

L’action se déploie, non sans raison, depuis un milieu traditionaliste : un pensionnat d’élite dans le nord de l’Inde, mais filmé à l’anglo-saxonne. Mira, à priori une lycéenne modèle, vient d’être promue « préfète », autant dire relais de l’administration autoritaire. Peu après, deux évènements modifient son quotidien. D’un côté, elle se rapproche d’un nouvel élève, Sri, irrésistible fils de diplomate tout juste débarqué de Hongkong. De l’autre, Alina, sa mère, revient s’installer dans la région pour la soutenir jusqu’aux examens.

Avec ce triangle, la réalisatrice de 39 ans réussit d’abord à créer une situation subtilement instable, et donc imprévisible, entre le pensionnat et la maison maternelle. Mira, qui fait la leçon à ses camarades au moindre écart, décide d’assumer, en privé, son désir pour Sri et se prépare aux premiers rapports sexuels comme s’il s’agissait d’une nouvelle matière scolaire. La mère, au diapason de la direction de l’établissement, voit d’un mauvais oeil une « amitié » dont elle veut ignorer la dimension charnelle. Mais, parallèlement, cette femme au foyer séduisante semble, elle-même, s’éprendre du beau garçon, et rechercher des moments d’intimité avec lui, sous les yeux de Mira…

Le film surprend encore davantage par la mise en perspective, sinon la déconstruction, d’un tel suspense psychologique .

De nombreux aspects de la mise en scène montrent comment les deux générations de femmes indiennes ici incarnées cherchent, coûte que coûte, à s’échapper de la place qui leur est assignée, à l’école comme en famille. Cela vaut pour l’approche de la sexualité, frontale et rationnelle, par l’adolescente comme pour l’envie de la mère de rester vivante, pas seulement dévouée aux siens. Peu à peu, il apparaît aussi que le personnage masculin, en dépit de sa jeunesse et de ses politesses, tire tranquillement profit d’un ordre ancien : le scénario de la rivalité féminine, serait-ce entre fille et mère, sera toujours celui d’un triomphe masculin… Ce beau premier long métrage propose opportunément autre chose, relevant autant de la compréhension que de l’émotion .

Critique de Louis Guichard . Telerama

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La belle de Gaza

Semaine du 27 juin au 2 juillet 2024

LA BELLE DE GAZA

De Y0LANDE ZAUBERMAN -France- 1H16

La Belle de Gaza commence : le visage d’une anonyme, filmé quelques années auparavant par Yolande Zauberman, obsède la cinéaste, elle tente de la retrouver pour raconter son histoire. Selon une légende urbaine parvenue aux oreilles de la documentariste, la Belle de Gaza – comme la surnomme la cinéaste – se serait échappée de l’enclave palestinienne pour rejoindre à pied la « bulle » israélienne et entreprendre sa transition de genre.

À mesure que Zauberman retrace son chemin et interroge d’autres femmes trans qui auraient pu la connaître, la figure énigmatique se montre toujours plus insaisissable. La quête entreprise par la cinéaste irrigue le film d’un élan pulsionnel. Le désir y est omniprésent : dès le feu d’artifice qui jaillit à l’ouverture, le film, sans éluder la précarité de l’existence des femmes qu’elle filme (les nuits de Tel-Aviv sont loin d’être un havre de paix pour les transgenres palestiniennes), partage leur appétit de jouissance. Les conversations qui s’engagent avec ces personnages à la sensualité exacerbée (par leur accoutrement et leur manière de se mouvoir) tournent ainsi principalement autour de la sexualité.

La trajectoire symbolique vers l’émancipation sexuelle – qui se double d’un déplacement géographique de Gaza à Tel-Aviv – conduit surtout la cinéaste à sonder la distance qui se creuse entre ces femmes et leur milieu d’origine, et que recoupe la ligne de fracture entre les deux peuples. L’exil est double, corporel (elles abandonnent leurs corps originels) et social – elles se détournent de leurs familles, qui bien souvent les ont rejetées violemment.

