Stéphanie Chuat et Véronique Reymond (Petite Soeur )

Rencontre avec les réalisatrices Stéphanie Chuat et Véronique Reymond.

Onze ans après La Petite chambre et après d’autres projets de documentaires et séries, Petite soeur, présenté en Première mondiale en Compétition à la Berlinale 2020, met en scène Nina Hoss, Lars Eidinger et Marthe Keller dans une histoire forte et intime. Celle de deux jumeaux, Lisa et Sven, liés coûte que coûte par ce qui les unit et la création théâtrale. Ils se battent contre la maladie jusqu’à se sentir plus vivants que jamais.

Votre second long-métrage de fiction Petite Soeur, repose sur deux personnages liés par le sang et la gémellité. Vous travaillez vous-mêmes en duo depuis très longtemps, c’était quelque chose d’important pour vous de mettre en scène un duo ?

Véronique Reymond : Nous nous sommes rendues compte que notre duo était assez unique. Notre rencontre date de nos dix ans, sur les bancs de l’école et on avait cette passion commune pour le théâtre. Je ne suis pas sûre que si je n’avais pas rencontré Stéphanie, j’aurais fait ce métier là. En tout cas, que j’aurais eu le courage de le faire. On a grandi ensemble dans ce métier. Nous nous sommes donné mutuellement la force d’oser non seulement de se lancer mais d’y rester et persister. Je crois que la grosse difficulté c’est de persister et j’ai l’impression que notre complémentarité nous permet d’assurer les hauts et les bas. Et on s’aide mutuellement à garder le cap, à y croire.

C’est plus facile pour vous de créer à deux que seule ?

Stéphanie Chuat : On est toutes les deux comédiennes donc on a eu des engagements séparément et parallèlement, on a développé des duos ensemble. Ce travail à peu à peu pris le dessus, le plaisir de travailler ensemble, de faire des projets ensemble, d’avoir une voix originale aussi. C’est une immense chance d’avoir la possibilité, comme avec ce film, de se faire entendre. Le message du film c’est ce qu’on souhaite dire en tant que personnes, que réalisatrices. C’est différent d’être comédien.n.es et d’incarner la parole de l’autre, c’est un autre métier. Notre collaboration s’est aussi diversifiée. C’est un aspect très intéressant humainement de se côtoyer depuis si longtemps, en tant qu’être. On est obligé aussi d’évoluer et on ne peut pas se contenter d’être assis sur ses lauriers, ça nous fait tout le temps bouger.

Véronique : Et puis quand on développe un duo où il y a une pensée commune, une créativité, un imaginaire qui est comme une bulle, on se dit mais si l’une ou l’autre devait s’en aller ou tomber malade, que ferions nous avec cette bulle commune qui est unique et qui ne peut exister qu’en présence de l’autre ? C’est vraiment un langage commun, quelque chose de très particulier et c’est ce qu’on a voulu un peu développer dans Petite soeur.

Avant Petite Soeur vous aviez réalisé un premier long-métrage La Petite Chambre (2010) mais aussi un documentaire et une série télévisée. Parmi toutes ces formes différentes pour raconter une histoire, il y en a une que vous préférez ?

Stéphanie :  Je crois que j’aime énormément le long-métrage de fiction. Dans la série, il y a une artificialité de structure qui fait que le spectateur va aller à l’épisode suivant, selon le type de séries. Comme spectatrice je suis parfois fatiguée de certaines séries où on me met dans un état de stress et de dépendance, là où quand je vais voir un film je vais avoir une entité, ce n’est pas de la consommation. Mais comme l’un nourrit l’autre c’est un peu difficile. On a fait ce documentaire sur Les Dames qui nous a énormément inspiré. Le documentaire et la vérité de ces personnages nourrissent les personnages de nos fictions.

Véronique : J’ai le sentiment qu’un mode d’expression nourrira l’autre, et vice versa. Là, on est dans des écritures et développements de séries. Ce qu’on a appris dans Petite soeur va s’intégrer dans la suite. Mais dans le documentaire, on capte le réel, une émotion vraie qui nous inspire pour être dans cet abandon où on capte la vérité du personnage.

Pour Petite Soeur, la trame du scénario est donc partie de votre duo à vous ?

