Nabil Ayouch

Né le 1er Avril 1969 à Paris

Franco-marocain

Réalisateur, producteur

Mektoub, Ali Zaoua Prince de la Rue, Whatever Lola Wants, Les Chevaux de Dieu, Much Loved, Razzia , Haut et Fort, Evrybody loves Touda.

Nabil Ayouch, cinéaste marocain connu ses films tels que Much Loved, Razzia ou Haut et Fort, revient avec Everybody Loves Touda, dans les salles le 18 décembre. Ce nouveau long-métrage suit le parcours de Touda, une femme rêvant de devenir une Cheikha, une artiste marocaine traditionnelle. Déterminée à briser les normes, Touda chante des textes de résistance, d’amour, et d’émancipation. Rencontre avec Nabil Ayouch et l’actrice principale Nisrin Erradi.

« J’aime explorer des personnages qui cherchent à se libérer des carcans sociétaux et à briser leurs chaînes »

Bulles de Culture : Nabil Ayouch, vos films mettent souvent en scène des personnages en quête de liberté dans une société marocaine encore marquée par le conservatisme. Est-ce une quête personnelle qui se reflète dans vos œuvres ?

Nabil Ayouch : Absolument, cette quête de liberté est à la fois une force motrice de ma vie et de mon cinéma. J’aime explorer des personnages qui cherchent à se libérer des carcans sociétaux et à briser leurs chaînes. Avec Everybody Loves Touda, j’ai voulu mettre en lumière une héroïne contemporaine qui incarne cette résistance à travers son art.

Bulles de Culture : Le personnage de Touda s’inspire des Cheikhas, ces chanteuses marocaines qui bravent les interdits. Pouvez-vous nous parler de l’origine et de l’importance de ces femmes dans la culture marocaine ?

Nabil Ayouch : Les Cheikhas sont des femmes courageuses qui ont commencé à chanter publiquement au XIXe siècle, à une époque où seules les voix masculines étaient autorisées dans l’espace public. Elles ont conquis ce droit, et à travers leurs chants, appelé Aïta, elles ont abordé des thèmes subversifs au Maroc tels que le désir, le corps, et l’amour, défiant ainsi les normes sociétales. Le personnage de Touda est l’une de ces héritières modernes, combattant pour la reconnaissance et la liberté d’expression dans une société encore partagée entre tradition et modernité.

Bulles de Culture : Nisrin, comment avez-vous préparé votre rôle de Touda, une femme si complexe et ancrée dans une tradition musicale exigeante ?

Nisrin Erradi : La préparation a été très intense. J’ai passé un an et demi à apprendre à chanter, danser, et jouer des percussions aux côtés de Cheikhas professionnelles. J’ai dû m’immerger complètement dans leur monde pour comprendre la profondeur de leur art et de leur combat. C’était un travail de longue haleine, mais essentiel pour donner vie à Touda.

Bulles de Culture : Le film met également en scène le lien fort entre Touda et son fils, Yassine, qui est sourd-muet. Comment avez-vous abordé cette relation mère-fils qui transcende les mots ?

Nisrin Erradi : Pour moi, il était crucial de comprendre ce lien au-delà des dialogues. J’ai travaillé de manière approfondie avec le jeune acteur qui joue Yassine, créant des ateliers et des exercices pour bâtir une connexion authentique. Bien que je n’aie pas d’enfant, j’ai puisé dans mes expériences personnelles avec mes nièces et dans les ateliers que j’ai animés avec des enfants pour trouver cette dynamique unique qui nous unit dans le film.

Nabil Ayouch : Ce lien est central dans le film. Yassine ne peut pas entendre ce que chante sa mère, mais il ressent tout profondément. Leur relation va au-delà des sens habituels et s’ancre dans quelque chose de plus spirituel, presque métaphysique.

Bulles de Culture : Everybody Loves Touda aborde aussi des thèmes de résistance féministe. Touda peut-elle être considérée comme un modèle de revendication féministe pour le Maroc d’aujourd’hui ?

Nabil Ayouch : Certainement. Touda incarne le combat de nombreuses femmes pour l’émancipation. Elle représente une figure de résistance contre les normes patriarcales et aspire à une reconnaissance non seulement en tant qu’artiste, mais aussi en tant que femme libre. Bien que le chemin soit encore semé d’embûches au Maroc, des progrès ont été réalisés ces dernières années, notamment avec la révision du Code de la famille, la Moudawana. Le personnage de Touda montre vers quoi le Maroc pourrait tendre dans sa quête d’égalité.