Le film évite toutefois d’opposer trop frontalement les sociétés israéliennes et palestiniennes sur la question. Le danger qui menace l’existence de ces femmes prend davantage le visage des rôdeurs frustrés – ces hommes rongés par la honte qui viennent épier et menacer les femmes trans – que celui de la religion et de ses interdits : qu’ils soient palestiniens ou israéliens, les harceleurs et les violeurs infligent les mêmes maux.

Dans le dernier mouvement du film, Zauberman semble chercher à combler le fossé qui sépare tous ces éléments contraires ; la religion et la transidentité, Israël et la Palestine. En témoigne un plan magnifique, qui par un étrange jeu de reflet dans l’habitacle d’une voiture fait flotter le visage d’un fils rejeté, devenu une femme trans épanouie et célèbre à Tel-Aviv, au-dessus de celui de son père, coupable d’avoir été aveuglé par son conservatisme : l’image les maintient alors dans deux espaces différents, tout en ménageant la possibilité d’une tendresse partagée.

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Gloria!

GLORIA!
  Margherita Vicario – Italie – 1h46
Nous voici donc en 1800 dans l’orphelinat et conservatoire pour jeunes filles de Sant’Ignazio près de Venise. Teresa (Galatéa Bellugi, vue récemment dans Chien de la casse, réservée et rayonnante à la fois) est une jeune femme mutique qui s’occupe du ménage dans les chambres des filles qui font partie de l’orchestre du prêtre Perlina, intendant et musicien en chef de l’orphelinat. Mais Teresa a l’oreille fine, une perception musicale bien à elle et lorsqu’elle entend les pensionnaires faire leurs vocalises ou répéter sur leurs instruments, le moindre son du monde qui l’environne vient prendre part à cette musicalité. Étendre le linge, couper les légumes, éternuer, récurer le linge au lavoir… Tous ces sons du quotidien s’accordent pour créer une véritable partition. Teresa observe beaucoup ces chanteuses et musiciennes, bien qu’à l’Église le dimanche, lors de leur représentation, elle ne semble avoir d’yeux que pour un petit garçon assis au premier rang…
C’est à l’issue de la messe que le gouverneur vient voir le prêtre Perlina, ancien maestro de renom et personnage profondément antipathique, pour lui demander de composer un concert pour la venue du nouveau Pape dans leur petite église ! Mais attention, il faudra proposer autre chose que les musiques un peu vieillottes et redondantes qui sont le menu de la messe dominicale, tel le sempiternel Gloria. Il apparaît bien vite que l’inspiration lui fait défaut et qu’il est bien incapable de s’acquitter de cette mission… Les filles de son orchestre s’en inquiètent et Lucia, premier violon volontiers pimbêche, voit bien là l’occasion de faire jouer ses propres compositions… Mais un pianoforte caché par Perlina dans une remise isolée de l’orphelinat va changer le cours des choses : Teresa le découvre par hasard et s’aperçoit que c’est l’instrument idéal pour exprimer enfin sa créativité et la faire éclater au grand jour…
De l’aveu de la réalisatrice, Gloria ! a l’ambition de montrer les conditions réelles de ces musiciennes à l’époque, bien que l’histoire soit parsemée d’écarts fantastiques et de sauts musicaux dans le temps. Il y a une réelle recherche rythmique, de nombreuses séquences ont été chorégraphiées et le résultat à l’écran fonctionne merveilleusement. De plus, assister à l’émergence artistique de ces jeunes femmes, à leur prise de pouvoir face à un vieux phallocrate boursouflé d’égocentrisme, est assez jubilatoire !
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Salem

Roméo et Juliette transposé à Marseille…

Le long-métrage se découpe en trois parties. La première se déroule quand Djibril a quatorze ans. Il est amoureux de Camilla et celle-ci tombe enceinte. Tels les Capulets et les Montaigus, les deux jeunes viennent de deux cités rivales, mais aussi de deux façons de vivre différentes. Djibril se retrouve partagé entre son amour pour Camilla et la guerre des cités. Lorsque l’un de ses amis meurt sous ses yeux, il prend des décisions qui vont le mener en prison. 

Les deuxièmes et troisièmes parties se concentrent sur un Djibril adulte qui sort d’un hôpital psychiatrique 15 ans après les événements de son enfance. Il va rencontrer sa fille, Ali. Djibril veut la paix. Il ne veut plus d’une guerre entre les cités. 