Stéphanie  : Il y a eu cet élément, oui, mais l’autre élément important c’est Nina Hoss. Nous l’avions vu dans le film Barbara de Christian Petzold en 2012, et on avait envie de lui écrire un rôle. On avait envie d’explorer et de faire un film dont la langue ne serait pas le français et les acteurs non francophones. Quand on a pensé à Nina Hoss, on a commencé à développer cette histoire de femme de directeur d’une école internationale.

Par un hasard incroyable, nous sommes tombées sur Nina à Berlin dans un magasin et on lui a adressé la parole. On lui a demandé si elle avait le temps de boire un café pour lui parler d’un projet qu’on était en train d’écrire pour elle. Elle nous a rappelé trois jours après, on lui a pitché le projet et elle a dit « Quand est-ce qu’on tourne ? » Et pendant cette rencontre est arrivé le monde du théâtre.

Véronique : Comme on a travaillé pendant vingt ans au théâtre en tant que comédiennes, c’est enraciné en nous et on réalisé que Nina n’est pas uniquement comédienne de cinéma mais également de théâtre. Elle est membre de la Schaubühne. On connaît Thomas Ostermeier, on avait rencontré Lars Eidinger, on avait travaillé avec eux. Nina a fait son école de théâtre avec Lars Eidinger quand elle avait vingt ans. On s’est dit qu’il fallait absolument qu’on lui crée un frère jumeau. On savait qu’il lui fallait un lien fort, quelque chose qui la tiraille entre cette vie trop confortable et sa nature d’artiste. L’idée est venue de l’incarner avec ce frère et le milieu théâtral. C’était essentiel pour nous que ce soit Lars qui le joue.

L’histoire du film s’est donc construite petit à petit grâce à tous ces éléments qui ont modifié la structure ?

Véronique : Oui car c’est quatre ans d’écriture donc il s’est passé beaucoup de choses. Mais la rencontre avec Nina, le fait qu’elle vienne du théâtre, ça a vraiment changé la dramaturgie du film. Il y avait une autre trame qui se déroulait plus au sein de l’école. Nina a été une source d’inspiration énorme.

Nina Hoss a également amené cette mise en abime du théâtre ? Avec le fait de faire incarner aux comédiens des rôles proches des leurs, créant un lien avec la réalité, le fait que ce soit Thomas Ostermeier qui soit le metteur en scène, que Lars Eidinger reprenne brièvement son célèbre rôle d’Hamlet. C’est quelque chose de très émouvant…

Véronique : À partir du moment où on a choisi de les mettre dans le milieu du théâtre. Elle, auteure qui a arrêté d’écrire et lui qui a fait une carrière fulgurante, on s’est plongé là-dedans car c’est nous aussi. Tout ce qui est coulisse, relation avec les autres acteur.rices, bonheur d’être sur scène, d’être vivant, plus vivant en jeu sur scène que dans la vraie vie, c’est quelque chose qu’on a vraiment vécu. Peut-être que maintenant, on ne le vit plus en étant sur les planches mais parfois avec nos histoires que l’on trimballe partout avec nous, dans nos têtes, on a l’impression qu’elles sont plus vivantes que la réalité. C’est un peu schizophrène, cette espèce de sensation que la vie parce qu’elle exprime l’essence de soi, elle est plus forte dans la créativité que dans la vraie vie et ça s’est imposé comme une évidence…

Stéphanie : Oui et à partir du moment où on demandait à Lars d’être un acteur, on avait envie d’avoir accès à la Schaubhüne et d’utiliser la vraie mise en scène d’Hamlet. Lars nous a envoyé un sms, un jour, en nous disant : « Thomas aimerait jouer, il est prêt à jouer ». Il y avait toujours ce rôle de David, le metteur en scène. On s’est dit que Thomas pourrait jouer ce rôle et là est arrivée la réalité. La chose délicate a été d’une part que Lars joue son propre rôle d’acteur jouant Hamlet. Au départ, il était un peu réticent d’être aussi proche de lui.