Par A. Corte pour Bulles de Culture le 20/12/2024.

QUEL A ÉTÉ LE POINT DÉPART DE CE NOUVEAU FILM « HAUT ET FORT » ?

L’envie de faire un film qui donnerait la parole à la jeunesse. Cette envie est très liée à mon histoire. D’abord à mon adolescence. J’ai appris à réfléchir le monde, à le regarder dans une MJC à Sarcelles dans les années 1980. Grâce aux arts et à la culture, j’ai appris là-bas à raconter et à aimer qui j’étais. Dans mon parcours et celui de pas mal de mes copains à l’époque, ces lieux ont été décisifs. On nous a fait confiance, on nous a donné les mots, les gestes, l’espace mais surtout la liberté de nous raconter et d’écouter les autres.

Des années plus tard, je suis allé tourner Ali Zaoua à Sidi Moumen, puis Les chevaux de Dieu. J’avais envie de laisser une trace dans ce quartier, en banlieue de Casablanca. Alors, j’ai créé la fondation Ali Zaoua pour faire naître au Maroc des centres culturels et offrir à ces jeunes la même opportunité que j’ai eue quand j’étais gamin. On a ouvert cinq centres à ce jour et celui de Sidi Moumen, qui est dans le film, c’est le premier. En créant ces centres, en en faisant un film, j’ai envie de rendre hommage à tout ce que ces endroits m’ont apporté et m’apportent encore aujourd’hui.

POURQUOI AVEZ-VOUS CHOISI DE BÂTIR LE FILM AUTOUR DE LA TRANSMISSION DU HIP-HOP ?

Ça vient d’une rencontre. Peu de temps après l’ouverture du centre, un jour, un mec débarque. 25-26 ans, pas plus. Il se présente comme un ancien rappeur, un monde « derrière lui » nous dit-il. Mais il arrive au centre avec l’envie de transmettre. Il nous propose un programme « La Positive School of Hip Hop », des cours pour apprendre aux jeunes à s’exprimer et à écrire sur leur vie. C’est Anas, qui est devenu le personnage central du film. Je l’ai observé pendant un an avec ces jeunes, je l’ai vu les faire travailler, écrire, réécrire, leur donner confiance en eux. Un jour, ils ont monté un concert et je les ai trouvés incroyables. Ils avaient du talent, ils mettaient des mots si justes sur ce qu’ils vivaient au quotidien, ils racontaient l’époque, la société, tout. J’ai eu envie de les rencontrer. Alors je me suis assis avec eux et on a discuté, longuement. Ça m’a ému à un point que je n’attendais pas. J’avais l’impression de me voir ado, dans les années 1980. L’époque n’est pas la même bien sûr, le pays non plus. Et pourtant, ce sont les mêmes problématiques que dans le Sarcelles de mon enfance. Je comprenais leurs envies, leurs frustrations, leurs doutes, leurs rêves. Par le rap, ils avaient enfin l’impression d’être écoutés.

QUEL EST VOTRE RAPPORT À CETTE MUSIQUE ?

Je vais être franc, je ne suis pas un très grand connaisseur. Mon adolescence, c’est l’arrivée du Hip-Hop en France. On écoutait tous ça parce que soudain on avait le sentiment que cette musique nous était adressée. Jusqu’à la fin des années 1990, le Hip-Hop était vraiment très politique en France. On entendait dans ces chansons l’état des lieux des banlieues, ces endroits dont personne ne voulait entendre parler. C’était fort. Moi, petit habitant de Sarcelles, je trouvais dans ce rap l’écho de mon quotidien. Et puis, petit à petit, c’est devenu autre chose, plus égocentré, plus bling-bling peut-être, et ça ne m’a plus intéressé. Mais j’ai retrouvé cette force politique, cette puissance des mots pour faire bouger les choses dans le rap du Maghreb. On a vu comme cette musique était au cœur des Printemps arabes. C’est aujourd’hui la voie d’expression politique de toute une jeunesse. Par ce film, je voulais faire résonner ces voix qui prennent le micro pour nous dire des choses importantes, à la fois très personnelles et pourtant universelles.