Une tragédie jusqu’au-boutiste

La troisième partie, la plus courte, prend le parti de changer de point de vue. Dans les deux premiers actes, nous avions le point de vue de Djibril, dans la dernière ce sera celui de sa fille Ali. Un changement qui redynamise le long-métrage pour apporter une conclusion. Au travers de cette tragédie, Jean-Bernard Marlin nous montre la vie quotidienne dans les quartiers Nord de Marseille, où tout est prétexte à la violence. Du côté de la réalisation, Jean-Bernard Marlin fait majoritairement dans le classicisme, avec surtout des plans fixes. Il gère aussi bien les silences. Beaucoup de scènes ont peu ou pas de dialogues. Il laisse ses images parler d’elles mêmes.

Des acteurs non-professionnels qui offrent des performances réalistes

Enfin, le casting est composé uniquement d’acteurs non-professionnels. Et, que ce soit les jeunes acteurs de quatorze ans (Dalil Abdourahim, Mohamed Soumare, Wallenn El Gharabaoui et Maryssa Bakoum) ou les adultes (Oumar Moindjie, Inès Bouzid, Amal Issihaka Hali et Rachid Ousseni), tous sont intéressants. Le réalisateur a su obtenir des performances extrêmement réalistes de ses acteurs.

Salem est donc une tragédie shakespearienne dans les quartiers Nord de Marseille qui fait mouche. Malgré une petite réticence sur un choix narratif, Jean-Bernard Marlin nous propose un second long-métrage avec de belles qualités. Entre mysticisme, transmission et  réalité d’une guerre des quartiers  son film fait clairement passer un message de paix, comme son titre l’indique (Salem signifie paix en arabe)

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Six pieds sur Terre

SIX PIEDS SUR TERRE

De Karim Bensalah

France 2024/ 1H36

Avec Hamza Meziani, Kader Affak

 

Sofiane, fils d’un diplomate algérien à la retraite, poursuit paresseusement des études à l’université de Lyon. Parce que justement il n’est pas assez présent sur les bancs des amphis lyonnais, il se voit frappé d’une décision administrative qu’il trouve injuste. Si il ne présente pas un certificat de travail dans les semaines qui suivent, il risque l’expulsion.

N’importe quel travail pour pouvoir rester en France. Un oncle qui est entrepreneur de pompes funèbre musulmanes à Roubaix se dit prêt à l’embaucher, mais famille ou pas, un certificat de travail se mérite et Sofiane doit faire ses preuves dans l’entreprise.

Sofiane qui toute sa courte vie a tout fait pour rejeter le communautarisme et la religion se retrouve à accompagner des familles musulmanes dans le rituel religieux le plus important pour un croyant.

Sofiane à la croisée des chemins, et lequel choisir. Au milieu des morts, c’est le chemin de sa propre vie qui l’attend.

Qui es-tu vraiment Sofiane ? Vaste question n’est-ce pas,  puisque toi même tu n’en sais rien.

C’est l’histoire d’une réconciliation, celle d’un jeune homme avec sa famille et son histoire.

Plusieurs épreuves l’attendent, entre ses choix, ses renoncements et ses certitudes, Sofiane découvrira enfin qui il est.

Un très beau film tendre, à l’image de son sympathique héros et de tous les personnages attachants qui gravitent autour de lui. Une mise en scène simple au profit d’un scénario qui affronte vaillamment la mort, la vie, l’identité et la tradition avec intelligence et franchise. On n’avait pas vu cela depuis  » Six feet under  » la formidable série de Alan Ball.

