Entretien avec Jonathan Coe
Quelles ont été vos sources d’inspiration pour ce livre ?
En 2007, pour la première fois de ma vie, je me suis acheté une voiture équipée d’un GPS. La même année, alors que je visitais l’Australie, j’ai aperçu une femme chinoise et sa petite fille qui jouaient aux cartes, toutes les deux, dans un restaurant. Ces deux anecdotes, sans rapport apparent, m’ont donné envie d’écrire un livre sur la solitude et l’intimité à notre époque dominée par les nouvelles technologies.
Pourquoi Sim a-t-il autant besoin d’aller vers les autres ?
Parce qu’il se sent seul. Au début du livre comme du film, il sort d’une période de dépression provoquée par l’échec de son mariage. Il veut à tout prix renouer un lien avec les autres, mais il ne sait plus comment s’y prendre – ou plutôt, comme il commence à s’en rendre compte, il n’a jamais su s’y prendre.
Vos livres ont la réputation de se prêter facilement à des adaptations cinématographiques. Lorsque vous écriviez « La vie très privée de Monsieur Sim », envisagiez-vous qu’il puisse être porté à l’écran ?
Le livre s’inspire très librement d’un road-movie anglais, Le Meilleur Des Mondes Possibles (1973) de Lindsay Anderson, où Malcolm McDowell campe un vendeur de café qui sillonne les routes et les autoroutes d’Angleterre. Par conséquent, il est vrai que j’ai toujours eu le sentiment que le roman était très cinématographique.
Avez-vous été surpris qu’un réalisateur français vous contacte pour adapter l’un de vos livres ?
À l’heure actuelle, mes livres ont plus de succès en France qu’au Royaume-Uni. D’autre part, la France produit environ 250 longs métrages par an, alors qu’en Angleterre, on n’en produit qu’une quarantaine. Du coup, ce n’est pas étonnant que, ces dernières années, la quasi totalité des propositions d’adaptation de mes livres soient venues de réalisateurs français. Je ne connaissais pas les films de Michel, mais il m’a donné un DVD du Le Nom Des Gens qui m’a beaucoup plu. Lorsque nous nous sommes vus, j’ai compris qu’on aimait les mêmes cinéastes, et tout particulièrement Billy Wilder et Woody Allen.
Avez-vous envisagé de participer à l’écriture du scénario avec Michel et Baya ?
Non, parce que j’étais très occupé à terminer un roman, « Expo 58 », et à en commencer un autre,
« Number 11 ». On s’est vus et on a passé une journée tous les trois dans les environs de Florence, où Michel et Baya venaient d’emménager et où j’étais en vacances avec ma famille. On a parlé du scénario et il m’a semblé évident qu’ils avaient l’intention de rester très fidèles au livre. Du coup, je les ai laissés faire.
Qu’avez-vous pensé du film ?
Je trouve que Michel a su rester très proche de l’esprit du livre. Pas seulement l’esprit d’ailleurs : il a réalisé une adaptation fidèle, allant jusqu’à transposer les flash-backs et l’histoire parallèle de Donald Crowhurst – autant d’éléments que, à mon avis, il allait devoir écarter. La seule liberté majeure qu’il s’est permise concerne le dernier chapitre controversé du roman, où l’on découvre que Monsieur Sim est le fruit de l’imagination de l’auteur. Mais il m’avait dit depuis le début qu’il ne pouvait pas transposer ce chapitre, et j’en étais d’accord.
Différentes intrigues et temporalités se croisent dans votre œuvre. Comment Michel Leclerc s’en est-il sorti sur le plan cinématographique ?
Il s’en est remarquablement tiré. D’ailleurs, je trouve que le film est de plus en plus intéressant à mesure qu’avance l’intrigue, qu’on découvre davantage de flash-backs et qu’on apprend en quoi ils sont importants. Les scènes des adolescents en vacances, et celles du Paris des années 50 avec Vincent Lacoste, comptent parmi mes préférées.
Pour vous, le film se rapproche-t-il davantage de la comédie que le roman ?
En fait, j’ai trouvé le film plus empreint de mélancolie que le livre. Quand on voit Sim parcourir ces routes désertes en voiture, avec son GPS pour seule compagnie, on perçoit sa solitude de manière plus palpable que dans le livre. Avant le dénouement heureux des toutes dernières minutes, j’ai trouvé que c’était un film profondément triste.
Si Michel Leclerc a coupé certaines scènes du livre, il en a aussi imaginé de nouvelles…
C’est ce que j’espérais qu’il ferait. L’objectif d’une collaboration est précisément de découvrir ce qu’un autre esprit créatif peut apporter à l’œuvre de départ. Rien n’est aussi ennuyeux qu’une pure adaptation littérale.
Michel Leclerc estime que le livre est très anglais, alors que vous trouvez le film très français…
Pour moi, le style des réalisateurs français est beaucoup plus fluide et visuellement marqué que celui de leurs homologues anglais. Ces dernières années, la plupart des artistes anglais les plus intéressants qui ont vraiment quelque chose à dire ont choisi de le faire à la télévision ou au théâtre – pas au cinéma. Les cinéastes anglais ne semblent pas en mesure de trouver le bon équilibre entre les dialogues et le style visuel. Le film de Michel me semble « très français » car il manie le langage du cinéma avec beaucoup de naturel.
Qu’avez-vous pensé de la manière dont Michel Leclerc a intégré l’histoire de Crowhurst dans l’intrigue principale ?
Pour moi, le parallèle entre Crowhurst et Sim est fondamental et donne tout son sens au livre. Je redoutais vraiment que ce parallèle soit perdu, ne serait-ce qu’en raison de la difficulté à obtenir les droits des images de Crowhurst. Du coup, je suis ravi que cet élément du livre se retrouve dans le film et y joue un rôle aussi important. Un biopic à gros budget est en tournage actuellement, avec Colin Firth dans le rôle principal, et son histoire va donc devenir très célèbre. Mais nous aurons été les premiers à en parler !
Avez-vous été ému par la prestation de Jean-pierre Bacri ?
Au départ, j’étais un peu inquiet par la différence d’âge entre le Sim du livre et Jean-Pierre, mais je me suis rendu compte que cela ne se voyait pas à l’écran. De toute évidence, Jean-pierre Bacri est l’un des plus grands acteurs de cinéma et je n’arrivais pas à croire qu’il s’apprêtait à camper l’un de mes personnages. Sa prestation est tout simplement fascinante.
Et les autres comédiens ?
Bien qu’elle ait peu de scènes, Valeria Golino est formidable : elle campe l’ancien amour de jeunesse de Sim, devenue une femme d’une quarantaine d’années séduisante.Isabelle Gélinas est à la fois chaleureuse et émouvante dans le rôle de la femme de Sim. Toutes les comédiennes du film sont épatantes, mais j’ai surtout été impressionné par Mathieu Amalric et par les scènes où il joue avec Bacri : on sent très bien les liens qui existent entre eux et l’attirance entre ces deux hommes, à la fois forte et tendre, et d’une grande subtilité. C’est un grand numéro d’acteur.
Qu’avez-vous pensé de la mise en scène ?
J’ai été ravi de voir que Guillaume Deffontaines est presque le premier nom qui apparaît au générique de fin. Il a signé quelques superbes images, particulièrement vers la fin du film. L’aboutissement du périple de Sim dans le Massif Central est une séquence magnifique, sur un plan visuel et dramaturgique, puis le fondu enchaîné avec le paysage italien sous le soleil est d’une grande beauté.