Lulu femme nue

De Solveig Anspach – France 2014 – 1h27
Avec Karin Viard, Bouli Lanners, Claude Gensac …


Echappée océanique d’une quadragénaire.
La seule fois où Lulu tient la promesse de son titre, elle sort d’une baignade automnale sur une plage de Vendée. Toute nue, donc. Et plus que gironde. Ce qui n’est pas une surprise, puisque c’est Karine Viard, Vénus beauté naissant des eaux, qui s’est glissée dans le corps de Lulu. Cette baignade est comme le sésame de Lulu femme nue. Se laver, se décrasser, mais faire de ce nettoyage un désir. Telle est la vie de Lulu, quadragénaire encalminée dans quelques rôles dont elle n’assure pas la mise en scène : femme de son mari, mère de ses trois enfants, etc.

Le récit la chope en train de rectifier sa mise dans des toilettes publiques : coiffure, maquillage, échancrure du corsage, hésitation sur le port d’une broche en bigorneaux. C’est quoi ce cirque ? Les clowneries habituelles auxquelles on est condamné quand on a passé les 40 ans, qu’on n’est pas spécialement qualifié, qu’on est une femme et qu’on guigne un emploi. La scène suivante est celle d’un entretien d’embauche qui ne se déroule ni bien ni mal, le personnage du recruteur n’ayant pas été chargé de vilenie, mais qui, au bilan, ne passe pas.

Bercail. Accrochée au visage de Karine Viard (à cet instant, sublimée), n’en démordant pas, l’image est un documentaire climatique qui, en quelques minutes, passe de l’éclaircie au risque majeur de dépression. Sans cri ni fureur. C’est la belle intelligence du propos : la défaite de Lulu n’est pas seulement la victoire d’une idéologie économique qui s’y entend pour injecter le virus de la culpabilisation, elle est aussi la sienne, sa connerie. Dans la logique de cette double peine d’autant plus accablante qu’elle est inarticulée, Lulu va fomenter sa révolution silencieuse. Rater le TER qui doit la ramener au bercail où mari et enfants, agités du portable, l’attendent en bêlant. Ce qui est filmé comme le contraire d’un coup de tête. Plutôt un intempestif, fuyant et fluide. Dire non, c’est à la fois simple et exorbitant, il suffisait d’y penser. Non aux us et coutumes sociaux : une femme seule qui loue timidement une modeste chambre d’hôtel dans une station balnéaire hors saison, c’est quoi ? Forcément une paumée ? Fatalement une échouée ?

Hors pair. Solveig Anspach filme au contraire l’hymne à la joie d’une liberté pas à pas retrouvée. Mais plutôt Debussy que Wagner dans sa musique délicate. C’est un sentiment océanique qui domine, où les flux des petits plaisirs (s’oindre les mains de crème dans le cabinet de toilette de l’hôtel) ou le tsunami d’un nouvel amour (avec Charles, c’est-à-dire Bouli Lanners, on la comprend et on l’envie), bagarrent avec le reflux des rappels à l’ordre (social) et à la raison (des familles).

Lulu, plutôt à marée haute que basse, n’est pas une niaise pour autant. Mère en fugue, épouse démissionnaire, mais prête à des solidarités éclair avec des inconnus de fortune, dont une vieille Marthe, anarcho-senior incarnée par une Claude Gensac hors pair. Ces temps-ci, le cinéma français est plein de ces personnages qui se retrouvent après s’être perdus de vue : Elle s’en va d’Emmanuelle Bercot, Suzannede Katell Quillévéré et aujourd’hui Lulu. Ça n’est pas la pire des nouvelles que ces trois films soient réalisés par des femmes avec des femmes.

Gérard LEFORT

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