EST-CE QU’HAUT ET FORT EST UNE COMÉDIE MUSICALE ?

Oui. En tout cas, je l’ai pensé comme ça. Comme dans les codes du genre, la musique nous permet d’avoir accès à l’intimité des personnages, de s’en rapprocher. De mieux les comprendre. Comme dans une comédie musicale, il y a le récit principal – le quotidien de cette classe, le travail, leurs discussions – avec une mise en scène plus naturaliste, une direction plus « improvisée », qui donne l’illusion du documentaire. Là, on se confronte au réel, on regarde les visages, on écoute les mots, on est dans le dur. Et puis soudain, par la musique, par la danse, on s’échappe. Là, j’ai travaillé de manière beaucoup plus cadrée en essayant de proposer à chaque personnage, à chaque numéro quelque chose de différent. Je voulais que ça leur ressemble. On a beaucoup répété ces moments dansés avec le chorégraphe – Khalid Benghrib – et mes directeurs de la photo – Virginie Surdej et Amine Messadi-, alors que toutes les scènes dans le centre, c’était bien plus un travail sur la profondeur, le sens et la spontanéité. Toute la difficulté a été de lier les deux. Je voulais que la comédie musicale soit au cœur du réel et que le réel soit au cœur de la musique. Comme cette scène hommage à West Side Story où ils dansent face aux intégristes. On est dans la comédie musicale, mais c’est aussi un état du monde, c’est aussi une scène très politique. Je voulais que la vie s’infiltre partout, que le film soit constamment, à la fois joyeux et politique, social et musical.

COMMENT AVEZ-VOUS TRAVAILLÉ AVEC LES JEUNES DU CENTRE ?

C’est un travail de confiance, sur la durée. On a commencé à tourner à partir de novembre 2017 jusqu’à février 2019, environ. J’aime travailler avec des non-professionnels, c’est toujours une façon de se remettre en question, de s’obliger à être toujours alerte dans son rapport aux personnages et au tournage. Même si pour certains, je me suis inspiré de leurs parcours et leur vie, ce sont tous des personnages de fiction à l’écran. La particularité c’est que j’ai toujours refusé de leur donner un scénario, de leur dire où je voulais aller avec eux. On discutait beaucoup de leurs personnages, de comment ils ou elles le ressentaient, et toujours j’essayais de trouver la bonne distance dans la direction d’acteurs. Dans les longues scènes de classe, j’ai travaillé avec un système d’oreillettes. Je guidais Anas, le prof, vers des sujets, des phrases clef, puis je laissais les choses se faire, en recadrant parfois. Et via d’autres oreillettes, je guidais les cadreurs sur les placements et les personnages à filmer, même si Virginie et Amine ont naturellement une très belle intelligence de l’image. Pendant trois ans, j’ai tourné, monté, écrit, retourné, remonté, réécrit… jusqu’à petit à petit commencer à construire un film qui soit profondément à l’écoute des personnages qui l’habitent. C’est la première fois que je travaille avec un tel niveau de liberté et je dois dire que j’y ai beaucoup de plaisir.

CE N’EST DONC PAS UN DOCUMENTAIRE ?

Non, mais j’aime l’idée que la frontière soit floue. Ça a toujours été important dans mon cinéma qu’on ne puisse pas savoir ce qui est joué, ce qui est vrai. Je veux que la puissance de la fiction se mêle à la puissance des vies que je filme. Ces jeunes m’ont ouvert une partie de leur intimité, j’ai rencontré leurs parents, j’ai vu où ils vivaient. Pour moi, ça aurait été impensable de venir avec une caméra filmer tout ça tel quel. Je me suis donc inspiré de ces rencontres, j’ai mélangé le vrai et le faux pour être au plus près de la réalité de cette banlieue de Sidi Moumen.

C’EST UN FILM SUR LA JEUNESSE, MAIS C’EST AUSSI UN FILM SUR L’ENSEIGNEMENT ET SUR LA TRANSMISSION… COMMENT FILME-T-ON CETTE NOTION TRÈS ABSTRAITE ?