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Border Line

BORDER LINE Film de Juan Sebastiàn Vásquez et Alejandro Rojas Avec Alberto Ammann, Bruna Cusì, Ben Temple… Qui n’a jamais senti son coeur palpiter en approchant d’un contrôle douanier dans un aéroport et à fortiori en arrivant aux Etats Unis ( ceux qui savent, savent). C’est un pays construit sur l’immigration, mais désormais au 21e siècle, la tâche n’est pas facile pour ceux voulant vivre « le rêve américain ». Alors qu’ils pensaient commencer une nouvelle vie grâce à une green-card, Diego et Elena voit la police des frontières stopper leur élan. Leur tort ? Diego est vénézuélien donc suspect automatique. Commence alors un thriller psychologique où la Police des frontières cherche à faire craquer ce jeune couple. Enfermés dans une pièce, tous les moyens sont bons pour les déstabiliser. La morale n’est plus qu’une variable facilement effaçable. Les interrogatoires s’enchaînent, et on commence à angoisser pour eux. Puis, on se met même à douter de leur honnêteté, comme si la Police avait réussi à rentrer dans notre tête. Avec ce film, Juan Sebastián Vásquez et Alejandro Rojas dénoncent avec force les méthodes plus que discutable des autorités américaines. Magistralement porté par 4 principaux acteurs plus vrai que nature et des décors encore plus criant de vérité, ce film vous tiendra en haleine pratiquement de bout en bout avec un dispositif proche de la pièce de théâtre mais tourné comme du grand cinéma ( les réalisateurs se revendiquent de Sidney Lumet). Le film est donc politique car le simple fait de choisir de raconter cette histoire l’est. Il parle des dynamiques de pouvoir, du harcèlement, des problèmes d’autorité, des endroits où vous pouvez soudain vous sentir extrêmement vulnérable selon vos origines… 

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Juliette au printemps

JULIETTE AU PRINTEMPS

Film de Blandine Lenoir – France – 1h36

Avec Izia Higelin, Sophie Guillemin, jean Pierre Darroussin …

Juliette, 35 ans, illustratrice de livres pour enfants, retourne dans le lieu où elle a grandi pour passer quinze jours en compagnie  de ses proches : un père un peu lunaire, une sœur qui a d’autres chats à fouetter entre ses gosses, son boulot, son falot de mari et son amant, une mère aux abonnés absents et une grand-mère qui perd la tête. Souvenirs enfouis, non-dits et secrets de famille remontent à la surface …

Il se dégage de ce film une vraie tendresse, une atmosphère douce amère, un humour subtil portés par de délicieux personnages composant une famille certes fantasque, mais ô combien attachante. Avec maladresse parfois, les hommes expriment leurs sentiments, et les trois générations de femmes leurs désirs de vie intense, d’indépendance et de liberté. Au travers des petits riens du quotidien, jamais banalisés, la trame de toutes ces vies se déroule, cherchant à se relier les unes aux autres, à assembler le puzzle de sentiments enfouis ou à évincer les fantômes du passé. Scénario ciselé, dialogues percutants, ambiance burlesque et poétique, interprétation remarquable , invitent le spectateur dans un univers  évoquant parfois celui d’Alain Resnais ou du tandem Jaoui / Bacri. 

Critique d’Evelyne Hamard Manet – Etoile Cinéma, Semur-en-Auxois

  

Blandine Lenoir revient ici avec une comédie douce amère sur une famille aussi fantasque qu’attachante. La bataille des femmes qu’elle nous a si bien narrée dans Annie Colère (2022) n’est pas si loin dans Juliette au Printemps, à une échelle certes plus intime, plus discrète, mais c’est bien l’indépendance et la liberté que les trois générations de femmes présentes veulent obtenir. Les hommes n’en tiennent pas moins une place importante, même s’ils sont taiseux et maladroits, à l’instar du géant Pollux que Juliette va croiser sur sa route et qui sera d’un grand réconfort. Nous sommes immergés dans une famille qui pourrait très bien nous rappeler la nôtre : toutes ces vies se déroulent en parallèle mais cherchent tout de même un moyen de se relier entre elles, que ce soit au travers des petits riens du quotidien ou au travers d’histoires qu’on a jusque-là soigneusement fait semblant d’oublier…

Le scénario est ciselé, l’ambiance est riche et changeante, au gré des humeurs et des sentiments, tantôt chaleureuse et émouvante, tantôt burlesque et poétique. L’interprétation est remarquable – chapeau à Sophie Guillemin, incarnant cette sœur, le personnage le plus riche du film, avec une impressionnante justesse, tant dans sa force que dans ses failles – et on quitte la salle avec un sentiment de tendresse pour toutes et tous ces humains fragiles qui nous ressemblent .

