« Happy End » de Michael Haneke, film franco-autrichien (1h48), nominé au festival de Cannes 2017
Avec Jean-Louis Trintignant, Mathieu Kassovitz, Isabelle Huppert, Fantine Harduin…
Dans Happy End, Haneke revisite ses grands thèmes, la violence, l’enfermement et la mort à travers une comédie noire. Un puzzle humain parfois glaçant et pourtant ludique, un jeu de piste dans la grande demeure de grands bourgeois à Calais. Isabelle Huppert joue la chef, femme de tête qui veut aller de l’avant. A quoi bon ? Tout fout le camp. Son père vient de rater sa tentative de suicide et prépare la suivante. Son fils boit et, au lieu de se préoccuper de l’entreprise familiale, la néglige. Son frère est très occupé par sa maîtresse musicienne, avec laquelle il explore des fantasmes d’avilissement, et par sa fille, une gamine quelque peu soupçonnée d’avoir tué sa mère à coups de tranquillisants…
Ces personnages sont ceux d’une farce sombre et débridée. Mais la maîtrise est partout. D’abord chez les comédiens qui évitent les écueils de la dérision. Mathieu Kassovitz qui interprète le frère, se fait le reflet d’un monde lisse, où tout n’est que neutralité apparente et mensonge. Jean-Louis Trintignant, en patriarche déterminé à mourir, dans la dignité ou dans l’indignité, embrasse un néant qu’il n’essaie pas de faire passer pour une sagesse philosophique. Même la jeune Fantine Harduin sait tenir, sans le simplifier, son personnage de petite fille qui joue avec la vie et les tranquillisants.
Haneke, lui aussi, garde la mesure. S’il réaffirme sa vision d’une société occidentale mortifère, il n’en appelle pas à la condamnation de ses bourgeois. Il en fait des aveugles, buttant sur une vie qu’ils ne savent plus voir et dont même la dureté leur échappe. C’est l’effondrement général, mais on prépare un mariage. Où des migrants qui errent dans la ville finiront par trouver une place saugrenue, invités à s’assoir à une table. Tout se mêle, le décorum d’une classe sociale qui n’est plus dans le vrai et la brutalité de la réalité. L’inconscience joyeuse et la tragédie.
Critique de Frédéric Strauss, « Télérama »