Je me rappelle d’une discussion avec Thomas au Théâtre de Vidy (Lausanne) où il répétait La Mouette. C’était la première fois qu’on lui en a parlé et c’était assez délicat d’amener cet aspect documentaire dans la fiction. Pourtant, c’est ce qui fait la force du film, car ça incarne le film dans une réalité et pouvoir utiliser la mise en scène de Thomas c’était vraiment fantastique pour nous car elle est vraiment magnifique…

Le décor a été remonté seulement pour le film ?

Stéphanie : Oui, ils ont refait la scène à une échelle un peu plus petite. À la Schaubhüne, il y a tout le temps des spectacles. Ils démontent la nuit… et un jour on a pu s’inscrire. Ils ont monté le décor, on a tourné la nuit  jusqu’à 3/4h du matin et après il fallait partir car ils montaient un décor pour la journée d’après. On a eu très peu de temps et c’était le premier jour du tournage. C’était vraiment rock’n roll!

Et Marthe Keller, elle est arrivée après dans le projet ? 

Véronique : On avait pensé à elle. Comme nous sommes Suisses, nous avions aussi envie de travailler avec des acteurs suisses et il se trouve que Marthe était pile la bonne personne pour ce personnage, Toute l’histoire c’était : est-ce qu’elle va accepter un rôle à contre-emploi ? Elle le dit elle-même « la première chose qu’elles ont fait avec moi, c’était d’enlever mes perles et de me sortir des costumes Armani. » Et elle a adoré faire ça ! Elle a beaucoup aimé jouer autre chose, se libérer. À la première, elle disait se sentir plus libre quand elle est plus loin d’elle au niveau des personnages. Elle a beaucoup aimé le scénario. C’était une très belle rencontre aussi.

Finalement, Petite soeur, c’est une succession d’heureuses coïncidences ?

Stéphanie : Et avec pleins de moments où ça aurait pu ne pas marcher…

Véronique : Voilà, j’ai l’impression qu’on a eu beaucoup de petits miracles sur le bord du chemin et des écueils insensés et hop un petit miracle. Mais c’est comme ça de faire des films !

Et pour revenir à votre travail en duo, quand vous travaillez un projet, vous avez chacune des spécialités ou on est vraiment sur une création à quatre mains et deux cerveaux ? 

Stéphanie : Concernant l’écriture, notre précédent long-métrage était vraiment écrit à quatre mains, ensuite on a fait une série où quand on rentrait en pré-production, on a eu la bonne idée de changer le format et Véronique s’est attelée à la fusion d’épisodes qui duraient au départ 30 mn et on a mis à chaque fois deux épisode de 30mn pour un épisode de 52mn. Ce qui était un sacré épisode d’équilibriste. Pour ce film, on a vraiment commencé ensemble à brainstormer et à le développer avec cette idée de la maladie.

Mais j’ai été rattrapée par la réalité car j’ai appris que ma mère avait un cancer des poumons en stade 4 quand on était en train de faire le film. D’un jour à l’autre, je suis devenue Lisa avec ce que ça implique de charge émotionnelle. C’était impossible pour moi d’écrire ce que je vivais donc Véronique absorbait et elle mettait tout ça dans l’histoire. Ensuite, deux mois avant que ma mère décède, le père de Véronique est décédé. On a un côté jumelles même dans ce que l’on vit. Après on a eu une période assez difficile où il fallait être en deuil et écrire cette histoire de séparation.

Mais pour le tournage, on est complètement ensemble, on ne se répartit aucun rôle. Comme on est comédienne on est dans le présent et on va décider qui parle à qui selon ce qui se passe. C’est pour nous une manière d’être tout le temps créative, de ne pas se reposer. On est obligé, c’est comme ça qu’on travaille. Ce qu’on fait aussi pour préparer les scènes, on va sur le plateau quand il n’y a personne ou sur nos jours de congés et on imagine qu’on est les personnages. On imagine les scènes dans l’espace.

Ensuite, on part toujours de l’acteur et on proposera cette chorégraphie au chef opérateur pour voir la position de la caméra puis aux acteurs pour voir s’ils ont besoin qu’on modifie. Mais en général comme on est actrices, on sait que la contrainte crée la liberté et ils aiment beaucoup avoir une série d’actions à faire. Être plantées là, c’est pas ce qu’on cherche, ça bouge beaucoup et au montage on est aussi là tout le temps, surtout pour ce film.