Critique UTOPIA Bordeaux

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Madame Hofmann

                                                               MADAME HOFMANN                                                                                                                                                         De Sébastien Lifshitz – France – 2024 – Documentaire – 1h44.                                  Avec Sylvie Hofmann, , ses collègues, sa famille.                                                                                              

Sébastien Lifshitz raconte l’hôpital public à travers le portrait d’une infirmière fragilisée, sur le point de prendre sa retraite. Un documentaire brillant, tendre, et émouvant.

Tout débute par un rendez-vous chez un médecin. Sylvie Hofmann, cadre infirmière dans un service oncologique d’un hôpital des Bouches-du-Rhône et héroïne de ce documentaire –  dans tous les sens du terme – a perdu l’ouïe. Suspicion d’AVC, surmenage, stress… Cette scène inaugurale donne le ton de ce qui va suivre : la dernière ligne droite, mouvementée, de Sylvie avant son départ à la retraite, au terme de quarante ans de bons et loyaux services dans le même établissement. Elle s’occupe des autres, avec acharnement, bienveillance et humilité. Toujours à l’écoute, le petit geste, la main chaude qui masse et apaise .Et si la mort rôde tous les jours dans les couloirs du service de soins palliatifs dont elle a la charge, c’est pourtant une incroyable pulsion de vie que filme le réalisateur. Une étincelle qui touche à la dévotion tant les soignants sont éprouvés dans leur pratique hospitalière. Autour d’elle, l’équipe de jeunes infirmières  ne ménage pas ses efforts, personnalités bien trempées, tout comme le chef de service épatant. Et si Sylviedécidait de penser un peu à elle ? Partir à la retraite ?  En a-t-elle le droit, mais surtout en a-t-elle vraiment envie ? « Mon cerveau, pendant 40 ans, n’a jamais été au repos »  dit-elle. Toute une vie d’échanges riches à s’occuper des autres, dans son travail comme dans sa vie privée, indissociables l’une de l’autre. On imagine mal qu’elle puisse tout à coup ne penser qu’à elle-même, tant l’attention aux autres a donné à sa vie un sens fort.                                                                                                                                                                                    

Sébastien Lifshitz  l’a suivie pendant un an. Et une fois encore le réalisateur d‘Adolescentes (2019), dePetite Fille (2020) et de Casa Susanna (2022) réussit  un tour de force en mêlant longue et courte focale, collectif et individuel. En dressant un état des lieux de l’hôpital public tout en racontant cette femme sans filtre, roseau qui plie mais ne rompt jamais malgré les cancers à répétition de sa mère, celui qui la menace à terme, les soucis cardiaques de son compagnon, sa fille, et son rythme infernal au travail où la pandémie de Covid n’a fait qu’aggraver une situation déjà chaotique. Sa vie c’est courir. Le film est à son image : jamais désespéré avec, chevillée au corps, une foi dans les générations qui arrivent.  Sébastien Lifshitz capte, comme à son habitude sans commentaire en voix off,  ces scènes de groupes et d’échanges avec le mari ou la mère, toujours à bonne distance, et les mêle aux moments où Sylvie Hofmann se confie hors caméra et exprime tout ce qu’elle tait à son encontre : ses doutes, ses angoisses, ce stress qui la ronge… Incroyablement forte et pourtant si fragile. Le tout en seulement 1h44 après un nouveau travail virtuose de montage.  Un tel film ne peut exister sans que le réalisateur ait su nouer une relation d’une rare empathie avec Sylvie, mais aussi avec tous les autres protagonistes : immergés dans l’intimité de ce service, jamais on ne sent la présence de la caméra. Les images sont toujours justes et la cohérence de l’équipe du film répond à la cohérence de l’équipe de soignants.                .                                                                                                                                    

A travers ses portraits documentaires, Sébastien Lifshitz tisse de l’extraordinaire dans l’ordinaire, célèbre l’être face à la multitude, et nous redonne, de film en film, une certaine foi en nous-même. Profondément humain et puissamment politique.