En montrant justement qu’il n’y a rien de plus physique que l’enseignement. Pendant la pandémie, on a voulu nous faire croire que l’école pouvait avoir lieu derrière des écrans, mais c’est faux. Enseigner, c’est agir. Montrer qu’apprendre, c’est être en mouvement, en contact. Rien ne remplace ce contact. Je voulais que la caméra soit au plus près de ces échanges. Du plus loin que je me souvienne, de l’école primaire Albert Camus au Collège Evariste Gallois à Sarcelles, les profs, les éducateurs sociaux, les gens qui faisaient vivre cette MJC, c’étaient mes héros. J’ai énormément de respect pour ceux qui consacrent leur vie à transmettre. J’ai grandi avec une mère prof, qui aimait profondément enseigner, et je voyais à quel point elle pouvait se battre contre la hiérarchie, contre le système pour permettre à des gamins d’avoir un avenir. J’ai filmé Anas comme un héros quasi Fordien. Il arrive solitaire dans cette banlieue, il ne parle pas beaucoup, on sait volontairement peu de choses sur lui, à part qu’il se dédie à son travail et ces gamins. C’est un film aussi sur le travail. Enseigner c’est apprendre à faire mais aussi à refaire. Je voulais montrer les textes en train de s’écrire, les moments de doute, les moments ratés. Anas est parfois dur avec les jeunes mais son exigence, c’est sa façon de leur montrer qu’il voit grand pour eux.

VOUS MONTREZ AUSSI TOUTES LES MENACES QUI PÈSENT CONTRE CETTE LIBERTÉ D’EXPRESSION ET QUI SE RAPPROCHENT PETIT À PETIT DU CENTRE AU FUR ET À MESURE DU FILM…

Le centre est un refuge. Dès qu’on est à l’extérieur, je voulais qu’on sente que les choses soient moins simples, les corps peut-être moins libres. Et puis, montrer que cette jeunesse ne se laisse pas faire et essaye de reprendre le pouvoir dans la rue. Notamment, les jeunes filles. J’ai toujours été impliqué dans les combats féministes de ce pays. Je les trouve extraordinaires, ces jeunes filles qui font du rap, qui parlent de leur corps, du regard des hommes sur elles, du poids des grands frères qui veulent les asservir. Leurs problématiques sont très fortes et j’ai envie qu’on les entende. On a parfois une image un peu datée de la jeunesse du Maghreb. Avec ce film, je montre qu’au contraire, elle est tout aussi engagée, tout aussi moderne et politique. Elle ne demande qu’à s’exprimer et à être écoutée. Il suffit juste de lui donner l’opportunité et les armes pour prendre la parole. Bien sûr qu’une certaine partie de la population, très marquée par la religion et les traditions, a tout intérêt à la faire taire. C’était important pour moi de montrer contre quoi ils se battent. Mais, plutôt que de montrer tout ce qui pourrait les faire taire, je crois que c’était plus important encore de célébrer leurs voix, de les faire résonner très fort, de montrer que grâce au corps et à la parole, ils résistent.

POURTANT À LA FIN, ON POURRAIT CROIRE QUE LE COMBAT N’EST PAS GAGNÉ…

Au contraire, les graines qu’Anas a semé vont grandir et devenir des pousses de plus en plus solides. Il a semé chez ces jeunes un esprit de liberté que rien ne pourra éteindre. Et c’est l’essence même de son travail, leur donner des outils et de la confiance pour continuer le chemin tous seuls. Pour ces jeunes ce n’est que le début, une forme de renaissance, comme ils le lui disent : « Ils vont entendre un grand boum et on va renaître ! ». C’est fondateur… Malgré la violence qui rôde, c’est un film plein d’espoir. Ces jeunes sont beaucoup plus forts que moi à leur âge. Cette force politique, cette énergie incroyable aussi, irriguent le film. J’ai envie que le monde entier entende ces voix et ces histoires. Elles sont le signe que le monde change.

(Dossier de presse)

MUCH LOVED

Nabil Ayouch : « C’est l’histoire de cinq personnages de milieux sociaux différents, (au Maroc), qui se croisent sans jamais se rencontrer et qui sont en proie à des luttes pour défendre leurs espaces de liberté. Il n’y a aucun dénominateur commun entre eux même si le film est construit sur le terrain de l’intime de cinq tranches de vie. Un des personnages vit dans les années 80 et les 4 autres dans le monde d’aujourd’hui.