Véronique : … un peu trop peut-être. Non mais on avait des contraintes de temps. Les petits budgets, il faut arriver au bout quand on a pas le luxe de prendre tout le temps.

Et justement concernant la direction d’acteur.rices sur le plateau, il y a une part d’improvisation ou tout est écrit ? Car en tant que spectateur.rice, on ressent quelque chose de très libre dans certaines scènes notamment avec Lars Eidinger…

Véronique : C’est la force de ces grands acteur.rices. C’est incroyable, ils s’approprient le texte et on a l’impression que c’est eux qu’ils inventent et en réalité c’est écrit. Tout n’est pas écrit dans le sens où on leur laissait par moment des fins de scène ou des débuts de scène, comme des espèces d’entrées mais tout ce qui devait être exprimé afin d’aller de l’avant dans l’histoire, on l’a écrit. On ne peut pas se permettre d’aller dans tout les sens. Tout y est.

Et c’est fou, quand j’y pense, on a eu une journée avec nos deux acteur.rices pour une lecture. C’était notre journée de répétition, ça s’appelait : « une journée de lecture avec Nina et Lars. » Nous étions un peu stressées, on était à l’hôtel, ils ont pris le texte, ils ont commencé à lire, on s’est regardé. On avait un frère et une soeur qui se parlaient. Après c’est toujours beaucoup de travail pour trouver les émotions justes.

C’est un travail assez fin mais ces acteur.rices, c’est de la haute précision. Là, on est à un tel niveau de jeu, qu’on peut aussi exiger un niveau de subtilité et de nuances avec Nina Hoss, c’est incroyable. C’est un Stradivarius réellement. La scène finale, c’est du travail, ce n’est pas « vas-y tu fais un peu ce que tu veux », c’est travaillé au millimètre. Le moment où la vague émotionnelle doit la submerger mais où elle arrive quand même à se relever pour donner quelque chose de lumineux et aller vers l’espoir et la vie. Il nous faut des acteur.rices de ce niveau là pour arriver à transmettre ces espèces de montagnes russes émotionnelles.

Stéphanie : Oui et de strates, parce qu’ils habitent tellement le texte. Il faut des acteur.rices de ce niveau là pour que la densité du texte – qui est finalement assez normal, assez quotidien, ce sont des gens qui se parlent, – résonne. Il y a un moment qui est un peu improvisé : c’est avec Marthe et le gâteau qui brûle et où Nina goute. C’est le seul moment où on laissé courir un peu plus.

Véronique : Parce qu’on a laissé Marthe un peu partir, elle est très bonne en improvisation, il y avait plein de moments avec les enfants. Elle a cette espèce de légèreté et on avait envie de ça avec elle. Quand on est sur le tournage, ce qui n’est pas tourné aujourd’hui nous ne l’aurons jamais car on ne  le rattrapera jamais au montage. Si l’émotion recherchée n’arrive pas, on ne l’aura jamais et nous sommes très conscientes de ça. Donc, on va les pousser, on va y aller et ils aiment ça. Sinon, on sera devant nos images et on se dira, on aurait du et on ne l’a pas fait.

Et vous arriviez à trouver votre place à vous dans la direction de ces acteurs.rices ?

Stéphanie : Oh oui, mais on s’en est vraiment rendu compte au montage. Pour nous, il a un rythme intrinsèque dans le scénario, qui est le même dans les scènes. C’est aussi pour ça qu’on peut pas rajouter trop de trucs, il y a une structure de scène. Alors ce qu’on a fait au montage c’est qu’on a déplacé des scènes, on a pas mal travaillé la matière mais on a pas coupé les scènes en soit.

Ce qui m’a frappé justement dans votre écriture, c’est comment vous arrivez à amener de l’humour, de la légèreté et du rythme à l’intérieur de ce sujet dramatique. Comment on crée cela ? 

