« Souvenir » de Bavo Defurne.

Interview d’Isabelle Huppert

SOUVENIR présentait-il un défi particulier ? – Je n’ai pas de difficultés particulières à aborder un film quel qu’il soit dès lors que j’ai compris qu’il y a un vrai metteur en scène derrière. C’est le cas avec Bavo Defurne, qui est un authentique et très bon metteur en scène dont j’avais vu le premier film, SUR LE CHEMIN DES DUNES (NOORDZEE, TEXAS). Je trouvais riche que la métaphore du passage entre la lumière et l’ombre se raconte à travers un personnage qui a été public et qui redevient anonyme, mais au fond ce passage est présent dans toute vie. On offre tous plusieurs visages selon les moments de la journée ou les gens à qui on s’adresse ;

selon les cercles dans lesquels on est. Pour ce qui est de la disparition elle-même : il y a des gens qui disparaissent avec tout ce qu’il peut y avoir d’intriguant derrière et qui témoigne, la plupart du temps, d’une fragilité, d’un faiblesse et de barrières autant subjectives qu’objectives que l’on s’est dressés. (…) Liliane n’a jamais connu l’accomplissement absolu de sa réussite, mais dans la manière dont on montre la difficulté qu’elle a à affronter à nouveau le succès – elle a vraiment le corps qui lâche – on comprend que parfois, dans la vie, on se fabrique ses propres obstacles.

Dès lors que l’anonymat est un refuge, le film montre la difficulté d’être une personnalité publique. – J’ai tendance à penser que le film peut s’universaliser et sortir de ce contexte précis. SOUVENIR parle en effet de ça et de cette souffrance. Mais le film fait bien mesurer qu’il faut une forme d’endurance pour supporter l’échec comme le succès. Au fond, Laura n’a pas supporté d’être à la seconde place, mais peut-être que, si elle avait attendu suffisamment longtemps, elle aurait fini par avoir cette première place. Le fait que Jean reconnaisse Liliane est une menace terrible pour elle. Elle est passée à autre chose. Elle est dans la protection de son anonymat. Elle s’est rassurée de cette manière-là. A partir du moment où il lui dit la reconnaître, elle a peur. Elle aura peur jusqu’au bout. C’est ce qui est très beau. Elle a peur de vivre. Elle n’y arrive pas.

SOUVENIR se révèle métaphorique à plusieurs niveaux. – Le film est une métaphore de beaucoup de choses. La métaphore de la fermeture éclair sur la robe raconte bien le besoin que l’on peut avoir de quelqu’un – peut-on le faire soi-même ou pas ? Sandrine Kiberlain a fait un court-métrage très amusant sur ce thème (ndlr BONNE FIGURE, présenté en clôture de la 55ème Semaine de la Critique) : une actrice qui a tous les honneurs et qui, rentrée chez elle, n’arrive pas à retirer sa robe elle-même. Le jeune homme qui tombe amoureux de Liliane l’aide aussi à ça, mais évidemment cela symbolise une confiance plus générale que ça. (…) Elle fait un pas de côté de manière absolument radicale : elle était chanteuse et elle devient ouvrière. Elle a, je pense, trouvé une forme de résolution : la routine d’un travail, qui est très bien montrée, agit presque comme un refuge eu égard aux obstacles et aux peurs qu’elle a rencontrés. Jean va l’extraire de ce lieu presque protecteur.

Le rôle vous permet de chanter. Un plaisir singulier ? – Ça plaît toujours aux acteurs de chanter quand ils le peuvent – comme aux chanteurs de jouer. Il y a toujours cette idée que l’on pourrait mieux faire si on le faisait différemment. Par le chant on peut exprimer plus de choses. Peut-être pas le chant de variété, mais le chant lyrique est toujours un fantasme pour les acteurs comme une expression plus aboutie. C’est très agréable de chanter, surtout sur des musiques de Pink Martini qui sont vraiment entrainantes. C’était difficile dans la mesure où il faut travailler, mais à la fois facile parce que c’est très mélodique. Leur univers correspond complètement à celui du film dans la manière de surfer sur les époques, les faisant se télescoper.