Je préfère laisser la surprise au public mais pour résumer, c’est l’histoire de cinq destins aux trajectoires totalement différentes qui luttent pour défendre leur liberté individuelle. Certains réussiront dans leur quête, d’autres finiront par abandonner ou resteront dans le déni. »

Journaliste, scénariste, comédienne pour la première fois, tout juste mère et femme au Maroc, Maryam Touzani fait parfaitement écho à son personnage, Salima, dans le film qu’elle a co-écrit et dans lequel elle incarne, parmi d’autres désirants, une soif de liberté et d’émancipation dans un pays à la sage monarchie. Derrière l’apparence, ici comme ailleurs, c’est un monde qui doute et se fracture.

« Le récit sur ces personnages sont les métaphores d’une société, touchée comme partout par l’uniformisation libérale et numérique qui a perdu le sens des mots « autre » et « différent »; qui cherche ce que peuvent bien recouvrir « émancipation » ou « statut de la femme ». Une société où beaucoup a été razzié; ce foisonnement où le couple, même habillé moderne ou habitant huppé, reste engoncé dans le patriarcat. Se libérer de cette emprise, relever sa robe de quelques centimètres pour écarter la malédiction du mâle croisé dans la rue, c’est aussi l’enjeu pour Salima. Quand on a commencé à écrire, Nabil avait déjà les cinq personnages en tête, on ne s’est jamais dit que c’est moi qui allait interpréter Salima. Mais je pense qu’au cours de l’écriture, Nabil a dû voir beaucoup de similitudes entre le personnage et moi. Comme j’ai contribué à l’écriture du film, j’ai par la force des choses raconté moi aussi des choses à travers cette femme. Et Nabil s’est également inspiré de ma vie personnelle, à travers certaines séquences, certaines scènes. Quelque part, il a commencé à m’imaginer dans ce rôle. Il m’a proposé de passer des essais, sachant que je n’avais jamais joué la comédie auparavant. Au début, j’ai eu peur de décevoir, de ne pas être à la hauteur du personnage. C’est des questions que l’on se pose quand on est comédien, mais encore plus quand on est dirigé par son mari. Très rapidement, j’ai été rassurée car j’ai compris que Nabil n’est pas du genre à faire des choix pour faire des cadeaux. Il les fait parce qu’il y croit. Je l’admirais déjà énormément en tant que réalisateur mais aussi en tant que directeur d’acteur. J’étais là au moment de « Much Loved » et j’ai observé la manière dont il travaillait avec les comédiennes. J’ai trouvé exceptionnelle la manière dont il les aidait à chercher des émotions, à briser toute les barrières qu’elles se mettaient, c’était presque un travail de psychologue dont j’étais très admirative. Donc malgré mes premières craintes, je me suis dit aussi que ça devait être tellement beau d’être dirigée par lui. Et ce fut le cas. Il y a beaucoup de moi en Salima et il y a beaucoup de Salima en moi. Salima dans l’espace public, Salima dans sa place de femme dans une société qui devient de plus en plus étouffante, où je sens en tant que femme que ma place est de plus en plus limitée, qu’on a envie de me cacher, de me dire ce que je dois être, qui je dois être, comment je dois m’habiller, comment je dois réfléchir. Le diktat de la société est très fort et lourd. Ce sont des choses que j’ai ressenties dans l’espace public et ce sont ces combats que j’ai voulu transmettre, que je mène aussi moi-même dans mon quotidien. Il y a cinq ans, je pouvais aller me baigner sur la plage en bas de chez moi en maillot deux pièces sans réfléchir. Maintenant, cela devient compliqué, autour de moi, je ne vois que des femmes en niqab, qui se baignent totalement habillées. Je pourrais aller dans une plage privée mais j’ai envie d’aller dans une plage publique, comme tout le monde, et de m’habiller comme j’en ai envie, pas comme on a envie de me l’imposer. J’attribue ce changement à la montée des conservatismes, à la place aussi que prend la religion mal apprise et mal transmise, qui prend une place qui n’est pas la sienne et qui est utilisée surtout comme outil de domination, notamment sur la femme. Je trouve cela aberrant et je n’ai pas envie de cela dans ma vie. Comme Salima, je résiste au quotidien par des petits gestes. Relever sa jupe, au lieu de la baisser, est un acte politique pour moi. »

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