Véronique : Je pense que c’est notre énergie qui se transmet dans le scénario. Oui on parle de sujets graves mais on est en vie. Et on a réalisé aussi en voyant Stéphanie côtoyer sa mère qui était en fin de vie à quel point cette relation était vivante. Déjà, Stéphanie est quelqu’un de très vivant mais avec sa mère c’était du corps à corps, quelque chose d’incroyablement intense. Je ne sais pas pourquoi on a une image de la fin de vie un peu à plat, à l’horizontal. A l’intérieur, c’est quand même des moments définitifs, on sait qu’on s’approche d’une fin définitive donc il y a des choses à résoudre, à comprendre, à transmettre. C’est presque de la vie décuplée et on a envie de transmettre ça. Et il y a de l’humour évidemment.

Stéphanie : C’est vrai, par rapport à cet humour sous-jacent pour nous c’est extrêmement important dans ce qu’on essaye de délivrer au monde. On a besoin d’avoir de l’espoir dans ce qu’on fait et dans La Petite chambre notre premier film, c’était pareil. C’est qui on est, notre tonalité. On n’a jamais fait un drame pur où on a juste envie de se suicider à la fin. On ne passerait pas quatre ou cinq ans de notre vie à se battre pour faire un film sinon. Car on ne sait même pas si on va arriver à le faire parfois, on passe par tellement d’étapes que pour nous c’est très important d’avoir un message positif même si on raconte des choses existentielles.

On veut transmettre cette finesse, cette authenticité de la vie qui nous offre même dans le drame des moments qui peuvent être presque cocasses et décuplés par le drame que l’on vit. Mais c’est vraiment notre tonalité à nous, je crois dans tout ce qu’on fait même au théâtre. Nos spectacles étaient suffisamment drôles,  encore plus dans l’humour Et on a fait une série A livre ouvert qui est quand même plutôt de la comédie aussi.

Véronique : C’est l’un avec l’autre, l’autre avec l’un.

Stéphanie : Mais c’est vrai aussi quand vous voulez faire un film et que vous devez y passer quatre ans souvent c’est parce qu’il y a un sujet existentiel, qui vous taraude, dont vous voulez parler. Mais pour nous c’est très important d’avoir toujours ce pétillement.

Finalement, ça rejoint cette idée du jeu que nous évoquions ?

Véronique : Oui, c’est le jeu. C’est jouer sérieusement, c’est ça être acteur ! Ce sont vraiment des enfants, quand ils jouent ils sont très sérieux, ils sont à 100 % dans leur jeu. C’est justement ça qui est fort, on voulait des enfants dans le film pour justement rester en lien avec son présent. Un enfant est dans son présent complètement et l’acteur qui joue sur scène aussi. Et c’est dans cette façon de défier la mort qu’il est dans son présent, qu’il devient infini, intemporel.

Et il y a une autre dimension dans le personnage de Lisa, c’et une femme qui porte toute sa famille et qui a laissé sa carrière de côté c’était important pour vous d’aborder ça ? 

Stéphanie : Oui c’était vraiment un aspect dont on voulait parler. Pendant le développement, plusieurs personnes nous ont dit « mais enfin bien sur qu’une femme aujourd’hui elle peut tout faire » et c’est pas vrai. Alors nous on n’a personnellement pas d’enfants mais on a des amies, des femmes qui sacrifient leur carrière pour la famille. On tenait beaucoup à rendre hommage à ces femmes. Et elle ce qui est particulier, c’est la maladie de son frère qui la coupe de sa source. Moi quand ma mère était malade, c’est vrai que ma créativité n’était plus là. Là, je vois que tout ce filet est de nouveau vivant. D’ailleurs, quand en perd quelqu’un, on se dit que ça ne va jamais revenir. On est tellement dans la douleur.

Oui c’était très important cette femme qui s’est perdue elle-même et surtout son jumeau qui avant de partir va la reconnecter à ça. Pour lui, ce sera comme ça qu’il va être éternel, c’est comme ça qu’il va rester vivant, à travers la créativité de sa soeur. C’est quelque part un espoir qu’on a si l’une de nous deux devait disparaitre. Notre monde commun, nos références, on ne pourrait plus les partager avec qui que ce soit alors que ça  va rester vivant dans l’autre. Par rapport à son mari qui se retrouve dans le rôle de celui qui doit trancher en croyant que c’est pour le bien de sa famille, ça arrive aussi, ce rôle de devoir prendre la décision pour la famille, on le voit dans notre entourage.

