Goutte d’Or

Du 13 au 18 avril 2023

GOUTTE D’OR

de Clément COGITORE,FRANCE (1h38)

 

Il s’appelle Ramsès et la Goutte d’Or est son royaume. Au pied du métro Barbès, ses rabatteurs appâtent le client, distribuant par milliers des petits papiers imprimant une promesse: «Médium». Ramsès reçoit, dans une pénombre travaillée à la bougie, des endeuillés prêts à payer en liquide pour des nouvelles de leurs chers disparus. Sa petite entreprise ne connaît pas la crise, d’ailleurs ses concurrents du quartier, voyants et autres «professeurs» d’origines diverses, lui reprochent de rafler leurs parts de marché. Ramsès s’en fiche, business is business.

Sa prospérité s’explique: il est bon, bluffant même. On jurerait que les morts lui parlent pour de vrai, d’une mamie retrouvée dans l’au-delà, d’une maison aux volets bleus, de souvenirs précieux, d’amour et de pardon. Le soir, dans un gymnase, Ramsès se produit en public, micro en main, mystifiant des familles éplorées de ses murmures consolateurs. «Je fais des petits spectacles. Quand les gens sont contents, ils reviennent», résume en coulisses le mage qui ne croit pas à la magie. Car il y a un truc, évidemment, une arnaque bien huilée que Goutte d’Or révèle habilement, sans hâte, sans rire mais qu’il n’a aucune envie de raconter aux gamins de Tanger qui font irruption dans sa vie. Moineaux livrés à la rue, à la drogue, à la violence, ils ont eu vent de ses talents et, au moins aussi effrayants que les Oiseaux de Hitchcock, exigent qu’ils retrouvent un copain envolé.

Clément Cogitore réalise une exploration fiévreuse, hallucinée presque, d’un arrondissement parisien en mutation, un coin du 18ème populaire allant de Barbès à la Porte de la Chapelle, entre trottoirs bondés et colossaux chantiers d’urbanisation, misère noire des mineurs exilés et inéluctables lendemains gentrifiés. (…) Le réalisateur nimbe la dureté de Goutte d’Or d’une beauté onirique, tandis que l’excellent Karim Leklou (Ramsès), tout en opacité, colère et cynisme rentrés, troque la tristesse mesquine de son personnage contre la possibilité d’un émerveillement. Un rai de lumière dans les ténèbres.

Extraits de la critique de Marie Sauvion, Télérama

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