– Critiques de PREMIERE et UTOPIA

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YURT

YURT

Film de Nehir Tuna – Turquie, Allemagne, France – VOST -1h56

Avec Doga Karakas, Can Bartu Aslan, Ozan Celik…

Un beau garçon en uniforme de collégien se fait déposer par le bus scolaire à une fausse adresse. Une fois certain que personne ne le voit, Ahmet,14 ans, marche pour se retrouver devant la grille, barbelée, d’un yurt, un dortoir islamiste où il réside. Son père, bourgeois aisé converti depuis peu et tenant à imposer sa foi à son fils, l’a inscrit de force dans cet établissement coranique où l’enseignement se fait, bien souvent , à coup de ceinture. En revanche, le jour, Ahmet suit les  cours d’un lycée privé aux valeurs laïques héritées d’Atatürk. C’est l’histoire, en cette année 1996, où les tensions politiques et religieuses sont au plus fort en Turquie, d’une adolescence coupée en deux, schizophrénique, heureusement sauvée par l’amitié et la force des rêves…

Dès les premières images, d’un noir et blanc majestueux, au son de violons romanesques, on sait que ce premier long métrage de Nehir Tuna va respirer le cinéma et que son esthétisme sera l’écrin d’un grand film d’apprentissage. Celui vécu par le jeune cinéaste lui-même, précisément dans les années 90, entre deux mondes antagonistes, avec, l’espoir, ténu, de la construction d’une identité. D’un côté, donc, les dortoirs coraniques surpeuplés, vétustes, selon une mise en scène attachée aux moindres détails, montagnes de vieilles godasses à l’entrée, prières collectives et brimades incessantes. De l’autre, la modernité, le drapeau national et l’obsession, pour Ahmet, de ne pas être démasqué par ses camarades.

Le jour, à l’école, l’adolescent ment ; la nuit, au yurt, il cauchemarde, seul moyen pour ce garçon obéissant d’exprimer sa violence rentrée. C’est d’ailleurs ce qui fait l’originalité de ce film lointainement cousin des 400 Coups de Truffaut : son jeune héros, lui, ne se rebelle pas. Bon musulman pour ne pas décevoir son père, mais aussi bon élève pour se construire un avenir. Sa douceur (superbe Doga Karakas, au regard tendrement opaque) va être remuée par Hakan, 17 ans, pensionnaire issu d’un milieu beaucoup plus pauvre, qui va l’aider à s’affranchir des règles. Moment magique : lors d’une fugue sensuelle des deux amis, le noir et le blanc millimétré laisse, soudain, place à la couleur, au désordre. Ce n’est pas un procédé mais, réellement, la liberté de la jeunesse, l’émancipation qui éclatent, maladroites et électrisées, avec un étonnant corps à corps seulement éclairé par des lampes de poche… Difficile, ensuite, d’oublier ce précipité de vitalité dans une chronique si précise et paradoxalement délicate sur les carcans idéologiques ;

Beau récit d’apprentissage et un tableau acide de la Turquie.

Critique Télérama de Guillemette Odicino.

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The Sweet East

THE SWEET EAST

De Sean Price Williams

Avec Talia Ryder, Simon Rex, Earl Cave

The Sweet East est une comédie satirique, un voyage rocambolesque, une plongée fulgurante et au réalisme aléatoire dans l’Amérique de Trump et Biden. Un road-movie naviguant entre naturalisme et rêveries, une relecture contemporaine du périple d’Alice de Lewis Carroll, à la narration savamment (et joyeusement) déconstruite, comme sous hallucinogènes –

« Mange-moi », disait déjà le gâteau à la petite fille du conte, avant de distordre sa réalité. Notre Alice, c’est ici Lillian, timide certes, mais pas du tout naïve et bien consciente des personnes qui l’entourent. Surtout, Lillian est curieuse de tout, et de tous. Elle choisit à l’instinct, sans hésiter, les routes qui s’offrent à elle. Douée d’une grande capacité d’adaptation d son environnement, qu’il soit hostile ou bienveillant, elle a également la faculté de fuir dès que ça sent le roussi. Dans les pas de Lillian, le film nous emmène aux quatre coins de ces fameux états de l’Est (le « East » du titre), à la rencontre d’une ribambelle d’allumés comme seul ce pays sait en enfanter : des faux rebelles, des complotistes, des frustrés, des laissés-pour-compte de l’Amérique contemporaine… Un joyeux programme qui nous tend les bras.

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