Véronique : Oui, et puis même c’est drôle que tu parles du mari. Nous, on est pas un couple mais notre complicité est telle que je voyais Stéphanie avec sa mère dans une espèce de course contre la montre. Et je me disais, à un moment elle va se noyer. Mais l’énergie de Stéphanie pour essayer de sauver sa mère mais en sachant qu’elle ne pouvait pas la sauver, c’est exactement comme le personnage de Lisa, au moins j’aurai fait tout ce que je peux pour la sauver et après je me sentirai libérée, je n’aurai pas ce poids.

J’assistais à ça et je disais « mais stop tu dois te protéger, reviens. » Et je parlais avec le compagnon de Stéphanie, mais c’était trop, on ne pouvait rien faire. Et par rapport au rôle du mari qui prend des décisions et qui se dit je fais ça pour le bien de la famille, il lui dit tu n’es pas toi-même et elle répond « je n’ai jamais été autant moi-même. »

Oui il y a une forme de dichotomie entre cette stabilité en Suisse et Berlin, le désordre et la créativité…

Stéphanie : C’est pour ça qu’on a tourné avec une caméra à l’épaule, on voulait vraiment être dans cette intranquillité du personnage et ne pas être dans le côté hiératique de la Suisse où les beaux paysages peuvent vraiment anesthésier ce qu’il se passe à l’intérieur…

C’est ce qui permet aux personnages de survivre cette créativité ?

Véronique : C’est vrai au moment où il souffre beaucoup à l’hôpital, il y a cette scène entre frères et soeurs, elle l’emmène dans une histoire. Elle pense directement à Hansel et Gretel parce que c’est l’histoire qu’elle est en train de lire à son fils, elle lui raconte cette histoire. Ils se la re racontent et ça le maintient comme ça hors de sa douleur. Elle essaye de l’apaiser en occupant son imaginaire et je pense que c’est l’essence même de l’art finalement, de nous permettre de nous guérir de nos maux et de nous aider à oublier notre quotidien. C’est une façon de grandir et de nous apaiser.

Stéphanie : Oui d’être au contact avec nous-même au travers d’un médium et quand on ressort d’un film, on s’est connecté à soi-même autrement. Quand le film nous nourrit c’est incroyable comme ça résonne par un autre moyen. Quand je vais au cinéma ou quand je lis un livre, je me projette dans quelque chose. C’est encore plus vivant en lisant car on est plus actif.

Et justement en parlant d’être vivant, il y a une cette scène dont je voulais vous parler en particulier, celle du parapente qui est assez impressionnante d’autant plus qu’elle scinde un peu le récit en deux, comment vous avez tourné ça ? 

Véronique : A partir du premier jour de tournage, Stéphanie a dit : « il faut découper la scène de parapente ». On a parlé de cette scène pendant tout le tournage, tous les jours. On avait une équipe de parapentistes qui ont fait tous les plans dans les airs, en vol. Nos deux comédiens n’étaient pas autorisés à voler. C’est un trucage. Ils sont dans une nacelle accrochée à une grue dans un paysage de montagne. On est pas dans les airs. Et ça c’est du jeu d’acteur incroyable, pour arriver à créer ce vertige. Et on a mélangé nos images prises dans la voile de parapentistes qui jouaient des doublures.

Il y a cette énergie de ces deux acteurs saisis, qui sont en train de faire semblant réellement. Finalement, on avait très peur que ça ne fonctionne pas et ça fonctionne. Et la caméra, c’était incroyable car il y a à la fois la nacelle et on avait deux machinistes qui la secouaient pour qu’on sente le vertige et en même temps la caméra bougeait aussi. Elle attrapait des contre-jours avec le soleil qui éblouissait de façon à ce que justement on puisse avoir une sensation de perte de repères. Filip Zumbrunn, le chef opérateur a fait un super travail.

Stéphanie : C’est un bon contraste pour le personnage de Sven qui a besoin de se sentir vivant comme jamais. Dix secondes de jolis paysages et hop c’est reparti vous n’ allez pas profiter de la Suisse longtemps. C’était notre scène d’action à la James Bond, c’est pour ça que le film sort le même jour.

Diane Lestage pour MAZE

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