De John Boorman – Grande Bretagne – 2014 -1h45 – VOST
Avec Callum Turner, Vanessa Kirby, David Thewlis, Richard E. Grant….
1952. Bill Rohan a 18 ans et l’avenir devant lui. Pourquoi pas avec cette jolie fille qu’il aperçoit sur son vélo depuis la rivière où il nage chaque matin ? Cette idylle naissante est bientôt contrariée lorsqu’il est appelé pour effectuer deux années de service militaire en tant qu’instructeur pour jeunes soldats anglais en partance pour la Corée. Bill se lie d’amitié à Percy, un farceur dépourvu de principes avec lequel il complote pour tenter de faire chuter le psychorigide Sergent Major Bradley. Tous deux parviennent néanmoins à oublier un peu l’enfermement et la discipline à l’occasion de rares sorties. Mais leur est-il encore possible d’y rencontrer l’âme sœur ?
Critique
John Boorman (« Excalibur », « Rangoon », ou encore « The General », Prix de la mise en scène à Cannes en 1998) a surpris son monde à la Quinzaine des réalisateurs 2014, en présentant ce qui était annoncé comme une suite de son « Hope and Glory ». Comédie enlevée, située dans les années 50, et relatant le service militaire de deux appelés légèrement contestataires, « Queen and Country » est en réalité une petite perle d’humour british tout à fait irrévérencieux, envers l’armée, la couronne et les codes sociaux de l’époque.
Si l’introduction présente les motifs de l’union entre les deux réfractaires (l’un fout le bordel dans un défilé, l’autre réveille tout le monde la nuit à cause de ses cauchemars, leur amour indiscret pour les infirmières du régiment…), la suite présente leur mauvais esprit, depuis les tentatives visant à pourrir la vie de leurs supérieurs, les deux jeunes cherchant à trouver les faiblesses de chacun pour se venger des applications trop strictes du règlement, jusqu’au fameux vol d’une horloge offerte par la Reine, qui vaudra au film ses meilleurs scènes…
Servi par une brillante brochette d’acteurs, dont les seconds rôles valent leur pesant d’or (David Thewlis en cinglé du code militaire, Brian F. O’Byrne en supérieur rigide à la voix rauque…), le film est un vrai plaisir pour les zygomatiques. Abordant aussi les premiers véritables émois amoureux, « Queen and Country » est une œuvre partiellement autobiographique qui devrait sans aucun doute connaître un gros succès en salle ce début d’année.
Critique « Abus de ciné »
Autre critique
L’auteur de Délivrance chronique ses souvenirs de la guerre de Corée. Sensible et drôle.
Voilà deux septennats que John Boorman était absent des écrans français (depuis Le Tailleur de Panama, en 2001, exactement), ses deux précédents films (In My Country, The Tiger’s Tail) n’étant pas sortis de ce côté-ci de la Manche. Avec Queen and Country, le cinéaste anglais signe à 81 ans une belle suite à Hope and Glory, ses mémoires d’adolescent durant la Seconde Guerre mondiale, sorti en 1987. D’une guerre l’autre, il dépeint dans ce nouvel opus ses premières années d’adulte, en tant que sergent instructeur dans un régiment en partance pour la Corée, au début des années 50.
La première partie du film se passe presque intégralement dans une caserne et tente, avec une certaine réussite, de redonner ses lettres de noblesse au comique troupier, façon early Blake Edwards plutôt que late Robert Lamoureux (La 7e Compagnie…). On pense par exemple à Opération Jupons (avec Cary Grant et Tony Curtis en 1959) ou Le Bal des cinglés (coécrit par Edwards et réalisé par Richard Quine en 1957). C’est ainsi tout à fait désuet, et franchement pas désagréable.
Bill (alter ego de Boorman, interprété par le très convaincant et britishissime Callum Turner) et son acolyte Percy (Caleb Landry Jones, vu dans Antiviral de Brandon Cronenberg) jouent là les soldats les plus cool du monde, comme si Ferris Bueller (personnage de John Hughes) partait à la guerre. Les souvenirs s’embellissant toujours avec le temps, on ne saurait en vouloir à Boorman d’avoir choisi la dérision plutôt que l’emphase pour décrire ses quelques mois de soi-disant formation.
Sans jamais tout à fait quitter les rives de la comédie, le film se charge cependant d’une salutaire mélancolie dans sa seconde partie, où Bill, profitant d’une permission, s’en retourne à la maison. Il y retrouve sa famille (et donc une partie du cast de Hope and Glory), ainsi qu’une jolie prétendante.
Concomitants au couronnement d’Elisabeth II (en 1953), les événements relatés s’y font plus graves : contrairement aux canulars de la caserne, ils portent à conséquence, laissent une empreinte véritable. Une poignante scène dans un hôpital cristallise ainsi cet enjeu, lorsque le héros comprend que toutes les blessures ne sont pas réversibles.
Il aura fallu, en somme, la brûlure des déceptions amoureuses et des différends amicaux pour qu’enfin se manifeste à lui le sentiment de perte inéluctable. Avant que le cinéma ne se charge, au bout du compte, de recoller patiemment les morceaux.
Jacky Goldberg – Les Inrocks