La chanson Joli Garçon offre au film un caractère intemporel. – Le film est lui-même un peu intemporel, volontairement kitsch. C’est un mélo assumé. C’est vraiment un film kitsch qui ne se cache pas de l’être. Et derrière cette apparence et l’apparente simplicité du conte, il y a quelque chose de vraiment sensible et profond qui se raconte tout au long du film sur toutes les situations : la difficulté à affronter l’échec comme le succès, l’amour… à affronter la vie tout simplement. Il y a une grande harmonie que ce soit du côté des costumes, de la musique ou de l’esthétique du film : il y a quelque chose de très pensé et c’est le talent de Bavo Defurne.

La gestuelle de Laura est comme chorégraphiée. – Cela fait partie de toutes les idées que Bavo Defurne a eues. Ce n’est pas vraiment une chorégraphie, mais c’est une gestuelle qui donne une stylisation aux chansons, qui leur apporte une modernité. Le film est assez contrasté de ce point de vue : c’est une chanteuse populaire située un petit peu ailleurs par sa gestuelle. Rien n’est vraiment stéréotypé : on nous dit que c’est le contexte de l’Eurovision, mais là aussi c’est plus l’idée de la manifestation que son réalisme précis. Tout est un peu « transposé ». Le film est à la fois poétique et réaliste.

La différence d’âge entre Liliane et Jean est envisagée de manière chaleureuse, sans jugement. – C’est la force de Bavo Defurne de présenter la chose comme étant tout à fait évidante et n’étant absolument pas problématique. Tout ce qui se passe autour de la famille du jeune homme est plutôt amusant. Au fond, c’est aussi le père du jeune homme qui aime beaucoup cette chanteuse, comme si le fils réalise le désir du père – pas tout à fait celui de la mère. Il y a aussi beaucoup d’humour là-dessus. Rien n’est trop appuyé, on reste dans un univers un peu fantasmé. Bavo Defurne nous amène à la fois dans la légèreté et une certaine profondeur.

Quelle était l’importance des costumes ? – Selon qu’elle est ouvrière ou qu’elle revient vers la lumière, Liliane ne bouge et ne s’habille évidemment pas de la même manière. Le costume évolue selon qu’elle rechante pour la première fois dans ce petit club de boxe et qu’elle chante dans un deuxième temps sur une place publique. Elle se remet le pied à l’étrier avec plus ou moins de bonheur. Ça a été beaucoup de recherches et de discussions avec les costumiers du film. Les deux dernières robes ont été créées par Johanne Riss.

Qu’est-ce que le personnage vous a apporté ? – Le fait de faire un beau film tout simplement ; de la faire au moment où je le fais. Ça ne m’apporte rien de plus ni de moins ; juste le fait d’avoir fait un film qui plaira, je l’espère, et le plaisir d’avoir eu à le faire – à chanter, à travailler les gestuelles. (…) Je n’ai généralement très très peu à voir avec les personnages que je joue. On transpose des sentiments de manière totalement imaginaire. C’est vraiment quelque chose qui résonne en soi. C’est comme une musique dont on se sent à la fois proche et éloigné : on est objectivement loin, mais subjectivement proche.

L’affiche du film est signée Pierre et Gilles. Ce n’est pas la première fois que vous travaillez avec eux, qu’est-ce que cela a de particulier ? – C’était une idée des distributeurs français de les solliciter pour faire l’affiche. J’avais déjà fait une photo avec eux quand je tournais MY LITTLE PRINCESS, le film d’Eva Ionesco. C’était assez fascinant quand je suis arrivée chez eux car ils avaient reconstitué l’univers du film. Les couleurs, le choix des fleurs… De manière réduite tout le film se trouvait dans la photo.

Nicolas Gilson 03/01/2017 pour « Un Grand Moment de Cinéma »

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